LA PETITE FILLE ESPÉRANCE EN DANGER ? (Charles Péguy)

C’est en 1912 que Charles Péguy écrit Le Porche du mystère de la deuxième vertu. Remettons-nous dans l’air du temps : l’affaire Dreyfus a déchiré la France en deux, les lois sur la laïcité ont secoué l’opinion. En Russie une première révolution (1905) en annonce une seconde, qui va bouleverser l’Europe. Réunifiée depuis peu, l’Allemagne veut ‘’sa guerre’’ contre nous. Les ouvriers s’éveillent, et commencent leur longue marche semée de grèves violentes…

Bref, en 1912 le monde est en feu, le monde va brûler, le monde brûle.

C’est dans ce contexte crépusculaire que Péguy choisit d’écrire un poème sur l’espérance, la deuxième des trois vertus.

L’espérance ! Quand chacun pressent qu’une nuit sanglante va s’étendre sur la France puis sur l’Europe et enfin sur  le monde entier !

Il fallait oser.

« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas. Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance. Immortelle ».

Dieu n’en revient pas, et nous non plus. Comment espérer, quoi donc espérer quand on s’approche du gouffre ?

« L’Espérance est une petite fille de rien du tout. C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes. Cette petite fille de rien du tout ». Oui, l’espérance n’est rien qu’un enfant qui regarde les nuages sombres avec des yeux étonnés. Et qui tend sa petite main vers une plus grande main.

« On oublie trop, mon enfant, que l’espérance est une vertu … qu’elle est assurément la plus difficile, qu’elle est peut-être la seule difficile et que sans doute elle est la plus agréable à Dieu ».

Une vertu, c’est-à-dire une force (virtus). Faudra-t-il espérer en contractant ses gros muscles, espérer à la force du poignet ? L‘enfant n’a pas d’autre force que celle de sa confiance, de sa petite main blottie dans une plus grande main. Ses poignets sont fragiles, sa confiance est totale. Il croit, il a confiance dans la grande main qui le guide.

« La foi va de soi. La foi marche toute seule. Pour croire il n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder… Pour ne pas croire, mon enfant, il faudrait se boucher les yeux et les oreilles. Pour ne pas voir, pour ne pas croire ».

La première de toutes les évidences qui déboucheront nos yeux, si on sait (si on accepte de) la voir, c’est l’univers autour de nous, c’est ce qui permet à l’univers d’exister, c’est ce qui a créé l’univers, c’est l’harmonie des lois physiques qui permettent à notre planète d’exister dans cet univers, et nous sur cette planète (1). Pour croire en celui qu’on appelle ‘’Dieu’’, il n’y a qu’à regarder. Pour ne pas croire, il faut se boucher les yeux. La foi va de soi.

« Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il faut être bien heureux, il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce. Car la Foi ne voit que ce qui est, l’Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité ».

Non, l’espérance ne va pas de soi. Parce qu’elle traverse ce qu’on voit, pour faire vivre ce qu’on ne voit pas. Et qui sera, si l’on sait voir plus loin que le temps. C’est pourquoi elle est au-dessus, au-delà des forces humaines. Elle dépasse nos forces, nos pauvres forces de petits humains. Pour espérer aujourd’hui (comme hier) il faut avoir reçu, il faut obtenir une grande grâce.

Reçu de qui, obtenu de qui ? Appelez-le comme vous voudrez, donnez-lui le nom que vous voulez, soyez très savant à son sujet ou ignorez tout de Lui, peu importe. Ce qui compte, ce qui est important, c’est de savoir voir. C’est d’accepter de recevoir l’espérance de celui qu’on appelle  »Dieu ».

Voir ce qui est – l’univers, notre planète, nous -, et entendre ce qu’ont dit les grands Éveillés qui ont vécu avant nous. Et qui ont su voir mieux que quiconque. Pour moi, Jésus est le meilleur mais il n’est pas le seul. Écouter ce qu’ils ont dit par des mots mais aussi, mais surtout par leur vie et par leur mort.

« L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera. Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera ».

Vous avez bien lu : ce n’est pas une question de science, de savoirs, ni même d’intelligence du cerveau. C’est une question d’amour. C’est-à-dire d’intelligence du cœur.

Car il faut aimer, pour espérer. Il faut aimer ce monde devenu fou, ces puissants obsédés par leur pouvoir, ces adultes avides de faire le mal, ces fous qui déversent sur nous leur folie… Il faut les aimer quand même, et aimer ce monde quand même, pour espérer encore. Pour croire que demain, et après-demain, il y aura plus d’entente entre les hommes, plus de paix entre les nations, plus d’amour qui circule partout.

Il faut être comme l’enfant qui croit que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Meilleur malgré nous, les adultes. Meilleur grâce à nous, les adultes. « Car on ne travaille jamais que pour les enfants ».

Merci à Péguy.

                                                                           M.B., 3 octobre 2023
(1) Voyez dans ce blog la série d’articles consacrés aux récentes découvertes de l’astrophysique, et à la nouvelle compréhension du monde qu’elles induisent : mot-clé Bolloré.

6 réflexions au sujet de « LA PETITE FILLE ESPÉRANCE EN DANGER ? (Charles Péguy) »

  1. monique abbes

    Je vous suit depuis longtemps, et même si je n’interviens pas en laissant des commentaires vos textes et connaissances m’ont bien souvent aidés. Pourtant la vie n’a pas été tendre avec moi !!! Je voudrai pourtant vous demander…comment faites vous pour espérer ??? A 76 ans je n’y arrive plus…
    J’ai toujours donnée et très peu reçu… je vis dans la peur, je n’ai plus confiance en personne, les gens sont indiffèrent ou intéresses….je n’ai aucune famille ni amis, trop exigeante ? Mon fils et mon conjoint DCD…
    personne pour me conseiller…m’aider…m’écouter.
    désolée de vous ennuyer.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Vous ne m’ennuyez pas. Moi aussi je vis dans une grande solitude (mais c’est notre seul point commun)
      comment je fais pour espérer ? Ou plutôt pour ne pas céder au désespoir ?
      j’ai établi il y a très longtemps une relation personnelle avec Jésus. Elle a été occultée pendant 20 ans par d’abominables tentations du démon, auxquelles j’ai cédé avec délectation –> c-à-dire que j’étais au bord du gouffre.
      C’est Jésus qui m’a repêché dans ma flaque de boue.
      Depuis, je vis avec lui. Il est mon espérance, et au-delà de lui notre Père et son Père.
      Évidemment, quiconque se trouve devant le ciel vide et muet n’a plus que le désespoir.
      Vous m’avez demandé mon témoignage personnel, je me suis permis. Rien de tout cela ne peut être démontré par a+b.
      l’espoir est devant vous (et au-dessus de vous). Il n’est jamais trop tard pour se mettre au travail.
      ne tardez pas…
      amicalement
      M.B.

      Répondre
      1. Abbes

        Merci pour votre réponse MR hélas la religion n’ est pas la solution pour moi. J envie ceux qui ont ce recours.
        Trop cartésienne ? Trop blessée par la vie ? Je ne me cherche pas d excuse. C’est ainsi. Je continue à suivre vos publications et je vous prie de croire à ma réelle admiration pour vos écrits. Cordialement.

        Répondre
  2. Mr Claude Marec

    Bonjour monsieur , votre beau texte écrit avec talent et clarté ce que je ressens. C’est pourquoi je vous en remercie chaleureusement .

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>