AUX SOURCES DE LA CULTURE OCCIDENTALE, L’ÉVANGILE SELON St JEAN (Conférence aux Francs-Maçons)

               Quatre petits textes, les évangiles qu’on appelle canoniques, ont marqué de leur empreinte la naissance et le développement de l’Occident, de sa culture, de ses mœurs civiles et politiques, sa religiosité. Pour comprendre le rôle qu’ils ont joué, il importe de savoir qui étaient les auteurs de ces textes, et quelles furent leurs intentions en les rédigeant dans la version qui nous est parvenue ?

Naissance des évangiles

            Après la mort de leur maître en avril 30, ses disciples ont pris l’habitude de réunir à Jérusalem des partisans, pour partager avec eux les souvenirs de leur vie commune auprès de Jésus. Dans ces réunions, une question des nouveaux venus revenait sans cesse : alors, raconte ?

             Les anciens racontaient.

            Et pour diffuser ces souvenirs hors de Judée on a rédigé en araméen, la langue des Juifs, des petits livrets qu’on appelle des proto-évangiles, dont aucun ne nous est parvenu. Ils ressemblaient à l’Évangile de Thomas découvert en 1945 à Nag Hammadi, près de Louxor. Écrit au 2e siècle, cet évangile non-canonique est fortement imprégné de gnosticisme (les gnostiques étaient une nébuleuse ésotérique d’origine hellénique qui fleurissait alors, surtout en Égypte). Ce texte rassemble 114 paroles de Jésus, mais curieusement, on n’y trouve aucune mention de ses miracles ni de sa résurrection (1).

              Il y a une vingtaine d’années, des chercheurs allemands se sont efforcés de retrouver, à l’intérieur des 4 évangiles canoniques, ce qui subsiste de ces proto-évangiles. Ces fragments, ils les ont publiés sous le nom de « Source Q » – Quelle, ‘’source’’ en allemand. Comme l’Évangile de Thomas ce sont des paroles de Jésus, augmentées ici d’un récit de sa Passion. Mais contrairement à lui, on n’y trouve pas trace de gnosticisme : la Source Q est un texte purement juif.

            Ces proto-évangiles ont d’abord circulé largement, de main en main. Un peu avant l’an 70, quelqu’un a eu l’idée d’insérer les paroles de Jésus dans une trame biographique sommaire : le résultat c’est l’Évangile selon Marc, qui commence par la rencontre entre Jean-Baptiste et Jésus au désert et se termine à son tombeau trouvé vide le 9 avril 30. Rien sur sa naissance et son enfance, aucun récit de sa résurrection ou des apparitions qui l’ont suivie.

            En août 70, les légions de Titus rasent Jérusalem et détruisent son Temple. Pour les Juifs contraints à l’exil, c’est un cataclysme dont ils ne se remettront jamais. Les premiers convertis à Jésus vont se regrouper, notamment en Syrie, autour d’un certain Paul de Tarse qui y anime une communauté très active. Ils se sont emparés de l’évangile de Marc, l’ont corrigé en fonction d’une divinisation de Jésus en train de s’élaborer autour de Paul, puis l’ont complété vers l’an 80 en y ajoutant un récit de sa naissance, de son enfance et de sa résurrection : le résultat, ce sont deux nouveaux évangiles, selon Matthieu rédigé en araméen et en milieu juif et selon Luc, écrit dans un grec peu élégant qui montre bien le grec n’était pas la langue natale du rédacteur.

            Après l’an 80, trois évangiles circulent donc dans l’Empire : celui de Marc, auquel on a ajouté une finale qui évoque brièvement la résurrection et les apparitions de Jésus. Celui de Matthieu rapidement traduit en grec, et celui de Luc. On les appelle synoptiques parce qu’ils sont étroitement liés entre eux : Matthieu et Luc se sont inspirés de Marc mais ont profondément transformé l’image de Jésus, devenu chez eux un Dieu faiseur de miracles et ressuscité. Sans parler de leurs deux premiers chapitres, des récits de son enfance presque totalement légendaires.

            Pendant ce temps, une partie des convertis à Jésus a voulu rester fidèle à leur strict monothéisme juif : ils vont rejeter sa transformation en Dieu, tout en affirmant qu’il était le Messie. On les appelle judéo-chrétiens, à la fois juifs et chrétiens – ce qui fera dire plus tard à s. Jérôme, dans une phrase venimeuse, que pour lui « ces gens-là ne sont plus ni Juifs, ni chrétiens » (2). Les judéo-chrétiens vont donc être persécutés par l’Église en train de se former autour du dogme de l’Incarnation. Ils disparaîtront tous aux 3e et 4e siècles, sauf les nazôréens qui sont à l’origine du Coran – mais ceci est une autre histoire (3).

            Ce qu’il faut retenir, c’est que les premiers souvenirs sur la personne de Jésus n’ont pas disparu des synoptiques. On les y retrouve, modifiés, corrigés pour soutenir les dogmes de l’incarnation et de la Trinité. En étudiant la formation de ces évangiles, on s’aperçoit que l’intention des correcteurs était d’ordre politique : élaborer une nouvelle religion, capable de supplanter les cultes de l’Empire romain, et par ce biais de prendre le pouvoir. Ils ont parfaitement réussi, puisqu’à partir de l’an 480 le christianisme trinitaire s’est imposé dans tout l’Occident, puis plus tard dans ses colonies pour devenir le socle d’une civilisation mondiale – la chrétienté.

Le noyau du quatrième évangile

            Au 2e siècle on voit apparaître un nouvel évangile, très différent des synoptiques. Il est mentionné par s. Irénée en l’an 170, mais ne s’imposera comme canonique qu’au 3e siècle. Ce quatrième évangile, on l’appelle l’Évangile selon s. Jean et on attribue sa paternité à l’un des douze apôtres, Jean fils de Zébédée et frère de Jacques. Mais les Actes des apôtres témoignent que quelques mois après la mort de Jésus, Pierre et Jean fils de Zébédée sont considérés par les autorités juives comme idiotes kai agrammatoi, simples et illettrés. Or cet évangile est écrit dans un grec élégant, parfois de grande beauté poétique : comment un ouvrier-pécheur du lac de Galilée, réputé inculte et analphabète, qui ne parle que l’araméen, aurait-il pu l’écrire ? De plus, il semble que Jean fils de Zébédée ait été tué en même temps que son frère Jacques en l’an 44. Comment est-il devenu l’auteur officiel de l’Évangile selon s. Jean, dont on sait qu’il n’a été finalisé que dans les années 90 ?

            Quand cet évangile est apparu au 2e siècle, on s’est rappelé qu’il y avait eu en Asie Mineure un certain ‘’prêtre Jean’’, un visionnaire charismatique qui avait eu un grand rayonnement à Éphèse où il était mort très vieux. Peut-être est-ce lui l’auteur de l’Apocalypse et des trois Épîtres dites de s. Jean ? Toujours est-il qu’on l’a assimilé à l’apôtre Jean fils de Zébédée auquel on a finalement attribué la paternité du quatrième évangile, de l’Apocalypse et de ces Épîtres. Ce procédé qui consiste à attribuer un texte anonyme à un personnage connu, pour bénéficier de sa notoriété, s’appelle l’homonymie, il était fréquent dans l’Antiquité.

            L’Évangile selon s. Jean n’est donc pas de l’apôtre Jean fils de Zébédée. Alors, qui en est l’auteur ?

Le disciple que Jésus aimait

            Ou plutôt les auteurs, car il apparaît que plusieurs mains s’y sont mises pour rédiger le texte tel qu’il nous est parvenu. Peut-on, comme on l’a fait pour la Source Q, extraire de cet évangile sa partie la plus ancienne ? C’est ce que j’ai tenté de faire dans mon essai L’évangile du treizième apôtre, aux sources de l’évangile selon saint Jean.

            J’ai été frappé par deux courtes phrases qu’on lit dans la finale de cet évangile. D’abord, après la description du coup de lance infligé à Jésus sur la croix : « Celui qui a vu a témoigné, et son témoignage est véridique, et celui-là sait qu’il dit vrai. » Et un peu plus loin : « Ce disciple témoigne de ces choses, il les a mises par écrit et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité. » Si on les prend au sérieux, ces deux affirmations solennelles transforment complètement l’approche et la compréhension traditionnelle du texte.

            Qui est cet homme, qui a vu des choses et qui les a mises par écrit ? Le quatrième évangile est le seul à le mentionner, à sept reprises, directement ou indirectement et toujours dans des circonstances particulièrement importantes. Il l’appelle « le disciple que Jésus aimait » – sous-entendu, plus que les autres -, et dans le chapitre 21 il est clairement distingué de Jean fils de Zébédée.

            Il y a donc eu, parmi les proches du rabbi Galiléen, non pas douze mais treize hommes. Jésus aimait-il ce treizième homme plus que les douze apôtres ? En tout cas il lui faisait confiance, au point de se cacher chez lui pour prendre son dernier repas alors qu’il était l’objet d’un mandat d’arrêt. Je l’ai appelé ‘’le treizième apôtre’’ par complaisance littéraire, mais jamais il n’est mentionné dans la liste des douze apôtres, qu’il n’aime pas et qui le lui rendent bien. Lui-même ne se définit pas comme apôtre mais comme disciple, titre par lequel il souligne qu’il ne partage ni l’aveuglement des douze apôtres devant leur maître, ni surtout leur ambition féroce dans la course à la première place.

            Comme les apôtres, cet homme a vu Jésus à l’œuvre – mais seulement à Jérusalem, où il habite. Contrairement à eux qui n’ont rien écrit, lui, il a pris soin d’écrire ce qu’il a vu. Pas tout bien sûr, mais certains souvenirs oculaires qu’il a jugés importants.

            Après la mort de Jésus, ce disciple bien-aimé dont nous ignorons le nom a réuni autour de lui une communauté, qui lui a survécu et qui est restée fidèle à sa mémoire. C’est cette communauté qui témoigne qu’il avait « mis par écrit » son témoignage sur « ce qu’il avait vu », et qu’il « disait la vérité » sur son maître – sous-entendu, tandis que les apôtres avaient trahi cette vérité. Si l’on peut retrouver cet écrit, on aura donc un témoignage oculaire de première main sur l’homme Jésus. Le seul témoignage direct dont nous disposions, puisque les synoptiques ont été rédigés bien plus tard, d’après les souvenirs des apôtres transmis par tradition orale et plus ou moins modifiés, comme je l’ai dit, pour des raisons à la fois théologiques et politiques.

L’écrit du « disciple que Jésus aimait »

            Cet écrit, je me suis attaché à l’extraire en quelque sorte du texte final du quatrième évangile, en appliquant les critères stricts de l’exégèse moderne. Mon travail a consisté à en délimiter les frontières, car il a été peu ou pas modifié par ceux qui l’ont amplifié par la suite pour aboutir au quatrième évangile. Sans doute parce qu’ils respectaient trop le témoignage unique de son auteur, pourtant peu aimé par eux et objet de leur méfiance.

            Une fois tiré des sables, cet écrit fait preuve – comme on pouvait s’y attendre – d’une étonnante cohérence littéraire et conceptuelle. Son vocabulaire est simple, concret, imagé, les scènes qu’il raconte sont croquées sur le vif, avec quantité de détails qui montrent une parfaite connaissance de la topographie de Jérusalem et des coutumes juives – contrairement à Luc, qui n’est jamais venu à Jérusalem. Tandis que lui, il y vit, il y possède une maison dans laquelle il reçoit les apôtres de Jésus, d’abord de son vivant et ensuite après sa mort. Il l’a accompagné à la piscine de Béthesda, et fait un récit imagé de la façon dont il y guérit un paralytique. Il l’a suivi dans les rues de la ville où il est témoin de la guérison d’un aveugle-né, dont il rend compte en détail. Jusqu’au jardin des oliviers où il raconte l’arrestation de Jésus, la lâcheté de ses apôtres et le geste de Pierre qui a tenté dans son affolement d’assassiner un serviteur du Grand prêtre.

            Bref, une fois reconstitué, son écrit est un témoignage unique, précieux pour nous parce qu’il dépeint Jésus tel qu’il était lors de ses passages à Jérusalem.

Jésus selon « le disciple qu’il aimait »

            Ce disciple, il a été fasciné par la personne et la personnalité de Jésus. Et l’émotion qu’il ressent en sa présence transparaît à chacune des lignes de son écrit. Le Jésus qu’il a « vu » et dont il témoigne n’est pas un dieu, mais c’est un homme habité par Dieu. Un homme aimant et infiniment aimable, dont il est évident que lui, il l’a aimé au point de vouloir transmettre ses souvenirs alors que les synoptiques étaient déjà en circulation. Mais il a aussi écrit pour s’opposer à ce qu’il considérait comme une trahison, par l’Église naissante, de l’image et de la réalité du Jésus qu’il avait connu.

            J’ai cru comprendre que pour votre obédience maçonnique, la Bible est d’abord un livre de symboles. Que vous vous attachez à en découvrir la portée symbolique universelle. Comprenez que le récit du « disciple bien-aimé de Jésus », tout comme les proto-évangiles d’ailleurs, ne nous transmet pas des symboles : il nous met en présence d’une personne, de certaines choses qu’elle a faites et qu’elle a dites. Un homme qui avait une personnalité tellement forte, que ceux qui le rencontraient percevaient à travers lui une autre réalité, impossible à dire avec des mots mais fulgurante. Une personnalité qui nous touche encore aujourd’hui, malgré la distance de vingt siècles.

             Le récit nous met donc en présence d’un homme, c’est à dire d’un mystère – puisque tout homme, toute femme, porte en soi un mystère que même l’intimité (celle du couple) ne permet pas d’élucider totalement. Chaque être humain reste en effet un mystère pour les autres, si ce n’est pour lui-même. La personne de Jésus qu’on suit à la trace dans le récit du disciple bien-aimé n’échappe pas à cette règle. Comme chacun de nous, l’homme qu’on découvre ici est un puits sans fond. Un mystère, mais qui peut devenir révélation quand cet homme (ou cette femme) est habité par Dieu.

             Contrairement aux écrivains qui ont amplifié à sa suite le texte du quatrième évangile, le disciple bien-aimé n’est ni un théologien, ni un philosophe : c’est, à proprement parler, un « voyeur. » Il voit, et il écrit ce qu’il a vu, non pas ce qu’il pense à propos de ce qu’il a vu. Il le fait avec une émotion contenue par une immense pudeur qui la rend peu perceptible au lecteur pressé. Il ne rapporte aucune des paraboles de Jésus, sans doute parce que les synoptiques – qu’il avait sous la main – le font suffisamment. Il ne parle pas de résurrection, ne raconte aucun miracle.

             À ce propos, je voudrais lever une ambiguïté : il ne faut pas confondre miracle et guérison. Un miracle, c’est un phénomène qui transgresse les lois de la nature, un phénomène surnaturel ou supranaturel. Tandis qu’une guérison corrige les faiblesses de la nature – ses maladies, ses handicaps. À l’époque de Jésus il y avait en Orient (il y a toujours) quantité de guérisseurs, plus ou moins efficaces, plus ou moins charlatans. Il est évident que Jésus a été un excellent guérisseur, fiable et modeste – d’où sa renommée rapide en Palestine. Mais les quatre ou cinq miracles sur la nature que les synoptiques lui attribuent sont des constructions de l’Église primitive pour attester de sa nature divine. L’écrit du disciple bien-aimé n’en mentionne aucun : pour lui Jésus n’a pas accompli de miracles, mais il a guéri des malades. Comme tant d’autres sans doute, mais mieux que d’autres, parce qu’il ne guérissait pas seulement le corps mais aussi l’âme de ceux qui venaient à lui.

Les correcteurs successifs

            Le récit du « disciple bien-aimé » a donc été amplifié pendant quelques dizaines d’années par des correcteurs-écrivains successifs. Le quatrième évangile, résultat final de cette longue élaboration, se présente un peu comme un oignon, un noyau (le récit) recouvert d’écailles successives. Mon souci a été uniquement de dégager le récit de ces coquilles superposées, sans essayer d’identifier leurs auteurs. Beaucoup de chercheurs ont écrit quantité d’ouvrages sur la théologie et la philosophie de ces auteurs successifs. Il y en aurait eu jusqu’à quatre, le dernier donnant sa patine au texte en harmonisant son contenu et son langage – sans toucher, ou presque, au récit du disciple bien-aimé. Gnosticisme, néo-platonisme, plotinisme, judaïsme rabbinique, à des degrés divers on trouve la trace de tous ces courants de pensée dans le quatrième évangile. Si ces ajouts nous informent sur le milieu dans lequel s’est formé le christianisme en Asie Mineure, il m’a paru plus intéressant de partir, dans le récit, à la découverte d’un rabbi juif hors du commun, Jésus, formé par les pharisiens provinciaux de Galilée et totalement étranger au milieu philosophique de son époque comme aux courants de pensée qui la traversaient – d’ailleurs ignorés par le peuple juif, ou regardés par lui de travers.

            Dans son état final, le quatrième évangile s’est très vite répandu et a joué un rôle considérable dans la naissance de la culture et de la civilisation chrétienne – et à travers elle, de la civilisation occidentale. Les scènes du récit sont parmi les plus représentées dans l’iconographie du Moyen-âge et de la Renaissance. Il a inspiré, jusqu’à l’époque moderne, la littérature et la musique. Quant aux pelures d’oignon ajoutées par les amplificateurs successifs, elles sont devenues le pilier des dogmes chrétiens et des sacrements, baptême et eucharistie.

            L’Apocalypse dite de s. Jean est-elle, elle aussi, l’œuvre d’un ou plusieurs de ces écrivains-amplificateurs ? Tant qu’on ne les aura pas identifiés avec précision, on ne pourra pas répondre à cette question. Elle possède en tout cas une forte empreinte judéo-chrétienne, marquée par un ésotérisme qui trouve son origine chez les Esséniens de Qumrân. Ce sont eux qui avaient radicalisé, au tournant du 1er siècle, l’apocalyptique juive traditionnelle, en lui donnant un caractère guerrier et génocidaire terrifiant. Quand on sait que cette littérature essénienne a joué un rôle déterminant dans la Naissance du Coran, on comprend pourquoi ce dernier texte, sacré aux yeux des musulmans, met le feu à la planète depuis treize siècles.

            Je ne voudrais pas conclure sans dire un mot de l’apport personnel du dernier rédacteur du quatrième évangile : le Logos.

Le Logos

            Cet ultime rédacteur va marquer définitivement cet évangile en l’insérant à la fois dans la culture grecque et dans la grande tradition biblique. Ceci dans les versets 1 à 18 du chapitre premier, qu’on appelle le « Prologue » de l’Évangile selon s. Jean – et à juste titre puisqu’il en est comme le portique d’entrée, solennel et majestueux.

            Écrit entre l’an 90 et 100, ce Prologue est rédigé dans une langue superbe, qui fait de lui l’un des chefs-d’œuvre de la poésie grecque ancienne :

                                               En arché hèn o Logos,

                                               kai o logos hèn pros ton Théon,

                                               kai Théos hèn o Logos…

            Pure poésie et poésie pure, dont la traduction peine à rendre le rythme et les assonances : « Au commencement était le Logos, et le Logos était auprès de Dieu, et Dieu était le Logos… »

            D’où vient cette notion de Logos ? Ce n’est pas, loin de là, une invention juive. Le terme apparaît au 6e siècle avant J.C. chez un philosophe grec, Héraclite, avant de devenir chez Aristote le fondement d’une discipline philosophique : la logique – ‘’logos’’, logique.

            La logique, c’est la capacité de mettre de l’ordre dans les idées, de les hiérarchiser afin de décrire une réalité. C’est donc une activité passive. Mais au cours de sa longue carrière dans la philosophie grecque, le Logos va également se mettre à désigner la capacité active de créer une réalité, en la nommant de façon appropriée. Car notre langage, les mots que nous employons, ne décrit pas seulement, il peut aussi créer de la réalité – d’où le rôle joué par la parole dans l’épanouissement de l’espèce humaine.

            C’est ce qu’avaient compris les rédacteurs du premier Livre de la Bible, la Genèse, dont le récit de la Création commence ainsi :  Bereshit bara Elohim, « Au commencement, Dieu créa ».

             Comment la Bible affirme-t-elle que Dieu a créé tout ce qui est ? Le texte continue : « Dieu dit, et cela fut ». Avant le commencement il n’y avait rien, puis il y a eu un logos, de la parole, du langage qui a mis de l’ordre dans le chaos de l’inexistant, le tohu-bohu.

            L’intention du rédacteur du Prologue est donc claire : s’inspirer d’une philosophie grecque bien connue de lui (le Logos), et l’insérer dans le judaïsme en attribuant au Dieu unique des Juifs la faculté de créer par sa parole. Mais il est allé plus loin que tous les philosophes de l’Antiquité en affirmant que ce Dieu, dans sa nature intime, était lui-même parole : « Kai Théos hèn o Logos », et Dieu était le Logos.

            Autrement dit, pour l’auteur du Prologue, l’univers – qui est logikos, compréhensible -, est l’exact reflet du Dieu qui l’a créé par son Logos. On a donc dans le Prologue une version philosophique du récit biblique de la création, où la Genèse proclame que « Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance ».

             Résumons : si l’univers est logikos, logique, cela veut dire qu’il peut être compris dans sa totalité par la seule force de l’esprit humain. Mais comme son créateur – la source de cette logique -, comme il est Lui-même logikos, cela signifie qu’il peut, Lui aussi, être compris et appréhendé dans sa structure intime par notre intelligence. Le Prologue du quatrième Évangile marque donc l’entrée du christianisme en théologie, le passage de l’expérience à la réflexion sur cette expérience.

            Les écrivains-amplificateurs du récit du disciple bien-aimé étaient donc des théologiens fortement teintés de philosophie, qui ont voulu qu’on en sache un peu plus sur Dieu. Car qu’est-ce qu’un théologien, sinon « un homme qui monte sur une estrade pour apprendre à Dieu comment il est fait ? » (4) Tandis que l’auteur de l’écrit disséminé dans le quatrième Évangile n’est pas un théologien, il ne cherche pas à savoir : il a fait l’expérience d’une présence en action dont il affirme qu’il n’a pas été capable de tout en dire car – je le cite, c’est son dernier mot – « si ces choses étaient écrites une par une, je pense que le monde lui-même ne pourrait contenir les livres qu’on en écrirait » (5).

             Le message le plus fort transmis par le disciple bien-aimé, ce sont donc ses silences – les silences du texte qu’il a écrit. Subjugué par ce qu’il voyait, il l’a raconté en peu de mots. Puis il s’est tu pour laisser la Présence parler d’elle-même, au-delà des mots.

             Votre atelier maçonnique, s’il s’intéresse à la Bible et plus particulièrement à l’Évangile selon s. Jean, a donc le choix entre deux pistes de travail :

             Soit décrypter le message symbolique à caractère ésotérique contenu dans les développements rédigés, autour des années 90, par les amplificateurs du récit initial. Alors vous aurez du pain sur la planche, car ces développements vous renverront à la philosophie grecque, à son acclimatation au judaïsme par Philon d’Alexandrie, à l’ésotérisme juif du 1er siècle et particulièrement à son apocalyptique, dont l’Apocalypse dite de s. Jean est un bel exemple.

            Soit vous intéresser au témoignage oculaire du disciple bien-aimé, c’est-à-dire à la personne et à la personnalité de Jésus, à sa façon de bouger dans l’espace juif et de rencontrer les gens du peuple comme les dignitaires du Temple. À ses échanges avec les uns et les autres, et à la modernité incroyable dont ils font preuve – je pense à la rencontre de la femme adultère condamnée à être lapidée publiquement, où il transcende en une seule phrase la morale et le droit considérés comme naturels.

            Avec ce disciple anonyme, vous apprendrez à vous taire pour contempler un homme dont aucun livre n’a jamais pu rendre compte totalement, comme il l’avoue lui-même dans la dernière phrase de l’évangile dit selon s. Jean.

            Mais je ne sais pas si l’apprentissage du silence fait partie du programme de travail d’un atelier maçonnique.

             M.B., conférence donnée à des Francs-maçons le 28 avril 2016.
(1) Notez que le Coran comporte lui aussi 114 chapitres ou Sourates, mais ceci est un autre sujet.
(2) Phrase qu’on retrouvera telle quelle dans le Coran.
 (3) Racontée dans mon essai Naissance du Coran, l’Harmattan,  2014.
 (4) Cette définition est de moi.
 (5) Jn 21, 25.

1° de couv. évangile 13° ap. Harmattan

51 réflexions au sujet de « AUX SOURCES DE LA CULTURE OCCIDENTALE, L’ÉVANGILE SELON St JEAN (Conférence aux Francs-Maçons) »

  1. Madeleine

    Bonjour Michel,

    Vous n’avez intellectuellement pas le droit d’occulter que ce disciple puisse être Marie-Madeleine, car plusieurs évangiles apocryphes sont unanimes pour dire que c’était ELLE la disciple bien-aimée de Jésus, et le logion 114 de Thomas la décrit transformée en homme, d’où l’emploi du masculin dans le quatrième évangile.

    Ce qui est usant, avec vous, c’est que vous êtes certain de vos certitudes et que vous ne les remettez jamais en question! Si malgré tout vous avez un reste d’ouverture d’esprit, je vous invite à lire mes derniers développements sur ce sujet dans mon article ci-dessous et je vous invite aussi à me dire ce qui ne va pas dans ma démonstration. Je suis toute ouïe (et très naïve puisque vous allez encore vous défiler).

    http://magdala.over-blog.net/2016/04/l-heritiere-du-logos.html

    Ps: ou c’est peut-être un problème de misogynie ?

    *******

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Chère (et énergique) lectrice.
      Il n’y a pas de certitude en histoire & en exégèse, mais des hypothèses qui se confrontent, s’affinent et finissent par devenir assez solides pour être considérées comme définitives. Lorsqu’au terme d’un long et rigoureux parcours dans les textes je parviens à une conclusion, je la considère comme « définitive » jusqu’à ce que quelqu’un, au terme d’un parcours tout aussi exigeant, me montre où et comment je me suis trompé. Alors, c’est avec joie que je corrige mon tir.
      Dans l’étroite fenêtre de ce blog, je ne peux qu’indiquer tel ou tel de mes bouquins qui répond à tel ou tel commentaire.
      Pour Marie-Madeleine, appelez dans la fenêtre « rechercher » du blog l’article « Marie-Madeleine a-t-elle été l’amante de Jésus », publié en 2006. Il résume le chapitre consacré à la question dans mon essai « Jésus et ses héritiers ».
      M.B.

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    2. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je viens de lire votre article sur Marie-Madeleine = le disciple que Jésus aimait. Vous y reprenez des élucubrations qui circulent dans les milieux ésotériques depuis longtemps. Je ne joue pas dans cette cour-là, pardonnez-moi.
      Amicalement, M.B.

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  2. GLOWACKI Pierre

    Bonjour Michel,

    J’ai lu tous vos livres et bien d’autres sur Jésus. Cet homme me fascine et en ce moment j’en suis au 5ème tome de » l’évangile tel qu’il m’a été révélé » de Maria Valtorta et j’avoue être sidéré par les détails des descriptions de la vie du Rabbi dans la Palestine de l’époque.
    Connaissez-vous cette oeuvre?
    Si oui que pensez-vous de ce texte qui décrit la vie de Jésus de sa naissance, durant les trois années de son « ministère » et jusqu’à sa résurrection?

    Ci- dessous un copié/collé légèrement modifié du résumé du livre de Jean François LAVERE

    D’où Maria Valtorta possédait-elle ses mystérieuses connaissances en astronomie, en géographie, en histoire, en Ecriture Sainte et en tant d’autres disciplines ?
    Au terme d’une étude rigoureuse, le polytechnicien Jean Aulagnier affirma qu’aucune intelligence humaine ne pouvait maîtriser un tel savoir dans des matières si variées.
    L’œuvre de Maria Valtorta est une énigme
    De 1943 à 1947, immobilisée dans son lit par la maladie, elle écrivit en 4 ans à peine et d’un seul jet son œuvre maitresse (122 cahiers, soit près de 15 000 pages manuscrites, sans aucune rature)

    Ingénieur à la retraite, Jean-François Lavère se consacre depuis plus de dix ans à répertorier et analyser méthodiquement la véracité des milliers de données fournies par le récit de Maria Valtorta.
    Dans son livre « L’Énigme VALTORTA » il propose de nombreux exemples de l’érudition stupéfiante et souvent méconnue dont la mystique italienne a fait preuve (Géographie des lieux, historicité des personnages, archéologie, arts et techniques, us et coutumes, faune et flore et, bien sûr, cohérence de la chronologie). Il montre que Maria Valtorta donne souvent des précisions connues seulement de quelques spécialistes, voire même dans certains cas totalement inconnues au moment de leur rédaction, et confirmées depuis.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je n’ai pas d’opinion sur les « connaissances » des mystiques. Sauf que
      1- Le Bouddha dit à plusieurs reprises que l’Éveillé(e) jouit de connaissances qui ne lui viennent pas de ses sens.
      2- Les mystiques que je connais & fréquente & tiens pour des amis (Thérèse d’Avila, J.M. Vianney, Thérèse Martin, etc.) font preuve d’une étonnante perspicacité & prémonition.
      Moi je ne suis qu’un ouvrier-mécanicien des textes…
      M.B.

      Répondre
    2. JR

      Bonjour,
      Si j’en crois https://fr.wikipedia.org/wiki/Maria_Valtorta l’Eglise Catholique condamne son oeuvre : « En 1993, à l’initiative du cardinal Ratzinger et de la Congrégation pour la doctrine de la foi, la Conférence des évêques italiens demande à l’éditeur de Maria Valtorta de publier un démenti à l’intérieur des volumes « qui indique clairement, dès la toute première page, que les “visions” et les “dictées” auxquelles il est fait allusion sont simplement des formes littéraires utilisées par l’auteur pour raconter la vie de Jésus à sa manière. Elles ne peuvent être considérées comme étant d’origine surnaturelle »3. »
      Il y avait eu un précédent intéressant avec Anne-Catherine Emmerich (ou Emmerick). Pour elle aussi on a pu soutenir que ses visions de la vie du Christ étaient « authentiques », mais c’est plus que sujet à caution (elle avait aussi vu les habitants de la lune, parait-il…).

      Bref, je n’ai pas approfondi le cas Valtorta (wiki donne des liens pour et contre) mais j’y regarderai à plusieurs fois avant d’y voir une connaissance surnaturelle (comparaison n’est pas forcément raison, mais ça me fait penser aux âneries de Bucaille sur le Coran http://bouquinsblog.blog4ever.com/la-bible-le-coran-et-la-science-maurice-bucaille ).

      Répondre
      1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

        L’Église catholique a toujours regardé de travers et/ou condamné les mystiques. Parce que pour elle n’y a qu’UNE SEULE source d’informations sur Dieu and Co, c’est elle.
        Comme la SNCF, elle ne veut pas qu’on roule sur d’autres rails que les siens.
        M.B.

        Répondre
  3. D. Gris

    Simplement pour information de ce que présente le livre d’Urantia :
    « P.1342 – §5 4. L’Évangile de Jean. L’Évangile selon Jean relate beaucoup d’oeuvres accomplies par Jésus en Judée et aux environs de Jérusalem, et dont la description ne figure pas dans les autres récits. C’est l’Évangile dit selon Jean fils de Zebédée ; bien que Jean ne l’ait pas écrit, il l’a inspiré. Depuis le manuscrit original, cet Évangile a été remanié à plusieurs reprises en vue de le faire apparaître comme ayant été écrit par Jean lui-même. Au moment de composer son récit, Jean avait les autres Évangiles et vit que beaucoup de choses y avaient été omises. En conséquence, en l’an 101, il encouragea son associé Nathan, un Juif grec de Césarée, à commencer une narration écrite dont lui, Jean, fournirait les matériaux de mémoire et en se référant aux trois écrits alors existants. Il n’avait pas de documents écrits personnels. L’Épitre connue sous le titre de “ Première de Jean ” fut écrite par Jean lui-même comme lettre de présentation du travail que Nathan exécutait sous ses directives.  »
    Puis une présentation de l’apôtre Jean lui-même – cf. chapitre 4 de la référence suivante qui permet de cerner la psychologie de l’homme – invérifiable mais ça peut apporter un autre regard :
    http://www.urantia.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=89:139-les-douze-apotres&catid=34:4-la-vie-de-jesus-alias&Itemid=99

    Merci pour votre travail

    Répondre
  4. Olivier

    Bonjour,
    Ne pensez vous pas que Jacques Le Juste dit : »Le Maitre de Justice » , a joué un rôle important au près de Jésus?
    Merci
    Cordialement
    Olivier

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Du vivant de Jésus il s’oppose à lui, comme ses 3 autres frères, Jn 7, 1-19.
      Après sa mort, il est le pilier de l’Église judéo-chrétienne de Jérusalem à laquelle Paul s’oppose.
      M.B.

      Répondre
      1. olivier

        on peut s’opposer sans pour autant ne pas avoir d’affection . Ils étaient déstabilisés par leur frère .
        Jésus avait un rayonnement inhabituel.
        Jacques aimait son frère et il l’a protégé jusqu’à son éveil …
        Les judéo-chrétiens des premiers jours formaient la charpente du mouvement Nazôréen .
        La famille de Jésus en était des adeptes et les dirigeants
        Ils n’ont pas compris le message universel de Jésus. Ils étaient judéens et suivaient rigoureusement la loi (Torah orale).Ils ne pouvaient remettre en question leur croyance .Ils étaient juifs et l’incompréhension du message de Jésus les a fait se radicaliser sur l’appartenance de ce dit message qui était pour eux en parti Familiale et ne pouvait s’ouvrir au non juif .
        Ils sont devenus gênant pour Paul, Pierre et les Pharisiens …
        Paul a sans doute une responsabilité dans la mort de Jacques en 62 .
        Le mouvement Nazôréen composé des proches de Jésus ,est sans doute à l’origine de l’Islam !

        cela reste une interprétation…
        cordialement
        olivier

        Répondre
        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Vous résumez (en gros) ce que je publie depuis des années, après moult travaux ! Voyez l’article de ce blog « Jésus était-il nazôréen ? »
          M.B.

          Répondre
        2. Jean-Marie

          Mon inculture me faisait penser jusqu’ici que la famille de Jésus était non pas judéenne, mais galiléenne.

          Et voilà que je tombe sur un long texte que je ne puis que survoler vu mon agenda
          http://www.diatala.org/article-jesus-christ-etait-il-juif-ou-judeen-112776343.html

          Quoiqu’il en soit Pierre et son frère n’était-il pas aussi galiléens ?

          Questions annexes : Jésus le Galiléen a-t-il aussi et entre autres victime de racisme de la part des « Judéens » (habitants de la Judée qui méprisaient aussi les Samaritains).

          A-t-on une vague idée en pourcentage de la répartition ethnique en Palestine au début du premier siècle, alors qu’il semblerait qu’il y avait à l’époque déjà plus de pratiquants d’un des judaïsmes « loin de' » Jérusalem que près de Jérusalem ?

          Répondre
          1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

            1- Jésus était galiléen
            2- Pierre aussi (son accent le trahit)
            3- Racisme, non. Mépris, oui.
            4- Pas que je sache
            M.B.

            Répondre
          2. JR

            Un autre candidat messie, Jean de Giscala (c’est en Galilée), va diriger la grande révolte contre Rome. Une première importante révolte avait été menée par Judas de Gamala (aussi en Galilée, il y a des raisons de penser que c’est la vraie Nazareth : http://bouquinsblog.blog4ever.com/divers/nazareth.htm ).

            Cette histoire est manifestement tronquée chez Flavius Josèphe (il dit que Judas de Gamala a échoué mais laisse ignorer s’il a été tué au combat, exécuté, ou s’il s’est sauvé, et que quarante ans après ses fils Jacob et Simon sont crucifiés, on ne sait pas pourquoi).

            Répondre
            1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Merci. A cette époque Nazareth était assez peu importante pour n’être mentionnée par aucun chroniqueur, par exemple Flavius Josèphe, qui décrit en détail la Galilée où il a été en opérations militaires et qui connaissait l’existence de Jésus.
              M.B.

            2. Jean-Marie

              Il y a un problème à propos de Jésus de Nazareth. Il est dit dans un des « petits écrits » que Jésus prèche dans sa synagogue natale et que vu les « horreurs blasphématoires » qu’il raconte, on essaie de l »emmèner en haut d’une falaise proche pour le précipiter dans le vide. Or il n’ya pas de falaises près de Nazareth, mais il y en a côté de Capharnaum

            3. JR

              « Nazareth » signifie « ville des saints » ou « des purs ». Aucune ville ne peut s’appeler ainsi en permanence. C’est donc un surnom (une ville peut en avoir, « Ville éternelle », « Ville rose »…) à partir du moment où elle est occupée par des gens qui se jugent saints ou purs.

            4. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Basé sur « nazîr » = « mis de côté » = « saint ». En tirer des conclusions sur l’Histoire de Nazareth & de sa population & de Jésus me semble artificiel.
              M.B.

            5. Jean-Marie

              On se comprend bien, Michel?

              D’après l’exégète que vous êtes incontestablement, même si on peut contester certains de vos points de vue et certaines de vos conclusions, on ne connaîtrait pas le nom officiel du village de naissance de Jésus ?

              Interrogeant, n’est-il pas ?

              A propos de villes palestiniennes, partagez-vous le point de vue de Filkenstein et Silberman selon qui, à l’époque de David, Jérusalem n’était qu’un tout petit village de montagne ? Et donc que le grand David n’était et ne fut, comme son fils Salomon, qu’un petit roitelet fondateur néanmoins d’une « maison » (au sens lignée familiale) tel évoqué dans un texte égyptien ?

            6. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              1- Non. C’est très fréquent à cette époque, sauf pour des personnages importants de l’empire (et encore)
              2- Oui, biens sûr.
              M.B.

            7. JR

              Gamala est aussi sur des falaises. Par contre, rien dans l’Evangile ne colle avec la Nazareth actuelle, identifiée comme telle au huitième siècle.
              Et il y a tout ce qui relie Jésus au mouvement zélote, donc à Gamala.

            8. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Oh la ! Les liens de Jésus avec les zélotes = aucuns, au contraire. En revanche, 3 de ses apôtres étaient passés par le mouvement zélote (Simon « le Zélote », Pierre Barjona, Judas Iscarioth). Voyez « Dieu malgré lui » ou « Jésus et ses héritiers ».
              M.B.

            9. JR

              Les zélotes et Jésus avaient en commun l’implantation en Galilée, la revendication du titre de Messie, les accusations lancées contre eux. Pour Jésus, voir Luc 23:2 qui comporte exactement ce que Josèphe impute aux zélotes. Il est invité à se défendre, il ne se défend pas.
              Ne pas oublier que tous ces texte, y compris ceux de Josèphe, ont été récrits en fonction des évolutions de la doctrine chrétienne.

            10. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Oui. Lc 23,2 : Jésus ne s’est jamais « dit le Messie » = fabrication de l’Église primitive.
              Voyez Mt 26, 55 et // : Jésus se défend d’être un « lestes » = Zélote.
              M.B.

            11. Jean-Marie

              Ne pas oublier que tous ces texte, y compris ceux de Josèphe, ont été récrits en fonction des évolutions de la doctrine chrétienne.

              C’est attesté ? Comment le sait-on ?

            12. JR

              Matthieu 26:55 (comme les homologues dans Marc et Luc) emploie clairement le mot « lestes » au sens premier de « bandit ». Par ailleurs Josèphe qualifiait les zélotes (c’est aussi un mot grec) de « bandits » parce qu’il les détestait (et un maquisard, de quelque cause que ce soit, doit bien vivre de quelque chose donc fatalement donner prise à des accusations de banditisme).
              Ce passage ne prouve rien sur ce plan. Pour moi, il indique plutôt que Jésus, en fait, espérait rallier à lui ceux qui venaient l’arrêter.

            13. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Il prouve que Jésus se désolidarise des lestai et de leur violence – comme le confirme tout son enseignement.
              M.B.

            14. JR

              Il y a aussi des appels à la violence dans l’Evangile et dans la bouche de Jésus. Il demande même à ses disciples de s’armer à un moment (Luc 22:36). L’Apocalypse est très guerrier et s’ouvre par les mots : « Révélation de Jésus Christ… »

            15. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Jésus rejette toute violence (voir sa réaction à la menace de Pierre lors de son arrestation). Quant à Lc 22, 36, un peu d’exégèse : v. 35 = consignes de Jésus = se comporter comme des Esséniens en voyage. V. 36 = correction de l’Église primitive, après la guerre de 68-70 où les Esséniens ont pris les armes.
              M.B.

            16. JR

              Vous ne supportez plus la contradiction ? Qu’est-ce qui est le plus crédible, que Matthieu (16) ait ajouté le passage « des clés » (qui casse maladroitement le rythme du récit et emploie le mot « église » dans un sens anachronique), ou que Marc (8) et Luc (9), où on ne sent aucune lacune, l’aient oublié ? De même, qu’est-ce qui est le plus crédible, que Matthieu (26) ait ajouté le « qui combat par l’épée… » ou que Marc (14) et Luc (22) l’aient oublié ?

            17. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              J’apprécie la contradiction, qui fait partie de mon « métier », et remercie toujours les contradicteurs. Mais je ne peux pas répondre en qques lignes à des questions complexes, souvent traitées en détail dans l’un ou l’autre de mes bouquins. D’où mes réponses lapidaires.
              Amicalement, M.B.

  5. Vincent Borie

    Bonjour Michel

    Votre propos est passionnant. Mais, si l’on relit Tresmontant – qui avait lui aussi quelques titres établissant le sérieux de ses écrits -, l’Evangile de Jean a bien été écrit en Hébreu, et non pas en araméen.
    Autre choses :
    – en revenant au « noyau dur » contenu sous les pelures d’oignon, on découvre un homme, ses paroles, ses actes, et la beauté de son message. C’est déjà ça, et cette exemplarité est en soi féconde. Mais en dépiautant les textes de la sorte, ne sommes-nous pas en train de ramener Dieu, à notre petite échelle. C’est déjà ça, mais je me sens bien petit, et je ressens le besoin d’une verticalité qui me tire vers le haut !… André Frossard disait : « La foi, c’est ce qui permet à l’intelligence de vivre au-dessus de ses moyens ».
    – En suivant votre raisonnement, on prendrait presque un « malin » plaisir à rejoindre la cohorte des contempteurs de l’Eglise, vaste organisation née d’une volonté « politique », un temps totalitaire, et dont la vocation serait d’exercer un « pouvoir ». Il y a certainement des choses à revoir dans son fonctionnement et ses pratiques, mais il me semble que justement – et c’est ça qui est intéressant et qui fait que cette structure ou ce système perdure -, elle s’y emploie avec beaucoup de discernement et d’énergie. L’essentiel restant quand même que le message soit transmis. Et il l’est !
    André Frossard : « Les vérités de foi ne sont pas des instructions édictées par une autorité supérieure ; ce sont des messages de l’amour infini qui contiennent toute espérance. Il y a bien des façons de les recevoir ou de les lire, et ils ont la propriété de faire de chacun de leurs destinataires conscients une personne distincte, unique et irremplaçable… »
    Vincent

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      1- Tresmontant fut un pionnier. Il avait des intuitions justes, mais manquait cruellement de formation à l’exégèse scientifique.
      2- Rencontrer l’homme Jésus dans le récit du 13° disciple et dans la partie non-modifiée des synoptiques, c’est être sur un tremplin qui vous projette vers un dieu bien différent de tous les autres !
      3- Sans l’Église, nous ne saurions de Jésus. Elle l’a manipulé par la suite, mais l’homme & son message sont tellement puissants que l’Église continue de le véhiculer, avec des périodes (13° siècle, aujourd’hui) de rapprochement.
      Amitié, M.B.

      Répondre
      1. Jean-Marie

        Si vous deviez, Michel, sélectionner dans les quatre « petits » textes évangéliques les paroles que vous estimez authentiques et originales de Jésus, ça prendrait combien de lignes ?

        Quelles sont pour vous les dix paroles les plus importantes ?

        Merci

        Je ne retrouve plus le nom de l’exégète juif hiérosolymite (qui fut aussi adjoint au maire) qui a expliqué que certaines paroles apparemment personnelles de Jésus étaient en faites des citations des Ecritures

        Répondre
        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Certainement les paraboles, peu ou pas remaniées (sauf Enfant prodigue Luc 15, sa 2° partie = Église primitive).
          André Chouraqui ?
          M.B.

          Répondre
          1. Jean-Marie

            Les paraboles seraient des « inventions » originales de Jésus ?

            Merci; c’est bien Chouraki que j’ai retrouvé fortuitement hier dans une librairie. lilloise
            Le patronyme, pas le bonhomme :-)

            Répondre
            1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Jésus n’a pas inventé la forme « paraboles », elle était répandue dans le judaïsme (et dans toute l’Antiquité, voyez Ésope). Mais c’est là qu’on trouve son enseignement le moins manipulé : ses paraboles sont si parfaites littérairement, qu’on ne peut pas toucher un mot sans les défigurer.
              M.B.

            2. Jean-Marie

              Je pensais dire puisque vous retenez comme authentique les paraboles, est-ce que ces paraboles- là , et pas le concept « parabole », sont des fruits de l’imagination didactique personnelle de Jésus ?

              La question fondamentale quand on nie la divinité de Jésus est : peut-on réaliser le meilleur souhait que notre Ineffable Source et Finalité pouvait concevoir pour nous, c’est à dire devenir amour seconde après seconde éveillée pour le moins, sans (re)connaitre Jésus, sans en avoir jamais entendu parlé ou au moins sans être chrétien, en le tenant « seulement »pour un réincarné (et guérisseur) d’un haut niveau ?

              L’ennuyeux dans ce cas, c’est qu’il faut expliquer et les stigmatisés type Padre Pio et les apparitions mariales vérifiées.

            3. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

              Je m’interdis de mélanger tout avec mon travail d’exégète = archéologue des textes.
              M.B.

        2. JR

          L’authenticité au sens strict (de lui personnellement ou pas) n’est qu’un aspect parmi d’autres (sauf bien sûr si on reste attaché à l’idée que si c’est lui c’est bien et sinon c’est mal). Je signale que « Le Sabbat est fait pour l’Homme et non l’Homme pour le Sabbat » avait été lancé bien avant lui par un… pharisien (s’il y a quelque chose d’inauthentique, encore une fois, ce sont bien les imprécations en bloc contre les pharisiens comme dans Luc 11). Voir http://bouquinsblog.blog4ever.com/paul-et-l-invention-du-christianisme-hyam-maccobi

          Répondre
          1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

            Jésus a été éduqué par des pharisiens de province, il était lui-même pharisien, normal qu’il se réfère à leur tradition comme il utilise leur méthode dialectique.
            Les « malédictions contre les pharisiens » de Luc et // ne sont pas de lui mais de l’Église primitive.
            M.B.

            Répondre
  6. Jean-Marie

    Merci Michel

    Il serait intéressant de bénéficier du point de vue d’un théologien ou si vous préférez d’un exégète encore personna grata au Vatican ou au moins aux yeux de François sur cette magistrale conférence à propos de quatre célèbres et très répandus « petits textes ».

    Mais quand donc un texte devient grand en nombre de signes à vos yeux ?

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Lisez « L’évangile du 13° apôtre » : contrairement à la plupart des exégètes, je pense (et je montre) que l’épisode de la femme adultère est original dans le 4° évangile.
      M.B.

      Répondre
  7. JR

    Enfin, c’est chez Luc que je vois le plus de passages qui semblent avoir échappé aux réécritures, qui racontent ce que je crois (après bien d’autres) être l’histoire d’origine : http://bouquinsblog.blog4ever.com/evangile-de-luc-selection-incongrue

    Mais par exemple l’épisode, chez Jean, où Pilate refuse de changer le titulus, donc le motif de la condamnation de Jésus (qui reste « roi des Juifs » et non pas « prétendu roi des Juifs » autrement dit : « Vous avez voulu crucifier votre roi, assumez ! »), est peut-être aussi d’origine…

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      « Chez Luc » il y a en effet (il l’annonce en préambule) des informations qui lui sont propres.
      La Passion chez « Jean » = récit du témoin oculaire, + ou – corrigé par les amplificateurs.
      M.B.

      Répondre
  8. JR

    Bonjour,
    Le récit de la Femme adultère est passé de Luc (où il s’inscrivait dans la continuité des questions pièges, http://daruc.pagesperso-orange.fr/divers/qp.htm) à Jean.
    Difficile de soutenir que l’auteur de « Jean » était un témoin direct, au moins pour certains épisodes. Sa façon de raconter l’arrestation de Jésus est parfaitement onirique et mythique, à comparer avec Marc, prosaïque, réaliste, sobre, et psychologiquement très vraisemblable si on considère que Jésus avait l’intention, non pas de se laisser arrêter mais de rallier à lui ceux qui viennent l’arrêter, les Juifs de la garde du Temple. Il y serait peut-être arrivé sans la fuite des disciples (mais dès lors, « tout est consommé »). On ne saura jamais quel passage des Ecritures ils voulait invoquer.

    Répondre

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