APOCALYPSE NOW ? État des lieux (I), la terre brûle

  « Hommes et femmes rassasiés d’ans, nous qui avons vécu, nous témoignons ». Nous avons connu un âge où la planète, encore généreuse, se laissait fouiller, extorquer, piller, sans protester. Où l’Occident saigné par deux conflits mondiaux se relevait, reprenait sa première place, se jurait d’être heureux. Où tout semblait, sinon facile, du moins à portée de main. Nous dominions le monde et les événements, nous étions les maîtres du destin, rien ne pouvait plus nous ébranler.

Pourtant des fissures, des crevasses apparaissaient ça et là dans l’orgueilleuse construction de notre gloire. Certains s’en inquiétaient et le disaient, de plus en plus fort. Avec mépris, on les traitait de déclinistes, de catastrophistes. Annonçaient-ils la fin de la croissance, l’inévitable nécessité de la décroissance ? On les moquait, on les méprisait, on les raillait : « Sachez, leur disait-on, que l’Homme sur cette planète n’a jamais cessé de croître, d’inventer, de réaliser. Rien, absolument, ne peut lui résister. Nous sommes invincibles, et peut-être un jour serons-nous immortels ».

Et puis l’impensable s’est produit. Un minuscule virus, une pelote d’ARN sans visage s’est introduite dans nos programmes de bonheur infini. La maladie ? C’était une de ces vieilles malédictions que nous avions appris à dominer, nous la maîtrisions, nous la contenions, elle était vaincue. Le virus nous a frappé là où on ne s’y attendait pas : dans notre santé collective. Un choc violent, à grand bruit, mondial. Avec des grincements douloureux et pathétiques, la machine s’est bloquée. Sous le choc nos yeux se sont ouverts, l’angoisse nous a saisis, et une petite voix s’est mise à murmurer en nous : serait-ce la fin ? La fin du monde que nous avons connu jusqu’ici ? La fin de nos conforts,  de nos habitudes, de nos certitudes ?

Cette fois-ci, impossible de mettre la tête dans le trou pour ne pas voir. Rien ne sera jamais plus ‘’comme avant’’, une étape nouvelle s’ouvre devant nous. Il faut regarder en face les précipices vers lesquels nous courons, en commençant par notre terre.

La planète épuisée

Avant l’épidémie, les circonstances nous obligeaient déjà à ne plus détourner les yeux devant cette réalité : notre planète est comme un grenier à blé, que l’espèce humaine a trouvé plein en en prenant possession. Elle y a vécu pendant des millénaires en respectant le contenu du grenier. Et puis brusquement, vers 1830, elle s’est mise à le dévorer, de plus en plus vite, avec de plus en plus d’appétit. Après deux siècles de ripaille, elle s’aperçoit que le grenier est aux trois quarts vide. Que, lorsqu’il n’y aura plus rien, rien ne viendra remplacer ce qui a été consommé.

Ce grenier, il est fermé sur lui-même au milieu du vide cosmique. Il y a encore deux cents ans il contenait une certaine quantité de pétrole, de charbon, de gaz, de métaux, de sable, etc. Une quantité finie de chacun de ces éléments, qui jamais ne se renouvellera. Rien ne les remplacera quand ils auront disparu. Nous avons du mal à l’accepter car tout se renouvelle sans cesse sur terre, les saisons, les plantes, les marées, la vie elle-même. Et l’on se dit : « Bah, après le pétrole, après le gaz naturel, après le charbon, on trouvera bien autre chose ».

Eh bien non ! On ne trouvera rien d’autre, parce qu’il n’y aura plus rien : nous aurons vidé le grenier.

Ou plutôt, on ne trouvera rien pour continuer à vivre comme nous vivons aujourd’hui. Il faudra vivre autrement. Mais comment ? Comment transporter des millions de containers, faire voler des avions, labourer les champs, sans énergies fossiles ? Comment construire des habitations, sans sable ? Des batteries électriques, sans lithium ? Comment boire, sans eau ? Que manger, sans terres à cultiver ? Comment respirer, sans air ?

Sans compter qu’ayant détruit son habitat naturel, nous obligeons la faune sauvage à vivre de plus en plus en contact avec nous. Des virus, endémiques chez elle, nous sont transmis avec des conséquences catastrophiques. Ainsi du S.I.D.A., du strass, du corona, capables de contaminer la planète en quelques mois. Quel sera le prochain ?

Fin d’un monde, ou fin du monde ?

Bientôt huit, neuf ou dix milliards d’êtres humains voudront vivre comme a vécu avant eux le milliard qui aura sans scrupules dévalisé la planète. Ils voudront avoir le même confort, la même nourriture, la même santé, les mêmes loisirs que pendant cette période d’abondance, qui restera marquée dans leurs souvenirs comme un mirage au désert. Leurs rêves les pousseront à quitter leurs pays pollués, ruinés, dévastés, pour déferler là où (croiront-ils) reste encore un peu à manger, un peu à vivre. La planète ayant été pressurée jusqu’à la dernière goutte, elle n’aura plus rien à leur donner. Alors, ce seront des guerres d’une ampleur et d’une violence inédites entre ceux qui auront encore quelque chose, et ceux qui n’auront plus rien. Cela n’a-t-il pas déjà commencé ?

Privée de ce qui la faisait vivre jusque là, peut-on imaginer une extinction progressive de l’espèce humaine ? Non, elle a prouvé son exceptionnelle capacité de résilience, elle survivra (1).

Un nouveau monde naîtra, qui n’aura rien à voir avec le paradis écologique qu’imaginent aujourd’hui nos bobos-écolos européens. Un monde traumatisé sur une planète épuisée, vidée de ses ressources énergétiques, de son pétrole, de son gaz, de son charbon, sans métaux nobles, sans forêts… Une planète dont le sol, l’air et l’eau mettront peut-être des siècles pour se remettre de ce que l’espèce humaine leur aura fait subir.

Tout cela, on le sait. Et pourtant on continue, comme par le passé, à piller ce qui reste du grenier.

L’exemple de la Révolution française

Au milieu du 18e siècle, des intellectuels et des aristocrates avaient pris conscience que leur vieux monde féodal ne pouvait plus durer. Avec l’égoïsme cynique qui était le leur ils se sont dit, comme Louis XV : « Bah ! Les choses telles qu’elles elles sont dureront bien autant que nous ! ». Ou comme la Pompadour : « Après nous, le déluge ! ». Ils ont vu venir la Révolution qui allait dévaster la France, et n’ont rien fait pour la prévenir. Bien plus, ils ont obstinément refusé d’abandonner leurs privilèges, préférant mourir plutôt que de changer quoi que ce soit à leur mode de vie. Certains d’entre eux, plus lucides que les autres (2), ont été conscients que leur aveuglement volontaire mènerait le pays à une guerre civile atroce, à un effondrement général. « Quiconque n’a pas vécu sous l’Ancien Régime, disait Talleyrand, ne peut pas savoir ce qu’était la douceur de vivre ».  Ils ont voulu vivre dans cette douceur jusqu’au pied de l’échafaud, comme ces aristocrates qui se faisaient livrer un souper fin dans leur cachot de la Conciergerie, la veille de leur exécution.

Sachant depuis longtemps ce qui se profilait à l’horizon, mais n’ayant rien fait pour l’éviter.

Le temps des cerises…

Aujourd’hui, la situation est différente. Ce ne sont pas des privilèges qu’il faut abolir pour passer d’une forme de société à une autre. C’est la survie de toutes nos sociétés, à l’Est comme à l’Ouest, qui est en jeu. Mais notre comportement est le même que celui des aristocrates du 18e siècle. Comme eux, nous savons. Jamais la planète n’a été autant étudiée, les rapports s’accumulent. Nous savons combien de pétrole, de charbon et de gaz il nous reste à brûler, de métaux à extraire du sol, de forêts à couper. Comme à la veille de la Révolution nous continuons, imperturbables, à faire des discours et à vivre ainsi que nous avons toujours vécu.

Et comme ces malheureux, c’est les yeux ouverts que nous allons à la guillotine.

« Lève la tête, homme du soir ! » Il est fini, le temps des cerises. Celui des travaux érudits, des controverses pointues et gratuites sur le sens d’un mot, sur la genèse d’une idée. Cette discipline austère et rigoureuse de l’esprit, je l’ai aimée. Après avoir beaucoup travaillé et cherché, parcouru bien des chemins, après avoir vécu dans le confort d’un monde immuable, il est maintenant temps de changer de regard (3).

                                       M.B., 12 mars 2021
À suivre : APOCALYPSE NOW ? État des lieux (II), chacun pour soi.
(1) Sauf si elle a été durablement transformée, abîmée, par des guerres qui provoqueraient des mutations génétiques imprévisibles.
 (2) Voyez par exemple les Mémoires du Prince de Ligne, de la marquise de La Tour du Pin de Mme de Tourville, d’un Bourgeois de Paris.
(3) Ce sera une série de réflexions commencée avec l’article précédent, À mes lectrices et lecteurs

6 réflexions au sujet de « APOCALYPSE NOW ? État des lieux (I), la terre brûle »

  1. Ange Lini

    Bonjour, Mr Benoit et merci d’avoir gagné votre « défi d’avec le temps ». Il est peu de fois où l’on vainc contre lui, mais quand cela arrive, le temps est généreux en retour. Et qui d’autres que vous serait le parfait témoin de l’époque qui s’annonce …
    Je suis d’accord avec Théodore Monod ;  » Le Christianisme véritable n’a pas encore vraiment commencé  » mais avec cette crise sanitaire mondiale qui ne va qu’empirant, il ne saurait tarder. Ces enseignements bis-millénaires, maltraités depuis autant de temps, vont devenir prépondérants aujourd’hui à la résilience des survivants de la Mère des crises qui tombe sur l’humanité. Champs politique, économique et sanitaire dévastés, la pseudo civilisation occidentale s’effondre sous le poids infâme de son hybris. Marx et Engels ne faisant plus recettes, une certaine barbarie s’installe peu à peu, touchant maintenant les plus jeunes. Tout est en déliquescence sans que personne ne semble apte à raisonner la folie s’accélérant … Le monde d’avant n’est plus et c’est tant mieux. Son niveau d’hypocrisie est devenu tel, que le » bien » apparait dans toute son immense laideur… Le monde d’après est encore incertain. Il pourra être inspiré par l’Homme Jésus, (ce que je souhaite), ou le sous homme Mad Max (ce que je crains) … La spiritualité à de beaux jours devant elle, contrairement aux religions usurpatrices du « bien fondé ». Dommage que le fascisme aussi, ait autant de beaux jours devant lui que ce qui l’en faut pour avoir la force de le défaire … Cette force pour ma part, je ne peux la trouver que dans les yeux d’un Enfant. C’est son regard silencieux qui me demande d’imiter l’Homme Jésus. Ce regard qui supplie de lui assurer un avenir radieux…
    Merci d’avoir dé-divinisé un Homme exceptionnel certes, mais du coup accessible à tout humain à la recherche de son propre courage. Car il va en falloir autant que lui pour renverser les tables que l’on nous sert …

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Hélas je crains que « le christianisme véritable » ne soit pas pour demain. Votre commentaire dit mieux que moi ce que je viens de mettre en ligne. A la fin de cette série, il faudra répondre à la question ; « Comment (sur)vivre dans le monde d’après ? »
      Merci, M.B.

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    2. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Hélas je crains que « le christianisme véritable » ne soit pas pour demain. Votre commentaire dit mieux que moi ce que je viens de mettre en ligne. A la fin de cette série, il faudra répondre à la question ; « Comment (sur)vivre dans le monde d’après ? »
      Merci, M.B.

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  2. Jean-Claude Lacaze

    Un nombre croissant d’auteurs, de scientifiques d’institutions nous annoncent effectivement que l’humanité est bien aujourd’hui menacée de périls mortels…
    Oui le temps des cerises est fini. Il faut effectivement changer de regard. Une nécessité, sortir de l’obscurantisme des fictions théistes, privilégier le séculier, les savoirs biologiques, écologiques, cosmiques, privilégier la religion de la loi naturelle (Ouvrages de Yuval Noah Harari : Sapiens, Homo deus, 21 leçons pour le XXIème siècle).
    Pour les chrétiens c’est comprendre avec Teilhard de Chardin que tout évolue, c’est peut-être aussi comprendre avec Christian de Duve, prix Nobel de médecine, que le message de l’homme Jésus, que vous avez remarquablement décrypté, puisse en partie être détaché de l’institution qui l’a jusqu’ici mis en œuvre. Bref, comme l’écrivait malicieusement Théodore Monod, c’est déclarer que le christianisme véritable n’a pas encore vraiment commencé…

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je vais d’abord faire un « état de lieux », à grands traits de pinceaux. Et puis on en viendra aux questions que vous soulevez : comment vivre dans « le monde d’après ? »
      M.B.

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