Archives de l’auteur : Michelbenoît-mibe

A propos Michelbenoît-mibe

Biologiste de formation, moine bénédictin pendant 20 ans, Michel Benoît a ''été quitté" par l'Église pour raisons idéologiques. Chercheur, historien, exégète, écrivain, il s'intéresse à tout ce qui touche au fait religieux en relation avec les questions de société.

JÉSUS S’EST-IL SUICIDÉ ?

          Au terme de ses deux années de prédication itinérante, le rabbi Jésus se trouvait enfermé dans une impasse totale. En faisant passer la compassion avant l’application stricte de la Loi, il s’était aliéné le clergé juif. En refusant de prendre le parti de la violence, il avait déçu les nationalistes zélotes, ses disciples et une partie du peuple. Son attitude ambigüe envers le pouvoir lui valait d’être recherché par la police d’Hérode. Mais surtout, son enseignement n’avait pas pris, ni sur les foules avant tout assoiffées de guérisons, ni sur ses disciples, ni bien sûr chez ses collègues pharisiens.

          J’ai retracé ce lent cheminement vers l’impasse, qui aurait dû le mener à la dépression et à l’effacement, dans Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (Dans le silence des oliviers) : je renvoie le lecteur à cet ouvrage, publié au Livre de Poche.

           Il se trouvait alors en Galilée. Or, après un moment d’hésitation, on le voit choisir de retourner à Jérusalem. Pire, dès son arrivée dans la « Ville qui tue les prophètes », il ranime Lazare devant une foule composite. Immédiatement prévenu, le Sanhédrin lance contre lui un mandat d’arrêt. Il est obligé de se cacher, la nuit, au jardin des Oliviers.

           Pourquoi n’est-il pas resté chez lui, se taisant enfin, se faisant oublier dans la sécurité relative de sa Galilée natale ? Pourquoi avoir ranimé publiquement Lazare, sachant qu’au Sanhédrin les sadducéens y verraient une résurrection – chose qui leur faisait horreur et dont ils interdisaient même qu’on parle à Jérusalem ? Pourquoi, après le mandat d’arrêt, n’a-t-il pas discrètement franchi une frontière, comme il l’avait déjà fait devant les menaces d’Hérode ?

          Pourquoi s’est-il jeté, délibérément, dans la gueule du loup ?

          Jésus avait-il choisi cette issue nécessairement fatale, plutôt que de continuer à lutter et à se débattre au milieu d’impasses insurmontables, dont il était vivement conscient ?

          Devant son échec, a-t-il cédé au désespoir, s’est-il suicidé en allant se livrer à ceux qui voulaient sa mort ?

            L’hypothèse n’est pas nouvelle, elle a été soutenue entre autres par Marcel Pagnol (1), E. Abécassis (2), P. Dauzat (3), et remise au goût du jour par la publication récente de l’Évangile selon Judas. Dans le chapitre 37 de Dieu malgré lui, « Jésus devant ses échecs et sa mort », j’ai tenté de comprendre son attitude en la comparant à celle d’un autre grand Éveillé de l’Histoire, le Bouddha Siddhârta. Je vous renvoie à ce chapitre, et me contente d’en rappeler ici la conclusion : un Éveillé n’appréhende pas sa mort comme nous. Il la voit venir, en prédit parfois l’heure, l’affronte comme l’aboutissement normal (et inévitable) de son cheminement vers l’Éveil.

           Jésus, qui s’était situé dès ses débuts dans la mouvance des prophètes juifs ses prédécesseurs, savait qu’il était né pour être tué (4). Sa mort violente était l’aboutissement d’une vie de prophète, et comme la leur elle servirait à « une multitude ».

          Sa démarche n’est donc pas suicidaire. Toujours dans Dieu malgré lui, j’ai rappelé (p. 154) que le suicide faisait horreur aux Juifs : « C’est un lâche, celui qui veut mourir quand il n’y a pas lieu ! Il est ignoble de se donner la mort, mais surtout c’est une impiété à l’égard du Dieu qui nous a créés. Ceux qui font la folie de [se suicider], un sombre enfer reçoit leur âme », écrivait Flavius Josèphe, presque contemporain de Jésus.

           Jésus n’a pas été lâche, il ne s’est pas suicidé. Il a affronté sa mort lucidement, face à face, comme un Éveillé.

          Mais vingt ans après, Paul de Tarse va donner à cette mort une signification tout autre, en faisant de la crucifixion l’un des piliers de la nouvelle religion.

 La récupération de la mort de Jésus par Paul de Tarse

           Très peu de temps après sa mort (avril 30), le Galiléen va être considéré par la communauté de Jérusalem comme le Messie attendu par les Juifs – titre que Jésus, lui-même, a toujours refusé de son vivant.

          Paul semble avoir reçu ce premier dogme chrétien vers l’an 33. Mais alors, se posait à lui un dilemme redoutable : pour les Juifs du 1e siècle, le Messie ne pouvait pas mourir : sa venue était « l’apogée glorieuse de l’Histoire… Il devait être éternel, comment pourrait-il mourir ? La mort était la punition du péché (5) ». Or le Messie, qui avait la pureté absolue d’un Juste, ne pouvait pas avoir connu le péché.

          Et non seulement Jésus était mort, mais c’était d’une façon ignominieuse : par crucifixion, châtiment particulièrement douloureux réservé aux esclaves.

           Paul comprit qu’il n’y avait à ce dilemme qu’une solution, et une seule : « Si quelqu’un qui ne devait pas mourir est mort, c’est qu’il avait choisi de mourir. La question alors devenait : ‘’pourquoi Jésus a-t-il choisi une mort aussi horrible’’ ? (5) ».

          Et la réponse de Paul : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi (6) ». Jésus avait choisi les souffrances de la crucifixion par amour pour nous.

          Cette explication aurait pu se rapprocher de la façon dont Jésus lui-même avait compris et vécu sa mort. Mais Paul allait beaucoup plus loin : inattendues et infamantes, les souffrances du Messie devenaient – par leur horreur -, le pivot central de sa nouvelle religion : « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Messie crucifié (7) ».

          Ầ partir de cette idée-force, Paul bâtit toute sa compréhension de la vie humaine, de la souffrance et de la mort.

          La vie ? C’est une épreuve, elle n’a d’autre but que de nous acheminer par la souffrance vers la délivrance de la mort.

          Vivre, c’est « communier aux souffrances du Messie et devenir semblable à lui dans sa mort (8) ».

          Vivre, c’est désirer mourir : « Pour moi, mourir m’est un gain (9) ».

           Entraîné sur cette pente, il va jusqu’au bout : « Je trouve ma joie dans les souffrances…, et ce qui manque aux détresses du Messie, je l’achève dans ma chair (10) ». Terrible affirmation ! Elle fait de la souffrance le moyen ordinaire de la perfection chrétienne – comme s’il pouvait manquer quelque chose aux souffrances du Messie, comme si l’humanité était condamnée à souffrir pour accomplir le plan de Dieu.

          Comme s’il nous revenait, à nous devenus supérieurs au Messie, de souffrir pour combler l’appétit de souffrance d’un Dieu insatisfait par sa crucifixion.

           La religion fondée par Paul a trouvé là le fondement de ce qu’on a appelé la « névrose chrétienne ». Alors que Jésus, de son vivant, a toujours eu horreur de la souffrance, n’a jamais cherché qu’à la soulager quand il la rencontrait en chemin. Alors que le début de son programme tient en un seul mot : « Heureux… »

           S’il a délibérément affronté la mort, ce n’est pas qu’il la souhaitait ou la désirait, mais comme une conséquence de son choix d’une vie de prophète. La valorisation de la souffrance était totalement étrangère à Jésus. Enfermé dans des impasses insurmontables, il n’a pas sombré dans la dépression, n’a pas songé au suicide. Il a fait face, et n’aurait jamais songé à donner son horrible supplice en exemple à suivre par d’autres que lui.

           Nos sociétés mondialisées, elles aussi, sont enfermées dans des impasses – économiques, sociales, écologiques, politiques – qui paraissent insurmontables. Jamais la planète n’a été aussi riche, et jamais le sentiment d’impuissance et de désespoir n’ont été plus répandus, éclatant ici et là en révoltes sporadiques.

          Si nous tentons comme Jésus de faire face, sans sombrer dans l’indifférence ou la dépression, nous n’échapperons pas – comme lui – au sentiment de l’échec et de l’inutilité de nos efforts.

          C’est peut-être le moment de se rappeler ce qu’écrivait Saint-Exupéry dans la tourmente de la guerre mondiale : « On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible aux yeux ».

                                                          M.B., 29 juillet 2013

 (1) Judas, Paris, Pastorelly, 1976.

(2) Dans son roman Qumrân, Paris, Ramsay, 1996, p. 183.

(3) Le suicide du Christ, Paris, PUF, 1998.

(4) C’est le titre de la 3° partie des Mémoires d’un Juif ordinaire.

(5) J. Murphy-O’Connor, Histoire de Paul de Tarse, Paris, Cerf, 2004, p. 46.

(6) Épître aux Galates, 2,20.

(7) 1re Épître aux Corinthiens, 2,2.

(8) Épître aux Philippiens, 3,10.

(9) -id.-, 1,21.

(10) Épître aux Colossiens, 1,24.

RÉFORMER LA RELIGION CHRÉTIENNE (Élie Barnavi)

          « Le processus est toujours le même », explique Élie Barnavi (Les religions meurtrières, Flammarion, 2006). Comme le judaïsme et l’islam, le christianisme est fondé sur un texte sacré, la Bible. Texte ancien, né dans une culture qui n’est plus la nôtre : il faut l’interpréter. A leur tour sacralisées, les interprétations s’empilent les unes sur les autres au cours des siècles. 
        La réforme consisterait à revenir aux sources, aux fondamentaux.

          Quelles sources ? Mais (disent les réformateurs) le texte lui-même, débarrassé des couches successives d’emplâtres interprétatifs ! C’est ainsi qu’ont fonctionné toutes les tentatives de réforme du christianisme depuis le Moyen âge : redécouvrir la pureté du texte fondateur.
      Ré-forme : retrouver la forme primitive, l’Église primitive, une origine rêvée, purifiée de la poussière accumulée pendant des siècles (cliquez).

     Et c’est pourquoi aucune de ces réformes n’a pu aboutir. Car – on s’en aperçoit seulement depuis une cinquantaine d’années – l’Évangile lui-même est le produit d’une manipulation, non plus sur un texte, mais sur la mémoire d’un homme.    

          Revenir aux origines ? Si c’est à l’Évangile lu de manière fondamentaliste, ou à l’Église naissante décrite dans les Actes des Apôtres, c’est revenir à un texte qui comporte déjà des couches successives de réinterprétations, ou bien à une expérience idéalisée par l’auteur des Actes.

     Rêver à une réforme par retour aux sources, c’est s’arrêter en chemin : car la source est déjà polluée, et gravement, par l’ambition politique, idéolgique et religieuse, de ceux qui ont mis la dernière main à l’écriture du texte « fondateur ».

     On sait maintenant que les Évangiles ont été à la fois la mise par écrit d’une mémoire, et l’enjeu crucial d’une Église en train de se constituer grâce à eux. Le lecteur non-averti y reçoit en même temps l’écho du passage de Jésus en Palestine, et les éléments nécessaires à la création d’une imposture – la transformation d’un homme en dieu. Imposture indispensable à ceux qui avaient bien l’intention de bâtir, sur la mémoire faussée de Jésus, un empire religieux, idéologique et politique.

     Contrairement à nos prédécesseurs, nous avons maintenant les moyens de distinguer, dans les textes tels qu’ils nous sont parvenus, la personne et l’enseignement de Jésus lui-même de ce que les « fondateurs » ont eu l’intention de lui faire dire ou de lui faire faire, pour parvenir à leurs fins .

         Il ne s’agit pas de « réformer » le christianisme par un retour aux sources. Mais de décaper ces sources des couches de maquillage successif, à travers lesquelles elles nous sont présentées.

     Le Christ une fois démaquillé, Jésus apparaît peu à peu. Visage étonnamment moderne, suggestif, parlant, d’un maître de vie individuelle et sociale qu’on croit rencontrer pour la première fois. Un homme attirant, fascinant, aimable et aimant. Déroutant aussi, car il n’emprunte aucune des voies sécuritaires de nos religions. Un homme qui instaure l’insécurité en règle de vie, en moteur d’action.

          Pareil homme ne sera jamais populaire. Car les peuples aiment et plébiscitent ceux qui les flattent, les tranquillisent et les endorment. Jésus fait tout le contraire : il inquiète, il réveille et il dit vrai.

     Aucune Église ne peut être construite là-dessus.

     Jésus le solitaire semble ne devoir être connu et aimé que par des solitaires.

                    
                         M.B. , 4 janvier 2007

L’AGONIE DU CHRISTIANISME : BILAN ET PERSPECTIVE

(Conférence donnée à Paris le 20 janvier 2007)

I. BILAN

      Le 9 avril de l’an 30, un tombeau était trouvé, vide, aux portes de Jérusalem. Deux jours auparavant, on y avait déposé le corps supplicié d’un rabbi juif itinérant, qui s’était fait connaître dans la région comme guérisseur. Le cadavre avait disparu.

     Quelques mois plus tard, ses disciples vont imaginer une solution inédite au problème irritant du tombeau trouvé vide : la résurrection de cet homme, 72 heures après sa mort en croix. Apparemment, l’explication ne change rien à leur vie, puisqu’ils continueront longtemps encore à se comporter en juifs observants.

     Vers la fin du 1° siècle, on voit apparaître une mutation considérable : cet homme est devenu Jésus-Christ. On affirme qu’il est égal à Dieu, et comme lui créateur de l’univers. Sa résurrection est désormais invoquée comme preuve de sa divinité. Elle devient, pour les croyants, un gage et une assurance de leur propre survie.

         C’est un juif de culture grecque, Paul de Tarse, qui va mettre en place une religion nouvelle dont ce crucifié sera le pivot. Pour y parvenir, il puise dans les « religions à mystères », très populaires dans l’Empire romain et qu’il connaît bien. Il prétend les rejeter comme païennes, mais en fait il intègre leurs principales structures : la divinisation d’un héros, qui reste homme tout en étant dieu, et joue le rôle de passerelle entre la sphère d’en-haut et la sphère d’en-bas. Un rite d’initiation qui introduit l’initié dans une vie nouvelle, en l’identifiant à la mort et à la résurrection du héros, et en lui offrant la sécurité d’une promesse d’éternité. Enfin, un rite de communion avec la divinité grâce à un sacrifice, non plus sanglant, mais symbolique.

     Rapidement, apparaît un clergé stable, et un dogme, ensemble de vérités irrationnelles proposées par la hiérarchie, auxquelles le croyant se doit d’adhérer intégralement s’il ne veut pas être exclu.

          La popularité des religions à mystères dans l’Empire romain était immense : elle reposait sur deux éléments fondateurs, intégralement repris par le christianisme :

     1- Un éthos qu’on pourrait qualifier de « magique« , parce qu’il introduit dans le domaine du mystère en satisfaisant l’imaginaire, et le besoin de sensibilité.

     2- Une réponse au besoin sécuritaire des croyants : la promesse d’une survie apaise l’angoisse devant le trou noir de la mort.

     La nouvelle religion se constitue au cours d’assemblées, dont les Lettres de Paul et les Actes soulignent le caractère exalté, quasi incontrôlable. La part de rêve, d’irrationnel et de névrotique y est importante : on voit les nouveaux dirigeants utiliser ces délires de groupe pour consolider leur pouvoir, tout en essayant de les contrôler.

          La magie, l’offre sécuritaire et le pouvoir : nous avons là les trois composantes du béton, avec lequel on coule les murs épais d’une Église.

     Dans ce contexte, la commémoraison du juif Jésus va rapidement s’exprimer selon les schémas mentaux et les modalités cultuelles du paganisme ambiant : le caractère singulier, et singulièrement juif de cet homme inclassable disparaît, recouvert du somptueux manteau des utopies grecques et oriantales – à vrai dire, universelles.

     Ce paganisme, autrefois rejeté farouchement par le peuple juif, est désormais intégré dans le dogme comme dans la pratique de l’Église chrétienne : les peuples y trouvent la part de rêve et de sensibilité dont ils ont besoin, en même temps que la sécurité d’une promesse d’éternité. La fusion (remarquablement réussie) de ce paganisme avec la mémoire faussée de Ieshua, le rabbi juif, assur le succès et la diffusion planétaire de la nouvelle religion, que je qualifierais de judéo-païenne.

      Les 1° communautés chrétiennes, encore illicites et donc discrètes, vont pourtant consacrer une partie de leurs jeunes énergies à se déchirer entre elles autour d’un point central : l’identité de Jésus. Et tout d’abord, pour pouvoir devenir dieu il doit cesser d’être juif : très tôt, l’Église renie son enracinement dans le judaïsme. Ensuite, se pose une question lancinante : s’il est dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

     En 325, pour la première fois, la divinité de Jésus est officiellement proclamée au concile de Nicée, sans que soit pourtant tranchée la question du comment.

     C’est que l’Église ne possède pas encore l’envergure qui lui permettrait d’imposer, et de s’imposer. Elle y accède sous l’empereur Théodose : entre 381 et 392, il décrète ;e christianisme religion d’état. De persécutés, les chrétiens deviennent persécuteurs, et Rome peut enfin exiger la soumission de tous à l’édifice dogmatique en construction. L’Empire romain qui se délite rêve d’unité, et l’Église doit lui en fournir les moyens, en même temps que le modèle.

     Aboutissement de trois siècles de luttes féroces entre chrétiens, le concile de Chalcédoine (451) définit enfin le comment de la divinité de Jésus. Il l’appelle d’un seul mot, Trinité : comme celle de dieu, l’unité de l’Empire est proclamée, et comme celle de dieu, sa diversité est reconnue.

     Mais ce n’est q’au VII° siècle que les conséquences ultimes de la divinisation de Jésus seront définies, par la condamnation des agnoètes puis des monothélistes (III° concile de Constantinople, 681). Revêtu d’ornements divins parfaitement ajustés, Ieshua, devenu Christ, est désormais présentalbe au monde.

     Or c’est dans ces années, à partir de 650, que se développe, de façon foudroyante, un mouvement appelé à faire parler de lui : l’islam. Qui va chasser l’Église de sa terre d’origine, le Moyen Orient.

      Partout ailleurs, Rome tient le pouvoir : elle est en position de force ou de monopole dans tous les domaines de la vie civile et politique, et ce jusqu’à une époque toute récente.

     S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul ilôt stable, émergeant de cette mer démontée. L’Europe trouve d’abord en elle la force de sa survie, puis le creuset où va se forger son identité, son unité face à l’adversité : dès lors, et jusqu’au projet de constitution de 2004, l’Europe reconnaîtra toujours dans le christianisme son fondement identitaire.

     A peine sortie de ce chaos, elle voit réapparaître la remise en cause, non plus de la divinité de Jésus, mais de ses conséquences : le pouvoir de l’Église, terni par ses moeurs dissolues. Sous forme de réformes, de révoltes ou de révolutions, chacun des siècles qui suivra viendra ébranler au moins une fois l’ordre défendu par l’Église, en matière de dogme ou de discipline.

     Aucune de ces tentatives de réformes n’a jamais abouti : l’Église les a toutes surmontées par la violence. Parfois affaiblie par elles, elle ne s’est jamais remise elle-même en cause, ni l’édifice de ses dogmes – et son noyau fondateur, la divinité de Jésus.

     On l’a vu, c’est au moment où l’Église peaufinait cette divinisation d’un homme qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lançait au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette le paganisme en affirmant l’unicité de Dieu et en refusant la divinité de Jésus.

      Ceci n’est pas une simple coïncidence : d’inspiration entièrement judéo-chrétienne, le Coran répond à l’éternelle question : qui est Jésus ? Et s’il n’est pas Dieu, quelles sont les voies d’accès au divin ? Cette interrogation, née de la fabrication d’un dieu à partir d’un homme, l’Église n’a jamais su y répondre qu’en faisant appel à ce que j’ai qualifié (un peu rapidement) de magie. Le Coran rejette explicitement la « magie chrétienne », et attire à lui un quart de l’humanité.

     L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant par la violence à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à Dieu, c’est-à-dire païenne.

      Hors l’islam, la réforme de Luther est parvenue à entamer l’unité européenne cimentée autour de l’Église de Rome. Mais Luther et Calvin se sont contentés d’une réforme intra-ecclésiale, dont l’aspect le plus visible a été d’ordre disciplinaire et sacramentel : ils n’ont pas touché aux dogmes fondateurs du christianisme, et Michel Servet a été brûlé en terre calviniste pour y avoir prétendu.

     Pourtant, Luther a semé la graine d’une véritable réforme par sa traduction de la Bible en allemand. Pour la première fois, la lecture et l’interprétation du texte sacré n’étaient plus réservés au seul clergé ! Timidement d’abord, puis de façon fructueuse, l’exégèse critique de la Bible se développe en milieu protestant. Elle est violemment combattue et interdite par l’Église catholique, qui la considère comme démoniaque et veut se réserver le pouvoir d’interprétation. Mais les digues romaines, assiégées de partout, finiront par céder : en 1943, prenant le contre-pied de ses prédécesseurs, Pie XII autorise pour la première fois l’exégèse historico-critique de la Bible (Divino Afflante Spiritu).

     Dès lors les catholiques peuvent – enfin – se joindre à un mouvement initié un siècle plus tôt : la « recherche du Jésus historique« . En fait, ce n’est pas un mouvement structuré, mais un ensemble hétéroclite de chercheurs (juifs, protestants, catholiques) qui travaillent tous dans la même direction, et publient individuellement les résultats de leurs travaux.

     En 1974, dans la solitude de mon monastère, je me suis engagé sur cette piste : je puis vous assurer qu’on s’y sentait bien seul ! Mais depuis les années 1980 et jusqu’à maintenant la recherche s’est emballée. Dieu malgré lui, publié en 2001 chez Robert Laffont, s’inscrit dans ce mouvement. Si je l’écrivais aujourd’hui, le fond resterait le même, mais il y aurait bien des corrections à apporter, tant les choses avancent vite.

      A quelques exceptions près, ces chercheurs appartiennent à une Église : ils ne peuvent donc s’autoriser à tirer toutes les conclusions de leurs travaux. Le faire, ce serait s’exclure de leur communauté, ou être exclus par elle. Je n’ai pas ce souci, et me sens libre d’aller là où ils ne peuvent s’aventurer.

     C’est-à-dire dans une grande solitude.

     Car découvrir qui était Ieshua Ben-Joseph, cet électron libre éliminé parce qu’il touchait à la structure même des pouvoirs religieux, moraux et politiques établis, c’est aller à contre-courant du mouvement général des esprits, des sensibilités, des conformismes sociaux. Nous l’avons vu, le succès  et l’existence même d’une religion vient de ce qu’elle satisfait les besoins de rêve, de magie, d’évasion d’une humanité qui souffre. Mais aussi de ce qu’elle sait répondre à l’irrésistible besoin de sécurité, qui taraude les êtres humains d’où qu’ils viennent.

     Jésus, par sa façon de vivre comme par son enseignement, n’offre pas la sécurité. Il propose une remise en question permanente : l’entrée dans son « Royaume » n’est pas une promesse, mais le fruit d’un arrachement – ou plutôt d’une succession de déracinements, proche de l’anatta enseignée ailleurs par le Bouddha.

      La « recherche de Jésus », dans laquelle je me suis engagé, va exactement à l’encontre du besoin viscéral des peuples. Plus on s’approche de lui – tel qu’on l’entrevoit à travers les textes, tel qu’on peut le rencontrer dans la prière – plus on s’approche de Jésus, et moins on le rêve.

     Plus on s’approche du Dieu vers lequel Jésus guide ceux qui le suivent, et moins on l’imagine : à l’école du galiléen, la réalité tue les fantasmes religieux. Et les théologiens, maçons-architectes des Églises qui les prennent à leur service, se trouvent renvoyés par Jésus à leurs chères spéculations déconnectées du réel.

     La « recherche de Jésus », Prophète de l’insécurité, n’offre donc aucun des attraits qui en ferait un phénomène de masse.

  II. PERSPECTIVE

      Ceci nous ramène à aujourd’hui : où en sommes-nous ?

     Vous avez tous vu les images bouleversantes de Berlin, dévastée par les bombardements en mai 1945 : voilà où nous sommes. Dans un champ de ruines, celles d’un grand Reich dévasté.

     Seuls ceuX de ma génération peuvent mesurer l’étendue du désastre. Car nous avons encore connu, dans notre lointaine enfance, les dernières splendeurs d’une Église catholique sûre d’elle-même et triomphante : quand Pie XII, le dernier pape-roi, est mort en 1958, j’avais 18 ans.

     Les sociologues situent en 1942 (France, pays de mission de l’abbé Godin) le commencement de la fin. En fait, l’expansion missionnaire au XIX° siècle et la montée des fascismes au début du XX° ont masqué le déclin, qui était latent depuis plus longtemps. Ce déclin, il nous a explosé à la figure en à peine une génération – la nôtre : en 50 ans, tout a disparu de ce qui faisait la gloire de l’Église catholique. Partis politiques, syndicats, éducation, mouvements de jeunesse, organismes caritatifs (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale… Mais aussi : littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel…), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi-siècle, le catholicisme a disparu du champ de la créativité humaine.

     Mais il y a beaucoup plus grave : systématiquement détruite depuis 1978 par l’action conjointe du cardinal Ratzinger et de Jean-Paul II, la théologie catholique est morte. Les bouddhistes tibétains sont les seuls à s’intéresser aux deux domaines les plus actifs de la recherche depuis 30 ans, l’infiniment petit (biologie moléculaire) et l’infiniment grand (astrophysique). L’Église ne dit plus rien au monde, parce qu’elle n’a plus rien à dire.

     Elle répète, et elle se répète, à l’infini.

     Une société d’idéal comme l’Église qui n’a plus de pensée, d’où toute pensée est exclue ou pourchassée, cette société n’est plus vivante : elle n’est plus rien, qu’un musée du passé.

     Tout naturellement enfin, la spiritualité a également déserté la chrétienté. On compte environ cinq millions de français qui se disent actuellement proches du bouddhisme. Ce sont tous d’anciens chrétiens, déçus par le désert spirituel qu’est devenu pour eux leur Église.

     Et je ne parle pas des sectes, qui pullulent.

      En 1816, le fleuron de la marine française, La Méduse, coulait au large des côtes du Sénégal. Eh bien ! Les Églises, nouveau navire La Méduse, viennent de couler sous nos yeux. Nous sommes quelques rescapés du naufrage, abandonnés sur un radeau. D’où nous lançons des signaux désespérés, vers un horizon vide.

     Le Radeau de la Méduse, c’est nous.

     Le paradoxe dramatique de notre situation, c’est que nous avons tout reçu de ces Églises. Et d’abord, les textes fondateurs : la personnalité du juif Jésus était telle, qu’elle transperce les Évangiles, malgré les manipulations politiques dont ils ont été l’objet. Sans les Églises, je ne saurais rien de lui, et elles m’ont même donné les moyens de le découvrir derrière les maquillages dont elles l’ont recouvert.

     Le « meurtre de la mère » (l’Église) apparaît aujourd’hui comme une condition nécessaire à la redécouverte du Père, abba – comme l’appelait Jésus.

     Nous, qui sommes (sans l’avoir choisi) les derniers dépositaires d’une expérience unique, dont la possibilité nous a été offerte – alors qu’elle ne semble plus devoir être accessible aux jeunes générations,

     Nous, qui avons derrière nous toute une vie de recherche, par l’étude, d’une tradition recouverte aujourd’hui par le tintamarre des médias,

     Nous, pour qui Jésus n’est pas seulement un objet d’étude parmi d’autres, mais un être vivant, aimable et aimant,

     Que ferons-nous pour transmettre ce que nous avons reçu ? Allons-nous nous contenter d’autopsier un cadavre encore chaud ?

     Une nouvelle réforme est-elle possible ? Si l’Église catholique pouvait se réformer, cela se saurait. Elle ne l’a jamais pu, elle ne le pourra jamais. Quand le communisme a voulu se réformer, il a disparu. Une société d’idéologie ne peut pas remettre en cause les dogmes sur lesquels elle s’est construite : l’Église le sait, et c’est pourquoi elle maintient jusqu’au plus petit détail les aspects les plus in-croyables de son paganisme. Ce qui est nouveau, c’est que l’humanité n’adhère plus à la démarche magique du christianisme officiel : elle va chercher ailleurs le rêve dont elle a besoin. Ou bien – privée de rêve – elle s’enfonce dans la violence.

      Que faire ?

     Dans ce naufrage constaté du christianisme, je n’aperçois qu’une seule lueur d’espoir : le retour au Jésus de l’histoire. La recherche de Jésus tel qu’il fut, et non pas tel que l’Église l’a réinventé pour asseoir son pouvoir. Le retour vers Ieshua, fils de Joseph, m’apparaît comme la seule alternative au néant.

     Revenir vers Ieshua, c’est reconnaître que nous sommes parvenus à la fin d’un cycle de civilisation. L’Égypte, Sumer, Assur, les Incas, les Mayas, tant d’autres civilisations prestigieuses ont disparu… Eh bien ! Le christianisme vient de disparaître à son tour, sous nos yeux.

     C’est un peu comme si les gestes de Jésus n’avaient jamais encore été compris, ses paroles jamais encore entendues, son regard jamais encore croisé par un Occident qui se réclame non pas de lui, mais du Christ fabriqué pour figurer au fronton des cathédrales, signes et symboles


     Que faire ?

     Je dois maintenant parler en mon nom propre, et je le fais avec d’infinies réticences. Quitté par l’Église en 1984, je suis rentré depuis dans le silence. En sortir, pour quoi ? Proposer une nouvelle Église ? Ayant vécu de l’intérieur le naufrage du catholicisme, le désert m’a paru être le lieu de refuge le plus indiqué pour la rencontre personnelle avec le Dieu de Jésus.

     Que faire ? Pour quelle action sortir de ce désert où Jésus trouva l’Éveil autrefois, et où peut-être il appelle les rescapés de la défunte civilisation voulue par l’Église ?

     Je n’entrevois qu’une seule action à notre mesure : la formation. Transmettre à d’autres, si d’aventure il s’en trouve qui le souhaitent, ce que découvre cette communauté informelle et cachée des « chercheurs du Jésus de l’Histoire ». Transmettre, afin que Jésus ne meure pas avec l’Église.

     Après l’agonie du christianisme, tout est à reconstruire : il faut savoir où l’on va. Jésus disait : « Celui qui bâtit une tour, il commence par s’asseoir et réfléchir ». S’asseoir, à nouveau, aux pieds de Jésus. Et tenter de l’écouter, lui, enfin ! Toute action qui ne serait pas précédée par ce retour à l’école de Jésus lui-même me paraît illusoire.

     Revenir à l’école, humblement. C’est la proposition qui vous est faite, e,n trois étapes :

     1- Former d’abord à une lecture nouvelle des textes, à leur compréhension sous un regard neuf, non dogmatique : grâce à la « recherche sur Jésus » nous en avons aujourd’hui les moyens, qui manquaient à ceux qui nous ont précédés. Grâce à ces savants, à ces chercheurs acharnés qui, depuis environ cinquante ans, labourent un terrain qu’on croyait à jamais recouvert par le béton des dogmes.

     2- Une fois cernés les critères d’une lecture non-dogmatique des Évangiles, poser à nouveau la vieille question de l’identité de Jésus : qui était cet homme ? Comment expliquer les singularités de sa vie, depuis le séjour initial au désert où tout a basculé pour lui, jusqu’au tombeau trouvé vide ? Il a été transformé en Dieu : comment, quand, où, par qui, et surtout pourquoi ?

   3- Jésus enfin approché tel qu’il fut en lui-même, entamer avec lui un dialogue. Toutes les questions qui sont les nôtres aujourd’hui peuvent alors lui être posées, même celles auxquelles il semblerait que les Évangiles n’aient jamais pensé. Car Jésus, ce n’est pas seulement un maître à penser : celui d’une époque révolue, marqué par elle et catalogué dans les rayonnages de l’Histoire, comme tant d’autres pédagogues et philosophes du passé. Jésus, c’est un mouvement, une façon d’être, une façon de voir, une attitude face à la vie et aux questions qu’elle suscite. Il ne demande qu’une chose, dialoguer avec nous : encore faut-il que nous nous adressions à lui, et non pas à une icône, recouverte par la fumée des cierges d’une Église.

     Tel pourrait être le programme d’une formation, préalable indispensable à toute action. C’est un retour sérieux, exigeant, aux textes et à eux seuls. J’utilise pour cela les acquis de la recherche fondamentale de ces dernières années, mon propos est de les rendre accessibles à un public non-spécialisé.

     Une seule condition me paraît requise pour participer à cette formation : un intérêt, qui peut aller de la simple curiosité à la passion, pour cet homme hors du commun. Dès lors qu’on rencontre Ieshua Ben-Joseph, tout le reste – appartenance à une Église, foi ou non-foi, passe à l’arrière-plan. Puis disparaît.

      Le radeau de la Méduse va-t-il toucher terre quelque part ?

     La réponse à cette question ne m’appartient pas.

                            M.B., 22 janvier 2007

MONDIALISATION : FIN DU CATHOLICISME ?

       Dans Le Monde du 20.01.07, Jean-Marie Donegani analyse avec pertinence l’évolution du catholicisme en France, et son état actuel au vu d’un sondage récent.

     Le peuple, montre-t-il,  se détache de la religion institutionnelle et raisonne maintenant en termes d’adhésion à des valeurs, d’identification à un foyer de sens. C’est désormais à l’individu d’apprécier la valeur relative d’une religion : le vrai n’est plus ce que l’Église définit comme « vrai » pour tous, mais ce que je perçois comme vrai pour moi.

     Ce relativisme, le pape actuel en a fait l’ennemi absolu du catholicisme, et l’objet de son combat principal. A juste titre : une Église se définit par l’adhésion du peuple à un ensemble de dogmes fixés par la hiérarchie. Si la vérité, si l’adhésion au mystère de l’au-delà des apparences devient affaire d’appréciation personnelle, l’Église (toute Église) n’a plus qu’à plier bagages. La lutte contre le relativisme est, pour une Église, question de survie.

     J’aimerais rappeler à ce sujet l’enseignement du Bouddha Siddharta. L’une de ses dernières paroles (attestée par plusieurs sources, notamment le beau Parinibbanasutta) a été adressée à son disciple et secrétaire Ananda : « Ananda, dit le Bouddha avant de mourir, souviens-toi : il n’y a ni maîtres spirituels, ni rites, ni textes sacrés. Il n’y a que ce dont tu fais l’expérience par toi-même ». Et ailleurs, il donne une parabole : « Quand on t’offre une pièce d’or, la première chose que tu fais c’est de la mordre, pour t’assurer de la qualité du métal précieux. Ainsi en va-t-il de mon enseignement : soumets-le à l’épreuve de ton expérience. Ce qui se révèle confirmé par ton expérience, garde-le. Le reste, jette-le »

     En d’autres termes (et dans une culture différente), on trouve exactement la même attitude chez Jésus le nazôréen. Un jeune homme riche lui demande ce qu’il doit faire pour « être sauvé » (Siddartha aurait dit : pour « entrer dans l’Éveil »). Jésus lui répond : « Tu es juif ? Observe la Loi juive ». L’homme lui dit qu’il s’y conforme déjà – c’est-à-dire qu’il obéit déjà aux dogmes et aux comportements fixés par l’Église juive. Jésus le regarde avec affection, et lui dit doucement : « Alors, une seule chose te manque : laisse tout [cela], et suis-moi »

     C’est moi qui ajoute le mot [cela] : Jésus n’a pas dit à cet homme qu’il lui fallait abandonner le judaïsme pour aller plus loin, pas en ces termes brutaux. Mais sa réponse est claire : tout ce qu’il a vécu jusqu’à présent (y compris le dogme juif) doit être laissé derrière lui, pour vivre une expérience personnelle à sa suite. D’un côté les dogmes et les obligations fixées par une Église, de l’autre un homme à suivre. Un homme inclassable, imprévisible, comme l’est toute personne humaine.

     Avec ses mots à lui, dans sa situation locale et historique à lui, Jésus fait du « relativisme » le coeur même de son enseignement.

     Le pape martèle le contraire : ce n’est pas la première fois, et ce n’est hélas pas la dernière, qu’un pape prendra le contrepied du Jésus des évangiles. La nouveauté, les études sociologiques le montrent, c’est que « le peuple » ne suit plus. L’espoir, c’est que « le peuple » exerce pleinement aujourd’hui ce que les théologiens appelaient autrefois le sensus fidei : la perception juste des vérités invisibles.

     Pour la première fois, un match oppose ouvertement « le pape versus le peuple » : la limitation autoritaire d’une seule vérité, celle du dogme, contre la perception intuitive et juste des vérités invisibles. Les buts à venir seront marqués par « le peuple », dont il se trouve que je suis un supporter enthousiaste.

                                         M.B., 24 janvier 2007

L’ABBÉ PIERRE ET LE SUCCESSEUR DE PIERRE

          La mort de l’Abbé Pierre nous touche, parce qu’elle sonne un peu comme un bilan. Bilan d’un demi-siècle de société française d’abondance, qui laisse ses déchets à la rue aujourd’hui comme en 1954. Mais bilan aussi de l’Église catholique à l’orée du XXI° siècle.

          Comment se fait-il que la figure la plus populaire d’un des pays les plus farouchement laïcs au monde soit un prêtre, qui n’a jamais caché ni sa soutane, ni sa croix de guingois sur la poitrine ? Pour deux raisons, semble-t-il :

          1- D’abord, l’abbé rappelle aux plus mécréants d’entre nous que nous sommes un pays profondément marqué par les valeurs évangéliques. Les socialistes, et même les communistes, se reconnaissent dans le message de Jésus le nazôréen, sans lequel leurs partis politiques ne seraient pas ce qu’ils sont. Je n’y peux rien, c’est politiquement incorrect mais c’est ainsi.

          Des évangiles, l’abbé n’a retenu qu’une chose : l’amour du prochain, dont Jésus lui-même fait l’égal de l’amour de Dieu. La re-connaissance du prochain, dont Jésus fait l’égal de la connaissance de Dieu.

          Pour les Églises (qui se réclament pourtant des évangiles) la connaissance de Dieu – la possibilité de s’en faire une idée, de savoir qui il est, de le connaître – passe par le dogme. Et le dogme, c’est l’Église qui l’élabore, le façonne à son gré, le proclame puis l’impose. Tout comme Jésus, l’abbé ne se référait à aucun dogme : le prochain, c’est-à-dire l’homme ou la femme abandonnés sur la route (comme dans la parabole du Bon Samaritain), voilà le dogme. L’amour en action.

          Le peuple ne s’y est pas trompé, croyants comme athés : cela sonne juste. Si Dieu existe et peut être rencontré quelque part, c’est bien dans ce regard-là. Le regard que Jésus lui-même portait, en son temps, sur le monde tel qu’il était et Dieu tel qu’il est.

          Et la France, pays de Voltaire et de Hugo, se retrouve dans cette approche-là de Dieu. L’approche non-dogmatique qui est avant tout un regard sur l’autre, qui forme et éduque le regard intérieur.


          2- La France se retrouve dans cette distance prise avec les dogmes. Mais aussi dans les conséquences pratiques de cette distance : par son choix des pauvres, l’abbé insulte Rome et ses richesses. Par sa préférence pour les sans-voix, il fouette Rome et son amour de la puissance. Par sa liberté sexuelle, il horrifie Rome et sa hantise du sexe.

           Un abbé Pierre ne pouvait sans doute naître que dans ce pays qui n’a jamais oublié l’évangile, mais n’en retient pas forcément ce que lui conseille sa hiérarchie ecclésiale.

          L’abbé Pierre ne sera jamais canonisé : le successeur de Pierre ne peut donner en exemple, au peuple qu’il administre, un homme qui lui fait ouvertement pareils pieds de nez.

          Pauvre Pierre, qui n’a jamais été pape, et aurait peut-être rêvé d’être un jour  un abbé aux chaussures éculées et à la soutane verdâtre.

                                                M.B., 26 janvier 2007

L’HOMME DIVINISÉ : UNE TRAGIQUE MÉPRISE ?

« DIEU S’EST FAIT HOMME, POUR QUE L’HOMME DEVIENNE DIEU« 

      Cette petite phrase de St Irénée (fin du II° siècle) a profondément influencé l’Occident : sa théologie d’abord puis – sans qu’il s’en rende compte – les orientations de sa politique vis à vis du reste du monde.

     Elle est bien évidemment absente de l’enseignement de Jésus : pour le fils de Joseph, juif pieux, l’idée même que l’homme puisse « devenir Dieu » n’a pas de sens. Ou plutôt c’est un blasphème, contre lequel il proteste vigoureusement quand, à deux reprises, un théologien juif d’abord, puis un jeune homme riche, la lui suggèrent.

     Elle est également absente de l’enseignement de Paul : mais la place centrale qu’il donne à la résurrection du Christ dispose les pavés, sur lesquels Irénée pourra bientôt bâtir. D’autant plus que les communautés fondées par Paul en Asie (épitres aux Philippiens, aux Colossiens, aux Éphésiens) vont finir de préparer le terrain, en affirmant l’égalité totale du ressuscité avec Dieu lui-même.

     Paul a donc franchi le premier pas, en promettant à ses convertis : « Vous ressusciterez, puisque le Christ est ressuscité ». Un juif, même de culture grecque, ne pouvait pas aller plus loin. Mais Irénée n’est pas juif (il semblerait qu’il soit né en Galatie, dans l’actuelle Turquie). Sa culture est immense, il connaît bien le mouvement gnostique, fouillis inextricable, qui imprègne profondément le bassin méditerranéen à l’époque même où se construit le christianisme. Mouvement  essentiellement grec, c’est-à-dire platonicien – avec des influences du côté de l’actuel Iran.

     Pour Irénée, le Christ « récapitule » l’Univers, en lui permettant d’accéder (non pas à sa suite, mais en lui-même) à la divinité qui est la sienne. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer une vision complexe, d’une grande beauté : les foules, et les cultures qu’elles secrètent, n’ont pas besoin de tous les détails. Une seule phrase parfois suffit, un slogan qui va attirer à lui, comme le granule qui amorce une perle, tout ce que le christianisme naissant comporte de dynamisme intellectuel, philosophique et spirituel.

     « Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devienne Dieu » : dans sa simplicité percutante, dans son balancement, cette simple phrase a eu des conséquences incalculables.

 I. Une trahison de l’enseignement de Jésus le juif

     Pour Jésus, le terme du cheminement humain, sa réussite, son épanouissement et son bonheur,  ce n’est pas de « devenir Dieu » : c’est de revenir à la maison du Père. De « rentrer chez lui », en quelque sorte. Plusieurs paraboles (entre autres les « Vierges folles », le « Fils prodigue »…) l’affirment sans équivoque possible : au terme d’un long cheminement, la perfection de la réalisation humaine c’est d’entrer dans une salle de fête. Et là, d’être accueilli par le Père (abba), et par ceux qui l’ont précédé, humains réalisés ou anges de degrés divers. Il n’est pas question de Marie, dont Jésus ne parle jamais, mais rien n’empêche de penser qu’elle se trouve aussi de la fête, non loin de son fils.

     Nous sommes certains que c’est là l’enseignement de Jésus lui-même : les paraboles sont le gisement où l’on se rapproche le plus de ce qu’il disait, en ses propres termes.

     Rester humain donc (et quoi d’autre ?), jusqu’au bout, et même après. Non pas devenir identiques au Père, ou à l’hôte, ou à l’époux des paraboles : non pas identiques, non pas de même nature, mais tout proches, sans plus aucune barrière. Irradiés par une joie dont rien ne peut nous donner idée, que Jésus tente de faire deviner à travers ses paraboles.

     Pour lui, ce qui nous attend au terme de cette vie est comparable à la fois à une fête orientale, à une noce de Galilée, à la joie paisible de l’enfant qui se blottit tout contre son père ou sa mère.

     Non pas « l’homme divinisé », mais l’homme irradié de bonheur.

 II. Une méprise aux conséquences incalculables

     De San Francisco à Berlin et Vladivostok, l’utopie de « l’homme divinisé » va pénétrer profondément les consciences : « Si nous sommes chrétiens, nous sommes appelés à devenir Dieu comme le Christ-Dieu » Donc : « Notre race, celle des chrétiens, causasiens, blancs, est supérieure aux autres – qui, eux, ne sont pas appelées comme nous à la divinisation »

     Dans le meilleur des cas (si l’on peut dire), ce sera la justification inconsciente mais terriblement efficace de l’expansion coloniale de la race caucasienne. L’Europe en Afrique, en Amérique Latine, en Orient. La Russie autour d’elle, les USA partout : pays petits ou grands, parce que chrétiens (et donc dieux en puissance) vont s’imposer par le sabre accompagné de la bonne conscience. Pour le bien des peuples dominés : avant, ils n’étaient promis à rien. Grâce à nous,  ils deviennent divinisables. A condition toutefois de ne jamais se soustraire à la voracité de leurs « presque dieux » de maîtres.

     Dans le pire des cas, c’est la justification du culte de l’Élite chez les fascistes, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne ou du Chili. On ne parle plus ici de « devenir Dieu » comme le Seigneur, mais d’une Race de Seigneurs qui doit dominer ceux qui, jamais, n’auront accès à l’échelon supérieur : untermenschen.

     J’exagère ? Voyez plutôt : les juifs, pourtant issus du même tronc que nous, n’ont jamais songé à coloniser la planète. Tout ce qu’ils demandent, c’est leur lopin de terre, certes extensible, mais jamais au-delà du royaume mythique de David. Les hindous ? Ils vénèrent la divinité, pourtant, et la Baghâvad Gîta leur propose de s’unir à elle : mais jamais, en aucun cas, de s’identifier à elle.

      Revenir à Jésus, c’est couper le cordon ombilical avec une vision profondément ancrée dans notre subconscient. Née d’une seule petite phrase, répétée et galvaudée à l’infini…

     Revenir au fils de Joseph, c’est revenir chez nous, chez le Père, comme des enfants : heureux d’être à jamais différents de Dieu, pour pouvoir s’unir à Lui dans la proximité d’une fête dont nous n’avons pas idée.

                                         M.B., 3 février 2007

LE DOGMATISME, MALADIE CHRÉTIENNE ?

          Un dogme est une vérité intemporelle (valable pour tous les temps) et irrationnelle (elle ne se démontre pas). Pour pouvoir naître, un dogme a besoin de deux éléments de base :

1- La référence à une Écriture, considérée comme sacrée (ou à une tradition orale suffisamment fixée pour être reçue à l’égal d’une Écriture).

2- La référence à une autorité centrale, qui fixe ou authentifie le dogme.

         Paradoxalement le dogme, absolu par nature, est donc une vérité en référence – c’est-à-dire contingente.

 I. JÉSUS ET LE DOGME

          A l’époque de Jésus, le judaïsme faisait référence à l’Écriture (la Loi), mais il n’y avait pas en Israël de consensus : les pharisiens disaient que la Loi, pour rester vivante, doit sans cesse être interprétée. Ils avaient l’écoute du peuple, dans lequel ils étaient fortement implantés par leur réseau de synagogues. Les sadducéens (prêtres du Temple), au contraire, considéraient que la Loi est intemporelle, donc intangible, et s’opposaient vivement aux pharisiens sur ce point.

       Cette opposition, qui déchirait le judaïsme, lui a toujours épargné la maladie du dogmatisme.

          Formé par eux, Jésus était lui-même pharisien. S’il est entré en conflit avec ses confrères, ce n’est pas parce qu’il discutait la Loi – exercice habituel et même encouragé – mais à cause de la façon dont il la discutait. En effet, les règles étaient fermement codifiées : on devait d’abord rappeler les opinions des anciens. Puis s’appuyer sur elles pour faire progresser la discussion : « Rabbi x a dit ceci…. or, rabbi y a dit cela… donc, on peut dire ceci de nouveau, sachant que rabbi z a aussi dit ceci, et rabbi w cela… »  Le Talmud rassemble une collection impressionnante de ces discussions sans fin.

        Mais Jésus commence son enseignement en affirmant : « On vous a dit ceci…, eh bien, moi, je vous dis cela… » Cet enseignement choque les auditeurs, et les évangélistes témoignent de cet étonnement, « car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes » (Mt 7,29)

          La nécessité de faire référence à l’enseignement des anciens n’était-elle pas l’équivalent d’un dogme ? Non, parce qu’il n’y avait pas de vérité intangible et intemporelle (au contaire, la discussion faisait évoluer la vérité en l’adaptant aux besoins du moment). Oui, parce que celui qui discute la Loi était obligé de se conformer à un cadre mental rigide, celui de la tradition orale. Aucun dogme n’était défini, mais la démarche était bien celle d’un dogmatisme subtil, parce que difficile à cerner.

          En refusant de se plier aux règles de la discussion pharisienne, Jésus brise donc l’équivalent du seul « dogme » juif de son époque, celui de la cohérence absolue avec une tradition antécédente. Sans langue de bois, et même avec une franchise brutale (« moi, je vous dis que…« ) il déstabilise l’Église juive de son temps, jusqu’à l’anéantir : et la hiérarchie ne s’y est pas trompée. Sans qu’on puisse établir une chronologie certaine, il semble que ce refus affiché dès le début de son enseignement ait provoqué l’ouverture du « dossier » contre Jésus, dossier qui le conduira à sa perte.

         Mais il va beaucoup plus loin en s’attaquant à la nature même de la Loi, fondement de l’identité juive. A l’occasion d’une discussion pharisienne sur le sabbat, il rejette non seulement le dogme oral, celui de la méthode de discussion. Mais aussi le dogme écrit, celui des 613 préceptes, codifiés à la suite de la Loi. De tout cela il fait table rase, en affirmant qu’il n’y a qu’une seule Loi, c’est celle qui est inscrite dans le coeur de l’homme.

         En fait, Jésus ne supprime pas la Loi, comme l’ont peut-être perçu les ecclésiastiques de son temps. A l’ensemble des dogmes (oraux et écrits) il substitue la loi du coeur. C’est le coeur qu’il faut purifier : un coeur pur n’a pas besoin de dogmes, puisqu’il est en cohérence et en harmonie intime avec le monde de l’invisible que tente de codifier le dogme.

         Pas de référence à une Écriture sacralisant le comportement humain, ou à une tradition orale équivalente. Mais aussi, pas de référence à une autorité humaine, garante d’un dogme : « Ne vous faites pas appeler « maître », ni « père », ni « docteur » par les gens… » (Mt 23,8). Ni Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ni Curie, ni autorité humaine de référence.

          Enfin, aucun rite : si Jésus fréquente le Temple, jamais on ne le voit participer à la liturgie des sacrifices, qu’il condamne explicitement. Et s’il a d’abord enseigné dans les synagogues, il en sera vite chassé : dès lors, pour lui pas d’autre lieu de la rencontre avec Dieu que la solitude d’un endroit désert, ou l’intimité d’une chambre ordinaire.

         Résolument anti-dogmatique, Jésus peut aussi être qualifié de résolument anti-clérical. 

         Curieusement, il faut noter que c’était le testament du Bouddha Siddartha : « Ananda, dit-il à son disciple préféré avant de mourir, souviens-toi : il n’y a ni livre sacré, ni maître spirituel, ni rites »

 II. NAISSANCE DU DOGME, NAISSANCE DU CHRISTIANISME

        La naissance du christianisme comme système idéologique peut être datée par deux événements bien attestés :

1- Au « concile de Jérusalem », 18 ans après la mort de Jésus, l’établissement d’une autorité humaine de référence au nom de Dieu : « L’Esprit Saint et nous-mêmes [les apôtres] avons décidé de vous imposer… » (Ac 15,28). Et la codification du premier « dogme« , qui définit le comportement des chrétiens par rapport au paganisme.

2- A peu près au même moment, la transformation à Antioche du repas fraternel entre chrétiens en eucharistie, rite fondateur de l’Église.

    
         C’est en prenant le contre-pied de l’enseignement et de la pratique de Jésus que l’Église chrétienne s’est fondée sur le dogme, l’autorité normative et le rite.

    Remarquons que les réformateurs successifs du christianisme, dans leur désir affiché de revenir à une « Église des origines », ne suppriment dans les faits ni l’autorité normative, ni le dogme, ni les rites. Jusqu’à aujourd’hui les « mouvances » chrétiennes, même lorsqu’elles se disent contestataires, restent contaminées par la maladie dogmatique héritée des Églises dont elles sont issues. Elles supportent mal l’approche objective des textes que propose l’exégèse moderne.

          Car l’exégése, science historique, sait qu’elle n’obtient jamais qu’une vérité parcellaire. Cette parcelle de vérité, elle la confronte avec d’autres parcelles : de confrontation en confrontation, des acquis sédimentent peu à peu. Mais même ce qui est acquis en exégése peut prendre une coloration différente, vu sous un autre angle.

           Face à une vérité sans cesse en mouvement, les Églises (ou les groupes contestataires qui en sont issus) font preuve de psycho-rigidité : la confrontation exégétique les met mal à l’aise, et si les contestataires rejettent un dogme, c’est le plus souvent pour adopter un contre-dogme aussi rigide que celui qu’ils dénonçaient. On s’agite donc beaucoup, sans jamais avancer. Ces groupes ont toujours, quelque part, un dogme qui traîne à défendre.

          A leur psycho-rigidité s’ajoute la jalousie de ceux qui n’ont pas fourni la somme de travail requise, pour admettre un point de vue nouveau – qui leur paraît faux et inacceptable, parce qu’ils n’ont pas pris les moyens de le comprendre.

    Psycho-rigides, jaloux par incompréhension, ils sont vite envahis par la peur de ne plus maîtriser leur univers familier.

               Psycho-rigidité + jalousie + peur : ce sont les symptômes de la maladie dogmatique.

              Cette maladie se traduit toujours par la haine de celui (ou de ceux) qui déstabilisent les certitudes, acquises ou « révolutionnaires ».

          Et la haine s’exprime par la violence.

     C’est pourquoi Jésus, parce qu’il instaurait (avec le rejet du dogmatisme) le principe d’insécurité à la base même de son enseignement comme de ses actes, c’est pourquoi il a été crucifié. Et c’est pourquoi, au long des siècles, des bûchers ont été allumés par la chrétienté, pour éliminer ceux qui voulaient la guérir de sa maladie dogmatique.

                                          M.B., 15 février 2007

Vous trouverez bientôt, dans la catégorie « chroniques intempestives » de ce blog, la suite de cette réflexion : « Le dogmatisme, une maladie française ? « 

PAQUES A-T-IL ENCORE UN SENS ?

          Message reçu sur Internet :
          Je lis avec toujours énormément d’intérêt vos articles sur votre blog.  
          Chaque année à cette époque, je cale sur Pâques,
           Puisque, si Jésus n’est pas Dieu, il n’est pas ressuscité, quel est pour vous le sens de cette fête ?

          Voilà les bons côtés d’Internet : je vais répondre à une inconnue.
          Non, Jésus n’est pas « ressuscité » le 9 avril 30 – qui était cette année-là le premier jour de la semaine juive, faisant suite à la fête de pâque. Je vous renvoie pour l’analyse des textes et des faits à Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus (cliquez)
          Ce jour-là, juste après le lever du soleil, des femmes se rendent furtivement au jardin qui fait face à la porte ouest de Jérusalem. Dans ce lieu situé hors de la ville, mais proche des murailles, de riches propriétaires faisaient construire leurs caveaux familiaux. C’est l’un d’eux, Joseph d’Arimathie, qui a prêté le sien au rabbi juif itinérant crucifié 72 heures plus tôt.
          Pourquoi a-t-il fait ce geste compromettant ? Parce que la mort du crucifié intervient juste au moment où s’ouvre la célébration liturgique de la pâque juive – qui durera jusqu’au lever de soleil du 9 avril, un dimanche pour nous.
          Pendant cette période, impossible de s’approcher d’un cadavre (et encore moins de le toucher) sous peine d’une impureté qui rendrait inapte à la célébration de la plus grande fête juive.
          Quand les femmes sont en face du tombeau (qu’elle s’attendaient à trouver tel qu’elles l’avaient laissé le vendredi, la lourde pierre tombale fermant l’entrée), elles sont stupéfaites de le trouver ouvert. Et de voir, à l’intérieur, deux hommes en blanc (un seul, selon certains évangiles) qui leur adressent la parole, comme s’ils les attendaient.
         A ce stade de la rédaction, personne ne dit encore que Jésus est ressuscité. Les témoins (d’après le meilleur d’entre eux pour cet épisode, le IV° évangile) disent seulement : « On a enlevé le Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis… Si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et je l’enlèverai ! » (Jn 20,13-15).
          Il n’y a aucun témoin de la résurrection : la résurrection est la réponse trouvée, après-coup, au problème posé par le tombeau vide.
          En revanche, les témoignages sur la découverte du tombeau vide sont remarquablement précis, et (si l’on sait lire), concordants.
          Sachant cela, que reste-t-il de Pâques, pour nous, aujourd’hui ?
          D’abord, l’occasion de revivre, en temps cosmique, les derniers moments de Jésus. Pâque avait – et a toujours lieu – au moment de la pleine lune de printemps. Le cosmos tout entier est ainsi associé, pour toujours, au don que fit de lui-même un homme exceptionnel.
          Inutile d’aller sur place, à Jérusalem : la lune, ma douce soeur, plante le décor qui convenait au départ de cette terre, dans la souffrance, de celui qui l’a tant aimée. Et (au moins pour l’hémisphère nord), la lune de printemps est visible de tous, partout.
          Ensuite, revivre cette nuit où (grâce à la lumière de la pleine lune) les hébreux puirent s’enfuir d’Égypte, conduits par Moïse. Ce jour-là, un peuple naissait, qui se dirait bientôt le « peuple de Dieu » – pour le meilleur et pour le pire.
          Jésus a-t-il explicitement voulu que sa mort (qu’il sentait venir) coïncide avec la pâque juive ? Et lui donne ainsi une signification insoupçonnée, celle de l’accomplissement définitif des promesses de Dieu à Israël ? Celle d’un sacrifice (le sien) qui rachèterait l’humanité ?
          Rien, dans ses paroles ni dans son attitude, ne permet de dire cela. Oui, il a eu conscience que sa mort permettrait une nouvelle alliance entre Dieu et la multitude. Mais il ne l’a pas conçue comme un sacrifice mettant un terme à ceux de l’ancienne alliance. Cette piste, ce sont les théologiens chrétiens qui vont s’y précipiter, très tôt (dès l’épître aux Hébreux) et pour des raisons qu’on peut appeler « politiques » : fonder le surclassement du judaïsme par le christianisme.
          Il n’en reste pas moins : la fuite des hébreux d’Égypte, le passage de la Mer Rouge, sont le début d’une humanité nouvelle.
          Regardez bien la pleine lune, chère M.P., dimanche prochain. Elle abolira pour vous les siècles et les distances. C’est sous cette même pleine lune que Jésus a été déposé, à la hâte, dans un tombeau provisoire devant le porte Ouest. Et elle était sans doute encore visible dans le ciel de Jérusalem quand quelques femmes juives, terrorisées, découvrirent que son cadavre n’était plus là.
          Le reste appartient aux théologiens de tous poils, et à l’ambition des Églises de tous crins qui les commanditaient.
          Donc  vendredi, samedi et dimanche soir prochains, soyez sur votre balcon : je serai sur le mien. Dans le ciel de votre Belgique, comme dans celui de ma Picardie, on verra peut-être la pleine lune.
          Laissez-vous entraîner par elle hors de ce siècle souffrant, loin de ces terres malgracieuses.
          Aux côtés des géants qui nous ont faits ce que nous sommes.
                                                          M.B., 7 mars 2007

LA FIN DU MONACHISME CATHOLIQUE

          Je viens de rencontrer un moine bénédictin français, qui fut mon confrère, et qui reste (le seul) ami très cher que j’aie dans ce milieu où j’ai vécu plus de vingt ans – au siècle dernier.

          Il m’a informé de l’état de délabrement dans lequel se trouvent les monastères de France – et c’est sans doute la même chose ailleurs. Plus aucune vocation, une moyenne d’âge qui dépasse les 75 ans et qui laisse prévoir la fermeture, à moyen-terme, de ces maisons qui furent le fer de lance de l’Église catholique comme de la culture occidentale.

          Il me posait la question angoissée : « Quel avenir ? »

          Historien, je ne sais pas prédire l’avenir, mais je l’ai invité à relire le passé.

I. UNE RÉGLE MARQUÉE AU FER ROUGE

          Les moines d’Occident suivent tous, à la lettre, la Règle de Saint Benoit. Ce texte, que j’ai étudié lorsque je m’efforçais d’en vivre, a été écrit en Italie au début du VI° siècle. L’Empire romain s’était effondré, mais sa culture restait vivante dans certains cercles protégés, comme les monastères.

          La culture, c’est un peu « ce qui reste quand on a tout oublié » : ce qui surnageait à la débâcle de l’Empire, c’était la seule philosophie qui fut proprement romaine (avec, peut-être, l’épicurisme) : le stoïcisme.

          Profondément matérialiste, le stoïcisme a fait la grandeur de Rome par sa conception austère de la vie humaine. Au VI° siècle, il avait sans doute été contaminé par le gnosticisme, mouvement multiforme qui rejetait la matière  comme intrinsèquement impure : et avec la matière, le corps ainsi que tous ses plaisirs. Il est possible que le stoïcisme, au moins dans son expression populaire, ait vu sa raideur potentialisée par la contagion gnostique.

          La Règle de saint Benoît est un texte profondément stoïcien. La contamination stoïque apparaît dans son mépris du corps, qui se traduit par l’organisation de la vie quotidienne des moines et repose sur l’adage mis en exergue par saint Benoît : « Là où commence le plaisir, là commence la mort« .

          Cette conception stoïque de l’existence humaine a rencontré, tout au long des siècle, le malaise de vivre de nombreux postulants à la vie monastique bénédictine. Non seulement elle ne parle plus aux humains du XXI° siècle, mais surtout elle est totalement étrangère à l’enseignement de Jésus dans les évangiles. Extrêmement exigeant sur le plan personnel et social, cet enseignement va beaucoup plus loin que celui des stoïques, sans jamais mépriser le corps.

          Il y a plus, hélas, pour expliquer le déclin actuel des monastères. Reproduisant une conception de la vie spirituelle héritée de certains textes des « Pères du Désert » qui lui étaient parvenus, l’auteur de la Règle enseigne qu’un moine sera « un bon moine » quand il aura récité, chaque jour, une certaine quantité de psaumes.

          La notion de quantité lui paraît essentielle : prise à la lettre, cette injonction a transformé les moines occidentaux en rabâcheurs de psaumes, enfilés à vive allure tout au long de la journée.

          Quand cette psalmodie avait lieu en latin, et s’inscrivait dans une vie simple, celle des paysans du moyen âge, la récitation de l’Office Divin permettait peut-être l’épanouissement d’une vie spirituelle méditative.

          Aujourd’hui, les psaumes sont récités en français, et l’exigence de quantité n’a pas disparue des monastères. Les moines modernes passent donc 4 à 5 heures par jour à mouliner indéfiniment ces psaumes, expressions d’un judaïsme qui n’est pas le leur.

          Alors qu’on voit des foules entières chercher – et trouver – dans la méditation silencieuse une discipline qui structure de l’intérieur leur spiritualité. Méditation pratiquée par Jésus, qui avait « l’habitude » (disent les évangiles) de se retirer dans un lieu désert pour s’y livrer.

          Ceux qui cherchent les voies de l’Invisible se tournent désormais vers le bouddhisme, ou les sectes. Dans le bouddhisme ils trouvent un enseignement et une pratique très solide de la méditation. Dans les sectes, ils trouvent de tout, et souvent des ersatz de méditation – parfois fort dangereux.

          Ce sont presque tous des déçus du catholicisme.

          Les monastères auraient pu, et ils auraient dû, offrir au peuple des chercheurs de Dieu l’enseignement, l’exemple et la pratique de la méditation. En l’ignorant pour rester fidèle à une Règle qui fait d’eux des ruminants de mots, ils signent eux-mêmes leur déclin.

                                                    M.B. 9 avril 2007.

CHRISTIANISME : LES CHOSES BOUGENT-ELLES ?

          En 1967 prenait fin à Rome un Concile oecuménique. Pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, un concile véritablement oecuménique, rassemblant non seulement tous les évêques catholiques d’Occident et d’Orient, mais aussi des représentants des Églises Orthodoxes et Protestantes séparées de Rome, et des laïcs.

          Un an plus tard, la « Révolution de Mai 68 » partait de France et secouait progressivement la planète : la jeunesse affirmait qu’on pouvait changer le monde tel qu’il va, et les moins jeunes se mirent à y croire sincèrement. Mouvement civique des noirs américains, paix, droits de la femme, relations Nord-Sud, éducation…  et religions : un nouvel ordre mondial était possible, le moment était venu de le faire advenir. Tous s’engouffrèrent dans cette brèche, avec enthousiasme : on allait voir ce qu’on allait voir.

          Dans l’Église catholique, on parla de liturgie en langues vivantes, de collégialité épiscopale, de retour aux sources, de nouvelle évangélisation, de nouvelle spiritualité. Le mouvement charismatique devint l’aile marchante du renouveau des Églises.

          Quarante ans après, des sociologues dissèquent et étudient ce phénomène et ses suites. Sans prétendre ajouter quoi que ce soit à leurs savantes études, voici une simple réflexion, qui est aussi le témoignage d’un acteur des événements de l’époque.

I. Christianisme : les choses peuvent-elles bouger ?

          Au point de départ du christianisme, il y a le coup de génie de quelques hommes (Paul de Tarse, les derniers rédacteurs des évangiles et surtout du IV°) : utiliser la mémoire d’un rabbi juif itinérant, thaumaturge et prophète, pour créer une nouvelle religion. Qui va utiliser – tout en prétendant s’en démarquer – le meilleur du judaïsme et des religions orientales de l’Empire romain. Un dieu unique (judaïsme) et l’espérance d’une religion (religions orientales) fondée sur la résurrection, affirmée contre toute vraisemblance, du rabbi Jésus devenu Dieu.

          Tout repose donc sur la résurrection de Jésus, preuve de sa divinité.

          Comme cet événement ne pouvait être ni prouvé, ni admis par les juifs chez qui il prit naissance, il va être établi, puis confirmé, par un ensemble de spéculations qui s’imposeront aux croyants comme « la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (Hb 11,1) : des dogmes.

          Ces dogmes vont progressivement s’emboîter l’un dans l’autre, chacun découlant nécessairement du précédent et annonçant le suivant. Chacun étant la conséquence inévitable du précédent, et appelant le suivant par la force contraignante de la logique interne d’un système clos.

          Dix-neuf siècles après, la proclamation de la résurrection de Jésus apparaît comme un coup de force, niant toute évidence historique, ne pouvant se réclamer ni de l’enseignement ni de ce qu’on sait de la vie de Jésus : c’était un mensonge d’État, indispensable à la réalisation d’une ambition – prendre le pouvoir religieux.

          Construit sur ce mensonge nécessaire, l’édifice des dogmes, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est un immense château de cartes : tout s’emboîte, retirer une seule carte c’est faire s’écrouler l’édifice entier par l’effet dominos.

          L’Église le sait : toucher à l’un quelconque des dogmes ou de leurs conséquences, c’est provoquer la fin du christianisme comme système idéologique cohérent. Son réflexe de préservation s’étend même à des aspects de sa vie qui ne reposent sur aucun dogme, comme le mariage des prêtres ou l’ordination sacerdotale des femmes.

          Rien ne peut donc bouger dans l’Église, et rien ne bougera jamais. Même des détails qui semblent secondaires, comme l’emploi des langues vivantes dans la liturgie, ne peuvent prendre durablement racine : ils apparaissent comme des fissures dans l’édifice, et une fissure, on ne sait jamais jusqu’où cela peut aller. Le retour à la messe en latin, pitoyable victoire d’arrière garde, est dans la logique de l’instinct de conservation.

II. Une espérance, les « chrétiens critiques » ?

          Après l’enlisement du mouvement charismatique, on a vu naître des groupes de « chrétiens critiques » qui se situent délibérément sur le Parvis de l’Église, c’est-à-dire un pied dedans, et un pied dehors.

          Contrairement aux charismatiques, ces groupes ne donnent pas la primauté à l’affectif mais à la réflexion. Pendant 28 ans, toute l’action de Jean-Paul II et de son bras droit (le cardinal Ratzinger) a consisté à décapiter les têtes pensantes de cette réflexion, théologiens d’Europe ou des Amériques, clercs ou laïcs. Les quelques groupes de chétiens ouvertement critiques, qui ne veulent pas quitter l’Église mais lui apporter une « critique constructive », voient leur réflexions (et leurs propositions) se limiter à ces aspects marginaux, qui frappent l’imagination mais laissent soigneusement de côté les fondements dogmatiques : mariage des prêtres, ordinations des femmes, statut des homosexuels, justice sociale… Marginaux, ces terrains de lutte ne le sont assurément pas puisqu’ils touchent à la vie réelle des gens réels. Mais ils ressemblent un peu à un vol de mouches au-dessus du miel de la réflexion fondamentale.

          Cette réflexion fondamentale progresse pourtant. Des spécialistes non-théologiens (historiens, exégètes), juifs, protestants, catholiques, travaillent avec acharnement, et leurs résultats vont tous dans le même sens : la redécouverte du Jésus de l’Histoire derrière le Christ de la foi (et de l’Église). Leurs travaux sont publiés à un rythme soutenu, accessibles à tous. Mais d’abord, ils sont d’un niveau technique élevé, comme il se doit : il faut, pour en prendre connaissance, fournir un effort dont tous n’ont pas la possibilité ou le temps.. Ensuite, les Églises font tout pour les marginaliser (1) : le « chrétien moyen » n’en entendra jamais parler dans sa paroisse, et encore moins les enfants dans les catéchismes.

          Pourtant, la personne de Jésus continue d’attirer ou de fasciner, bien au-delà des Églises institutionnelles ou des cercles de croyants. Fin 2006, une enquête La vie-CSA montrait que pour 95 % des français – et pas seulement des catholiques ! – la personne et la figure de Jésus restent une référence fondatrice de notre identité culturelle et de notre civilisation. Alors que pour 51 % des catholiques (et une large majorité des français) ce même Jésus n’est plus perçu comme un dieu ressuscité.

L’Église a donc perdu son monopole sur Jésus : il demeure une référence incontournable, mais on ne sait plus qui il est.

          L’illustre inconnu, l’inconnu indispensable.

III. Ce qui est en train de « bouger » 

          Il n’y a pas que le Da Vinci Code : des dizaines, des centaines de livres paraissent depuis 10 ou 15 ans, destinés au grand public, autour de la personne de Jésus. Et des films à succès, des télé-films, des télé-documentaires, des séries télévisées… Vous avez forcément vu l’une ou l’autre, lu l’un ou l’autre.

          Un raz de marée médiatique, un véritable « phénomène Jésus ».

          Qui confirme ce que nous disions plus haut : d’abord, la personne de Jésus – le Jésus réel, le Jésus de l’histoire – fascine les foules. Ce phénomène est absolument nouveau dans l’histoire de l’Occident. Pendant 18 siècles, tout l’effort des théologiens et des Églises pour lesquelles ils travaillaient a été d’imposer la figure mythique du Christ-Dieu. Initiée timidement par Reimarus au XVII° siècle, la quête du Jésus de l’Histoire – Jésus tel qu’en lui-même – est un phénomène totalement nouveau, par l’ampleur qu’il a pris.

          Ensuite (et c’est un corrollaire), ce phénomène met en lumière l’échec et la fin des vénérables Églises traditionnelles. Il montre bien que ce qu’il nous faut, ce n’est pas une avancée sur le mariage des prêtres, ou tel autre point mineur : c’est une refondation du christianisme, dont l’énormité de ce phénomène récent, mais planétaire, montre à la fois l’urgence, et la possibilité.

          Hélas, la grande majorité de ces romans, de ces films ou télé-films autour de Jésus n’ont rien à voir avec les travaux des véritables spécialistes. Ils exploitent des fantasmes commerciaux (Marie-Madeleine concubine de Jésus, Jésus terroriste ou doux rêveur…) qui sont extrêmement rentables. Mais fourvoient le grand public (qui gobe l’appât avec gourmandise) sur de fausses pistes, ou dans des impasses. L’argent n’a pas d’odeur, et le parfum de la vérité est fragile.

          Il n’empêche : des foules considérables (le « peuple ») s’habituent, à travers des romans de caniveau ou des films racoleurs, ils s’habituent à entendre parler de Jésus autrement. Si les réponses (quand il y en a !) sont misérables, les questions posées sont justes, et elles tournent autour d’une seule : mais enfin, qui était Jésus ? Posant les vraies questions sans pudeur, ou même avec impudeur, ces « coups » médiatiques auraient été impensables il y a 40 ans. Leur succès est une brèche dans l’édifice immuable des dogmes fondateurs de l’Occident.

          Cette brèche, il faut s’y glisser. J’ai tenté de le faire avec un roman d’action, Le secret du 13° apôtre : on y trouve toutes les ficelles du Thriller, et j’en demande pardon. Mais la base historique est vraie, fondée sur les travaux des exégètes. Ce roman est traduit en 16 langues pour 17 pays : ceux qui le liront ne seront pas emmenés dans le fossé. Le divertissement, j’ai tenté de le mettre au service de la vérité, ou du moins de sa recherche honnête.

          C’est donc en-dehors des Églises, en-dehors même des groupes de « chrétiens critiques », que les choses bougent. Et peuvent bouger dans le bon sens, s’ils sont plus nombreux ceux qui utilisent l’appétit du public sans jamais cesser d’aimer et de respecter la personne et la personnalité de Jésus, l’inconnu des temps modernes.

                                                M.B., juillet 2007

(1) John P. Meier, l’un des plus remarquable de ces exégètes vivants, a dû faire une conférence dans une université américaine pour se justifier des attaques de l’Église catholique contre sa méthode de travail et ses résultats.