La seule autorité qui rassemble tous les musulmans c’est le Coran, apparu fin 8e siècle dans une langue – l’arabe archaïque – qui n’avait pratiquement aucun antécédent littéraire. Pour les croyants, ce texte est matériellement la parole d’Allah dictée à un certain Muhammad qui serait mort en 632. Les exploits de cet homme ne sont mentionnés dans aucune des Chroniques & Annales contemporaines, alors que l’époque est plutôt bien documentée. Quatre générations plus tard Ibn-Ishâq reçut du calife abbaside al-Mansûr l’ordre de composer une « Vie du fondateur de l’islam ». Un siècle après lui, Ibn-Ichâm († 833) prit connaissance de l’œuvre d’Ibn-Ishâq avant qu’elle ne disparaisse, pour écrire la Al-Sirâ al-Nabawîya, biographie officielle de Mahomet constamment reprise jusqu’à nos jours.
Comme celle d’Ibn-Ishâq la biographie d’Ibn-Ichâm a été composée sur ordre du pouvoir califal, et deux siècles après les événements qu’elle raconte. Sachant combien les premiers califes étaient soucieux de légitimer leurs conquêtes, on peut fortement douter de ce qu’elle raconte. Pourtant elle n’a jamais été contestée et sert de base, encore aujourd’hui, au dogme fondateur de l’islam – la légende du Prophète et du Coran.
Les deux siècles suivants furent ceux de l’Itjihâd, « effort de réflexion », de compréhension et d’interprétation des textes sacrés. Contrairement à ce que l’on dit parfois, l’Itjihâd n’était pas une exégèse du Coran. Il s’agissait d’en tirer des avis juridiques dans les procès, ou de fixer des règles légales pour organiser la vie quotidienne des Muslim. La « clôture » de l’Itjihâd a été proclamée au tournant du 10e siècle. Depuis lors, l’interprétation du Coran est laissée au bon vouloir des imams agréés par les autorités politiques.
I. Les chercheurs indépendants
Au début du 20e siècle, des chercheurs d’origine chrétienne entreprirent l’exégèse historico-critique du Coran suivant les techniques mises au point et éprouvées par protestants et catholiques pour l’étude de la Bible. Chrétiens, ils ne dépendaient ni des autorités religieuses, ni des autorités politiques musulmanes qui interdisaient aux croyants d’entreprendre cette exégèse. J’ai repris et présenté leurs travaux dans Naissance du Coran. Ils montrent que La Mekke, au début du 7e siècle, n’était pas une halte caravanière importante mais un simple point d’eau. Qu’à l’origine, des Arabes sédentarisés en Syrie ont été catéchisés par des judéo-chrétiens, les nazôréens souvent cités dans le Coran. Et que le noyau originel du texte s’est constitué à partir de ces catéchèses judéo-chrétiennes à leurs voisins Arabes.
Ces faits et quelques autres remettaient en cause l’ensemble de la légende coranique – Muhammad recevant à La Mekke une révélation divine mise par écrit sous sa dictée, le Coran terrestre image et reflet d’un « Coran céleste » gardé au ciel, le Prophète, depuis Jérusalem, faisant un aller-retour sur sa jument ailée pour le contempler, etc.
Ces chercheurs indépendants se heurtèrent à des universitaires parisiens qui rejetèrent en bloc leurs travaux. Ainsi par exemple de Mme J. Chabbi (1) : « Patricia Crone [chercheuse indépendante], écrit-elle, est une islamologue reconnue formée à Oxford… mais elle a tenté de désacraliser les origines de l’islam en… ramenant La Mekke au statut de cité médiocre, pas du tout centre de caravane (sur ce point elle a raison) ». Autrement dit, pour cette universitaire de la Rive Gauche, le péché originel de Patricia Crone est d’abord de ne pas faire partie de sa ‘’chapelle’’, et ensuite de « désacraliser » l’islam en retirant à La Mekke son statut de cité sainte. Même si, dit-elle, « sur ce point elle a raison » – on n’est pas à une contradiction près.
C’est bien l’ensemble de la recherche indépendante qu’elle condamne ensuite : « Tout ce courant [de la recherche indépendante] présent en Europe et aux USA est patronné par certains milieux chrétiens déniant touts spécificité arabique à l’islam… Pour eux le Coran serait basé sur des lectionnaires syriaques, et l’arabe serait… du syro-araméen. On est en présence de délires savants… Ces auteurs sautent allègrement par-dessus les siècles pour mettre en rapport le Coran avec les différents mouvements du christianisme primitif… parmi lesquels il y a effectivement des mouvements judéochrétiens, nazôréens, etc… Ils supposent que ces mouvements schismatiques auraient survécu on ne sait comment en plein cœur de l’Arabie…C’est totalement farfelu ».
Cette réaction d’une spécialiste par ailleurs remarquablement informée représente la mentalité dominante dans l’intelligentsia et les médias français, qui n’acceptent pas de remettre en cause la légende officielle de l’islam. Pour des raisons politiques inavouées mais évidentes, allant jusqu’à traiter « d’islamophobes » les chercheurs qui s’éloignent de leur pensée unique.
II. Le Coran des historiens
J’attendais avec impatience que cette recherche historico-critique sur le Coran, jusque-là confidentielle, soit reprise par d’autres et portée à la connaissance du grand public. C’est en partie chose faite avec Le Coran des Historiens, 2.400 pages publiées aux Éditions du Cerf sous la direction de Mohammad Moezzi et Guillaume Dye. Je n’ai pas encore pris connaissance de cet ouvrage monumental tout juste paru, mais Le Figaro Magazine publie une longue interview de M. Moezzi (2) dont voici quelques extraits.
Le Coran des historiens a été coécrit par « une large équipe internationale, historiens, liturgistes, géographes, juristes, exégètes, théologiens, philologues, épigraphistes, codicologues ». Par sa composition, cette équipe a toutes chances d’échapper à l’emprise du dogme islamique et des médias parisiens. Pourtant, on va le voir, M. Moezzi entoure ses propositions de ‘’réserves diplomatiques’’ et de sous-entendus qui montrent que cette pression est toujours présente à son esprit.
« Le contexte de la formation et de l’histoire [du Coran], dit-il, demeurent largement méconnus. On sait très peu de choses sur Mahomet. Si on enlève nos lunettes conformées par les siècles d’exégèse classique, Mahomet… est une figure presque absente du Coran. Les commentaires ultérieurs lui rapportent divers traits et événements que le texte à l’état brut n’indique pas explicitement. La biographie de Mahomet a été fixée à peu près trois siècles après sa mort… Il n’y a en fait que des représentations de Mahomet… en fonction des conflits qui dressent les factions entre elles dès les débuts de l’islam… Le Mahomet de l’Histoire est enfoui sous elles ». C’est fort juste et fort bien écrit, mais pourquoi Mahomet est-il dit « presque absent » d’un Coran « à l’état brut » et « implicite » ? Alors qu’il est totalement absent de ce texte par ailleurs loin d’être à l’état brut et fort explicite. Réserve de pure forme.
Il faut « lire le Coran en amont de sa canonisation [par l’islam] » – oui, c’est le principe même de l’exégèse historico-critique. À cette époque, « la péninsule arabique résonnait des débats, des cultes et des sectes qui agitaient les empires byzantin et sassanide… Les écrits religieux et les maîtres spirituels circulaient dans cette région [l’Arabie]. L’époque est celle d’une grande effervescence théologique et doctrinale… C’est dans ce monde que surgissent Mahomet et son message ».
Alors qu’en fait ce n’est pas en Arabie – lieu de passage caravanier, sans tissu urbain – que se trouvaient les bibliothèques et les centres spirituels Juifs et chrétiens où est née la catéchèse judéo-chrétienne aux Arabes, mais en Syrie.
Et cet enseignement liturgique, à la fois Juif rabbinique et chrétien schismatique, était donné en araméen syriaque : « Les termes coraniques les plus saillants sont issus des monothéismes antérieurs, précisément de leurs langues liturgiques, l’hébreu du judaïsme rabbinique, le syriaque du christianisme [schismatique] » Ces catéchèses, dans un premier temps rassemblées pêle-mêle pour former l’amorce du Coran, Moezzi en reconnaît implicitement l’existence : « Le Coran se présente comme… un ‘’désordre volontaire’’… accentué par l’absence de trame narrative, une juxtaposition de fragments… D’où l’impression d’un florilège sans genre déterminé… Il s’inscrit dans l’univers biblique… se revendique comme un prolongement des messages de Moïse et de Jésus… [lesquels messages] sont à l’origine de l’arabe du Coran ».
La pression dont il est (inconsciemment ?) l’objet l’empêche de dire clairement que le Coran est issu des catéchèses judéo-chrétiennes de Syrie. Mais si on lit entre les lignes, telle est bien sa proposition qui recoupe celle des chercheurs indépendants et de Naissance du Coran.
« Ce n’est qu’après les conquêtes arabes et les premiers califats… que s’instaurera l’idée d’une rupture… Ce sera alors la naissance de ce que nous appelons communément l’islam ». Une « rupture » – mais à partir de quoi ? « Les conquêtes arabes et les premiers califats ont fait subir au Coran une reconstruction politico-religieuse » Une « reconstruction » – mais à partir de quoi ?
Pour Moezzi, ce sont des « révélations originelles » faites à Mahomet que « le pouvoir califal a modifiées… par souci d’unification politique ». Or il y a bien eu une « reconstruction » du texte, que les musulmans eux-mêmes appellent pudiquement la « collecte » du Coran et qui se termine au 8e ou 9e siècle. Mais elle ne s’est pas faite à partir des « révélations » de Mahomet. Elle intervient au moment, vers 639 ou 640, où les Arabes se séparent à Jérusalem de leurs enseignants nazôréens. La vraie rupture date de cet événement dont on retrouve des traces dans le Coran. Par la suite, c’est vrai, les premiers califes ont amplifié le texte. Quand Le Figaro titre son article « Les conquêtes arabes et les premiers califats ont fait subir au Coran une reconstruction politico-religieuse », ce n’est que partiellement exact : la construction du Coran s’est effectuée à partir de l’enseignement des nazôréens, ces maîtres très tôt rejetés par leurs élèves Arabes.
III. Une avancée décisive
Ces réserves mises à part, Le Coran des Historiens est pour les musulmans comme pour nous une avancée considérable, immense. Pour la première fois, l’exégèse historico-critique n’est plus l’apanage de quelques précurseurs discrets : elle est mise, fut-ce encore incomplètement, au service du Coran et de l’islam. Elle ouvre des perspectives qui font rêver : la fin de la haine musulmane contre Juifs et chrétiens, puisque le Coran n’est pas le fruit d’une révélation mais des catéchèses judéo-chrétiennes aux Arabes. La possibilité pour les musulmans de replacer ses appels au meurtre et au génocide dans un contexte historique dépassé aujourd’hui. La redécouverte de la mystique juive et chrétienne qui affleure un peu partout dans le texte.
Et les universitaires dans leurs chapelles ? Voici ce qu’écrit Mme Chabbi du Coran des Historien (3) : « Je connais les concepteurs [de cet ouvrage] et leurs options idéologiques que je ne partage pas… L’optique générale efface tout contexte historique pour lui substituer des constructions… qui planent au-dessus des siècles… Cela réduit le Coran à du biblisme schismatique… Les auteurs se livrent à des extrapolations débridées, je ne mange pas de ce pain-là ».
Décidément, les chercheurs ne sont pas co-pains entre eux.
Merci, Michel, « Le Coran des historiens » est effectivement un évènement historique, et tes précisions sont bien utiles…
J’ai fini et je mettrai en ligne une diapo sur Moezzi et Dye dans mon « trombinoscope des chercheurs de sens » (image défilante « Chercheurs d’humanité » sur http://www.irnc.org
Amitiés
Etienne
Voilà un beau cadeau pour Noël
Merci Michel pour cette analyse synthétique qui mérite d’être diffusée mais que refuseront sans doute les intellectuels musulmans nullement non intégristes, tout comme les intellectuels chrétiens non intégristes refusent de mettre en cause la divinité d’Isho bar Yawsep et le fait qu’il eut des frères et sœurs de « plein » sang, etc… Et qu’il ne soit pas né à Bethléem avant d’aller se cacher en Egypte pour se protéger du soi-disant massacre des innocents par Hérode, ce dont son « grand ami » Flavius Joseph se serait régalé de parler dans ses Chroniques
Ne pourriez-vous, SVP, nous monter ce texte sous un format doc avec en bas une brève présentation de vous-même et de vos connaissances de multilinguiste , après maintes lectures, de la réalité historique de l’islam ?
En vue d’une diffusion autour de nous .
Merci
Bonnes sobres et conviviales fêtes de fin d’années
J’ai envoyé ce texte en Word sur votre adresse courriel. Les personnes qui souhaiteraient le recevoir en Word n’ont qu’à me le faire savoir.
Merci
M.B.
Merci de cet article, clair, parfaitement informé, qui dit tout en une page. J’ai eu exactement la même réaction face aux présentations par la presse de cette nouvelle publication, que je n’ai pas lue. D’abord je ne suis pas sûr que les auteurs soient les meilleurs spécialistes, ensuite ils sont quand même dominés par l’idéologiquement correct. Rien sur Luxenberg, grande discrétion sur les sources judéo-chrétiennes… Mais ça va dans le bon sens. En fait, personne n’ose. L’islam s’impose aujourd’hui par la violence, avec un effet Charlie qui fait réfléchir chacun. Tout le monde s’indigne du pouvoir qu’exerçait l’Église sous l’Ancien régime, et on garde un silence prudent sur le bras armé de l’islam. En fait, le cœur du problème est très simple: si on accepte l’approche textuelle, il apparaît immédiatement que le Coran est un texte historique, qui a une archéologie biblique et qui se constitue de fragments de doctrine judéo-chrétienne et de sagesse rabbinique. La parenté avec le corpus pseudo-clémentin a été remarquée depuis Harnack. Et tout le monde sait, à commencer par l’Ecole biblique de Jérusalem, que la Bible est une collection de faux, rassemblée plus ou moins tardivement. Il est donc parfaitement clair que le Coran ne saurait être une révélation divine. Dès lors, l’islam s’effondre, ce n’est plus qu’une culture (dont on ne peut que constater le rapport difficile à la modernité). Il faut enfin faire une minimum de théologie: si Dieu avait eu un message à transmettre à l’humanité au début du septième siècle, se serait-il adressé à des bédouins qui n’étaient pas vraiment en état d’écrire, et qui ne mettraient le texte en forme (et quelle forme!) que trois siècles plus tard, avec tout ce que ça implique de distorsions? D’autant plus que les voisins, byzantins notamment, savaient, eux, écrire depuis des millénaires. Les choses sont scientifiquement entendues, mais l’islam doit être sauvé parce que c’est la meilleure machine de guerre contre la société libérale, que haïssent à la fois les musulmans et la gauche.
Quant à J. Chabbi, je n’ai pas été au bout de son premier livre, insupportable déballage d’idéologie culturaliste, rejetant par principe toute approche scientifiquement textuelle, historique, archéologique, théologique, au nom de la spécificité arabe. Comment noyer le poisson ou enfumer le débat. Idéologie culturaliste contre science, elle était prof à Saint Denis, ce n’est sans doute pas sans lien.
Ce qui est dramatique, c’est de savoir que la question est scientifiquement réglée, et qu’il est impossible de le faire entendre à l’opinion publique et aux décideurs politiques. On peut rêver que ce livre soit l’amorce d’un débat dont les musulmans veulent absolument qu’il n’ait pas lieu.
« La Bible, une collection de faux » : dit comme ça, c’est faux ! Un épigraphe n’est pas un faux.
Pour le reste, hélas, on ne peut qu’espérer. Et se rappeler qu’il a fallu + de 2 siècles aux chrétiens pour faire leur mue.
M.B.
Dit comme ça, c’est effectivement un peu brutal, mais il est certain que le Bible est une collection pseudépigraphique. Le Pentateuque est censé avoir été écrit par Moïse… Combien d’Isaïe? Qui prétendrait que les psaumes sont de David? Quant à la Sagesse, elle se présente comme celle de Salomon… Pour Jérémie et les petits prophètes, dont on ne sait rien, on ne sait effectivement rien. Daniel est reconnu par tous comme pseudépigraphique. Et un pseudépigraphe est ce que nous appelons un faux. Mais il faut savoir que l’Antiquité avait une énorme production pseudépigraphique. N’oublions pas au passage que le Coran confirme que la Torah a été donnée par Dieu à Moïse au Sinaï.
Un faux est un texte écrit dans l’intention de tromper le lecteur, forgé de toutes pièces à partir d’éléments non-authentiques. Un épigraphe est un texte attribué par l’auteur à un personnage célèbre. Ce n’est pas un faux, il est … authentiquement épigraphe.
M.B.
Merci de m’apprendre ce terme, que je ne connaissais pas. Nous, antiquisants classiques, fonctionnons autrement, sur la base de l’alternative vrai/faux. Un pseudo-Platon ou un pseudo-Aristote, sont des faux. De même, il y a toute une pseudépigraphie orphique (que dénonçait déjà Platon) et pythagoricienne. Or aucun de ces textes n’est destiné à tromper le lecteur, et la plupart proviennent d’intentions tout à fait bienveillantes. Quand un anonyme écrit le « traité du monde » sous le nom d’Aristote, ce ne peut être que pour compléter ce qu’il n’a pas trouvé chez Aristote, et pour étoffer la théologie du Premier moteur dans une optique concordiste. Les faux antiques ont pour objet d’ajouter à un auteur ce qu’il n’a pas dit mais aurait pu dire, de combler un manque, avec les meilleures intentions du monde. En fait, beaucoup de membres d’une école se faisaient un devoir de prendre la parole, en l’occurrence l’écrit, au nom du maître. Les faux mal intentionnés sont très minoritaires.
Le terme d’épigraphe m’apparaît surtout comme une solution verbale (Écriture-épigraphe) qui euphémisme un désastre. Comment ne pas dire que ces textes sont des faux, tout en le reconnaissant? Techniquement, cela vient d’une situation singulière: on a l’Écriture, et des textes parallèles, non reconnus officiellement. On les nomme apocryphes, pseudépigraphes, écrits intertestamentaires, plus Qumran, ce sont des vrais faux. Sans compter ceux qui sont vrais pour les uns et faux pour d’autres, comme la différence entre la Septante et la Bible massorétique, qui élimine tous les textes grecs. D’où aussi un décalage entre catholiques et protestants. Alors, plutôt que de parler de pseudépigraphes de pseudépigraphes, pour désigner les pseudépigraphes de la Bible, on a dû choisir de parler de pseudépigraphes et d’épigraphes, mais ce n’est qu’une convention d’écriture (petit « é »).
Cela dit, la vraie question reste entière. Petit exemple troublant: A.-C. Emmerich, qui était une paysanne illettrée, a des visions qui recoupent des visions de M.-M. de Pazzi, qui, elles-mêmes, retrouvent des légendes sur Marie et Joseph issues d’évangiles manifestement apocryphes. À moins de supposer que Brentano et M.-M. de Pazzi étaient des imposteurs, on a là quelque chose de vertigineux. De même quand A.-C. Emmerich « voit » l’histoire de Joseph et Aseneth, c’est manifestement un roman égyptien, sans doute hellénistique… Dans quel « cloud » résident alors les apocryphes? Qu’ont vu les grandes mystiques stigmatisées? Des réalités historiques, ou des mondes parallèles issus des apocryphes ou d’un autre imaginaire religieux?
Sur le fond, tous ces textes sont des faux, mais il y a quelque chose qui s’est incarné en eux. La vérité de l’incarnation est là. Un texte est un objet physique, mais il peut devenir comme un poste de radio, se mettre à une fréquence sur laquelle vont, en grésillant plus ou moins, s’incarner des réalités transcendantes. Une œuvre littéraire qui devient classique, est une œuvre dans laquelle apparaissent des types qui la transcendent et nous paraissent toujours actuels. C’est en cela que la littérature peut nous aider à nous penser. La Bible est un ensemble de textes, qui ne correspondent pas à leur attribution, et donc pseudépigraphiques au sens des antiquisants classiques, mais à travers lesquels s’est incarnée une réalité spirituelle. Et c’est à nous de décrypter cet espace entre la matérialité du texte et la signification spirituelle. Se contenter de dire que ce sont des faux et de passer à autre chose, serait donc absurde. Dieu parle aussi à travers des faux, beaucoup de témoins de Jéhovah ont été admirables dans les camps de concentration (je n’oublie pas les communistes), une théologie absurde peut aussi mener à la sainteté. Mais cela ne l’empêche pas d’être absurde. Dès qu’on a un tant soit peu entrevu la transcendance du divin, on devine l’inessentialité du texte, quel qu’il soit, et la question du vrai ou du faux se relativise. Or ce n’est justement pas le cas des musulmans quand ils affirment, comme me l’avait soutenu un théologien turc, que le Coran est la parole de Dieu en texte absolument vrai. Et là, tout s’effondre quand on a démonté le texte.
Rectification du lien, mes excuses http://bouquinsblog.blog4ever.com/livre-de-sulaym-ibn-qays
Bonjour,
Mohammad Ali Amir Moezzi est chiite. Il a aussi écrit Le Coran silencieux et le Coran parlant aux éditions du CNRS (cela se présente donc comme universitaire et neutre). Mais c’est vraiment le point de vue chiite le plus dur qui en ressort souvent. J’y ai trouvé de larges extraits d’un équivalent chiite de la Sira (et plus ancien). On a des surprises. http://bouquinsblog.blog4ever.com/livre-de-sylaym-ibn-qays
Un grand merci monsieur pour votre tenace et courageuse recherche et présentation de la réalité historique de ce fameux Coran que l’immense majorité des musulmans prend pour texte sacré et divin à suivre aveuglément…
Comme je souhaite que les autorités islamiques de France prennent connaissance de tout cela ! Je leur ai signalé tout l’intérêt de votre livre sur la naissance u Coran, par courriel, il y a quelques années, mais n’ai jamais reçu de réponse…
Et vous n’en aurez jamais !
M.B.