PAPY PAPE PART : un pape s’en va, la papauté reste

« L’Église est une barque qui prend l’eau de toutes parts » : ce commentaire lucide et désabusé, c’est à Benoît XVI lui-même qu’on le doit, lors de son élection.

Pendant près de vingt ans, il avait été le Premier Ministre de Jean-Paul II : affaires de mœurs, pédophilie, opacité complice, trafics financiers, ambitions et luttes de pouvoir au Vatican – tout ça, il connaissait par cœur en pénétrant au centre du ring. Alors, pourquoi jette-t-il l’éponge avant la fin du combat, avant d’être évacué comme il se doit, inanimé, sur une civière ?

Qu’une partie du clergé soit dévoyée, infidèle, corrompue, cela ne date pas d’hier et n’a jamais fait couler l’Église. Le pape peut les dénoncer, « ces gens-là ce n’est pas nous, ce n’est pas mon Église ». Il l’a fait, partiellement.

A eux seuls, des rameurs médiocres ne provoquent pas le naufrage d’une barque. Ce que le pape dit, c’est que la coque elle-même est pourrie, il y a des voies d’eau. Il se voit incapable de les colmater, et quitte la barre d’une barque qui « prend l’eau de toutes parts ».

La principale voie d’eau, l’a-t-il au moins identifiée ? Je crois que oui.

Pendant son pontificat, il a écrit trois livres auxquels il attachait tant de prix qu’il n’a pas voulu les publier en tant que pape, sous le nom de Benoît XVI, mais en tant que chercheur, sous le nom de Ratzinger : chose tout à fait inédite (cliquez).

Ces livres n’ont qu’un seul objectif : démontrer une fois de plus que Jésus et le Christ ne font qu’un. Que la vie de Jésus, c’est la vie de Dieu incarné sur terre.

Protéger le dogme de l’Incarnation, menacé par les chercheurs de la Quête du Jésus historique (cliquez).

Réaffirmer que Jésus était Dieu, et qu’il a fondé l’Église : « Tu es Pierre, et sur cette pierre… ». C’est vrai, parce que c’est Jésus-Dieu qui l’a dit, c’est écrit.

Or on sait maintenant que tout ce qui est écrit dans les évangiles ne vient pas du Christ-Dieu, ne vient même pas toujours de l’homme Jésus. On sait qu’avant de nous parvenir, les évangiles ont été remaniés par les deux premières générations chrétiennes qui avaient un but : prendre le pouvoir.

Le seul pouvoir qui dure, parce qu’il va être gravé dans une civilisation qu’il contribuera à fonder : le pouvoir sur les esprits et les cœurs.

Le pouvoir spirituel, c’est-à-dire religieux : le pouvoir des dogmes.

Et ceux qui ont écrit les évangiles dans leur version finale ont parfaitement réussi, puisqu’après une brillante carrière de dix-sept siècles, l’Église est toujours là.

Mais elle prend l’eau, dit le pape sortant. Où ça, comment ça ?

La principale voie d’eau, c’est la corrosion du dogme fondateur de l’Église sous la morsure des chercheurs de la Quête du Jésus historique. C’est la fin, mise en évidence par leurs travaux scientifiques, du dogme qui commande tous les autres, celui de l’Incarnation. Si Jésus n’était pas Dieu en même temps qu’homme, s’il n’était qu’un homme – pire que cela, un Juif ! -, s’il n’est pas ressuscité, alors « vaine est notre foi » disait déjà s. Paul.

Pape érudit, parfaitement au courant des recherches de la Quête, Benoît XVI a publié ses trois livres pour tenter de colmater la voie d’eau qu’elle ouvre. Il est conscient de n’y être pas parvenu, et jette l’éponge.

Pourquoi ? Après tout, les travaux des exégètes de la Quête sont pratiquement inconnus du public, on ne les enseigne dans aucun catéchisme. Pourquoi ne pas laisser quelques chercheurs publier des livres que personne ne lit, pourquoi réaffirmer le dogme de l’Incarnation, comme s’ils risquaient de le mettre en péril par leurs ouvrages savants, confidentiels ?

C’est que le peuple chrétien leur donne raison sans avoir eu besoin de les lire.

C’est que dans les pays où la chrétienté a pris naissance, plus aucun croyant n’est en mesure de comprendre les dogmes fondateurs de sa foi – Incarnation, Trinité, transsubstantiation, etc.

C’est qu’on a besoin désormais de comprendre ce qu’on croit, parce qu’on connaît et qu’on comprend l’univers comme jamais auparavant. Credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde : le temps est passé, où cette affirmation lapidaire suffisait aux braves gens pour croire, et rester en paix.

En leur donnant les moyens de distinguer ce que Jésus a dit de son vivant, de ce qu’on lui a fait dire après sa mort.

En démaquillant le Christ, pour retrouver, derrière l’épaisseur des dogmes, le visage du prophète juif Jésus.

En redécouvrant Jésus avant le Christ,

les chercheurs de la Quête offrent aux braves gens, non pas un tampon pour colmater des voies d’eau, mais une nouvelle barque capable de naviguer sur nos eaux tourmentées.

Parce que celui dont ils mettent en lumière à la fois les paroles et les gestes authentiques se montre incroyablement proche de nous, de nos préoccupations, des questions que nous nous posons aujourd’hui.

Ce faisant, ils mettent en évidence pourquoi, et comment, la vieille barque qui prend l’eau de toutes parts risque de couler avec ses dogmes irréels, ses préjugés transhumains, ses sacrements incapables de sacraliser un monde en perte de sens.

Peut-être est-ce pour cela que le pape s’en va, tragiquement lucide.

Son successeur va tenter de reprendre les rameurs en main, il va faire du bruit, donner à voir et à commenter aux journalistes.

Pendant qu’au fond de la cale, l’eau, inexorablement, continuera de suinter par des brèches qu’il n’aura ni la lucidité, ni la volonté, ni surtout la possibilité de colmater.

M.B., 27 février 2013

P.S. : Où trouver les écrits de la Quête du Jésus historique ? Je m’appuie sur eux pour tenter de vulgariser leurs recherches, vous trouverez leurs références dans mes ouvrages (page d’accueil du blog).

 

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