APRÉS L’ÉMISSION « UN HOMME APPELÉ JÉSUS » sur France 2

          C’était forcément le « grand écart », et le réalisateur Roland Portiche le savait.

          Il savait qu’il ne fallait pas mécontenter les amateurs de mythes et de légendes, tout en ouvrant des fenêtres sur la réalité.

          Respecter les croyants, tout en laissant parler les chercheurs.

          Pari forcément inconfortable, mais pari réussi : une très belle émission, qui a réuni, un soir de départ en vacances, 4,9 millions de téléspectateurs devant l’écran.

          Jésus l’a presque emporté sur Obélix (même heure sur TF1).

           Le fil conducteur est fourni par les images tirées du film, déjà ancien, de Franco Zeffirelli. Un Jésus White Anglo Saxon Protestant d’Hollywood, propre à rassurer nos vieux et enchanter nos enfants. Mais les images de Zeffirelli sont belles, et juste après on nous montre la reconstitution saisissante de ce à quoi pouvait ressembler réellement un Juif contemporain de Jésus.

          Sur ce canevas, R. Portiche a laissé s’exprimer une dizaine d’historiens et exégètes. Tous l’ont fait sans passion, avec rigueur et mesure.

          Tous, sauf un.

           J’ai publié dans ce blog deux articles sur le livre Jésus de l’inénarrable Jean-Christian Petitfils (cliquez et cliquez). Historien de talent (il l’a montré dans un excellent Louis XVI, (cliquez), il perd tout contrôle dès lors qu’il s’agit de Jésus. Oublie ce qu’est le rigoureux travail de l’historien, ignore la critique textuelle, mélange tout pour se faire le porte-parole des catholiques piétistes et fondamentalistes.

          En vrac, il justifie la réalité historique du massacre des Innocents, de l’étoile de Bethléem, fait sans hésiter du dernier repas de Jésus une eucharistie, de sa souffrance « un mystère qui sauve l’humanité », puis s’enflamme en vue du Suaire de Turin (cliquez)… Tout cela est affligeant, plus que les interventions du cardinal Vingt-trois qui est dans son rôle en répétant sa leçon.

           Fort heureusement les autres intervenants font vite oublier ce miel de sacristie. Avec compétence, ils contredisent et corrigent ces propos, dans une convergence de vues d’autant plus frappante qu’ils ne se sont aucunement concertés. Particulièrement appréciables les contributions de Raphaël Draï, professeur à Science-Po qui parle du Juif Jésus en Juif laïc, averti et apaisé (« pour tout Juif, la mort n’est pas une fin »). De Michel Quesnel, prêtre et doyen de faculté théologique, qui n’hésite pas à faire part de ses doutes sur la version ‘’politiquement correcte’’. De Daniel Marguerat, fin connaisseur du Jésus historique, qui n’a qu’un moment d’hésitation au moment où il parle de la ‘’résurrection’’ (cliquez). Du rabbin Marc-Alain Ouakim, pour qui la guérison miraculeuse est d’abord la redécouverte de « la foi en soi-même », de « la force d’exister ».

           Particulièrement intéressantes les vues des fouilles récentes sur les sites de Nazareth, Sepphoris, Capharnaüm (on voit la synagogue où Jésus enseigna !), Magdala, les deux piscines de Bethesda et Siloé, la barque si semblable à celle des apôtres pêcheurs du lac de Galilée. L’escalier du Temple, aux marches inégales pour canaliser la cohue…

           En préambule du film, Stéphane Bern dit qu’il en ressort l’image « d’un Jésus bien différent du catéchisme traditionnel ». Et en conclusion : « Entre la mort de Jésus et le début du christianisme, il s’est passé quelque chose de décisif. Oui, mais quoi ? Sans doute ne le saura-t-on jamais, car tout ne s’explique pas ».

          Certes, le besoin viscéral de mythes est inscrit dans nos gènes, comme en témoignent les peintures préhistoriques, et il ne s’explique pas. Mais on sait très bien aujourd’hui comment Jésus a été transformé en Dieu, son message de prophète juif en idéologie mondiale et conquérante.

          Seulement, ceci est une autre histoire…

           Après la diffusion, Roland Portiche m’a envoyé ce message :

          « Vous êtes sans doute frustré du peu que j’ai retenu de notre longue interview. Il fallait gérer des heures et des heures d’entretiens (une trentaine) très riches et un minutage qui, sans être négligeable (1h43), était tout de même limité. Le résultat est quand même là : cinq millions de français ont découvert hier soir une approche de Jésus un peu différente de celle à laquelle ils étaient habitués. Le but de l’émission n’était pas de TOUT dire en une seule soirée, mais de donner envie au public d’en savoir plus ».

           Frustré ? Sûrement pas. Vous avez ouvert des portes. Vous avez posé des questions : ceux qu’elles intéressent iront lire nos livres, qui sont indiqués sur votre site. Ils verront une fois de plus que tout, dans ce qui est enseigné officiellement, n’est pas toujours vrai.

          Et s’ils découvrent derrière l’icône de la tradition un homme exceptionnel, qui a beaucoup à nous apporter en ces temps de désespérance, vous aurez gagné votre pari.

           Enfin, vous aurez montré ce qu’est la vraie laïcité, puisque vous laissez parler de leurs convictions intimes et irrationnelles un cardinal, un J.C. Petitfils, à côté de chercheurs attachés à la vérité des faits, insatisfaits par nature et par profession.

           Votre émission fait honneur au Service Public.

                                        M.B., 8 mai 2013

 On peut la revoir, avec bibliographies, en cliquant sur

http://www.france2.fr/emissions/secrets-d-histoire/diffusions/07-05-2013_53553

2 réflexions au sujet de « APRÉS L’ÉMISSION « UN HOMME APPELÉ JÉSUS » sur France 2 »

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