MONTRER LE VISAGE DU PROPHÉTE : un tabou musulman ?

            Le Coran affirme que le Prophète n’est qu’un homme : « je suis un homme comme vous, à qui il a été révélé que votre Dieu est le Dieu unique » (1). Mais la tradition musulmane affirme n’avoir « jamais vu, ni avant ni après lui, quelqu’un comme lui. » Elle le décrit complaisamment comme un esprit supérieur, un mystique précoce, une âme juste, infaillible. Il est donc pour les croyants l’exemple par excellence, un idéal dont on doit tenter de s’approcher sans jamais pouvoir l’atteindre. Le Prophète est aux croyants ce que la langue du Coran est à l’arabe profane : inimitable.

            Telle est la légende. La réalité historique, patiemment dévoilée depuis un siècle par quelques chercheurs indépendants (2), est tout autre. Elle montre qu’un guerrier arabe avait pris la tête d’une coalition arabo-nazôréenne en 614 après J.C., pour la conduire finalement à Médine où il est mort en 632 sans avoir conquis Jérusalem, son but ultime. Ce guerrier Arabe, c’est lui que les historiens officiels de l’islam au service des califes ont appelé ‘’le Prophète’’.

            En fait, on ne sait presque rien de lui. Dans Naissance du Coran (3), j’ai donné les rares témoignages existant sur cet homme avant que l’Histoire officielle de l’islam ne s’en empare pour en faire un fondateur de religion inspiré par Allah.

            Le Coran n’interdit pas la représentation de ce guerrier Arabe devenu Prophète. On n’y trouve pas de « théorie de l’image », et le mot sûra (image) n’y apparaît qu’une fois, à propos de la création de l’homme par Dieu. Le verbe sawwara qui en dérive (former, façonner, modeler) désigne uniquement l’acte créateur de Dieu. Car pour le Coran comme pour le judéo-christianisme dont il est issu, Dieu seul peut donner vie aux créatures humaines et animales : les représenter visuellement, c’est en quelque sorte rivaliser avec Dieu, prendre sa place. D’où sa condamnation des statues d’idoles : « Le vin, les jeux de hasard, les idoles sont des abominations inventées par Satan. Abstenez-vous en. » (4) ‘’Idoles’’, littéralement ‘’pierres dressées’’, désigne ici les statues des divinités païennes : comme la Bible juive, le Coran interdit la représentation de ces idoles. Leur Dieu unique commun est inimaginable, rien ne peut le représenter, toute image de Lui serait une concession faite à l’idolâtrie païenne.

            Le Coran ne dit rien d’autre, et rien sur la représentation de l’image humaine.

                Mise par écrit entre le 7e et le 9e siècle, la tradition musulmane rassemblée dans la Sunna n’interdit pas non plus les représentations du Prophète, elle s’en méfie seulement – toujours par crainte de l’idolâtrie. Al-Bukhari († 870) les tolère avec réticence. Cette tradition se base sur des hadîths (5) qui reprochent aux faiseurs d’images d’imiter Dieu en donnant une âme à la matière – bref, d’imiter l’action créatrice de Dieu, de se faire les égaux de Dieu. C’est pourquoi les théologiens musulmans les plus tolérants acceptent la photographie et le cinéma, qui ne font que reproduire ce que Dieu a déjà créé.

            La tradition musulmane va finir par exclure les images humaines et animales des mosquées. Mais elle les tolèrera chez soi, dans les palais et les bains de l’époque omeyyade, dans l’Inde moghole, la Perse et l’empire Ottoman jusqu’au 17e siècle, dans les miniatures, les chroniques, les ouvrages littéraires, poétiques, mystiques.

            Parmi ces images, on voit de nombreuses représentations du Prophète visage découvert. Assis sur un trône surmonté par les anges et entouré de ses compagnons (Chiraz, 14e siècle), ou encore chevauchant aux côtés de Jésus – un prophète pour l’islam (Perse, 14e siècle).

            Plus surprenant, on voit dans une mosaïque du Dôme du Rocher, construit par le calife Abd al-Malik sur l’esplanade du Temple de Jérusalem en 691 et troisième lieu saint de l’islam, une représentation de Muhammad assis au milieu des prophètes.

               Pendant cette longue période, aucun musulman n’a jamais vu dans ces représentations du visage du Prophète une insulte à sa personne ou un blasphème contre la religion.

            Ce n’est qu’à la fin du 16e siècle qu’on commencera à le représenter avec un blanc à la place du visage, ou le visage voilé, souvent entouré d’un pan de flammes qui souligne le caractère sacré de sa figure. Plus qu’un interdit théologique, c’était le reflet d’une tendance mystique qui parcourait alors l’islam, associant Muhammad à la ‘’lumière prophétique’’.  Aujourd’hui c’est ainsi qu’il est représenté dans le monde musulman, visage blanc ou voilé, par exemple dans les livres scolaires en Iran.

            Curieusement, au moment où l’islam prenait naissance, entre 723 et 843, l’empire chrétien d’Orient a connu une Querelle des Images. Pendant cette centaine d’années, les empereurs byzantins ont interdit le culte des icônes et fait détruire les images représentant le Christ ou les saints dans les mosaïques des églises et les enluminures des livres. Bien que ce soit une période d’invasions arabes, cette Querelle n’avait rien à voir avec l’islam, c’était le contrecoup des hérésies concernant la nature du Christ qui déchiraient la chrétienté depuis 5 siècles.

            Conclusion : l’interdiction de représenter le visage du Prophète est récente dans la tradition musulmane, elle n’a jamais rien eu à voir avec la notion de blasphème.

            Revenons à la couverture du dernier numéro de Charlie Hebdo, le ‘’numéro des survivants’’, qui représente un homme enturbanné, la larme à l’œil, tenant une pancarte « Je suis Charlie ». Rien n’indique formellement que cette image représente le Prophète lui-même. Ce n’est pas une caricature, elle ne se moque pas, ne fait pas rire, n’a rien d’outrageant. Elle est surmontée de l’inscription « Tout est pardonné », allusion discrète au message de Jésus sur le pardon des offenses.

            Les foules musulmanes descendues dans la rue pour protester contre cette image ont-elles été offensées par ce pardon des offenses, revendiqué par un enturbanné qui les représente plus qu’il ne représente leur Prophète ? Le pardon des offenses est-il incompatible avec leur islam ?

            Mais que peut-il y avoir de raisonnable dans une foule fanatisée par une lecture non-critique d’un texte, le Coran, qui appelle explicitement à la haine de tout ce qui n’est pas elle ?

                                                                       M.B., 26 janvier 2015
Pour cet article, je me suis inspiré de Ruth Grosrichard (professeur agrégée de langue arabe et de civilisation arabo-islamique à Sciences Po Paris), de Louis Imbert dans Le Monde.fr du 15.01.2015, http://www.lemonde.fr/les-decodeurs:lma/article/2015/01/15/dans-quelles-conditions-l-islam-autorise-t-il-la-representation-du-prophete_4557365_4355770.html#LgoXLOVpYHjmvMcw.99, et de
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/20/ceci-n-est-pas-le-prophete-mahomet_4559821_3212.html#UomWU4WQFupsGPYx.99
 (1) Coran, Sourate 41.
(2) Mon petit livre Naissance du Coran propose une synthèse de ces recherches.
(3) Chapitre 14, On recherche un Prophète.
(4) Coran V, 90.
(5) Collection de ‘’paroles’’ du Prophètes, rapportées par ses compagnons et non consignées dans le Coran. Il en existe plus d’un million, à son arrivée au pouvoir Khomeyni a publié des hadîts condamnant l’État d’Israël.

NAISSANCE CORAN 1COUV

10 réflexions au sujet de « MONTRER LE VISAGE DU PROPHÉTE : un tabou musulman ? »

  1. katib

    M. BENOIT, j’ai regardé avec une grande attention l’émission:   Secrets d’histoire- Un Homme nommé Jésus. C’était pour moi l’occasion de vous découvrir, et j’ai apprécié ce que vous avez dit à propos de Jésus l’homme.
    A vris dire M. BENOIT, votre conception sur l’Islam, quoique documentée, reste incomplète: il lui manque le coté sacré des chose.
    En occident, on a tendance à effacer le sacré. le résultat c’est quoi?????
    des films pornographiques qui sont tournés sur des autels des 2glises, des prophètes banalisés dont l’image est ridiculisée jour après jour!!!!!

    pour revenir à cette émission, je trouve inacceptable qu’un reportage aussi détaillé sur la vie de Jésus saute volontairement sur la scène où ponce Pilate se lave les mains comme signe à l;a fois de son disculpation et de l’inculpation des Juifs; ni de la proposition de Pilate de relâcher Jesus. Pilate qui, je cite

    « sortit de nouveau vers  les Juifs et leur dit : “Pour ma  par, je ne trouve 
    contre lui aucun chef d’accusation. Mais  comme il est d’usage chez vous que je vous relâche
    quelqu’un au moment de la Pâque, voulez vous donc que je vous le relâche ? ” Alors ils se mirent à crier : “Pas  celui-là, mais Barabbas !” Or ce Barabbas était  un brigand. »

    en faisant ces deux actes a inculper pour toujours les juifs du meurtre de Jéus… Or, l’émission a ignoré volontairement, et je sais ce que je dis,ces scènes pour des finalités qui sautent aux yeux…
    voilà ce que j’appelle la connivence Judéo-chrétienne dans laquelle vous avez malheureusement participé

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      1- L’islam est une immense civilisation. Je ne travaille pas sur cette civilisation, mais uniquement sur LE CORAN, un texte, des mots et des phrases qui ne sont pas sacrés pour l’historien et l’exégète que je suis.
      2- Le réalisateur de l’émission « Secrets d’histoire » sur Jésus m’a enregistré pendant 3 heures, et nous étions 10 participants. Je ne suis pas responsable du montage qu’il a fait. Si « connivence judéo-chrétienne » il y a, ce n’est pas de mon fait.
      Amicalement, M.B.

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      1. Debanne

        Bonjour,

        Je ne veux surtout pas m’interposer entre Monsieur Katib et Michel Benoit. Néanmoins, je conseille chaleureusement au premier de jeter un coup d’oeil au texte dont je donne le lien :
        http://chrhc.revues.org/702

        L’idée du « sacré » est très personnelle et relève de la sphère privée, et la liberté d’expression est pleine et entière dans la sphère publique comme l’indique la loi de 1905. Rien de plus, mais rien de moins pour notre Laïcité, ciment de la République.
        Ce qui est sacré pour moi : la Connaissance, ne l’est pas du tout pour d’autres ! Et alors ?
        Et ne vous en déplaise, les « prophètes » sont des hommes comme les autres. Ils ont marqué leur temps pour des raisons socio-historiques que nous connaissons encore très mal, même si la démarche intellectuelle des chercheurs nous éclaire objectivement jour après jour. A ce titre, ces « personnages bien humains de l’Histoire » sont pleinement justiciables d’analyses socio-historiques critiques !
        Si je peux me permettre (publicité gratuite), lisez les ouvrages de M. Benoit sur la question, c’est le début de la…Sagesse !

        Chaleureusement,

        H de D.

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Si j’ai bien compris, notre ami Katib semble considérer, comme tout musulman, que le texte du Coran est sacré en lui-même.
          Pour un exégète, un texte est un texte. L’annuaire téléphonique de 1920 ou le Coran sont deux textes. En tant qu’exégète, je les étudierai tous deux de la même façon.
          La notion de « sacré » a fait couler une quantité d’encre telle, que vous et moi risquons de nous y noyer !
          M.B.

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  2. (Mr) Claude Marec

    Cher monsieur, merci de nouveau pour ces informations extrêmement intéressantes que je vais m’efforcer de faire connaître autour de moi et si possible un peu plus loin !

    Répondre
  3. Jean Roche

    A propos de l’aspect physique du Prophète, des gens (Ali Sina par exemple) ont recherché tout ce que les hadiths pouvaient en dire quand ils ne l’embellissaient pas par principe. Ils ont conclu qu’il souffrait et qu’il est mort d’acromégalie.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Il avait aussi un grain de beauté sur la narine gauche, une jambe plus courte que l’autre, des brûlures d’estomac… arrêtez-moi, je suis en train de faire des hadîths !
      M.B.

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      1. Jean Roche

        Je sens comme de l’ironie. Il n’empêche que cet ensemble, très cohérent, est difficile à concilier avec les théories de l’invention du Prophète. Un aperçu du tableau (tiré de hadiths disparates, d’origines variées, on ne trouve jamais tout ça réuni) :
        • Mains et pieds lourds, épais et charnus
        • Paumes larges et molles
        • Grosse tête
        • Gros os et grosses articulations
        • Poitrine large, haut du dos large, grosses articulations des épaules
        • Longs avant-bras
        • Doigts et orteils longs et épais
        • Grands yeux
        • Dents espacées
        • Long nez brillant
        • Peau brillante (paraissant huilée)
        • Barbe et chevelure épaisses, sourcils denses et longs
        • Marchait comme en montant une pente (raideur)
        • Marchait vite (sans se reposer)
        • Difficulté à tourner le cou, tournait l’ensemble du torse (comportement catatonique)
        • Peau blanche avec un teint rose
        • Transpirait facilement
        • Odeur particulière qu’il masquait avec beaucoup de parfum
        • Reniflait comme un chameau
        • Souffrait de maux de tête (a tenté de les traiter avec des ventouses)

        Tout ça n’étant pas esthétique, ça a pu jouer sur le refus de le représenter.

        Répondre
        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Ironie, bien sûr. Pour un personnage dont on ne sait presque rien historiquement, c’est fou ce qu’on trouve dans sa fiche signalétisue !
          M.B.

          Répondre
          1. Jacqueline

            Étymologiquement le terme blasphème, vient du latin blasphemia,
            la signification littérale de blasphemia était « faire injure à la réputation », soit : diffamer. Le blasphème est enfin défini par le Larousse comme étant « une parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré. Il y de quoi blesser un vrai croyant.
            Et que je sache, la diffamation est sanctionnée par la loi.
            Evidement cela ne justifie pas le meurtre.Mais comme on a en face des militants à l’intelligence restreinte et au comportement plutôt nerveux, le resultat n’est pas très surprenant et je le déplore.
            Alors remettons l’intelligence à la bonne place pour une fois !

            Répondre

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