En l’an 63 avant J.C., Jules César acheta le vieux titre de Pontifex Maximus qui le mettait à la tête des prêtres de la religion d’état. Ses successeurs reprirent le titre, mais aucun empereur n’a jamais gouverné au nom d’un dieu quelconque, ou considéré qu’il recevait son pouvoir d’un dieu. Ni même qu’il établissait un pont entre dieu et les hommes, comme on le dit parfois. Mais plutôt que cette charge honorifique confirmait son aptitude à exercer le pouvoir impérial (1). Il n’y a jamais eu dans l’Empire romain de théocratie puisque sa religion, purement formelle, acceptait tous les dieux.
Et Jésus inventa la laïcité
Telle était la situation qu’a connu Jésus quand il est né dans la un pays sous administration romaine. Le culte du Temple de Jérusalem et son clergé (les Sadducéens) étaient non seulement tolérés, mais respectés par la puissance d’occupation. Les synagogues et leurs desservants (les Pharisiens) fonctionnaient partout sans entraves. Le petit peuple juif n’était même pas obligé d’offrir chaque année l’encens à la statue de César, comme partout ailleurs.
Dans ce contexte les Zélotes (terroristes juifs) ont choisi le seul angle d’attaque contre ce Jésus qui tardait à déclencher la révolte qu’ils attendaient : « Faut-il, oui ou non, payer l’impôt à César ? » Vous connaissez la réponse : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Pour la première fois dans l’Histoire de l’Antiquité, quelqu’un exigeait qu’on établisse une distinction radicale entre la sphère politique et la sphère religieuse. Aucun des peuples du bassin méditerranéen n’aurait imaginé de séparer ainsi le monde divin du monde des hommes.
La laïcité chrétienne venait de naître. Ou plutôt d’être proclamée… car fut-elle jamais appliquée ?
La chrétienté, Gott mit Uns
Oui, et par la force des choses, tant que les premiers chrétiens furent perçus par Rome comme une superstitio judaïca, une secte juive mineure. Pour ne pas inquiéter le pouvoir et n’être pas persécutés, ils firent profil bas et se présentèrent comme gens inoffensifs, sans ambition politique. Mais dès qu’en 313 le christianisme fût reconnu religio licita, ils relevèrent la tête et firent condamner par l’empereur Constantin d’abord l’hérésie donatiste, puis en 325 l’arianisme au concile de Nicée qu’il présida en personne. Il se présenta alors comme « le treizième apôtre », l’égal des évêques conciliaires. Pour le christianisme, la brève parenthèse de laïcité forcée des origines venait de prendre fin, la théocratie chrétienne était née. Elle durera des siècles sous le nom de chrétienté.
Naissance de la laïcité
En décrétant la liberté de conscience, la Révolution française voulut mettre fin à l’étroit concubinage qui liait depuis Constantin le trône et l’autel. Mais le clergé catholique révolutionnaire prêtait serment à la République, qui le salariait et nommait ses dignitaires. L’Église et l’état restaient unis dans un baiser mortel pour l’Église, étroitement soumise au pouvoir qu’elle avait perdu.
Convaincu qu’il n’y a pas de société sans religion, en 1801 Napoléon rendit à l’Église catholique sa place dans l’espace public, mais toujours sous contrôle. C’est seulement en 1881 que Jules Ferry instaura l’école « publique, laïque et obligatoire ». Sous la IIIe République la laïcité était obligatoirement enseignée aux petits Français. Et c’est par la « génération Ferry » que la séparation entre l’Église et l’état fut instituée en 1905.
Pionnière dans le monde, la »laïcité à la française » a donc été créée contre l’Église catholique, pour la liberté d’apprendre sans référence à une autorité religieuse qui serait supérieure à celle de la loi républicaine et à l’autorité de la raison.
Premières fissures de la laïcité
Le 19e siècle a été le ‘’siècle d’or’’ de cette laïcité. Héliocentrisme (Galilée), évolution des espèces (Darwin), théorie atomique (Dalton), Rome rejetait en bloc les avancées scientifiques d’un monde en pleine transformation. En 1864 Pie IX publia un Syllabus qui condamnait « les principales erreurs de notre temps » dont le rationalisme, le socialisme… On ne dira jamais assez quel fier service la rigidité d’une Église catholique fortement hiérarchisée, solidement campée sur ses interdits scientifiques et sociaux, rendit alors au parti laïc qui se trouvait face à une infâme monolithique, bien identifiée et donc facile à combattre.
En 1891 l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII fit naître un ‘’catholicisme social’’ qui se développa surtout en France. Cette ouverture des catholiques vers la société contemporaine déstabilisa le parti laïc, dont l’ardeur s’était jusqu’alors nourrie d’un catholicisme réactionnaire. Pendant les guerres mondiales, l’union sacrée des tranchées puis de la Résistance forcèrent les deux ennemis à se connaître et à se respecter : ‘’bouffer du curé’’ n’était plus à la mode. Lorsque les prêtres-ouvriers furent (eux aussi) condamnés par Rome, la laïcité s’essouffla puis perdit pied quand un pape polonais contribua à la chute du mur de Berlin.
Privée de son ennemi ancestral – un clergé obtus et rétrograde -, la laïcité ‘’à la française’’ commençait à tourner en rond.
Deuxième fissure ; le relativisme
Si tout se vaut, pour les militants laïcs le catholicisme ne valait plus grand-chose. D’ailleurs, n’était-il pas devenu invisible dans une société secouée par la crise de 1968 et sa révolution sexuelle ? Les églises, remplacées par les temples de la consommation, se vidaient. Et quelques Journées Mondiales de la Jeunesse réussies masquaient mal le fait que les jeunes avaient la tête ailleurs et s’intéressaient surtout à leur avenir.
Le néo-bouddhisme, les écoles de méditation, les ateliers de ‘’développement personnel’’ qui se répandirent alors étaient bien vus des laïcs, puisqu’ils ramenaient leurs adeptes à eux-mêmes et en faisaient des individus politiquement insipides, sans ambition autre que leur bien-être intérieur et donc sans danger.
Le parti laïc avait-il enfin remporté la lutte finale ? Faute d’ennemis à combattre, la laïcité ne serait-elle plus bientôt qu’un souvenir historique chéri par des militants désarmés ? La société française allait-elle enfin pouvoir penser à son avenir sans Dieu ?
Rupture : la laïcité au péril de l’islam
Dans l’euphorie des Trente Glorieuses, nous avions oublié les ‘’Arabes’’ importés en France dans les années 1960-70. Leurs enfants, eux, n’oublièrent pas cet oubli. Français marginalisés dès leur naissance, ils trouvèrent dans un retour à l’islam l’expression de leur mal-être, puis d’une identité qui leur était refusée (pensaient-ils) par la République.
Car la ‘’laïcité à la Française’’ a été construite en fonction d’une Église catholique hiérarchisée, apolitique et réconciliée avec les valeurs de la République. Tandis que l’islam dont se réclament les enfants et petits-enfants d’immigrés est vaguement coraniste et se développe en génération spontanée, désordonnée, sans autorité directrice et sans doctrine ou idéologie précise. Du Coran qu’ils connaissent mal ils ne retiennent que ses appels à la violence, au meurtre, à la sujétion des femmes… bref, aux valeurs d’un Moyen-âge arabe totalement éloignées des nôtres (2). Sans s’en rendre compte, ils veulent le retour à la théocratie – sous la bannière de l’islam. Selon un sondage IFOP/ Licra, 65% des lycéens musulmans estiment que « Les règles de leur religion sont plus importantes que les lois de la République ».
La France laïque n’en a donc pas fini avec Dieu, car cet islam-là est totalement incompatible avec notre République. Les autorités politiques et religieuses françaises l’appellent radical, mais c’est à tort. Ces ‘’radicaux’’ ne font que suivre les prescriptions du Coran et d’une longue tradition islamique de lutte et de défiance conquérante envers le christianisme. Nos autorités n’ont pas compris que l’outil forgé par nous au cours des siècles, la ‘’laïcité à la Française’’, est inadapté pour traiter le mal qui ronge cette population.
La laïcité a été pour nous un chemin de libération. Chacun y mettant du sien, un compromis laborieux nous a permis de rende à César ce qui est à César et à Dieu ce qu’on veut. Face à la montée de l’islam coraniste, la ‘’laïcité à la française’’ ressemble aujourd’hui à une impasse.