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ROME, LE PAPE ET LE NÉGATIONNISME

          J’avoue suivre de fort loin l’ « actualité » de l’Église romaine, dont je n’attends rien depuis longtemps : mais là, quand même…

          En 1963, le Concile Vatican II publiait la déclaration Lumen Gentium qui définissait l’Église. Alors que ce concile se voulait résolument pastoral (c’est-à-dire qu’il n’entendait définir aucun nouveau dogme), Lumen Gentium propose une définition dogmatique de l’Église, face notamment aux autres croyances. Le Concile affirmait que l’Église du Christ « subsiste » dans l’Église catholique.

          Subsiste : un peu d’éthymologie, car il s’agit bien d’une définition dogmatique et le vocabulaire est technique. En philosophie aristotélicienne, Subsistit signifie « est le fondement de », « est le substrat de », « est la réalité qui en sous-tend une autre ». Dire que Ecclesia Christi subsistit in Ecclesia Catholica signifiait que l’Église catholique repose entièrement sur un en-soi idéal, l’Église voulue par le Christ. Par cette définition, Vatican II ouvrait la porte à une reconnaissance possible d’autres Églises : en effet, elles aussi pouvaient trouver dans l’en-soi « Église du Christ » leur fondement, leur substance, leur substrat. Cette définition fondait l’oecuménisme, lui ouvrant une voie royale.

          Le pape vient de déclarer que Vatican II n’aurait pas dû dire subsistit, mais est. C’est-à-dire que son Église, celle de Rome, n’est pas fondée sur l’Église du Christ, mais qu’elle est cette Église.

          Donc : la seule Église, c’est celle de Rome. Il n’y en a pas d’autre, aucune autre Église ou communauté chrétienne ne peut se référer à l’Église (idéale) voulue par le Christ. Puisque la catholique, à elle seule, possède toutes les fondations posées par le Christ : elle les épuise toutes en elle, il n’y a aucun substrat, aucune subsistance en-dehors d’elle. Elle ne subsiste pas, elle est.

          Et en-dehors d’elle, rien n’est de ce qui est : Extra ecclesiam, nulla salus.

          Cette déclaration enterre définitivement l’oecuménisme. Toutes les autres Églises, toutes les autres religions, n’ont d’autre solution que de disparaître, en se fondant dans l’Église catholique. Qui leur tend la main, mais en agrippant la leur pour les attirer à elle.

          C’est la fin d’un siècle d’immense espoir, initié par le cardinal Newman au tournant du XX° siècle : le rapprochement de ceux qui confessent le même Dieu, le même Christ.

          C’est aussi la première fois qu’un pape nie explicitement les définitions de caractère dogmatique proclamées par un concile avant lui.   Négationisme nouveau dans l’Histoire de la chrétienté. Innovation, progrès.

          Ratzinger commence sa déclaration en affirmant que « le Concile Vatican II… n’a rien changé dans l’absolu [du dogme] ». On l’avait compris : il ne s’est rien passé entre 1962 et 1965. Circulez, il n’y a rien à voir.

          Ainsi se confirme publiquement, nettement, ce que nous savons depuis longtemps : l’Église catholique ne changera jamais. Comme une stalactite, elle est calcifiée : de temps en temps, une goutte vient juste ajouter un millimètre de calcaire supplémentaire.

          A vrai dire, la planète n’en a que faire : il y a longtemps, aussi, qu’elle cherche hors de l’Église sa respiration et sa vie. En même temps que le visage, de plus en plus lumineux, de Jésus le nazôréen.

                               M.B., juillet 2007

Y A-T-IL UN PAPE EN AUSTRALIE (ou ailleurs) ?

Ouvrant (trop) ma tévé, j’ai aperçu sur tous les écrans la silhouette d’un vieillard en habit de scène rouge et blanc, indiquant à grand’peine au pilote d’un paquebot, de sa main frêle, le tracé exact du chenal de la baie de Sydney, qu’il était en train de parcourir au risque de heurter les vedettes des médias internationaux. « Qui est cette vedette du chaud-biz, qui se faufile ainsi entre les vedettes chargées de caméras », me dis-je ? 
          Ce n’était pas Mickael Jackson enfin devenu vieux : trop naturellement blanc. Ni Sean Connery : pas assez viril. Ni Nelson Mandela (l’âge correspondrait) : trop passe-partout. Ni Valéry Giscard (bien qu’il fut aussi déteint que lui).
          Non, me dit le spiqueur de la tévé, c’est le pape, vous savez, l’homme qui parle au nom de l’Occident.
          Dont il est la Conscience et l’espoir.
          J’apprends donc qu’il y a un pape encore, et ma vie s’en trouve transformée.
          La vôtre aussi, à n’en pas douter : comme il se peut que vous ne le sachiez pas, je prends la peine de lancer ce message sur les autoroutes d’Internet. Vous voilà informé, votre vie meilleure et plus légère, tout comme la mienne.
          Heureux d’être heureux.

          Cette poupée de porcelaine blanche parle : je vais enfin entendre le message de la Conscience occidentale. De quoi s’agit-il, pour que je vive enfin d’espoir renouvelé ?
           Il s’agit d’avoir honte parce que des prêtres (ce sont, je crois, des permanents de son association) ont profité de leur délégation de pouvoir pour en abuser auprès de bambins australiens, qui n’étaient même pas des aborigènes. Le pape a honte, il nous fait partager sa honte, nous invite à avoir honte avec lui.
          Et le spiqueur, très au courant semble-t-il, répète par trois fois que c’est la première fois qu’un pape a honte, et surtout qu’il le dit à la tévé.

          C’est donc avec mes oreilles devenues honteuses que je continue d’écouter la suite du discours de la Conscience occidentale : enfin, on va savoir s’il y a encore un Dieu, et surtout quels sont les chemins qui mènent à lui ! Le crooner sur son paquebot n’est-il pas un expert des chenaux compliqués et hasardeux de l’Aventure Spirituelle ?
          J’entends alors un manifeste inspiré des Verts (tendance Voynet), enrichi par Die Grünnen tendance Münich et corrigé par la toute dernière version californienne de l’écologie de demain.
          « Tiens, me dis-je, j’ai déjà entendu ça près de 1000 fois, et depuis vingt ou trente ans déjà ? La vedette, sur son paquebot, l’aurait-elle découvert hier ? » Mon bonheur est d’apprendre que l’homme en rouge et blanc est enfin au courant : la planète va mal. Il le sait, il le dit : donc, tout va mieux.
          Ensuite, il conseille aux jeunes présents (zoom de la caméra sur une jeune) d’être « les Prophètes de ce monde nouveau ». Quel monde nouveau, me dis-je, toujours naïvement désireux de partager la Conscience de l’Occident ? Celui de la honte, ou du programme écologiste ?

          La tévé étant ce qu’elle est, on passe immédiatement à la dernière étape du Tour de France. Qui suscite toujours mon intérêt passionné.
          Et dont l’intolérable suspense m’évite de réaliser que je n’ai toujours pas entendu, de la bouche de La Conscience de l’Occident, s’il y a un Dieu et comment on peut le rencontrer.
          Mais, des chemins de Dieu, qui se soucie encore en Occident ?


                           M.B., 21 juillet 2008

LE DISCOURS DU PAPE AUX BERNARDINS : à l’Ouest rien de nouveau.

          Dans Le Figaro du 6 septembre dernier, M. André 23 annonce le discours que le pape s’apprête à tenir aux Bernardins devant une assemblée de politiques et d’intellectuels français. Il donnera « par ce discours, l’exemple de [sa] capacité … de dialogue« . « Ce rendez-vous offre une représentation symbolique du christianisme », car « l’Église … n’est pas morte, elle vit une transition ».
          Des observateurs malveillants penseraient-ils donc que l’Église est « morte« , au point que l’archevêque de Paris croie urgent de publier qu’il n’en est rien ?
          Non, dit M. 23, l’Église  » vit une transition ». En français, revenir vers le passé se dit « rétrograder ». « Transiter », c’est toujours aller de l’avant : voyons donc, en relisant le discours du pape, vers quel avenir transite l’Église, quelle est sa « capacité de dialogue » avec le XXI° siècle, quel « christianisme elle représente symboliquement ».

          Du début à la fin, la référence qui structure le discours du pape c’est le monachisme médiéval. Tel du moins que l’a décrit le bénédictin Dom Jean Leclercq, qui fut un historien délicieusement passéiste, romantique et idéaliste.
          On peut s’étonner que le pape présente l’avenir du christianisme comme un retour à ce Moyen âge-là, et non pas – par exemple – comme un retour à Jésus. Question de présentation ? Non. Dans son discours, l’ineffable Dom Jean Leclercq est cité quatre fois, la Règle de saint Benoît quatre fois, Grégoire le Grand une fois, saint Augustin deux … Mais Jésus n’est cité qu’une seule fois : une courte parole, et pour expliquer pourquoi les moines ne dédaignèrent pas autrefois le travail manuel.
          Il fallait choisir entre un Moyen âge d’enluminures, ou bien le rabbin itinérant juif. Le choix est clair, les moyens et le terme de la « transition que vit l’Église » aussi.

Comment Dieu parle-t-il ?

          Revenu au Moyen âge, le pape pose son diagnostic : comme autrefois, l’Occident semble patauger aujourd’hui « dans un désert sans chemin, une recherche dans l’obscurité absolue » : c’est « l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes », nous sommes « dans la confusion [d’un] temps où rien ne semble résister » : pouvons-nous vivre « les yeux tournés vers la fin du monde ou vers [notre] propre mort » ?
          Non. Comme les moines d’antan, pour survivre il nous faut, « derrière le provisoire, chercher le définitif »
          Chercher le définitif, c’est-à-dire chercher Dieu.

          Or « Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, il a aplani la voie », et « cette voie était sa parole ». Dans le chaos que nous connaissons, un seul point d’ancrage stable : ce que pense Dieu. Et ce que Dieu pense, il l’a dit dans des paroles.
          Ces paroles, les recevons-nous directement de la bouche de Dieu ? Non, dit le pape :  » Dieu parle seulement dans l’humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire« . 
          Paroles des hommes, parole divine ?
          Non : le pape distingue les paroles (humaines) et La Parole – « Parole » avec un P majuscule. Pour lui La Parole est une entité indépendante, elle existait avant que commence l’Histoire : « Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même » : et cette Parole, elle « crée l’histoire ».
          Donc les humains n’écrivent pas une Histoire, la leur : c’est La Parole qui crée l’Histoire. Autrement dit, les humains accouchent d’une Histoire dont ils n’ont pas la paternité, leurs histoires successives écrivent un texte dont ils ne sont pas les auteurs. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est chercher, dans l’illusion d’une Histoire dont ils croient être les acteurs, un sens et une direction fixés par-avance.
          L’homme n’a pas à se comprendre à travers son histoire, mais à comprendre le dessein de Dieu dans l’Histoire.

Le fondamentalisme chrétien

          « La Parole de Dieu nous parvient seulement à travers des paroles humaines : la Bible est un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur plus d’un millénaire… des tensions visibles existent entre eux »
          Prendre ces textes à la lettre, les lire comme si c’était Dieu qui parle directement en eux, c’est « ce qu’on appelle aujourd’hui le fondamentalisme« , et cela conduit au « fanatisme fondamentaliste ».
          Allusion au fondamentalisme musulman : pour l’islam en effet, le Coran existe en lui-même, « au ciel », dans la pensée de Dieu, et n’a fait que « descendre » dans l’oreille d’un Muhammad inculte, qui l’a écrit sous la dictée d’un ange.
          Pour se démarquer de l’ennemi héréditaire (l’islam), et du redoutable concurrent d’aujourd’hui (le fondamentalisme évangélique), le raisonnement du pape est formulé dans une langue de bois qui est un chef d’œuvre de noyade des idées : une carpe n’y retrouverait pas ses alevins. Tâchons d’aller à la pêche de ce qui est dit, dans une mare de mots.

          « L’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire d’une façon moderne (sic) : le caractère divin des paroles [de la Bible] n’est pas saisissable d’un point de vue purement historique »
          Autrement dit, la lecture historico-critique de la Bible, officialisée par Pie XII en 1943, à l’origine d’un immense renouveau des études, n’est pas condamnée : simplement, elle est nulle et non-avenue.
          Car pour le pape citant Augustin, « la lettre enseigne les faits ; l’allégorie, ce qu’il faut croire ». Autrement dit, les faits (la réalité) sont une chose, mais la foi en est une autre.
          Ce qu’il faut croire (car c’est une obligation) ce n’est pas la réalité des faits.
          Maintenant, suivez bien, j’extrais le poisson de la mare :

          « Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation »
          Et qui donc interprète ? C’est « La communauté où s’est formée [l’Écriture] et où elle est vécue. En elle seulement… se révèle le sens » des paroles humaines consignées dans la Bible. « Il existe des dimensions du sens des paroles, qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire »
          Ce que dit le pape, c’est

1- Que Dieu parle à travers les faits de l’Histoire humaine, qu’il s’exprime à travers les paroles humaines de ceux qui ont vécu cette Histoire.

2- Mais que ces faits n’ont pas de réalité signifiante.

3- Et que ces paroles humaines ne signifient pas ce qu’elles signifient.

4- La réalité des faits, et les paroles qui l’expriment, ne prennent leur sens que quand ils sont interprétés.

5- Et celle qui est seule habilitée à interpréter, c’est l’Église. Jamais le pape n’emploie ce terme : il parle de « communauté » ou de « communion ».

          La boucle est bouclée : c’est l’Église qui donne leur sens aux paroles et crée la vérité de l’Histoire.
          L’Église : c’est-à-dire son magistère, et le pape en premier lieu.

          Le « fanatisme fondamentaliste » qu’il dénonce, c’est de prendre les Écritures à la lettre. Le fondamentalisme chrétien qu’il officialise, c’est de rejeter la réalité historique des Écritures pour lui substituer l’interprétation humaine d’un magistère, qui possède seul le pouvoir d’interpréter.
          Mater et Magistra : l’Église est mère, elle enfante le sens et la vérité. Mère dominatrice (Magistra) : elle impose son sens et sa vérité.

          C’est dans une autre partie du discours qu’il faut pêcher la confirmation du magistère de l’Église sur la vérité : « La foi… relève du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes » (voir Qu’est-ce que la vérité ?).

          Saluons au passage cet art magique de la noyade du poisson : nos intellectuels, sagement assis devant le magicien dans la salle des Bernardins, n’y ont vu que du feu.

La création continue

          J’irai plus vite sur le deuxième point-clé abordé par le pape : il est en cohérence parfaite avec ce qui précède.
          « Dieu est le créateur, dit-il : il travaille, il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. La création n’est pas encore achevée ! »
          Cette conception de la création continue constitue le fond de commerce inaltérable des Églises : si Dieu continue d’être à l’œuvre dans chacun des événements de l’Histoire, depuis notre vie quotidienne jusqu’à l’évolution de la planète, il importe de se trouver du bon côté. De pouvoir influencer Dieu, d’avoir prise sur lui afin de l’inciter à ménager ceux qui savent le reconnaître, et qui peuvent l’invoquer. Il faut avoir le pouvoir de faire changer Dieu d’avis, ou de décisions, pour qu’il « œuvre » dans le bon sens, le nôtre.
          Et c’est l’Église qui a ce pouvoir, puisqu’elle est l’unique médiatrice entre Dieu et les hommes.

          Ainsi, non seulement l’Église recrée l’Histoire à sa guise (par son interprétation des paroles du passé), mais elle est co-créatrice de l’Histoire en train de se faire, par son pouvoir d’influencer le « travail de Dieu dans la création inachevée »

          Quand, comme Dieu lui-même, on crée l’Histoire et la Parole (le sens de l’Histoire et le sens des paroles), l’avenir vers lequel on est en transition s’annonce en effet aussi glorieux que le passé.

          Jésus, reviens, ils sont devenus fous…

                   © M.B., 28 oct. 2008

L’ÉGLISE ET LES ENFANTS DU PÉCHÉ

          Le Monde du 11 août 2009 publie, en page 8, un article signé S.A. où l’on apprend que l’Église catholique songerait sérieusement à reconnaître les enfants engendrés par ses prêtres et ses prélats.

          Car un peu partout, depuis toujours, ces notables consacrés (qui ont fait promesse publique de célibat) se montrent abominablement semblables à nous, c’est-à-dire désireux de fonder une famille, et capables de faire des enfants. Lesquels ne peuvent exister, ni en droit ni même en fait, puisque le clergé est réputé chaste, comme l’était Jésus. Ce n’est pas un dogme, mais c’est la loi.

          Jusqu’à aujourd’hui, le Vatican a toujours fermé les yeux sur la vie sexuelle de son clergé. Mais les temps ont changé :
          « Il s’agit tout bonnement, poursuit Le Monde, d’une défense préventive de la part du Saint Siège, une multitude d’actions en justice pour reconnaissance de paternité venues d’Amérique Latine ou de pays européens comme l’Autriche, terres de prêtres concubins notoires, pourraient lui tomber dessus ».

                   Pourquoi parle-t-on maintenant de donner une existence légale à ces enfants, qui ont le tort d’exister tout court ?

          C’est, pensez-vous, parce que l’Église se souviendrait enfin de l’un des dix commandements de Dieu, Tes pères et mère honoreras – tes enfants reconnaîtras.

          Parce qu’elle se souviendrait, enfin, des paroles de Jésus, le Royaume de Dieu appartient à ces enfants : et à ce titre, l’enfant est sacré. D’ailleurs, Jésus les laissait venir à lui, les reconnaissait, les embrassait, les protégeait de ses Apôtres (futurs Princes de l’Église) quand ils voulaient les cacher à sa vue, les éloigner de sa présence.

          Ou parce qu’elle prendrait enfin au sérieux les « Droits de l’Homme et de l’enfant« , adaptation laïque de la loi divine et évangélique.

          Donc, si l’Église songe à donner aux enfants de prêtres une existence légale, ce serait pour des motifs éthiques, moraux (la morale divine), spirituels (une spiritualité prêchée et appliquée par Jésus).


          Détrompez-vous : quand l’Église se préoccupe du statut légal des enfants de ses péchés, elle ne songe ni à eux, ni à leurs honteux parents. Elle veut prévenir un danger, continue Le Monde : « D’où l’échappatoire de la reconnaissance des faits. Sauf que, pour l’héritage, les biens personnels des prêtres seraient clairement distingués de ceux liés à leur fonction qui, eux, resteraient, quoiqu’il arrive, propriété de l’Église »

          L’objectif est sans ambiguïté : il s’agit avant tout de préserver le patrimoine de l’Église.

          En France, l’Église catholique est le deuxième propriétaire foncier après les collectivités locales. Dans les pays de vieille tradition catholique (mais aussi d’autres, Afrique de l’Ouest ou Corée du sud), son patrimoine représente une fortune tellement immense, qu’il est difficile de l’estimer avec précision.

          Beaucoup d’argent, donc beaucoup de pouvoir.

          Or, certains de ces pays, après avoir connu une indéfectible (et juteuse) alliance de l’Église et de l’État, ont adopté des lois de propriété et de succession qui veulent ignorer la personnalité juridique du clergé : c’est le cas, notamment, de la France.
          D’autres considèrent l’Église comme une fille cadette, longtemps à peine tolérée (USA, parfois Mexique). D’autres enfin ont une longue tradition d’hostilité de l’État envers le catholicisme (Russie, Asie).

          Imaginez que dans l’un ou l’autre de ces pays, certains enfants d’évêques ou de curés, à la mort de leur père, revendiquent leur part d’héritage dans le diocèse ou la paroisse ?
          Si ce père, accablé par sa mauvaise conscience, a eu le bon goût de gérer le patrimoine de l’Église sans songer à assurer l’avenir de son enfant, et s’il a eu la décence de cacher sa misérable paternité, qui donc peut assurer que l’enfant en fera autant ? Qui pourra l’empêcher de produire un test ADN, et de faire appel aux lois civiles de ce pays, soupçonné de guetter la moindre occasion pour faire un croche-pied à Rome ?

          Et si ce pays se mettait soudain à considérer que le papa-évêque (ou curé) gère le patrimoine foncier et les actifs mobiliers du diocèse (ou paroisse) sans qu’on puisse faire de différence, dans la pratique, avec la gestion d’un quelconque propriétaire ? Un État peu bienveillant pourrait ne pas faire non plus de différence entre un patron d’usine et un patron de diocèse ou de paroisse. Entre un héritier de fortune industrielle et un héritier de grand propriétaire foncier : il pourrait invoquer la loi pour donner à l’enfant le droit d’hériter de son père, comme tout citoyen.

          Le Vatican a vu là une faille, qu’il s’empresse de colmater de façon préventive : reconnaissons les enfants engendrés par notre clergé, mais à condition que « les biens liés à la fonction des prêtres restent, quoi qu’il arrive, propriété de l’Église ».

          Reconnaître ces enfants, ce serait éviter une cascade de procès infamants, au cours desquels l’Église devrait batailler pour faire admettre, au cas par cas et dans un climat supposé hostile, la distinction entre biens personnels du prêtre et patrimoine de saint Pierre. Ce serait être obligé de valoriser ce patrimoine, et d’en publier le montant. Réveillant une opinion publique à qui ces chiffres ont toujours été cachés, et qui deviendrait soudain consciente d’une hypocrisie ancienne et massive, la double vie menée par une partie du clergé catholique.

          Reconnaissons donc les enfants du péché : cela nous coûtera moins cher qu’un discrédit public. C’est ce que l’Église américaine a voulu faire pour ses prêtres pédophiles, en accompagnant cette reconnaissance par les trémolos de la repentance papale.

          Diplomatie.

           Ce qui aura donc fait bouger l’Église, c’est l’argent.
          Ce n’est pas (on dira, bien sûr, le contraire) le souci de ses enfants, qui n’ont pas demandé à naître dans une sacristie. Ce n’est ni leur présent ni leur avenir, totalement bouchés puisque – du moins dans des pays très catholiques – ils n’existent pas, tout en ayant le tort d’exister. Ce n’est pas le droit pour eux d’avoir des parents comme tout le monde, et de leur présenter un jour leur fiancé(e) afin qu’ils le ou la conduisent à l’autel.
          Ce n’est pas l’aveu que certains au moins de ces enfants sont le fruit de l’amour, et non de la lubricité (ciel, que dis-je !) d’un clergé incapable de se contrôler.


          Au passage, est mise en lumière la véritable raison pour laquelle l’Église refusera toujours d’autoriser les prêtres mariés. Le discours officiel est connu : « Leur chasteté les rend totalement disponibles au service du Peuple de Dieu ».

          Un motif pastoral et mystique ?

          Non : la sauvegarde préventive du patrimoine.

          Patrimoine dont il est inutile de rappeler qu’il est en général le fruit de la générosité des croyants. Et que ces croyants, bien souvent, ne sont pas offusqués de voir leurs prêtres leur ressembler, aimer comme eux et comme eux fonder une famille.

          Quand on est un peu historien, on ne s’étonne pas. On sait que, depuis près de vingt siècles, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

          De Rome.


                              M.B., 11 août 2009

UN ARCHEVEQUE AMÉRICAIN CONTRE LE PAPE : Mgr Weakland et Jean-Paul II.

          Petit américain pauvre, entré à l’âge de 18 ans dans l’abbaye bénédictine de St Vincent (Pennsylvanie, USA), Rembert Weakland est élu abbé à 35 ans. Cinq ans plus tard, il est élu par ses pairs à la tête de l’Ordre bénédictin, Primat résidant à Rome (où j’ai vécu à ses côtés pendant presque 5 ans).
          A 50 ans, il est nommé par Paul VI, dont il est l’ami, Archevêque de Milwaukee, USA. Pendant 25 ans, il tiendra à ce poste une place considérable dans l’Église de son pays et dans l’Église universelle – qu’il connaît parfaitement pour avoir longuement voyagé sur les cinq continents, et côtoyé de près toutes les cultures du globe.

          Cet homme exceptionnel, pianiste et fin musicologue, parlant plusieurs langues, d’une immense érudition religieuse, philosophique, littéraire et historique, vient de publier son autobiographie (1). Un témoignage, bouleversant par son authenticité, sur la crise de l’Église catholique (et, à travers elle, de l’Occident) dont il raconte les péripéties, vécues au jour le jour, depuis son diocèse américain.

          Après Vatican II qui dessinait les contours d’une Église rénovée, Mgr Weakland a connu la reprise en mains par la Curie vaticane et le pape polonais. Il trace un portrait incisif de Jean-Paul II, dont le long pontificat coïncida avec son ministère d’archevêque américain.
          Ầ 82 ans, cet homme qui fut mon père Abbé, dont j’ai tant reçu, n’a plus ni ambitions, ni rancœurs – plus rien à gagner et plus rien à perdre. 
          Son livre crie une vérité rare.

          En voici quelques extraits, traduits par mes soins.


          « Ma première réaction à l’élection du Cardinal Wojtyla fut enthousiaste
            « Pour l’avoir souvent rencontré quand j’étais Primat des Bénédictins, je le tenais en haute estime. […] Jamais je n’ai perdu mon admiration pour ses talents et ses dons, même si – au fil des ans – j’ai trouvé que son style et sa façon de diriger une Église d’un milliard d’êtres humains était oppressive, et beaucoup trop centrée sur sa propre personne.
          « Les années passant, j’étais de plus en plus déçu : les espoirs que je nourrissais au début de son pontificat ont tous été trahis ».

I. Un pape à deux visages

          « De toute évidence, c’était un très saint homme. Il possédait toutes les capacités d’un leader mondial. Dans un univers où l’Église catholique perdait de plus en plus sa signification, il a creusé une niche où il a pu faire preuve de son magnétisme personnel et de sa forte volonté : en ce moment précis de l’Histoire, son élection venait à point nommé. Il comprenait le communisme et savait comment le combattre. […]

          « Il a développé le message social du catholicisme : sa critique du capitalisme marquera son héritage. Mais il n’a pas su étendre cette doctrine sociale à un monde interculturel et globalisé, entrevu par son prédécesseur Jean XXIII.

          « Son soutien de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux était sincère : à la suite de Vatican II, il a voulu cicatriser les plaies nées de la Réforme et du schisme avec l’Orient.     
          « Dans ce dialogue, il laissait de côté nombre de points non-résolus, continuant malgré tout à avancer vers une certaine forme d’unité : par exemple, dans son dialogue avec l’Église Orthodoxe il n’a jamais abordé les questions du remariage ou de la contraception, sur lesquelles il maintenait une position très stricte à l’intérieur de l’Église catholique ».

         « En reconnaissant l’antériorité de l’Alliance entre Dieu et le peuple juif, il faisait un pas vers le judaïsme : mais dans cette démarche, il mettait entre parenthèses la position catholique, selon laquelle le salut vient par Jésus-Christ ».

          « Avec une énergie incroyable, il a affirmé que l’Église devait s’ouvrir aux diverses cultures du monde. Il a nommé de nombreux évêques « indigènes ». Dans ses nombreux voyages, il semblait admettre le besoin pour l’Église d’incorporer toutes les cultures, notamment dans leurs expressions liturgiques. De cela, nous devons lui être reconnaissants.
          « Mais il n’a jamais donné aux Églises de ces peuples la liberté complète d’intégrer leurs cultures locales, parce que cela les aurait conduites à un clergé marié et à d’autres changements dans la discipline catholique ».

II. La face cachée d’un pape

          « Tout bien réfléchi, les aspects négatifs de son pontificat l’emportent sur ses aspects positifs.

          « J’ai admiré sa façon de faire face à la menace communiste, mais il n’a jamais déployé la même énergie pour lutter contre les dictatures de droite, spécialement en Amérique Centrale et du Sud. J’ai souvent entendu des évêques de ces pays se plaindre que le seul endroit où l’Église était autorisée à affronter l’injustice politique, c’était la Pologne.
          « En Amérique Latine, la question du mariage des prêtres a bloqué toute possibilité de prendre en compte les besoins d’une immense population catholique, laissant le champ libre aux Églises pentecôtistes et évangéliques américaines, plus ouvertes aux laïcs.
          « Mon espoir d’un renouveau de la recherche théologique et philosophique a été cruellement déçu. Au contraire, les tensions entre les théologiens et le pape n’ont cessé de croître. Il fut vite évident que seuls certains théologiens avaient la cote, ceux qui soutenaient le point de vue particulièrement étroit qui était le sien : les autres étaient réduits au silence. (cliquez)
          « Aux Synodes des évêques, seuls pouvaient prendre la parole des théologiens qui ne s’opposeraient jamais à sa pensée.
          « Le dialogue était acceptable à l’extérieur de l’Église : jamais à l’intérieur.

          « Une autre immense déception a été sa conception et son approche de la sexualité humaine.
          « Beaucoup diront que ses points de vue dataient de l’époque Victorienne. Pourtant, on était surpris de constater la fréquence de ses allusions à la sexualité. En fait, pendant son pontificat de nombreux laïcs ont dit à quel point ils en avaient assez d’entendre sans cesse parler de sexe et de problèmes sexuels, du haut de la chaire de Pierre et venant d’un célibataire.
          « Parce que son idée de la sexualité ressemblait à un courant souterrain qui apparaît ou disparait à la demande, il n’a jamais touché les cœurs de ceux pour qui la vie et la psychologie humaines sont plus complexes qu’il ne le disait, et la sexualité plus ambiguë.
          « Mais l’aspect négatif le plus sérieux de son pontificat a été sa tendance constante à la centralisation, et sa méfiance envers le reste de l’Église.
          « En paroles, il n’a jamais renié le rôle collégial des évêques : mais dans les faits, son style nous a ramenés aux temps de Pie IX [dogme de l’infaillibilité pontificale, 1870 – NDT] : il conférait une importance exagérée à la personne et à l’enseignement du pape, à l’exclusion de pratiquement toute idée autre que les siennes.
          Dans les faits, la réception de chacune de ses paroles comme doctrine officielle de l’Église a créé une atmosphère contraire à la Tradition catholique des siècles passés.

          « Les degrés de certitude que la Tradition attribue à chaque doctrine ont sombré dans l’oubli : avec la publication du Catéchisme de l’Église catholique, tout a été uniformisé dans un enseignement officiel unique.
          « J’ai souvent relevé une tendance, au Vatican, à appeler « idéologique » toute conception contraire à celle du pape. Ce terme a servi à stigmatiser les éventuelles oppositions au Magistère central.
          « Dans son administration, Jean-Paul II a particulièrement favorisé le rôle des cardinaux : bien que ce soit étranger aussi bien à l’Écriture qu’à la Tradition, il a donné à leur petit groupe le pas sur l’ensemble du Collège des évêques, portant ainsi gravement atteinte au principe de la collégialité.
          « Souvent, quand la Conférence des évêques des USA se trouvait dans une impasse face à l’administration vaticane, les cardinaux américains étaient convoqués à Rome, et eux seuls étaient écoutés.
          « Je crains que le pape n’ait jamais compris à quel point il était étonnant et incongru de conférer le chapeau de cardinal à ceux qui étaient en accord avec ses positions, et ensuite de les prendre pour uniques conseillers ! Ce faisant, il s’interdisait d’entendre des points de vue différents, qui auraient pu lui être utiles ainsi qu’à l’Église universelle.


          « Et j’ai été déçu que le pape et son administration ne fondent pas leurs décisions sur une recherche approfondie. […] J’ai toujours eu l’impression qu’on donnait plus de poids à des missives réaffirmant les idées préconçues, plutôt qu’à des études sociologiques valables. Je n’ai cessé de constater que ses décisions et celles de ses collaborateurs étaient prises de façon anecdotique, d’après des rumeurs, des lettres, des plaintes et des articles de presse – le tout, non vérifié.

[…]
          « J’ai été déçu que le pape Jean-Paul II ne sache pas faire la part entre les dévotions privées et l’essence de la vie spirituelle de l’Église, qui est la Bible et les sacrements. Paul VI avait toujours pris garde de ne pas imposer à l’Église universelle sa dévotion intime et sa sensibilité personnelle : Jean-Paul II n’a pas eu ce scrupule.
          « Ses nominations aux postes de responsabilité ont toujours constitué pour moi un mystère. Certains des promus étaient de toute évidence les meilleurs, mais d’autres étaient visiblement et pitoyablement incompétents.
          « La motivation de son choix était claire : il exigeait une loyauté absolue à sa personne et à ses prises de position sur les sujets importants. Une des faiblesses les plus flagrantes de son pontificat fut le carriérisme qu’il engendra. Inutile d’être un génie comme Machiavel pour écrire un Manuel de l’Avancement sous ce pontificat : les qualités de leadership étaient secondaires, la loyauté seule comptait.
          « Comme il déléguait de plus en plus de responsabilités à l’administration vaticane, il a créé une barrière de plus en plus infranchissable (et insupportable) entre lui et les évêques locaux.


          « Je me suis toujours interrogé sur la solidité des fondements théologiques et philosophiques de ses écrits et allocutions.
          « Il semble s’appuyer sur les Écritures, mais utilise la Bible comme une béquille pour ses longs discours, qui allaient bien au-delà du sens des textes. Je n’ai jamais compris quelles étaient les racines phénoménologiques de son enseignement – si toutefois phénoménologie il y avait.


          « Ce qui m’a le plus surpris fut son intolérance face à des façons de voir opposées aux siennes, spécialement face aux théologiens : la vigueur avec laquelle il a réagi pour les supprimer l’un après l’autre, et le secret employé pour ces procédures d’élimination. […]
          « J’avais espéré qu’ayant vécu sous les régimes Nazi et Communiste, il serait plus sensible à la justice, et à la nécessité de procès ouverts et transparents, même dans les domaines du discours théologique.
          « Pour les évêques, il prenait souvent les décisions lui-même, sans jamais discuter directement du problème avec l’évêque concerné.


          « Contrairement à Jean XXIII, le pape Jean-Paul II n’a pas réussi à discerner les signes des temps.


          « Pour le pape Jean, l’un des signes de notre temps était l’aspiration de tous les peuples à pouvoir dire leur mot sur les décisions qui concernaient leurs existences. Jean-Paul II ne nourrissait que des craintes envers le processus démocratique, et c’est tardivement qu’il accepta (à reculons) que la démocratie puisse être la meilleure forme de gouvernement civil.
          « Pour lui, la démocratie était faible, indécise, compromise par le désir de plaire à la majorité : elle n’avait pas sa place dans l’Église – même si son élection, à lui, avait été démocratique.
          « Son modèle de papauté était celui de la monarchie éclairée – récompensant ses fidèles, et réduisant au silence toute voix divergeant de l’unité, telle qu’il l’avait définie.


          « Il n’a pas su lire les signes des temps, spécialement les ouvertures de Vatican II vers un gouvernement plus participatif à tous les niveaux de la vie de l’Église. 

          « Discerner l’action de l’Esprit dans l’Église en tant qu’ensemble ? Cela n’était pas inscrit sur son agenda.


          « Dans la période qui a suivi le Concile Vatican II, cet échec est sans doute la plus grave des occasions manquées. »


                Mgr Rembert Weakland, OSB, Archbishop of Milwaukee.


(1) A Pilgrim in a Pilgrim Church (429 pages : www.eerdmans.com)

Pages 402 à 408. Sous-titres et surlignages sont de la responsabilité du traducteur, Michel Benoît.

DÉMISSION DE BENOIT XV : la fin de l’incarnation ?

          Un nouveau pape, c’est un peu comme les saisons qui se suivent : ça va, ça vient, et rien ne change. Que restera-t-il de celui-là ?

 Un pape écrivain

           Pendant son pontificat, Benoît XVI a publié deux livres sous le nom de Joseph Ratzinger. Or un pape, ça fait des Bulles, des Encycliques, des Motu Proprio, mais jamais à titre personnel : quand le pape parle ou publie, à travers lui c’est l’Église (c’est-à-dire Dieu) qui s’exprime, jamais l’individu.

          Dès son élection le pape cesse d’être un particulier, l’homme disparaît derrière la fonction divine.

          Jusqu’alors, un pape qui signerait de son ancien nom un livre destiné à un vaste public, cela ne se concevait pas. En écrivant ‘’je’’ au lieu du ‘’Nous’’ traditionnel, en séparant l’écrivain du pape, Ratzinger plantait un coin qui créait une première fêlure dans le trône de Pierre.

           Mais il y a plus : ces deux livres ne sont pas des pavés doctrinaux, ils se présentent explicitement comme une recherche exégétique sur la personne de Jésus de Nazareth.

          Le pape (ou plutôt Mr. Ratzinger) voulait-il ainsi contribuer lui aussi à la Quête du Jésus historique (cliquez) ? Non, il s’efforçait seulement d’éteindre l’incendie provoqué par ses chercheurs. Jusqu’ici, l’Église avait superbement ignoré ces exégètes, dont les travaux remettent en cause le dogme de l’Incarnation, la nature à la fois humaine et divine de Jésus. En se mettant à leur niveau, en acceptant de croiser le fer avec eux, en devenant chercheur parmi les chercheurs, Ratzinger enfonçait un peu plus le coin dans la fente qui fragilisait le trône de Benoît XVI.

          Car un pape ne peut pas participer à la recherche de la vérité.  Un pape ne cherche pas la vérité : il la publie au nom de l’Église qui la possède.

          Ratzinger écrivain-chercheur tournait ainsi le dos à Benoît XVI pape : inédite schizophrénie.

 La fin de l’incarnation ?

           Après avoir fait du pape le successeur de Pierre, au fil du temps les catholiques l’ont transformé en Vicaire du Christ. Vicaire, c’est-à-dire son représentant sur terre. En quelque sorte son double, son incarnation visible.

          Au haut Moyen âge, la Règle de saint Benoît reprit à son compte cette idéologie et l’appliqua aux moines : pour chacun d’eux affirme-t-elle, l’Abbé c’est le Christ.

          Tu es Petrus était devenu Tu es Christus.

           C’est pourquoi les papes sont élus à vie. On n’endosse pas temporairement la nature christique : quand on en a été revêtu, on ne peut plus s’en défaire que par la mort.

          Un pape ne démissionne pas. Le Christ ne démissionne pas, il meurt.

           Nécessaire puisqu’elle tient à son identité papale, la mort du Pontife se doit d’être souffrante et publique, comme le fut celle du Christ. Jean-Paul II l’avait parfaitement compris : en mettant en scène son agonie, en affichant heure après heure sa douloureuse descente au tombeau sur les écrans du monde entier, il réaffirmait l’incarnation du Christ en sa personne. Grâce à lui, en 2005 nous avons pu sans quitter nos fauteuils passer quelques semaines au pied du Golgotha.

           Il remettait aussi au premier plan ce dogme qui colle au catholicisme depuis ses origines : il n’y a de rédemption que par la souffrance. Notre souffrance, dit Paul de Tarse, est bonne et souhaitable puisqu’elle ajoute ce qui manquait à celle du Christ en croix.

          « On ne descend pas de la croix », aurait répondu Jean-Paul II à ceux qui lui suggéraient de démissionner.

           Benoit XVI démissionne, il demande à mourir comme un homme ordinaire ? Il prive ainsi les catholiques de la mort sacrificielle et publique du Christ réincarné en sa personne. Il les prive du spectacle de son agonie et de sa souffrance, il semble même leur refuser d’alimenter ce dolorisme dans lequel ils se complaisent avec délectation.

           Les catholiques de la base ne s’y sont pas trompés, qui expriment leur désarroi avant de saluer, dépités, le courage d’un pape se dérobant à un Golgotha qui leur était dû.

          J’ai quand même entendu quelques officiels murmurer ce qui les inquiète le plus : la démission du pape Benoît devenu homme ordinaire enfonce toujours plus le coin avec lequel l’écrivain Ratzinger fendillait déjà le dogme de l’incarnation.

           Quand la chrétienté se rendra compte de ce que signifie cette démission, ira-t-elle jusqu’ou bout ? Après l’abandon de l’incarnation christique du pape, s’interrogera-t-elle sur la réalité et la pertinence de son dogme fondateur, l’incarnation du Christ ?

          Reviendra-t-elle enfin à la personne lumineuse de l’homme Jésus, qui a toujours eu horreur de la souffrance et a tout fait de son vivant pour la soulager ? (1)

                                                  M.B., 12 février 2013

 (1) J’ai développé ce point dans Le silence des oliviers, qui va paraître prochainement en  »Livre de Poche » sous un nouveau titre, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.

PAPY PAPE PART : un pape s’en va, la papauté reste

« L’Église est une barque qui prend l’eau de toutes parts » : ce commentaire lucide et désabusé, c’est à Benoît XVI lui-même qu’on le doit, lors de son élection.

Pendant près de vingt ans, il avait été le Premier Ministre de Jean-Paul II : affaires de mœurs, pédophilie, opacité complice, trafics financiers, ambitions et luttes de pouvoir au Vatican – tout ça, il connaissait par cœur en pénétrant au centre du ring. Alors, pourquoi jette-t-il l’éponge avant la fin du combat, avant d’être évacué comme il se doit, inanimé, sur une civière ?

Qu’une partie du clergé soit dévoyée, infidèle, corrompue, cela ne date pas d’hier et n’a jamais fait couler l’Église. Le pape peut les dénoncer, « ces gens-là ce n’est pas nous, ce n’est pas mon Église ». Il l’a fait, partiellement.

A eux seuls, des rameurs médiocres ne provoquent pas le naufrage d’une barque. Ce que le pape dit, c’est que la coque elle-même est pourrie, il y a des voies d’eau. Il se voit incapable de les colmater, et quitte la barre d’une barque qui « prend l’eau de toutes parts ».

La principale voie d’eau, l’a-t-il au moins identifiée ? Je crois que oui.

Pendant son pontificat, il a écrit trois livres auxquels il attachait tant de prix qu’il n’a pas voulu les publier en tant que pape, sous le nom de Benoît XVI, mais en tant que chercheur, sous le nom de Ratzinger : chose tout à fait inédite (cliquez).

Ces livres n’ont qu’un seul objectif : démontrer une fois de plus que Jésus et le Christ ne font qu’un. Que la vie de Jésus, c’est la vie de Dieu incarné sur terre.

Protéger le dogme de l’Incarnation, menacé par les chercheurs de la Quête du Jésus historique (cliquez).

Réaffirmer que Jésus était Dieu, et qu’il a fondé l’Église : « Tu es Pierre, et sur cette pierre… ». C’est vrai, parce que c’est Jésus-Dieu qui l’a dit, c’est écrit.

Or on sait maintenant que tout ce qui est écrit dans les évangiles ne vient pas du Christ-Dieu, ne vient même pas toujours de l’homme Jésus. On sait qu’avant de nous parvenir, les évangiles ont été remaniés par les deux premières générations chrétiennes qui avaient un but : prendre le pouvoir.

Le seul pouvoir qui dure, parce qu’il va être gravé dans une civilisation qu’il contribuera à fonder : le pouvoir sur les esprits et les cœurs.

Le pouvoir spirituel, c’est-à-dire religieux : le pouvoir des dogmes.

Et ceux qui ont écrit les évangiles dans leur version finale ont parfaitement réussi, puisqu’après une brillante carrière de dix-sept siècles, l’Église est toujours là.

Mais elle prend l’eau, dit le pape sortant. Où ça, comment ça ?

La principale voie d’eau, c’est la corrosion du dogme fondateur de l’Église sous la morsure des chercheurs de la Quête du Jésus historique. C’est la fin, mise en évidence par leurs travaux scientifiques, du dogme qui commande tous les autres, celui de l’Incarnation. Si Jésus n’était pas Dieu en même temps qu’homme, s’il n’était qu’un homme – pire que cela, un Juif ! -, s’il n’est pas ressuscité, alors « vaine est notre foi » disait déjà s. Paul.

Pape érudit, parfaitement au courant des recherches de la Quête, Benoît XVI a publié ses trois livres pour tenter de colmater la voie d’eau qu’elle ouvre. Il est conscient de n’y être pas parvenu, et jette l’éponge.

Pourquoi ? Après tout, les travaux des exégètes de la Quête sont pratiquement inconnus du public, on ne les enseigne dans aucun catéchisme. Pourquoi ne pas laisser quelques chercheurs publier des livres que personne ne lit, pourquoi réaffirmer le dogme de l’Incarnation, comme s’ils risquaient de le mettre en péril par leurs ouvrages savants, confidentiels ?

C’est que le peuple chrétien leur donne raison sans avoir eu besoin de les lire.

C’est que dans les pays où la chrétienté a pris naissance, plus aucun croyant n’est en mesure de comprendre les dogmes fondateurs de sa foi – Incarnation, Trinité, transsubstantiation, etc.

C’est qu’on a besoin désormais de comprendre ce qu’on croit, parce qu’on connaît et qu’on comprend l’univers comme jamais auparavant. Credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde : le temps est passé, où cette affirmation lapidaire suffisait aux braves gens pour croire, et rester en paix.

En leur donnant les moyens de distinguer ce que Jésus a dit de son vivant, de ce qu’on lui a fait dire après sa mort.

En démaquillant le Christ, pour retrouver, derrière l’épaisseur des dogmes, le visage du prophète juif Jésus.

En redécouvrant Jésus avant le Christ,

les chercheurs de la Quête offrent aux braves gens, non pas un tampon pour colmater des voies d’eau, mais une nouvelle barque capable de naviguer sur nos eaux tourmentées.

Parce que celui dont ils mettent en lumière à la fois les paroles et les gestes authentiques se montre incroyablement proche de nous, de nos préoccupations, des questions que nous nous posons aujourd’hui.

Ce faisant, ils mettent en évidence pourquoi, et comment, la vieille barque qui prend l’eau de toutes parts risque de couler avec ses dogmes irréels, ses préjugés transhumains, ses sacrements incapables de sacraliser un monde en perte de sens.

Peut-être est-ce pour cela que le pape s’en va, tragiquement lucide.

Son successeur va tenter de reprendre les rameurs en main, il va faire du bruit, donner à voir et à commenter aux journalistes.

Pendant qu’au fond de la cale, l’eau, inexorablement, continuera de suinter par des brèches qu’il n’aura ni la lucidité, ni la volonté, ni surtout la possibilité de colmater.

M.B., 27 février 2013

P.S. : Où trouver les écrits de la Quête du Jésus historique ? Je m’appuie sur eux pour tenter de vulgariser leurs recherches, vous trouverez leurs références dans mes ouvrages (page d’accueil du blog).

 

ÉLECTION D’UN NOUVEAU PAPE : que faut-il en attendre ?

Un nouveau pape est appelé à régner : seule une minorité de catholiques convaincus devrait se sentir concernée par cette élection, et pourtant elle fait la Une des médias du monde entier. Ce qui montre à quel point le lobby catholique est encore puissant sur la planète.

J’ai montré ailleurs (1) combien cette puissance est fragilisée par l’évolution récente du monde.

Comme les précédentes, l’élection va se jouer autour du rôle de la Curie Romaine. Depuis mille ans, c’est elle qui détient le véritable pouvoir dans l’Église. Le pape Paul VI, qui en était issu, s’est montré capable de la contrôler – grâce à quoi il a pu mener à terme le Concile Vatican II, auquel elle était farouchement opposée.

Naïvement, son successeur Jean-Paul Ier a déclaré en montant sur le trône de Pierre qu’il avait l’intention de la réformer : quelques semaines plus tard, il mourait dans son lit de façon inexplicable, et jamais expliquée.

De même qu’un musulman qui s’attaque au Coran doit mourir, un pape qui s’attaque à la Curie ne peut pas survivre. On ne plaisante pas avec les assises d’un pouvoir planétaire.

Le nouveau pape va-t-il tenter de réformer la Curie ? C’est là-dessus que se jouera l’élection. Si c’est un italien, les curialistes pousseront un ouf de soulagement. Si c’est un ‘’étranger’’, pour pouvoir être élu il devra leur donner des gages de non-nocivité, et ensuite il sera étroitement surveillé par eux.

Réformer la Curie ? Ce serait transformer une monarchie aristocratique en démocratie. Le Concile Vatican II avait ouvert la porte, en instaurant des Synodes qui devaient prendre collégialement les grandes décisions. Avec brutalité, le pape Jean-Paul II a claqué cette porte. On trouvera dans ce blog (cliquez) la recension du livre bouleversant de Mgr Weakland, témoin de la ‘’reprise en mains’’ du pouvoir par la Curie à partir de 1980 sous l’autorité du pape polonais.

Une réforme en profondeur de la Curie est impossible. On ne réforme pas une monarchie absolue, il faut pour cela une Révolution qui détruise tout l’ordre ancien et coupe la tête du Roi. Au mieux, le nouveau pape fera un nettoyage de surface, repoussera la poussière sous les meubles. Des déclarations, quelques gestes symboliques. Il tentera d’assainir les finances vaticanes, répètera que le clergé doit être vertueux et respecter ses engagements de chasteté – que bien évidemment il ne remettra pas en cause, etc.

Suffirait-il d’ailleurs de réformer la Curie pour que l’Église catholique redevienne ce qu’elle prétend être, un ferment dans la pâte, une force alternative capable de contrebalancer la mondialisation avec son mépris des valeurs humaines, son règne absolu du plus fort et du plus riche ? Par cette réforme, le nouveau pape pourrait-il redonner vie à l’Église, pour qu’à nouveau elle entraîne derrière elle une humanité désorientée, en quête de sens ?

L’observateur qui prend du recul le sait : la vraie cause du déclin du catholicisme est ailleurs. Elle n’est ni dans la corruption du Vatican, ni dans le célibat des prêtres, la condamnation du préservatif et autres muletas qu’on agite sous le nez des gens pour détourner leur attention.

La vraie question, c’est que l’imposant édifice des dogmes catholiques n’est plus crédible. Il repose sur une physique et une métaphysique dont nous savons depuis longtemps qu’elles ne correspondent plus à la réalité.

La pensée catholique ne rend plus compte du réel, là est le drame profond de l’Église.

Dans tous les domaines qui commandent nos vies – physique, astrophysique, biologie, philosophie, sociologie, morale -, l’Église n’a plus rien à dire : elle répète, et elle se répète. Ses dogmes et leurs applications pratiques, les sacrements, lui viennent de l’antiquité et du Moyen âge. Elle n’a pas pu, elle ne peut pas, elle ne pourra jamais remplacer par un autre ce socle sur lequel repose son identité profonde.

Le résultat, ce sont des catholiques déboussolés, des ex-catholiques désabusés, et une grande majorité d’incroyants qui ne s’intéressent qu’à l’aspect people d’une institution dont ils n’attendent rien, depuis longtemps.

On dit parfois : « Mais, et l’Afrique, et l’Amérique latine ? Là, le catholicisme est encore vigoureux ! » C’est faux : dans ces pays, les évangélistes américains taillent des croupières à l’Église catholique, qui s’en inquiète. Et leur piété populaire, dont elle est si fière, est fortement imprégnée d’un paganisme religieux à travers lequel ces peuples, superficiellement évangélisés, expriment leur besoin de surnaturel. Dans la réalité vécue, on est bien loin de la pureté doctrinale dont se réclame l’identité catholique !

Qu’attendre d’un nouveau pape ? Pas grand-chose. Si par hasard il était conscient de la véritable nature du défi qu’affronte l’Église depuis plus d’un siècle, et de sa profondeur – défi auquel elle n’a jamais su répondre -, il lui serait impossible d’y faire face, et d’y répondre.

Car ce n’est pas de réformes qu’aurait besoin cette institution bimillénaire : c’est d’une refondation.

Ou plutôt, de se souvenir qu’elle n’a jamais été fondée par Jésus le nazôréen, mais par des hommes qui se sont servis de son image pour établir, sur terre, le pouvoir de Pierre.

                                                 M.B., 9 mars 2013

P.S. : Si dans quelques années il s’avérait que j’ai eu tort, je serai le tout premier à m’en réjouir !
(1) Cliquez et cliquez . Voir dans la colonne de droite de ce blog les têtes de chapitre « Crise de l’Occident »  et « Le christianisme en crise »