LE TOMBEAU DE JÉSUS, RÉALITÉ OU SUPERCHERIE ? (I) : S. Jocobovici

          Le 29 mai 2007 sur TF1, vous avez pu voir un film de James Cameron qui a connu un succès mondial : Le tombeau perdu de Jésus. Je vous propose ici une analyse du livre de Simcha Jacobovici et Charles Pellegrino, Le tombeau de Jésus, préface de James Cameron (Michel Lafon 2007) qui fournit les détails de l’enquête dont a été tiré le film.

I. La première réaction : pourquoi pas ?

     En 1980 on a découvert à Talpiot (banlieue de Jérusalem) une tombe contenant 10 ossuaires, dont 7 avec des inscriptions avec des noms gravés : « Jésus fils de Joseph », « Joseph », « Marie », « Judas fils de Jésus », « Mariamne », « Matthieu ». Peu après, l’un des 10 ossuaires (également gravé) disparaissait mystérieusement. Ces noms-là, à Jérusalem, sur des ossuaires datant du 1° siècle et donc contemporains de Jésus… Serait-ce la tombe de Jésus et de sa famille?
     En soi, ce n’est pas impossible. On sait qu’au 1° siècle, une coutume funéraire s’était introduite en Palestine : après décomposition des cadavres, on replaçait leurs ossements dans un coffret en pierre (on en a retrouvé des centaines), et cette coutume a disparu en l’an 70 (1). La datation de ces ossuaires est ainsi très précise. Il ne serait donc pas impossible que le corps de Jésus, déplacé de la tombe de Joseph d’Arimathie par les « hommes en blanc », ait été enterré quelque part dans le désert. Puis déterré par des chrétiens, et les ossements replacés dans un ossuaire familial. Tout cela avant l’an 70.

II. La thèse de Simcha Jacobovici

          Archéologiquement, il a procédé avec sérieux, employant les techniques les plus modernes et respectant les protocoles de fouilles habituels.

1) Les ossuaires
      Chaque ossuaire a été minutieusement étudié, patine, décoration, traces d’ADN. Ils ont bien tous reposé ensemble dans la même tombe. L’ossuaire « Jésus » contient un ADN différent de celui de « Mariamne », ils ne sont donc pas de la même famille. Quant à l’ADN de l’ossuaire « Judas fils de Jésus », il n’est pas exploitable : on ne peut pas savoir s’il est identique à celui de « Jésus » et « Mariamne » – c’est-à-dire si ce « Judas » était bien leur fils.
     Jacobovici compare ensuite les patines des 9 ossuaires disponibles à celle de l’ossuaire de « Jacques, frère de Jésus », qui a refait surface en 2003 : les patines seraient identiques, cet ossuaire serait donc le dixième manquant, mystérieusement disparu après la découverte de la tombe.

2) Les inscriptions

      Premier argument-clé : « Mariamne » aurait été le véritable nom de Marie-Madeleine. Donc, la tombe de « Mariamne » serait celle de Marie-Madeleine. Donc, comme elle est enterrée à côté de « Jésus fils de Joseph », elle serait son épouse. Donc, « Judas fils de Jésus » serait son fils, celui qu’elle aurait eu avec Jésus.
     Cela fait beaucoup de « donc ». Tous prennent leur source dans les travaux d’un exégète suisse réputé, François Bovon, éditeur des apocryphes Actes de Philippe où Marie-Madeleine s’appelle en effet « Mariamne ». Un rapprochement avec l’évangile selon Thomas, l’évangile de Marie-Madeleine et l’évangile de Philippe découverts à Nag Hamadi, et la conclusion de Jacobovici tombe : ces textes confirment bien qu’elle était la femme de Jésus.
     Dans une mise au point récente (2), François Bovon proteste : le couple Jésus-Marie Madeleine, et l’enfant né de cette union, « relèvent pour lui de la science fiction ». Il fait remarquer que « Mariamne » est un équivalent grec courant de Myriam, ce qui ne suffit pas pour identifier la « Mariamne » de l’ossuaire avec la Marie Madeleine des Évangiles. Enfin, il souligne que le portrait de la « Mariamne » des Actes de Philippe correspond à celui de Marie Madeleine dans la littérature gnostique du II° siècle : c’est un personnage littéraire, et non pas historique.
     Protestations embarrassées : on en retiendra que François Bovon ne cautionne pas la thèse de Jacobovici (ce qui n’a rien d’étonnant étant donné sa situation académique).

     Deuxième argument-clé : statistiquement, la probabilité de trouver tous ces noms réunis dans le même tombeau, surtout si on y ajoute l’ossuaire de « Jacques, frère de Jésus », et de une sur 2 millions. Mais quand un élément  (l’ossuaire « Matthieu »)  ne correspond pas à la famille de Jésus, Jacobovici décide… de ne pas en tenir compte. Ainsi biaisé, l’argument statistique (qui ne porte que sur une centaine d’ossuaires) perd sa valeur.
     On sent donc de bout en bout le désir de faire passer en force une conclusion fixée d’avance : le tombeau de Talpiot doit absolument être celui de la famille de Jésus, sa femme, son fils.

III. Les failles de la démonstration

     1) La première me semble être de taille : Jacobovici est peut-être un archéologue, mais il semble ignorer superbement les travaux de l’exégèse moderne, sa lecture de la Bible est fondamentaliste :
     – Il prend les Évangiles de l’Enfance de Matthieu et Luc à la lettre, et en rajoute : « Marie, par sa parenté avec Elisabeth, mère de Jean-Baptiste, était liée à un milieu sacerdotal… son grand-père s’appelait Matthieu – un nom sacerdotal » (p. 115). Pour lui, Jésus est bien né à Bethléem, etc… Tout ceci est insoutenable.
     – Il bâtit tout un roman sur Mt 27, 61-66, qui est un récit midrashique et non pas historique.
     – Il fait de Jude « le frère bien-aimé de Jésus » (p. 113), alors que tous les textes attestent que les relations de Jésus avec ses frères étaient très tendues.
     – Il suggère que le « disciple bien-aimé » ait pu être le fils de Jésus, ce qui explique… qu’il se penchait contre sa poitrine lors du dernier repas : « Qui d’autre qu’un enfant pourrait s’installer ainsi pour se faire câliner ? » (p. 276).
     – Il donne à l’annonce de la destruction du Temple par Jésus une valeur historique (p. 55), alors qu’on sait qu’elle a été ajoutée après 70 par les derniers rédacteurs des Évangiles.
     – Il explique que le mot mara qui figure sur l’ossuaire de « Mariamne » signifie « Maître », comme dans 1Co 16,22 où il désigne Jésus : mais le texte grec de 1Co 16,22 est marana et non mara !

     Bref, un ensemble d’inepties indignes d’un scientifique. Dans une enquête de ce type, les résultats de l’archéologie doivent s’harmoniser avec ceux de l’exégèse (3): ils ne peuvent pas les contredire, et l’on ne peut faire mentir l’un pour valider l’autre. Pour moi, cette lacune anéantit à elle seule tout le travail de Jacobovici : je ne puis lui accorder ma confiance.

     2) On l’a vu, le nom de « Mariamne » pour désigner Marie Madeleine apparaît dans des textes apocryphes du II° siècle – alors que les ossuaires ne peuvent être postérieurs à l’an 70. En tirer argument pour attribuer l’ossuaire « Mariamne » à la Marie Madeleine des Évangiles, et en conclure qu’elle « ne peut être que la femme de Jésus » (p. 275), cela ne tient pas debout (4) .

     3) L’identification de « Judas fils de Jésus » au disciple bien-aimé (ce serait le fils de Jésus, soigneusement caché par son père) n’a pas de sens. On sait qu’après la mort du Maître, c’est son frère Jacques qui a pris la tête de la communauté de Jérusalem, où une dynastie de la famille de Jésus règnera jusqu’en 130. Si le propre fils de Jésus avait existé, le réflexe dynastique attesté par l’histoire l’aurait mis à la tête de cette communauté.

     4) Les judéo-chrétiens de Jérusalem ont toujours refusé de diviniser Jésus, mais l’ont rapidement considéré comme leur Messie. Si son tombeau avait été placé à Jérusalem avant l’an 70, il est évident qu’il aurait été somptueux, et objet de vénération : comme le fait remarquer François Bovon, seul le tombeau vide du Golgotha a été vénéré des judéo-chrétiens. Celui de Talpiot, très modeste, est resté inconnu jusqu’en 1980.

IV. Conclusion

     On comprend l’intérêt suscité par la découverte du tombeau de Talpiot. Comme je l’ai démontré dans Dieu malgré lui, la résurrection a été inventée par les disciples de Jésus, pour résoudre le problème posé par le tombeau trouvé vide le 9 avril 30. Son cadavre a-t-il été réinhumé par la suite ? C’est vraisemblable, je proposais moi-même cette possibilité qui correspond à la fois aux coutumes funéraires juives de l’époque, et à l’étude des textes que nous possédons.
     Mais que Jésus ait été réinhumé avec sa femme et son fils à Talpiot, je suis d’accord avec François Bovon : dans l’état actuel du dossier présenté par Simcha Jacobovici, c’est de la science fiction.

          Une science fiction à l’américaine, c’est-à-dire financièrement très rentable.

                              M.B., juin 2007

 (1) Dans Dieu malgré lui, j’ai moi-même utilisé ces découvertes de l’archéologie (dans l’état où elles étaient en 1998).

(2) En anglais, sur le dite www.sbl-site.org.

(3) Le lecteur de Dieu malgré lui a remarqué que mon utilisation de l’archéologie respecte ce critère méthodologique.

(4) Vous trouverez dans ce blog un article Jésus a-t-il été l’amant de Marie-Madeleine ?

2 réflexions au sujet de « LE TOMBEAU DE JÉSUS, RÉALITÉ OU SUPERCHERIE ? (I) : S. Jocobovici »

  1. Josse

    Pour ce qui est du symbole sur l’entrée de la tombe de Talpiot. C’est une « Alliance » surmonté d’une « arche » C’est la représentation de la tente de David contenant l’arche d’alliance ( voir sur ma page facebook)

    Pour moi; mais surtout pour un être qui mes proches  » c’est une tombe royale de la maison de David « .

    Cordialement
    Dominique

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