JÉSUS PORTAIT-IL UN GILET (jaune) ?

  La France possède deux spécialités mondialement reconnues : de bons vins, et des fromages raffinés. Mais elle est affligée d’une troisième spécialité : l’anarchie.

I. La France en crise, hier et aujourd’hui

Les choses remontent à 1789. Au point de départ il y avait une situation de faillite de l’État, confronté à une dette insurmontable. Les plus riches (noblesse, clergé) ne payant pas d’impôts, l’État était obligé d’emprunter pour payer la fonction publique et les retraites – jusqu’à ce que les emprunts lancés par Necker ne trouvent plus preneurs. Fin 1788 la pression fiscale sur le peuple était insupportable, la dette monstrueuse, l’État au bord de la banqueroute. Pour résoudre cette crise financière et en l’absence de corps intermédiaires, Louis XVI organisa dans la population des États Généraux. Partout les citoyens rédigèrent des cahiers de doléances dans lesquels on espérait puiser les idées qui permettraient à l’État de sortir de sa crise.

Qui était avant tout une crise d’autorité : face au mécontentement populaire et à l’inertie des élites, le roi – si populaire au début – ne savait plus quoi faire. Son autorité était dévaluée, il n’avait plus de prise sur les événements. Quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, plus personne ne l’écoutait.

Tiens, tiens… ! On croirait lire le journal d’hier, entendre les commentateurs de BFM ou LCI. Pression fiscale, revendications dans tous les sens, dette publique en augmentation constante et surtout, un Président que les contestataires n’écoutent pas, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse.

II. L’anarchie au pouvoir

Le 4 août 1789, quand les privilèges furent supprimés, pour la majorité des Français la Révolution était faite. L’égalité proclamait que tous paieraient l’impôt, la fraternité que les conflits nés de la fracture sociale n’auraient plus lieu. Dans les rues on chantait, on dansait, l’ambiance était bon enfant et les rassemblements pacifiques. Mais parmi le personnel politique des extrémistes, qu’on appela les enragés, voulurent aller plus loin : ils voulurent créer un autre monde, un Homme nouveau libéré du fardeau de l’autorité, des chaînes du pouvoir. Plus aucun individu ne devait commander, le peuple seul était dépositaire de l’autorité, le peuple seul était le maître.

Le peuple ? En fait, encouragés par les enragés, ce sont quelques milliers d’excités qui prirent le contrôle de la rue, puis de l’Assemblée Constituante et des assemblées provinciales. Tandis que le vrai peuple – la majorité des Français – se terrait chez lui comme le montre Le journal d’un parisien en 1789. Rapidement, à Paris comme en Province l’anarchie s’installa. Les politiques étant déconsidérés on ne les écouta plus, on n’en voulut plus. C’était la rue qui commandait et la violence prit le pouvoir : on cassait, on brûlait et bientôt on tua. On proclama qu’il fallait prendre l’argent des riches pour le distribuer aux pauvres, mais en fait les « biens nationaux » furent accaparés par quelques uns, les enragés en tête qui firent fortune. La violence et la corruption régnaient : finie la Révolution des débuts, bon-enfant et généreuse. À partir de 1791 elle tourna au bain de sang de la Terreur et à la Loi des Suspects.

On connaît la suite. L’anarchie et la corruption resteront au pouvoir jusqu’au Directoire, ruinant le pays, sa population et son économie. Le résultat, ce sera la dictature de Napoléon.

Partie à la fin du XVIIIe siècle des rues parisiennes, l’anarchie politique essaimera en Europe avec toujours le même résultat, la dictature populiste des Mussolini, Franco, Hitler, Staline, Salazar, Ceaucescu. Elle reviendra régulièrement secouer la France en 1830, 1848, 1871, 1968. Mêmes causes, mêmes résultats – jusqu’aux gilets jaunes de 2018. Mais est-ce la première fois qu’elle pointait son nez sur la planète ?

III. Jésus était-il anarchiste ?

Il y a 2000 ans, l’actuelle Palestine connaissait une situation en certains points comparable à la nôtre. Un petit pays soumis sans défense à la mondialisation orchestrée par une puissance économique et militaire, Rome. Des privilégiés collaborant sans scrupules avec ces puissants. Un capitalisme sauvage, une pression fiscale considérable, insupportable. Le pouvoir réuni entre les mains de quelques hiérarques Pharisiens et Sadducéens calfeutrés à Jérusalem, ignorant tout de ce que vivait le peuple.

Et en face, des groupes de nationalistes anarchistes, adeptes de la violence qu’ils répandaient en ville et en province, les lestai qu’on appellera un peu plus tard les Zélotes.

Un homme issu de la classe moyenne, Jésus, parvint à réunir autour de lui des foules enthousiasmées par sa liberté de parole. On attendait beaucoup de lui, mais peu à peu on fut déçu. En effet il ne s’attaquait pas au capitalisme mais faisait l’éloge de ceux qui utilisaient le système bancaire. Il acceptait de payer l’impôt colonial exigé par Rome en plus des impôts locaux, comptait des amis parmi les collecteurs de ces impôts. Il rejetait le racisme ethnique, religieux et social, accueillait volontiers un soldat de l’armée d’occupation comme un Samaritain hérétique ou des mendiants misérables, tout en partageant occasionnellement la table des riches. Il n’excluait pas les femmes de son entourage – même les prostituées – les traitait avec respect et s’opposait à leur lapidation quand elles étaient condamnées pour adultère.

Mais surtout, contrairement aux anarchistes, il rejetait toute forme de violence – même pour se libérer de l’occupant. La révolution violente, sociale ou politique, n’était pas à son programme.

Plus encore, il rejetait le culte de l’Église officielle : pour lui la relation avec Dieu était chose individuelle, personnelle, n’était soumise à l’autorité d’aucun clergé. S’il était juste et nécessaire de se soumettre à l’État, le reste appartenait à Dieu seul : la liberté de conscience, la destinée individuelle et le cheminement spirituel de chacun.

Non, Jésus n’était pas un anarchiste – et pourtant, comme les anarchistes, il a proposé un autre monde que celui-ci. Il savait que le monde est ce qu’il est avec ses pauvres (« les pauvres, disait-il, vous les aurez toujours avec vous »), sa violence (« qui pratique la violence périra par la violence »), son injustice. Que le monde était ainsi depuis l’origine et serait ainsi jusqu’à la fin, parce qu’il est sous le pouvoir du « prince du mal ».

Sachant cela, il a refusé de prendre un pouvoir quelconque, de se joindre à une révolte anarchiste comme certains disciples le souhaitaient. Mais il proposé à chacun, individuellement, là où il est, d’adopter un autre comportement que celui de la majorité. De partager s’il est riche, de pardonner s’il est offensé, de s’occuper des malades, de protéger l’enfant, l’étranger, l’immigré…

Et la majorité de son temps, qui préférait la violence institutionnalisée, l’a réduit au silence et éliminé.

Dans la situation d’anarchie actuelle, cet homme a-t-il encore quelque chose à nous dire ? Dans la furie de violence qui semble s’emparer de la planète, ceux qui s’intéressent à lui ont-ils une chance de faire entendre une autre voix ?

                                                                                  M.B., 31 décembre 2018

16 réflexions au sujet de « JÉSUS PORTAIT-IL UN GILET (jaune) ? »

  1. Jean-Marie CHUCHTIMI

    Il n’y a pas que les religions qui sont bâties sur des légendes

    Si je me souviens bien Guy Breton explique que la troupe qui est censé eavoir marché sur la Bastille ce 14 juillet que des provinciaux ignorèrent durant longtemps faute de télé présente sur les lieux sans doute était composée de trois sous-groupes ou sous-ensembles

    1/ un chef d’entreprise et son personnel avec un mandat signé du roi pour commencer la destruction de la Bastille ayant perdu de son utilité
    2/ un club parisien de Jacobins excités qui n’avait peut-être part leur carte de la FI
    3/ de la canaille voulant profiter de l’occasion pour constituer son stock d’armes

    Effectivement tout en envoyant à l’échafaud une partie de leurs collègues qui avaient signé avec eux la première des trois déclarations des droits de l’homme de cette seule période , des « « « révolutionnaires » » »plus ou moins de salon firent fortune, créant la Banque de France et prétèrent à Buonaparte l’argent nécessaire pour sacrifier des générations de Français enrôlés par tirage au sort dans l’armée, certains perdants riches payant un « pauvre » suppléant peu ou prou affamé

    Et dire que bien des écoles en France honorent sur leur fronton ce triste falsificateur de Michelet, celui qui nous fit croire, entre autres contre-vérités, que nos ancêtres étaient ,seulement les Gaulois et que le petit Corse franchit en tête des troupes le pont du Carigliano alors qu’il était en train de se remettre de ses émotions après avoir failli se noyer en bas du pont

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  3. Georges Caméra

    Le parallèle avec la situation de 1789 est excellant, mais là n’est pas le vrai problème ou les réelles interrogations. La question était, Jésus est-il un gilet jaune ? Comment définir un gilet Jaune ? Des gens comme vous est moi, que l’absurdité de nouvelles taxes sur les carburants, les promesses d’autres mesures-sanctions à venir, comme le renforcement des contrôles techniques auto, l’augmentation des tarifs EDF, l’augmentation de la CSG pour les retraités, bref toutes ces petites gouttes d’eau qui on fait déborder le vase de la raison, d’autant plus que le gouvernement face à la fronde fait marche arrière. Mais, on pourrait aussi dire aussi des gilets jaunes qu’ils ne sont que les insatisfaits d’un système qui favorise les plus forts, les possédants, qui eux n’en ont jamais assez, et en veulent toujours plus. D’ailleurs pour en revenir à Jésus, relisons la conclusion d’une célèbre parabole. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a.
    Jésus lui, ne s’est pas révolté, il a ignoré la violence, mise à part l’épisode des marchands du Temple, et nous connaissons le résultat ! La question reste donc posée. Faut-il se révolter contre l’injustice ou se soumettre, rentrer dans le rang en espérant que…A vous de répondre Michel. Merci pour vos interventions toujours lues avec plaisir et intérêt. A bientôt

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      La parabole que vous citez a été transmise par l’Église primitive dans le contexte de son conflit avec les Juifs. Il faut comprendre : « A celui qui a (les chrétiens) on donnera (le salut), à celui qui n’a pas (les Juifs qui rejettent Jésus) on retirera même ce qu’il a (le salut promis au Peuple élu de Dieu) »
      Jésus s’est révolté contre l’injustice d’un cléricalisme (juif) oppresseur. En revanche, il semble s’être soumis au pouvoir de l’occupant romain. Avait-il les moyens se s’y opposer ? Alors, il aurait dû s’associer aux « lestai » qui deviendront des Zélotes – les « gilets jaunes » de l’époque, extrêmement violents. Il ne l’a pas fait, à cause de leur violence. Pour Jésus, l’acceptation d’une injustice (l’occupation romaine) est préférable à la violence contre cette injustice. Sa liberté est PERSONNELLE, individuelle. Mais elle est totale. N’oubliez pas aussi qu’il a conscience d’être un Prophète, et comme touts les Prophètes il préfère donner sa vie pour une multitude plutôt que de prendre les armes.

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  4. Debanne

    Bonjour Michel Benoit,

    A la suite de votre article, je ne résiste pas à rappeler un passage de Hume dans « De la norme du goût » :
    «Parmi un millier d’opinions que des hommes divers entretiennent sur le même sujet, il y en a une, et une seulement, qui est juste et vraie ; et la seule difficulté est de la déterminer et de la rendre certaine. Au contraire, un million de sentiments différents, excités par le même objet, sont justes, parce qu’aucun sentiment ne représente ce qui est réellement dans l’objet. Il marque seulement une certaine conformité ou une relation entre l’objet et les organes ou facultés de l’esprit, et si cette conformité n’existait pas réellement, le sentiment n’aurait pas pu, selon toute possibilité exister. La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. Une même personne peut même percevoir de la difformité là ou une autre perçoit de la beauté. Et tout individu devrait être d’accord avec son propre sentiment, sans prétendre régler ceux des autres ».
    Alors, oui, bien sûr, Jésus aurait porté un gilet jaune en ces temps d’injustice sociale et fiscale qui durent depuis trop longtemps… L’anarchie sociale est, volens nolens un tout autre problème que celui que vous voulez tenter de prouver à propos des gilets jaunes…

    Bien amicalement,
    H de D.

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  5. SergeD

    Merci bcp pour ce billet. Et la réponse a votre question finale, est : oui. Ces personnes qui vivent cela ne le crient pas haut et fort en balançant des pierres (« celui qui jette la première pierre etc … ».) ou ne sont interviewées par BFmWc.
    Et puis, nous instaurons chacun notre propre dictature intérieure, qui est celle du « j’ai raison », afin de valider notre propre systeme intérieur. Cette violence parle aussi de nous. L’accepter c’est aussi accepter les solutions que nous donnent ce Jésus.

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  6. Jean Roche

    Le parallèle avec 1789 me semble on ne peut plus judicieux. Mais dès la prise de la Bastille voire avant les choses prenaient une certaine direction. Voir par exemple (heu, au hasard) : http://bouquinsblog.blog4ever.com/la-bastille-et-ses-secrets-frantz-funck-brentano

    Pour ce qui est de Jésus, c’est un peu plus compliqué à mon sens (mais on a le droit de préférer le Jésus qui a servi à fonder le Christianisme). Par exemple, je ne sais plus si je l’ai dit ici, quand je lis l’épisode de la femme adultère dans l’Evangile de mon Saint Patron, je ne vois rien qui indique qu’il y avait intention de la lapider, le but était ailleurs. C’est plutôt Jésus qui renonce à la lapidation, et non sans hésiter (n’avait-il pas dit que « pas un iota… » ?).

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Oh mais si, le texte indique clairement que les dignitaires du Temple avaient l’intention de lapider cette femme ! Jésus ne leur dit pas qu’il ABOLIT la Loi de Moïse, mais que celui qui n’a jamais enfreint cette loi jette la première pierre. Il ne conteste pas la Loi, mais l’autorité des juges pour appliquer cette loi dans le cas précis
      M.B.

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      1. Jean Roche

        Ce n’est pas Jésus qui intervient, ce sont les pharisiens qui prennent l’initiative de le consulter, et on nous dit expressément qu’ils veulent le piéger. Qu’avaient-ils besoin de son avis si pour eux la lapidation s’imposait ? Où serait le piège s’il pouvait répondre tranquillement : « Oui, c’est la loi, lapidez ! » ? Ou aussi bien : « Non, c’est cruel, ça ne se fait plus, etc. » ?

        Mais le « oui » aurait fait de lui un rebelle à l’autorité romaine, car le même Evangile de Jean nous apprend plus loin que les Juifs ne pouvaient condamner à mort qu’en passant par les Romains (pas sûr qu’ils aient accepté une demande pour ce motif… et la démarche était de toute façon humiliante). Quant au « non », n’avait-il pas dit, encore une fois, que « pas un iota de la Torah ne passera » ? Et comme pour la question non moins piégée de l’impôt à César il prend son temps pour répondre de façon ambiguë pour ne pas dire dilatoire (ne pas oublier que, pour la question de l’impôt, les zélotes refusaient la monnaie romaine précisément parce qu’elle portait l’effigie d’un homme).

        Bref, dans les deux cas on lui demande de se prononcer clairement pour ou contre Rome, et dans les deux cas il se dérobe. Enfin, je sais que c’est inacceptable dans l’optique chrétienne, mais je ne vois pas d’autre explication aux deux récits tels qu’ils se présentent, lus au plus près.

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          1- Bien sûr les Pharisiens tendent un piège à Jésus.
          2- Vous faites erreur. Rome laissait aux population conquises leur religion, et leur droit religieux. Les Juifs n’avaient pas le droit de crucifier, supplice réservé à l’autorité de l’occupant. En revanche ils avaient le droit de lapider, en vertu du respect de l’occupant pour le droit religieux local.
          3- La question de l’impôt colonial à César est un autre piège, tendu cette fois par les Zélotes. La réponse de Jésus s’adresse d’abord à eux. Voyez ma réponse à George Caméra.
          M.B.

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  7. Jean CARTERET

    J’ai passé Noel avec les moines d’Abu Gosh à Bethléem et pensai à vous.
    Nous aurons certainement l’occasion d’en parler
    Bien cordialement
    Jean

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Avec plaisir. Dans un autre siècle j’ai failli être envoyé à Abu Gosh par le père abbé du Bec-Hellouin !
      M.B.

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