GETHSÉMANI AUJOURD’HUI

 

Au soir du 7 avril de l’an 30 un jeune rabbi juif accompagné de ses disciples se cachait à Gethsémani, plantation d’oliviers qui faisait face au Temple de Jérusalem. Comme les jours précédents, il espérait y passer la nuit.

Pourquoi tant de précautions ? Parce qu’il savait que ses ennemis voulaient « le supprimer » – c’est Luc qui apporte cette précision. « Le supprimer » : c’est son existence même qu’ils voulaient effacer de la terre. Dans leur esprit cet homme n’existait pas, n’aurait jamais dû exister. Il fallait le détruire totalement, méthodiquement, pour qu’il n’y en ait plus trace sur terre.

Luc ajoute : « alors Satan entra en Judas ». Tout au long de son évangile il s’est attaché à souligner l’action du démon dans la vie de Jésus. En embuscade au désert, alors que le jeune Galiléen n’a pas encore commencé sa vie publique. Présent dans chaque malade, chaque infirme rencontré en chemin – et ils le harcelaient pour qu’il les guérisse en chassant cette force du Mal qui les minait de l’intérieur. Présent dès le début, où Luc note que « le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment décisif », en grec kairos – l’instant auquel tout aboutit, où tout se décide.

Cet instant, ce kairos, il est venu cette nuit-là. Les autorités juives font le siège de Jésus depuis plusieurs jours déjà. Contre elles il ne peut rien, elles disposent de la puissance civile et militaire. À cet instant le diable est le plus fort, rien ne peut lui résister et Jésus le sait. La suite il la connaît, tout Juif en Israël sait ce qui va arriver, ce qui doit arriver : la capture puis la mort, lente, méthodique, impitoyable. La souffrance infligée de façon bien visible, à la face de tous pour que tous sachent qui est le plus fort. Ce qu’il en coûte de s’opposer à celui qui possède la force. Pour que tous, et chacun, aient peur.

Jésus aussi a peur. Il demande à ses disciples de rester à ses côtés, de partager avec lui cet instant de solitude absolue devant l’angoisse. « Demeurez, et veillez avec moi », « priez avec moi ». Ne me laissez pas seul dans ce combat, le dernier combat que je dois livrer face aux forces du Mal.

Puis il s’éloigne et « tombe face contre terre » – terrassé par l’épouvante. Ah ! que s’éloigne de moi cette heure, ce kairos ! Mais c’est inutile, il sait que devant le diable il a perdu. Alors il murmure cette phrase sur-humaine, cette phrase que nous avons du mal à comprendre : « Cependant, Père, que ta volonté se fasse, et non la mienne ».

Dieu veut-il la souffrance ? Et pas n’importe laquelle, la souffrance attendue, prévisible, goûtée par avance dans toute son horreur ? Car c’est à Gethsémani que Jésus a le plus souffert. Le plus violemment, le plus intimement. La souffrance physique n’est insupportable que quand elle est ressentie, perçue, éprouvée par notre esprit et notre sensibilité. Autrefois, le bourreau faisait voir en détail à sa victime chacun de ses instruments de torture, afin qu’elle souffre plus, qu’elle souffre mieux. Aujourd’hui les saccages sont annoncés d’avance dans l’agenda implacable du Mal.

A Gethsémani, dans son esprit et sa sensibilité Jésus a vécu par avance chaque minute, chaque seconde de ses tortures et de sa mort à venir. Ce kairos où le diable s’approche, où tout est planifié mais rien encore vécu. Cet instant où l’on savoure la souffrance qui s’annonce de toutes ses facultés encore intactes, Jésus l’a vécu pour donner sens à ce que nous vivons de tous temps et en tous lieux. Le onze septembre, l’Afghanistan, l’Irak, les attentats de Paris et d’ailleurs, aujourd’hui l’Ukraine… La passion de haine pour dénominateur commun. Pour une idée la souffrance infligée par les uns, subie par d’autres  dans leurs corps et leurs esprits.

Aujourd’hui l’horreur est bruyante, dépravée, braillarde, hystérique. Glaciale, cynique, méthodique. Sans regrets, sans pause, sans pitié.

À Gethsémani, l’épouvante de Jésus devant sa souffrance à venir (si proche, et encore si lointaine) a été silencieuse. Cachée, intime, presque muette – sauf cette phrase à peine audible qui le hausse, et nous aussi, au-dessus de l’humanité.

Gethsémani c’est un long hurlement intérieur. Une clameur sans paroles qui se fait entendre jusqu’à aujourd’hui.

                                                                M.B. 14 mars 2022

10 réflexions au sujet de « GETHSÉMANI AUJOURD’HUI »

  1. Anon

    On peut se demander qui a entendu Jésus dire « Cependant, Père, que ta volonté se fasse, et non la mienne » ? A priori, c’est une construction/reconstitution de l’Église primitive, qui croit que Jésus aurait eu le pouvoir d’échapper à son sort s’il l’avait voulu, mais qui l’a accepté.
    Pour nous, pour tous ceux qui sont aux prises avec le malheur, et un malheur contre lequel nous ne pouvons pas grand chose, cette attitude attribuée à Jésus peut être une source d’encouragement : contre l’inévitable, il ne sert à rien de se rebeller, il vaut mieux l’accepter, surtout si on n’a pas le choix.
    Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que ce Jésus en lequel nous croyons, n’est pas celui que le patriarche de Moscou invoque pour justifier cette guerre…

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Proverbe italien : « Sè non è vero, è ben trovato ». Si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé. L’Église primitive a ainsi ‘inventé » certaines paroles de Jésus, comme le dialogue avec le Bon Larron sur la croix.
      « Inventé » au sens des archéologues : « in-venire », « in-ventare » c’est retrouver un artefact original sous une couche de sédiments. Notre connaissance de Jésus (de sa vie intime) dépend presque totalement de ce qu’en ont perçu les témoins qui l’ont assez approché pour « inventer » ces paroles – dont nul ne pourra jamais dire si elles furent prononcées, où, quand, dans quelles circonstances, et qui les a entendues.
      ce qui ne nous empêche pas, nous autres, d’en vivre.
      M.B.

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      1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

        Staline disait : « Le pape ? Combien de divisions a-t-il ? »
        rien de nouveau sous les bombes
        M.B.

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        1. P.K.

          Je suis un peu surpris de la publication du commentaire ci-dessus renvoyant au site du réseau Voltaire, car ce faisant, on pourrait penser que vous validez son approche complotiste…

          En effet, Fiammetta Venner, nous précise que « son fondateur, Thierry Meyssan, est devenu célèbre en affirmant qu’aucun avion ne s’était écrasé sur le Pentagone, le 11 septembre 2001. Son livre, L’Effroyable Imposture, s’est vendu par centaines de milliers d’exemplaires, et est traduit en plus de vingt langues.
          Inconnu devenu célèbre. Mais quel est son parcours ? Sait-on qu’il a été l’icône du mouvement chrétien charismatique ? Puis leader du mouvement gay ? Puis fondateur du Réseau Voltaire, militant pour la laïcité, le féminisme, et la liberté d’expression ? Puis le héraut des anti-Américains, décelant des complots partout, à l’Opus Dei, chez les francs-maçons, au sein de la CIA, à Tel Aviv ? »

          Fiammetta Venner, au travers de ce portrait politique sans complaisance, cherche à comprendre notre époque : le goût des complots ; la recherche des causes cachées ; le jeu avec les images ; les préjugés ; la télévision ; le pouvoir.

          Essayiste, Fiammetta Venner dirige la revue ProChoix et collabore à Charlie Hebdo. Elle a notamment écrit, avec Caroline Fourest, Tirs croisés, La laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman (Calmann-Lévy, 2003).

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          1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

            je publie tous les commentaires, sauf quand ils sont injurieux. Et même si je ne partage pas leur contenu. C’est très important de ne pas s’enfermer dans ses certitudes/convictions.
            j’ai lu le livre de Venner/Fourest, il m’a donné les éléments dont j’avais besoin pour écrire « La danse du Mal ».
            Déjà Pilate demandait à Jésus : « Qu’est-ce que le vérité ? » Ce que nous appelons « complotisme » est une forme de vérité/contre-vérité validée par Internet (dont Pilate n’avait pas l’usage).
            Merci, M.B.

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          2. g

            Cher Monsieur , je ne connais pas cette Flamenta Wenner, grande judoka et compagne de Caroline Fourest. Quel rapport avec le réseau Voltaire ?
            Ce site fournit des données qui sont à croiser avec d’autres et les auteurs sont tous des « inter-prêtes » de la vie.
            Ces données sont un apport à une approche rationnelle et ne servent pas à conforter une opinion qui n’a de valeur qu’intrinsèquement à l’image que chacun se fait de lui-même. C’est ce qu’on m’avait appris à l’école dite de la République .
            N’oublions pas que nos sociétés dites occidentales (qui devient synonyme de communauté internationale) tendent vers une dictature émotionnelle (qui contrecarre la « hauteur de vue ». Enfin c’est mon opinion qui n’engage que moi, comme on dit… ce qui ne veut rien dire !

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            1. P.Kerlois

              Mr Gris nous dit ne pas connaitre « cette Flamenta Wenner », mais il sait tout de même que c’est une grande judoka et la compagne de Caroline Fourest, et il se pose la question de son rapport avec le réseau Voltaire ?

              Quelques précisions donc…
              1. Fiammetta Venner (mais avec un V et non pas un W… ) a publié plusieurs essais traitant de l’intégrisme et des mouvements politiques radicaux. Elle a enseigné à l’université d’Évry-Val d’Essonne et à la New York University Paris.

              2. Ce n’est pas elle qui est une grande judoka, mais sa mère Monique Venner qui fut la première judoka occidentale titrée au Japon.

              3. Elle est effectivement la compagne de Caroline Forest. Mais s’il ne la connait pas, comment le sait-il, et en quoi cela lui importe-t-il ?

              4. Le réseau VOLTAIRE :
              Fiammetta Venner a publié chez Grasset en 2005 « L’effroyable imposteur », à propos de Thierry Meyssan, président-fondateur du Réseau Voltaire, qui s’était fait connaître dans les années 2000 comme l’un des principaux diffuseurs des théories du complot sur les attentats du 11 septembre 2001, en publiant « L’Effroyable Imposture ».

              « Pour la première fois, une enquêtrice réputée cherche à comprendre qui est ce militant aux engagements multiples, changeants, controversés, secrets ; quels sont ses réseaux ; ses méthodes ; ses véritables objectifs. Une enquête explosive. » (FNAC)
              https://livre.fnac.com/a1506036/Fiammetta-Venner-L-effroyable-imposteur#ficheResume

              Voilà pourquoi j’ai réagi à la publication sur le blog de M. Benoit de cette référence au Réseau Voltaire… P.K.

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