LE TEMPS DU SILENCE

 

Après une longue absence (Adieu et à bientôt), je reviens vous faire un petit signe. Car ces derniers mois nous avons été comme assommés, sidérés par les chocs reçus.

Les États-Unis, dont nous étions alliés et amis depuis 248 ans, se comportent brusquement comme nos ennemis. La Communauté Économique Européenne fondée en 1957, l’Europe en 1992, sont remis en question et menacés de disparaître à cause de l’appétit américain. Comme l’a dit son vice-président, « monsieur Trump est en train de refaire le monde. »

Oui, mais comment le refait-il ?

À la longue patience des maturations, à l’ordre bâti par un effort douloureux et constant, à la vision à long terme, à la solidarité, à la diplomatie du containment succèdent l’impatience névrotique et brouillonne, la facilité de détruire d’un tweet, le chaos, l’aveuglement du court terme, la capitulation devant l’ennemi russe, l’égoïsme absolu au mépris des autres peuples – et d’abord du peuple américain.

Car en supprimant des organismes comme US Aid, Voice of America, radio Free Europe, en asphyxiant les grandes Universités dont les crédits sont supprimés, en empêchant la recherche et la liberté des savants, en faisant brûler des livres et en bridant Hollywood, en mettant sur la touche des journalistes « non-conformes », l’Amérique perd le soft power, le pouvoir immatériel de défendre des valeurs qui avait fait d’elle une puissance mondiale sans égal, sans équivalent et sans concurrents. Elle n’est plus désormais qu’un état impérialiste comme d’autres, parmi d’autres. Une puissance militaire et une puissance économique – mais pour combien de temps encore ?

Make America Great Again est déjà devenu Make America Weak as Never (1).

Car les rivaux, profitant du retrait américain de la scène du monde, se jettent sur lui gueule ouverte.

Cet effondrement a été voulu et mis en œuvre par un seul homme, élu par un peuple aveuglé, sans mémoire,  un Président qui s’est entouré de ministres aussi incompétents que lui-même.

Nous autres nos plaies saignent encore qui nous rappellent les années 1930-1940, cette montée lente, inexorable de la violence, cette négation progressive de tout ce qui faisait la civilisation européenne depuis la Grèce de Périclès jusqu’aux 20 siècles de christianisme qui ont suivi.

Une civilisation c’est immatériel. Ce sont des idées nées d’une expérience séculaire et d’une mémoire. Des idées impalpables comme l’air qu’on respire et souvent informulées. L’édifice fragile de ces idées, de ces convictions vitales, peut être détruit par d’autres idées qui s’introduisent dans quelques esprits pour se répandre à la vitesse foudroyante d’une épidémie. Alors ce qui était vrai auparavant devient faux aujourd’hui. La vérité issue des faits est remplacée par des ‘’vérités alternatives’’ dont on peut changer au gré des événements et des ambitions.

Non, je ne croyais pas revoir ce cauchemar de mon vivant.

Et maintenant que faire ? Qu’y puis-je, moi qui ne suis qu’une poussière de peuple sans prise et sans influence sur des évènements que je ne peux que subir ?

Résister de toutes mes forces. Ne pas hurler avec les loups, bêler avec les moutons. Comme le héros de Rhinocéros (2), revenir à soi et comme Pascal, « rentrer dans sa chambre. » La seule résistance possible est personnelle, intérieure. Sans jamais se refermer sur soi : c’est le confort égoïste de l’ignorance qui a permis au peuple allemand de laisser faire les camps de concentration.

Être et rester farouchement un ‘’citoyen du monde’’. Sensible aux infinies souffrances causées par les démolisseurs nécrophages. Prêt à s’engager, fut-ce à toute petite échelle, pour défendre ces valeurs qui nous constituent. Un geste, une attention, une aide discrète.

Cela ne changera rien ? Rappelez-vous la tradition juive de toujours : « S’il ne reste que dix Justes au monde, ce sont eux qui l’empêchent de disparaître dans le feu et le sang. »

Car après tant de destructions en cours, il faudra reconstruire.

                                                                                         M.B., 25avril 2025
Voyez aussi l’article La petite fille espérance en danger
(1) Rendez l’Amérique faible comme (elle ne l’a) jamais (été).
‘2) Pièce de théâtre de Ionesco créée en 1959.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>