JÉSUS ET L’ISLAM – Mordillat et Prieur sur ARTE, suite (II)

Pourquoi la série d’émissions Jésus et l’islam de Mordillat & Prieur diffusée sur ARTE est-elle aussi déroutante pour le profane qu’horripilante pour le connaisseur en la matière ?

Le Pédagogisme

Parce que dans leur présentation, les réalisateurs appliquent à la lettre une idéologie née après 1968, très marquée à gauche, le Pédagogisme.

Vous connaissez le principe : l’enseignant, le maître, ne doit jamais rien imposer à ses chères têtes blondes. L’enfant doit découvrir, par lui-même, une vérité qui surgira en lui sans risquer d’être polluée par celle du professeur. Lequel a pour mission de présenter à ses élèves un status questionis, un état de la question – c’est-à-dire tout ce qui a pu être pensé, affirmé, dit ou écrit sur le sujet du jour.

Toutes les idées émises sur une question, sans les hiérarchiser, sans s’immiscer dans le jugement de l’élève, honnêtement, mais sans conclure – ce qui serait violer sa liberté de penser, nier sa capacité de juger par lui-même.

Le résultat, on le voit dans l’état actuel de l’éducation nationale.

C’est cette même idéologie qui a guidé Mordillat & Prieur dans Jésus et l’islam.

D’où l’amoncellement d’explications contradictoires, d’avancées suivies de reculades, d’affirmations d’un expert réfutées par le suivant avec la même conviction. Sans imaginer un instant que l’auditeur lambda n’a aucun moyen de trancher et qu’il attend précisément des réalisateurs qu’ils l’aident à conclure.

Les fourmis et la tortue

La douzaine d’intervenants ressemble à des fourmis portant chacune sa charge sans s’occuper des autres. Vont-elles toutes dans le même sens ? Non… quoique. L’émission aboutit-elle à une ou à des conclusions ? Non… quoique. Oui… certes, mais seulement si l’auditeur est suffisamment averti pour se faire son idée. Il avance, mais à l’allure de la tortue.

Quoique… parce qu’on assiste à l’étonnant spectacle donné par des spécialistes qui savent beaucoup de choses, qui lâchent quelques résultats de la recherche pour, aussitôt, revenir dans la droite ligne du dogme musulman.

La première émission traite de l’identité du Prophète. G. Dye montre que les éléments de sa biographie sont « des reconstructions élaborées un ou deux siècles après sa mort selon des présupposés idéologiques », mais après lui, Mme Chabri et M. Aït affirment qu’il « était de famille aristocratique, vivait dans la cité populeuse de La Mecque, qu’il en a été banni avec 120 de ses compagnons, que les Byzantins ont sans doute organisé cette fuite, qu’on n’a aucune preuve de tout ça mais que c’est certain puisque c’est probable », etc.

La deuxième émission entre enfin dans le vif du sujet en parlant des nazôréens et de l’origine syriaque (donc syrienne) du Coran. Guy Stroumsa présente excellemment cette question, mais après lui G. Reynolds affirme que ce sont de pures spéculations, qu’il n’y a rien de tel dans le Coran. Qui croire, que conclure ?

Sur les sources du Coran, on entend parler des « informateurs du Prophète » dont le texte ne dit rien mais qu’on invoque pour expliquer pourquoi le Coran « se fait l’écho des toutes les controverses théologiques qui déchiraient la Syrie aux VIe et VIIe siècle. » Juste après, on nous dit que selon la tradition, le Coran est un texte sans contexte, mais que le Prophète-chamelier devait nécessairement connaître, en plus de l’arabe, le syriaque, l’éthiopien, le grec.

On nous parle enfin des lectionnaires syriaques qui ont été la matrice du Coran. Mais personne ne dit que le désordre absolu de ce texte vient précisément du fait que ces lectionnaires judéo-chrétiens ont été mélangés et publiés pêle-mêle par les élèves arabes des nazôréens.

Dans Naissance du Coran j’ai présenté toutes ces avancées de la recherche de façon concise, claire, sans langue de bois ni faux-fuyant.

Bref, de façon pédagogique (et non pédagogiste, honte à moi).

                                                                                       M.B., 10 décembre 2015
(à suivre)

6 réflexions au sujet de « JÉSUS ET L’ISLAM – Mordillat et Prieur sur ARTE, suite (II) »

  1. Lucien Martin

    Alléché par le sujet et sans oublier votre Naissance du Coran, j’ai suivi cette émission… et été lourdement déçu.

    Pédagogisme… oui, moi j’appelle cela de la « bouillie pour les chats ». Je ne parle pas là des intervenants en eux-mêmes mais de leurs prestations, souvent brouillonnes et, surtout, de la construction brouillonne également (si les mots ne se contredisent pas) de l’émission.

    Je pensais que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et que les mots pour le dire arrivent aisément », d’où je me suis risqué à conclure que les auteurs de l’émission ne concevaient pas bien leur propos, autrement dit qu’ils auraient dû s’abstenir.

    Amicalement

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  2. duval

    Je n’ai pas suivi les émissions de Mordillat et Prieur. Je suis tout prêt à vous croire quand vous expliquez la méthode proposée par ces messieurs: Je n’impose rien, faites vous votre idée par vous-mêmes. Vous avez raison de dire que cela risque fort de rendre insipide le brouet proposé.
    Mais je suis plus que révolté, plus qu’agacé par vos stupides et réactionnaires positions sur l’école. D »abord parce que vous dites « la chose qui n’est pas » en pensant que les enseignants auraient beaucoup changé et qu’ils ne font plus l’enseignement dogmatique que vous semblez regretter. Rassurez-vous les enseignants sont toujours aussi mauvais et ils continuent comme autrefois à enseigner dogmatiquement. Que par manque de culture, ils le fassent mal est une autre chose.
    Oui vraiment j’appelle de mes vœux une école qui laisserait aux enfants et aux adolescents le temps de se faire leur propre culture et leurs propres opinions. Cela demanderait non pas le laisser faire des enseignants mais au contraire exigerait d’eux attention, écoute, aide…et beaucoup de compétence.
    Désolé, mais après cet article, je lirai avec moins de plaisir ce qui m’avait beaucoup plu dans votre approche du mystère de Jésus.
    CD

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Allons bon ! Je me suis hasardé dans un domaine que je ne connais pas (la science pédagogique) et j’ai eu tort d’ajouter LA phrase sur l’éducation nationale.
      Ne déduisez pas de cette phrase que je « regrette l’enseignement dogmatique » etc : ce n’est ni ma compétence, ni mon propos.
      Et restaurez vite votre plaisir de me lire – l’un des rares plaisirs encore non taxés.
      Amicalement, M.B.

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  3. Claude Trogler Briand

    Dans un monde où les occasions en sont rares, vous avez le mérite de me faire bien rigoler, en me rappelant ma jeunesse, où, adolescent encore naïf, je dévorais les bouquins de Robert Charroux (R. Grugeau pour l’état-civil) qui nous abreuvait de « révélations » sur ces « mystères » entretenus par une conspiration « officielle » !… Que le Coran soit (comme la Bible ou le Nouveau Testament) un ramassis de couillonnades est un truisme… que l’on puisse l’affirmer au prix de n’importe quels délires interprétatifs est tout autre chose !!!… Oser dire que La Mecque a été « inventée » à postériori, c’est comme dire que le Liban a « inventé » Tripoli pour nier l’existence d’une Tripoli en Lybie, ou prétendre que Saül/Paul se rendait à Damas en Syrie, où des séïdes du Temple n’avaient nul droit à intervenir, et non à une autre Damas, au bord de la mer Morte, foyer essenien quand il fut frappé d’une de ses habituelles crises d’épilepsie !!!… La lecture, entre autres, de la Bible, aurait quand même dû vous apprendre que la toponymie est loin d’être une science – feuilletez, par exemple, un simple guide des communes françaises et constatez l’abondance des homonymes ! – que le Coran ait été « soufflé » à un chamelier illettré par Waraqa le cousin chrétien de son épouse semble évident… que cela se soit produit « forcément » en Syrie, c’est ignorer qu’au VII ème siècle, les Arabes à la culture essentiellement orale (même s’ils possédaient une écriture, leur « poésie » était 100% verbale, donc appuyée sur une base mélodique/scandée… d’où le caractère particulier du Coran, fait pour être récité/déclamé et non LU !)… à cette époque, les bédouins arabes étaient CERNÉS par des royaumes Chrétiens ou Juifs, et dans leurs cités, ces deux communautés étaient largement représentées, de la Syrie jusqu’au sud de l’Arabie ( = « l’Arabie Heureuse « )… Yattrib/Médine n’était qu’une de ces métroples où foisonnaient juifs et Judéo-chrétiens/nazoréuns !!!… Démontrer l’origine du Coran, OK, mais avec de VRAIS arguments !!!…

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Vous trouverez ces arguments, résumés il est vrai, dans « Naissance du Coran ». Vérifiez-les dans les 400 citations du Coran données en note. Et allez lire les ouvrages des auteurs cités dans la postface.
      Amicalement, M.B.

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