UN CORAN DATANT DU PROPHÈTE MUHAMMAD ?

Deux feuillets de parchemin ont été découverts le 22 juillet dernier à l’université de Birmingham (1), glissés dans un des ouvrages datant du IX° siècle confiés récemment à cette université par Alphonse Mingana (2). Le parchemin a pu être daté au carbone 14 avec assez de précision, entre 568 et 645 de notre ère : il serait donc possible que ce texte ait été écrit du vivant du Prophète de l’islam, voire même dicté par lui.

Mais l’enthousiasme doit être tempéré. L’encre est étonnamment lisible et inaltérée pour un document vieux de1.370 ans. Le texte est écrit en hidjazi, écriture qui n’existait pas à l’époque du Prophète. Il comporte des points et des séparations entre certaines de ses portions, éléments de calligraphie qui apparaissent bien après le milieu du VII° siècle. Enfin, il était fréquent au Moyen âge qu’on lave ou qu’on gratte un parchemin déjà utilisé : ce sont les palimpsestes, manuscrits écrits sur un parchemin préalablement utilisé, et dont on a fait disparaître les inscriptions pour y écrire de nouveau.

Le manuscrit de Birmingham n’est peut-être qu’un palimpseste : l’examen au carbone 14 du support ne suffit pas à dater le texte. Il faudra le passer aux rayons X et U.V. pour voir s’il comporte des traces d’un texte plus ancien, analyser l’encre, la technique de calligraphie, la nature de la plume… il est trop tôt pour affirmer que ces versets du Coran ont été mis par écrit du vivant du Prophète.

Le Coran et « Muhammad »

Dans Naissance du Coran j’ai montré qu’on ne sait presque rien d’historiquement fiable sur sa vie, sauf la date de sa mort, 632. Qu’à l’origine du Coran il y a eu la prédication d’une secte judéo-chrétienne – les nazôréens – à des Arabes sédentarisés en Syrie. Que cette prédication a été mise par écrit sur des feuillets volants, rassemblés (« collectés ») ensuite par les califes qui les ont mélangés, amplifiés, peut-être corrigés, sur une période longue de plus d’un siècle.

Le Coran actuel est un fourre-tout, un puzzle dont on aurait lancé les pièces au hasard sur une table.

Admettons que l’analyse épigraphique et paléographique des parchemins de Birmingham confirme qu’ils sont très anciens, il faudrait alors les confronter avec ceux de Sanaa, étudiés par Luxenberg qui a montré qu’il s’agissait d’extraits d’un lectionnaire liturgique judéo-chrétien (3). Le bref article paru dans The Guardian après la découverte de Birmingham dit que le parchemin « contient des versets des sourates 18 à 20 du Coran, dans une version étonnamment proche de celle que nous connaissons. » Cette similitude pourrait confirmer que la mise par écrit du texte est plus récente que son support. S’ouvrent alors deux pistes de recherche :

1) Y a-t-il un rapport entre l’hidjazi dans lequel il est écrit, et l’araméen syriaque qui fut celui des prédicateurs nazôréns ? Le Coran atteste lui-même que leur catéchèse a été traduite très tôt « en langue arabe claire » (4), une langue qui n’était pas celle de leurs auditeurs arabes de Syrie. On sait depuis les travaux de linguistes comme Bonnet-Eymard que la langue du Coran actuel vient en grande partie de l’araméen : de quel stade de l’arabisation de cet araméen l’hidjazi des parchemins de Birmingham témoigne-t-il ?

2) À elles trois, les sourates 18 à 20 du Coran comportent 343 versets, certains très longs. Quelques-uns – très peu – de ces versets ont été retenus dans le parchemin de Birmingham : lesquels, et pourquoi précisément ceux-là ? L’exégète devra déterminer leurs relations mutuelles : s’agissait-il d’un document unique formant dès son écriture une unité littéraire, ou bien de copier-collés ? Discerne-ton des sutures, des mots-accroche d’un verset à l’autre ?

S’ils semblent former une unité littéraire, y trouve-t-on des traces d’enseignement talmudique ou chrétien apocryphe ? Peut-on identifier ces sources, comme on l’a fait pour de nombreux passages du Coran ?

Bref : peut-on penser qu’on a sous les yeux quelques-uns des « feuillets vénérables » dont parle le Coran, et qui n’étaient rien d’autre que la transcription de la catéchèse des nazôréens à l’usage de leurs élèves Arabes ?

Voilà quelques-unes des questions auxquelles il faudrait répondre, avant d’attribuer ces manuscrits à Muhammad lui-même.

Mais les croyants d’une religion n’ont pas besoin de questions : ils ont besoin de réponses, devant lesquelles se prosterner.

                                                            M.B., 19 juillet 2015
 (1) Voir sur Internet des sites comme lefigaro.fr ou courrierinternational.com.
(2) Alphonse Minagana est l’un des chercheurs dont j’ai utilisé les travaux pour écrire Naissance du Coran.
(3) Voir Naissance du Coran p. 69 note**, chap. 11, 13 et Postface.
(4) Coran 26,195.

 

11 réflexions au sujet de « UN CORAN DATANT DU PROPHÈTE MUHAMMAD ? »

  1. olivier

    Bonjour,
    A la lecture de différents récits , de faits rapportés et de leurs interprétations il me semble que derrière , dans l’ombre ,caché ou pas dans l’intention , quelqu’un tire les ficelles si je puis dire !
    Une sorte de déçu du Judaïsme.
    Pour lui , Jésus a été une solution pour prendre le pouvoir ,pour éviter une certaine dérive de cette religion.
    Après la répression de Titus en 66 , cette secte de l’omble s’est tapie dans l’oubli ou elle a changé de non pour mieux revenir ( Elkasaîte?)…
    Mais a t’elle influencé la rédaction de l’Évangile de st JEAN en particulier L’ Apocalypse!!?
    Cette genèse de la radicalité, a été encensée les siècles durant pour reprendre Jérusalem .
    Ce mouvement a préparé son retour dans un creuset de revanche et de haine .
    En se nomment Nazôréen il est redevenu en cette période,prés Coran ,la référence direct de Jésus Messi et a vu une opportunité sérieuse de reprendre le pouvoir en convertissant le peuple Arabe .
    Bien sur les lectionnaires transmis étaient une perception directe des influences de l’époque de Jacques (Frère de Jésus ) voir même « Esséniennes ».
    Pouvons nous dire aujourd’hui que derrière le Coran se cache le livre de Guerre « revisité » des Esséniens?
    Et celui qui a écrit l’Apocalypse de Jean ,ne pensait’il pas à une terrible revanche?

    O.L

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Merci de cet article, en tout point conforme à celui que j’ai publié il y a 15 jours sur ce blog. Vous êtes + détaillé que moi, je recommande vivement la lecture de votre article à mes lecteurs intéressés par la question. Ils verront que je vais + loin que vous sur un seul point, en suggérant que ces folios seraient peut-être ceux du lectionnaire des judéochrétiens nazôréens souvent cités dans le Coran, dont ils sont une source principale (cf. mon essai « Naissance du Coran » présenté dans ce blog)
      Merci ! M.B.

      Répondre
  2. jeanpaul

    Il y a un article sorti hier sur le site de la croix qui rejoint sur ce que vous dites.
    http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Des-fragments-d-un-des-plus-anciens-Corans-decouverts-a-Birmingham-2015-07-26-1338398.

    Dans l’article un chercheur d’Arabie Saoudite est sceptique sur la datation des parchemins un petit extrait de l’article.
    <>

    Et François Deroche s’est aussi exprimé sur le sujet. Il y a certain manuscrit qui ont été daté d’avant la vie de Mahomet par la datation C14 et pour cité un autre extrait de l’article « Les feuillets de Birmingham proviennent d’un même manuscrit que certains détenus à la Bibliothèque nationale de France, explique-t-il. Or, d’après une analyse graphique, nous les avons datés du troisième quart du VIIe siècle. ».
    La piste du palimpseste n’est absolument pas a écarté y a même de fortes chances que se soit çà.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Ce qui est (à peine) surprenant, c’est la façon dont les croyants se jettent sur ce genre de « preuve ». Comme si la foi avait besoin de preuves ! Même chose pour le Suaire de Turin. Or « la foi est la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (Ép. aux Hébreux, 11,1)
      M.B.

      Répondre
      1. Jean-marie

        Vive la bonne foi des gens de foi :-)

        L’interrogation « Tu crois ou tu en es sûr ? » est révélatrice

        Ce qui peut amener à dire ou écrire « Je ne crois pas en l’existence de l’Ineffable Source/Finalité, je suis sûr qu’Elle/Il est »

        Mais sur quoi s’appuie la certitude ? La logique ?

        http://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/20150312.OBS4441/trinh-xuan-thuan-je-fais-le-pari-d-un-principe-createur.html

        http://www.dailymotion.com/video/x9aq6i_l-univers-une-creation-de-dieu_webcam

        Répondre
        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Fils (esclave ? ) de Descartes & des Lumières ! La connaissance, comme la certitude (qui en découle) ne s’appuient pas QUE sur la logique, la raison, la démonstration. Il y a une connaissance née de l’expérience et de l’intuition (qui en découle). Voyez les philosophes anglais.
          L’ennui, c’est que l’expérience n’est pas transmissible, sinon par la confiance (ou l’argument d’autorité, qui s’émousse vite). Si on pouvait transmettre l’expérience, les parents auraient – de pbs !
          M.B.

          Répondre
      2. combe

        je crois que la question n’est pas celle de « la preuve ».
        Il s’agit plutôt de considérer un document comme un document écrit par des hommes – ou des femmes, assez rarement d’ailleurs !- des êtres bien de chez nous, et non des extra terrestres, à un moment donné de notre histoire bien humaine, sur un support tout à fait matériel. Il s’agit de pouvoir analyser ces écrits comme des écrits, et non comme des hyperboles.
        Ayons le courage de rendre toutes choses d’abord bien humaines.
        Jésus est venu nous libérer du sacré. Les premiers amis de Jésus avaient bien compris cela en inventant le déchirement du rideau du temple lors de sa mort.

        Répondre
  3. combe

    Merci Michel.
    Je me posais une question : les chercheurs ou les commentateurs arabes d’aujourd’hui sont-ils intéressés par cette piste, je veux dire cette hypothèse d’une source qui serait « la transcription de la catéchèse des nazôréens à l’usage de leurs élèves Arabes ? « 

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Évidemment non, puisqu’elle remet en cause le dogme fondateur de l’islam, un Coran descendu du ciel.
      M.B.

      Répondre
  4. Jean-marie

    Je me demandais si nous aurions droit à votre docte réaction malgré cette période de vacances. Un plaisir de vous lire donc

    Vu ce que vous nous avez déjà appris et ce que nous ont appris les « confrères » sur les travaux desquels vous avez attiré notre attention on pouvait préjuger au moins d’une partie de vos propos.

    Mais personnellement je n’avais pas pensé au palimpseste et à la différence entre la datation du parchemin et celle de son contenu

    Merci. Bonne suite d’été

    Répondre

Répondre à Jean-marie Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>