DÉMISSION DE BENOIT XV : la fin de l’incarnation ?

          Un nouveau pape, c’est un peu comme les saisons qui se suivent : ça va, ça vient, et rien ne change. Que restera-t-il de celui-là ?

 Un pape écrivain

           Pendant son pontificat, Benoît XVI a publié deux livres sous le nom de Joseph Ratzinger. Or un pape, ça fait des Bulles, des Encycliques, des Motu Proprio, mais jamais à titre personnel : quand le pape parle ou publie, à travers lui c’est l’Église (c’est-à-dire Dieu) qui s’exprime, jamais l’individu.

          Dès son élection le pape cesse d’être un particulier, l’homme disparaît derrière la fonction divine.

          Jusqu’alors, un pape qui signerait de son ancien nom un livre destiné à un vaste public, cela ne se concevait pas. En écrivant ‘’je’’ au lieu du ‘’Nous’’ traditionnel, en séparant l’écrivain du pape, Ratzinger plantait un coin qui créait une première fêlure dans le trône de Pierre.

           Mais il y a plus : ces deux livres ne sont pas des pavés doctrinaux, ils se présentent explicitement comme une recherche exégétique sur la personne de Jésus de Nazareth.

          Le pape (ou plutôt Mr. Ratzinger) voulait-il ainsi contribuer lui aussi à la Quête du Jésus historique (cliquez) ? Non, il s’efforçait seulement d’éteindre l’incendie provoqué par ses chercheurs. Jusqu’ici, l’Église avait superbement ignoré ces exégètes, dont les travaux remettent en cause le dogme de l’Incarnation, la nature à la fois humaine et divine de Jésus. En se mettant à leur niveau, en acceptant de croiser le fer avec eux, en devenant chercheur parmi les chercheurs, Ratzinger enfonçait un peu plus le coin dans la fente qui fragilisait le trône de Benoît XVI.

          Car un pape ne peut pas participer à la recherche de la vérité.  Un pape ne cherche pas la vérité : il la publie au nom de l’Église qui la possède.

          Ratzinger écrivain-chercheur tournait ainsi le dos à Benoît XVI pape : inédite schizophrénie.

 La fin de l’incarnation ?

           Après avoir fait du pape le successeur de Pierre, au fil du temps les catholiques l’ont transformé en Vicaire du Christ. Vicaire, c’est-à-dire son représentant sur terre. En quelque sorte son double, son incarnation visible.

          Au haut Moyen âge, la Règle de saint Benoît reprit à son compte cette idéologie et l’appliqua aux moines : pour chacun d’eux affirme-t-elle, l’Abbé c’est le Christ.

          Tu es Petrus était devenu Tu es Christus.

           C’est pourquoi les papes sont élus à vie. On n’endosse pas temporairement la nature christique : quand on en a été revêtu, on ne peut plus s’en défaire que par la mort.

          Un pape ne démissionne pas. Le Christ ne démissionne pas, il meurt.

           Nécessaire puisqu’elle tient à son identité papale, la mort du Pontife se doit d’être souffrante et publique, comme le fut celle du Christ. Jean-Paul II l’avait parfaitement compris : en mettant en scène son agonie, en affichant heure après heure sa douloureuse descente au tombeau sur les écrans du monde entier, il réaffirmait l’incarnation du Christ en sa personne. Grâce à lui, en 2005 nous avons pu sans quitter nos fauteuils passer quelques semaines au pied du Golgotha.

           Il remettait aussi au premier plan ce dogme qui colle au catholicisme depuis ses origines : il n’y a de rédemption que par la souffrance. Notre souffrance, dit Paul de Tarse, est bonne et souhaitable puisqu’elle ajoute ce qui manquait à celle du Christ en croix.

          « On ne descend pas de la croix », aurait répondu Jean-Paul II à ceux qui lui suggéraient de démissionner.

           Benoit XVI démissionne, il demande à mourir comme un homme ordinaire ? Il prive ainsi les catholiques de la mort sacrificielle et publique du Christ réincarné en sa personne. Il les prive du spectacle de son agonie et de sa souffrance, il semble même leur refuser d’alimenter ce dolorisme dans lequel ils se complaisent avec délectation.

           Les catholiques de la base ne s’y sont pas trompés, qui expriment leur désarroi avant de saluer, dépités, le courage d’un pape se dérobant à un Golgotha qui leur était dû.

          J’ai quand même entendu quelques officiels murmurer ce qui les inquiète le plus : la démission du pape Benoît devenu homme ordinaire enfonce toujours plus le coin avec lequel l’écrivain Ratzinger fendillait déjà le dogme de l’incarnation.

           Quand la chrétienté se rendra compte de ce que signifie cette démission, ira-t-elle jusqu’ou bout ? Après l’abandon de l’incarnation christique du pape, s’interrogera-t-elle sur la réalité et la pertinence de son dogme fondateur, l’incarnation du Christ ?

          Reviendra-t-elle enfin à la personne lumineuse de l’homme Jésus, qui a toujours eu horreur de la souffrance et a tout fait de son vivant pour la soulager ? (1)

                                                  M.B., 12 février 2013

 (1) J’ai développé ce point dans Le silence des oliviers, qui va paraître prochainement en  »Livre de Poche » sous un nouveau titre, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.

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