JÉSUS ET L’ISLAM – Mordillat et Prieur sur ARTE (I)

En 1997, Mordillat & Prieur présentaient sur ARTE Corpus Christi, une série d’enquêtes sur la personne de Jésus et l’origine du christianisme. Ils remettent ça avec Jésus et l’islam, une enquête cette fois-ci sur le Coran et les origines de l’islam. La première séquence a été vue hier : je me propose de réagir à chacune, sans attendre les suivantes.

La méthode des réalisateurs est la même : laisser parler des spécialistes sur quelques versets du Coran, sans qu’ils dialoguent entre eux mais en juxtaposant leurs interventions. Dans Corpus Christi déjà, j’avais salué la nouveauté du projet : mettre l’auditeur au cœur de la recherche exégétique et historique sur un personnage controversé, Jésus.

Même méthode, et mêmes défauts : on avance très lentement au prix de répétitions, et de contradictions entre exégètes sur lesquelles personne ne tranche. Au lecteur de se faire son opinion, en triant et synthétisant lui-même ce qu’il entend.

C’est se faire des auditeurs une haute idée : la plupart d’entre eux ne sont pas familiarisés avec la recherche exégétique et se sentiront noyés dans l’avalanche d’études minutieuses sur une phrase, un mot parfois, du Coran.

Mais aussi même qualité : comment faire comprendre au pékin lambda ce qu’est la recherche exégético-historique, sinon en la lui montrant en train de se faire sous ses yeux ?

Un grand merci donc à Mordillat & Prieur d’avoir osé, une fois encore.

Les limites d’un projet

Ceci dit, la grande limite de Jésus et l’islam apparaît vite, c’était déjà celle de Corpus Christi : les réalisateurs connaissent leur public, et n’entendent pas le heurter frontalement. Il y a donc une ligne rouge qu’ils ne franchissent jamais.

Ainsi, ils donnent pour acquise la légende qui entoure Mahomet, sa vie, son entourage. Certes, un intervenant (M. Dye) n’hésite pas à dire que la personne de Muhammad est plus que mystérieuse, qu’on ne sait rien de lui, qu’elle a été recomposée deux siècles après sa mort par des hagio-historiographes. Qu’il n’est cité que quatre fois dans le Coran et que ce n’est pas un nom, mais un surnom qui lui est attribué. Quelques phrases immédiatement corrigées par la voix ‘’off’’ de la commentatrice (la voix des réalisateurs) qui replace Muhammad dans son contexte légendaire, sa femme Khadidja, son entourage médinois, etc…

On est donc prévenu : Jésus et l’islam ira jusqu’à un certain point, sans franchir la ligne rouge – l’identité de Muhammad, auteur (final ?) du Coran.

Les ouvertures manquées

Ce premier volet amorce pourtant quelques ouvertures dont seuls les auditeurs avertis seront à même de saisir l’importance.

1- De nombreux intervenants soulignent la parenté qui existe entre le Coran et les évangiles apocryphes (Proto-Jacques, Pseudo-Matthieu, évangile de Barnabé, Judas), le gnosticisme (Basilide) et le Docétisme – courants de pensée très répandus à partir du IIe siècle et rejetés par l’Église. Ils disent que « les auteurs du Coran ont une grande culture » (biblique, juive, hérético-chrétienne), que « le Coran suit ces tendances marginales du christianisme » mais ne posent jamais clairement la question : comment ces déviations sont-elles parvenues jusqu’aux auteurs du Coran ? Pourquoi les ont-ils adoptées ?

2- Pourquoi le Coran les adapte-t-il parfois au bénéfice de sa propre lecture de l’Histoire ? Pourquoi cette « ambivalence » concernant le Jésus du Coran, parfois mort sur la croix parfois non, né d’une Vierge mais en aucun cas de nature divine, fils de Dieu mais simple homme, Messie mais pas juge des derniers temps, etc. ?

 3- Certains des intervenants soulignent l’importance de l’influence christiano-syriaque sur le Coran (St Ephrem) : Syriaque, c’est-à-dire Syrienne : que vient faire la Syrie dans la naissance du Coran ? N’est-il pas né au milieu de la péninsule arabe, à La Mecque ? La Mecque, il est vrai, qu’aucun intervenant ne nomme – mais l’omission est-elle suffisante pour que l’auditeur se pose les bonnes questions ?

4- Bref, qui étaient ceux qui ont élaboré une synthèse englobant des sources d’origine très diverses pour écrire le Coran ?

Les réalisateurs iront-ils jusqu’au bout ? (1)

Aller jusqu’au bout

La réponse, les lecteurs de Naissance du Coran la connaissent : les initiateurs du Coran ont été des judéo-chrétiens, imprégnés de culture juive rabbinique & talmudique en même temps que des hérésies christologiques qui fleurissaient dans le bassin méditerranéen entre le IIe et le VIIe siècle. « À la fois Juifs et chrétiens, mais ni Juifs ni chrétiens », comme l’écrit St Jérôme à St Augustin. Des judéo-chrétiens vivant en Syrie où ils disposaient des contacts et des bibliothèques qui expliquent le patchwork du Coran, reflet de ce judéo-christianisme qui faisait à l’époque sa propre synthèse à partir de sources variées.

Finalement, sans le dire, ce premier volet de Jésus et l’islam est un ensemble de petits-cours sur ce judéo-christianisme là. Pourquoi ne pas le dire clairement ? Au lieu de s’appuyer sur des Hadîts postérieurs de deux à cinq siècles au Coran, sur la Sîra, historiographie de propagande destinée à créer la légende fondatrice de l’islam, pourquoi ne pas être parti de ce judéo-christianisme syrien du VIe-VIIe siècle pour montrer, d’abord, comment il intégrait ou transformait le judaïsme rabbinique & les hérésies chrétiennes de l’époque et ensuite, comment les auteurs du Coran ont utilisé ces sources en les modifiant à leur profit ? Quant aux nazâra, transcription arabe des nazôréens du Nouveau Testament,  ils n’ont pas encore été nommés.

Tout est chuchoté, et pour entendre il faut prêter l’oreille, savoir lire entre les lignes. Des lignes fort espacées, à dessein, par les réalisateurs : on verra demain s’ils parviennent à les resserrer.

                                                                        M.B., 09 déc. 2015

(1) Notez pourtant – c’est énorme et passe presqu’inaperçu – que certains intervenants parlent des auteurs du Coran (au pluriel) comme d’une chose qui va de soi, alors qu’elle fait exploser la légende fondatrice de l’islam.

(à suivre)

15 réflexions au sujet de « JÉSUS ET L’ISLAM – Mordillat et Prieur sur ARTE (I) »

  1. BENCHEKROUN

    J’attire votre attention que le coran n’a pas etait ecris par un penseur ou ecrivain ou une simple personne voulant faire de ces ecrits ces propres interets. Le Coran, comme vous devez le savoir, est un livre sacree, revele par l’ange Gabriel au Prophete Mohamed depuis la grotte Hira jusqu’au derniers jours avant son dece, a l’epoque les compagnon du Prophete, ecrivaient ce qu’ils entendaient de sa bouche et ainsi il fut rassembler par son conpagnon le plus proches OTHMANE a un moment ou il a apercue qu’ici et la on a voulait commencer a deformer le sens, les mots et les chapitres du coran….donc le coran n’est autre que les paroles de DIEU, livre unique, Saint et protege par son Createur et unique Auteur Dieu. En outre l’etomologie du coran a depasse de tres loin le niveau culturel de son epoque et je dirait de toute epoque. Il est vraix qu’il est la derniere revelation de Dieu apres l’Evengile et de la Thora et non une succession de pense ou d’ecrit comme certain peuvent le prevaloir. Enfin, le Lieu est bien la Mecque et non la Serie.
    Coordialement.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Ce que vous me rappelez là, c’est le dogme musulman que je connais (aussi) bien (que vous). Il est contredit par l’étude des textes & l’Histoire. Vous faites votre choix (la théologie), moi et d’autres nous faisons le nôtre (les textes, l’Histoire). Ces deux choix sont inconciliables.
      Amicalement
      M.B.

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      1. Jean-Marie

        Le mot « théologie » dans ce contexte n’est pas le bon, puisqu’il signifie « études » et pas « affirmation d’une conviction d’ordre spirituelle ».

        Mais j’avoue ne pas trouver – c’est l’âge ? – le bon mot pour le moment.

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          « Théologie » est le terme employé par un des intervenant de l’émission pour qualifier le dogme musulman. Il oppose « théologie » et histoire + exégèse.
          M.B.

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  2. Jean-Marie

    Bonsoir Michel et les habitués

    Il est donc globalement inintéressant de suivre ces émissions en direct ou en replay ?

    Et le Corpus christi dont j’ai personnellement vaguement entendu parlé » il est « re-visible » ? Ça vaut le coup ?

    Merci ?

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Si vous avez le courage & êtes intéressé, il est fort intéressant de suivre la série.
      « Corpus Christi » replay ? Je ne sais pas. Mais les livres de M.B. vous en diront plus.
      M.B.

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  3. Jean Roche

    Bonjour,
    L’auteur du Coran, quelque nom qu’on lui donne, avait une connaissance très approximative des textes sacrés juifs et chrétiens (comme aussi bien de l’astronomie telle qu’on l’enseignait en son temps). Les sourates 3 (La famille d’Imran) et 19 (Marie) montrent qu’il confondait Marie mère de Jésus et Marie sœur de Moïse et Aaron, donc qu’il faisait de Jésus le neveu de Moïse. Et son Noé (sourate 71) demande à Dieu d' »exterminer les incrédules », autant dire d’envoyer le Déluge, ce qu’on cherchera en vain dans la Genèse.
    Je rappelle au passage la sortie de http://www.enquete-debat.fr/archives/parution-de-la-psychologie-de-mahomet-et-des-musulmans-dali-sina-12464
    Cordialement

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  4. Jean Lavoué

    Merci Michel Benoît pour ce commentaire éclairant à mettre en lien avec vos travaux et ceux qui convergent avec ces derniers (Gallez, Olaf) qui seuls nous donnent les bonnes clefs pour appréhender l’exigence d’une telle émission… J’aurais d’ailleurs aimé y retrouver les noms de Gallez ou de Michel Benoît, mais là, comme vous, dites, à coup sûr, la ligne rouge aurait été franchie par rapport aux intentions des réalisateurs… Merci en tous les cas à vous pour tous vos travaux passionnants et éclairants !

    Répondre
    1. Jean Roche

      A mon humble avis, Gallez (entre autres) va trop loin dans la négation historique et le « mythisme ». Il y a bien sûr des hadiths fabriqués pour les besoins de la cause, c’est assez facile à repérer (surtout quand un autre hadith donne une version plus plausible mais moins valorisante du même fait, et c’est très souvent le cas). Mais, si on a inventé Mahomet ex nihilo pour les besoins d’une cause quelconque, pourquoi lui avoir prêté autant de pathologies clairement identifiables aujourd’hui (et dont au moins une, l’acromégalie, n’avait pas été décrite autant qu’on sache) ? Pourquoi aussi lui avoir attribué autant de turpitudes, ou des anecdotes grotesques comme celle qui donne lieu à la sourate 66 ? Je renvoie donc, j’y tiens, à Ali Sina (référence donnée dans mon précédent message).

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      1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

        On n’ pas inventé Mahomet ex nihilo (avez-vous lu « Naissance du Coran ? »). On (une succession de califes & scribes à leur service) a transformé un guerrier arabe en prophète visionnaire.
        M.B.

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        1. Jean-Marie

          Peut-on écrire sans erreur

          « Un Muhammad a vraiment existé entre le troisième quart du VI° siècle et le premier tiers du VII° siècle, mais il ne fut seulement qu’un chef de guerriers arabes syriens alliés d’une secte chrétienne judeo-nazaréenne. Pour asseoir leur pouvoir et leurs richesses et leur fringale sexuelle des califes du IX° siècle légendarisèrent ce chef guerrier et en firent un prophète visionnaire – nommé seulement quatre fois dans ,le Coran, qui prétendait communiquer modestement la parole d’Allah par l’intermédiaire de l’ange Djibril (ou Gabriel) en « adoptant » les grandes figures globalement tout aussi mythiques de la Bible juive ainsi qu’Issa (le Jésus des chrétiens) et sa mère . »

          Corrigez-moi, SVP, Michel

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          1. Jean-Marie

            Je me corrige : « judéo-nazoréenne »

            On peut peut-être même rajouter « messianiste »

            Le souci du juste mot pour la juste chose. Le souci des mots pesés pour éviter, voire réduire, les maux pesants.
             C’est un combat militant qui en vaut d’autres, voire conditionne le succès des autres parce que ce souci est ou au moins semble absent  chez  beaucoup  d’intervenants, dans des commentaires d’articles de presse en particulier, sinon dans les articles eux-mêmes, à propos de tous les grands sujets sociétaux , politiques inclus bien évidemment. Et c’est bien souvent le cas de beaucoup de nos vecteurs d’opinions et/ou de décisions.

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