Travaillant sur l’ouvrage de J.P. Meier (cliquez), j’aborde la question principale : comment distinguer ce que Jésus a dit, de ce qu’on lui a fait dire ?
Meier tente de dégager ce que Jeremias appelait les ipsissima verba : les paroles mêmes prononcées par Jésus, en allant au plus près possible de leur formulation originale.
Tentative dont on a longtemps professé qu’elle était illusoire, que seul un écho plus ou moins éloigné de l’enseignement du Galiléen avait pu nous parvenir (l’ipsissima vox).
I. A la recherche de la parole elle-même
Ce qui différencie peut-être Meier de ses confrères, c’est son emploi rigoureux, presque obsessionnel, des critères exégétiques admis par tous : code de la route qu’il respecte, sans jamais griller un feu rouge.
On connaît les principaux de ces critères :
1- Le critère d’embarras met en évidence des matériaux évangéliques, qui n’auraient jamais pu être inventés par l’Église primitive, parce qu’ils contredisent la théologie de cette Église.
2- Le critère de discontinuité repère des paroles de Jésus, qui ne pouvaient en aucun cas provenir des judaïsmes de son temps, ni de l’Église primitive. Il est complété par
3- Le critère de cohérence : Jésus ne peut pas avoir enseigné une chose, et son contraire.
4- Le critère d’attestation multiple met en évidence les traditions (orales ou écrites) les plus anciennes, et la façon dont les rédacteurs les ont modifiées pour composer leurs Évangiles.
Meier se montre impitoyable dans l’application croisée de ces critères. Le résultat, c’est un sérieux dégraissage des Évangiles, dont j’ai donné un exemple à propos du divorce (cliquez) : de toute l’argumentation attribuée à Jésus par les Évangiles sur cette question délicate, après dégraissage il ne reste plus qu’une seule phrase, dont on puisse conclure que Jésus l’a sans doute prononcée telle quelle.
Ou bien encore, la fameuse déclaration : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). La grande majorité des exégètes voit dans cette phrase une clé, qui permet de comprendre la position d’ensemble de Jésus sur la Loi juive et son dépassement : « Le mantra magique, qui résout l’énigme de « Jésus et la Loi » : ce n’est pas le cas » (1) .
En effet, une application stricte des critères, conjuguée à l’analyse linguistique, permet à Meier de conclure que « Hélas ! Cette déclaration de principe [de Jésus], apparemment claire, est probablement, au moins sous sa forme actuelle, une création de Matthieu ou de son Église » (2).
Ainsi se dissout, comme sucre dans le thé, l’un des points habituellement considéré comme le plus assuré de l’enseignement de Jésus.
II. La parole, et son écho
On est infiniment redevable à Meier de la rigueur de son travail. Mais pour l’écrivain, qui s’est fixé la tâche d’exposer (pour le public) l’enseignement de Jésus, à la lumière de la recherche la plus exigeante, la façon dont Meier tond à ras le lainage des Évangiles le prive singulièrement de munitions.
Il doit donc écarter de sa gorge le couperet des critères, sans jamais les oublier.
1) Toute parole prononcée devant un auditoire résonne en lui. Si elle est mise par écrit, bien plus tard, par quelqu’un qui a par ailleurs des visées ou des intentions politiques, morales, théologiques, cela veut-il dire que ce qu’il en a transmis n’a rien à voir avec la parole jaillie des lèvres de son auteur, le jour J à l’heure H ?
Si l’analyse montre que Jésus n’a pas pu dire, dans ces termes exacts, « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi, mais l’accomplir », cela signifie-t-il qu’on ne saura jamais quelle était sa position de principe concernant la Loi juive ? Et donc, qu’on ne peut savoir en quoi consistait, à ses propres yeux, l’originalité de son apport de juif au judaïsme de ses pères ?
2) Le critère de cohérence vient alors à l’aide de ce malheureux écrivain, à la recherche de ce que Jésus pensait. D’autres paroles, prononcées dans un contexte différent, viennent-elles confirmer celle-là ? Ou au moins, vont-elles dans le même sens ?
3) Dans le cas précis de cette parole-là, le critère de scandale (que Meier place en 5° position) fournit un appui précieux.
Si Jésus a été arrêté, puis condamné, c’est parce qu’il provoquait des scandales à répétition. Pourquoi ? À cause, précisément, de son enseignement sur la Loi. Cette fois, ce ne sont plus d’autres paroles qui authentifient cette parole, mais des actes, attestés par l’Histoire (Jésus a bien été crucifié).
Autrement je dois avoir les deux yeux fixés sur les 4000 pages de Meier, mais l’oreille attentive à l’écho des paroles, que son prodigieux travail retire pourtant de la bouche même de Jésus.
Ce sera forcément une cote mal taillée. On me reprochera de faire jouer ma subjectivité, comme si un biologiste faisait un peu confiance à son intuition, au détriment de son microscope.
Car finalement, il n’y a qu’un seul jugement qui m’importe : celui de Jésus, dont je ne voudrais pas qu’il me dise (à ma mort) : « Tu m’as fait dire ce que je n’ai jamais dit ».
Ce scrupule, depuis 20 siècles il semble n’avoir guère tourmenté les gens d’Église. S’il devait m’empêcher de dormir, bienvenues seraient ces insomnies-là.
M.B., 10 août 2009
(1) Meier IV, p. 50.
(2) -id-, p. 49.
Merci pour votre point de vue d’expert mais …
Le signe de + ou le signe de T, ça n’est pas pareil
Et en sus des million de représentations picturales ou autres du Golgotha, les centaines de milliers de chemin de croix des églises défigurent la réalité
Combien d’autres « vérités d’Evangile » le sont aussi.
Isho ne devait pas mourir sur la croix ou le T pour racheter un pseudo-péché originel
Un adulte qui s’offusquerait qu’un enfant de 2 ou 3 ans se comporte mal à son égard serait ridicule. On ne peut pas offenser ou même » seulement peiner notre Inefable Bienveillante Source et Finalité. On peut peut pas pécher.
Quant à la mort de l’âme immortelle, surtout vu sous un angle réaliste réincarnationiste
Un « détail » mais ..
Est-il pertinent et rigoureux d’écrire que Isho bar Yawsep a été crucifié après avoir porté sa « croix », alors qu’il n’a porté que le patibulum (comme, entre autres le souligne Jacques Duquesne) et qu’il est mort sur un T comme celui sur lequel sont les deux larrons du Calvaire de l’église d’en haut de Bar-le-Duc ?
Comment était fixé le patibulum au poteau vertical ? Comment et quand y était fixé le condamné ?
A-t-on des preuves incontestables que les Romains clouaient ou ficelaient sur des croix « classiques »F ?
Vu l’importance de la croix dans les religions chrétiennes, est-ce un détail ?
Cloué ? Oui, on a retrouvé en 1971 un squelette de crucifié, cloué.
La disposition de la croix ? Un détail, oui. Qui ne change rien au formidable symbole de la crucifixion, dont la force a traversé les siècles.
M.B.