LE IVe ÉVANGILE ET JÉSUS (I)

Il y a huit ans je publiais un court essai, Aux sources de l’évangile selon saint Jean, dans lequel j’exhumais du IVe évangile le texte le plus ancien du Nouveau Testament, écrit par le seul témoin oculaire du bref parcours de Jésus en Palestine entre l’an 30 et le 9 avril 33. Ce texte fragmentaire, éparpillé dans l’ensemble du IVe évangile, je l’ai appelé le récit du ‘’disciple que Jésus aimait’’. Ce récit seul m’intéressait, parce qu’il décrit un Jésus d’avant les corrections apportées à son image par les évangélistes puis la théologie chrétienne.

Ce faisant, je laissais de côté tout le reste de cet évangile, environ les 2/3 du texte qui nous est parvenu. Ce reste, je me contentais de tracer ses limites à l’aide de ‘’marqueurs’’ qui lui sont propres, sans aller plus loin. Je disais que « Chacun avec ses visées théologiques personnelles, ce sont plusieurs mains qui ont complété, amplifié et corrigé le récit. Je ne m’intéresse pas à la philosophie, à la symbolique ou à la spiritualité de ces intervenants plus ou moins tardifs. Par une convention simplificatrice, j’appellerai indistinctement ‘’Jean’’ les différents auteurs de ces corrections et amplifications du récit » (1).

C’était l’attitude d’un exégète qui travaillait en archéologue du texte, soucieux de sortir de leur glaise les reliques les plus anciennes qui nous sont parvenues sur le passage de Jésus en Palestine. Mais est-ce à dire que ce reste du texte, que j’ai écarté en l’appelant avec une pointe de mépris sa ‘’glaise’’, n’a rien à nous apprendre sur Jésus et sur son Dieu ? Certes non. Ces amplifications du récit témoignent de la façon dont la deuxième et la troisième génération de convertis à Jésus l’ont perçu et ont compris à la fois qui il était, et quelle était sa relation avec ‘’Dieu’’.

Un Jésus réinventé ?

Deux ou trois générations séparent donc ces auteurs anonymes de la présence de Jésus et de ceux qui l’ont connu. Pendant ces dizaines d’années (2) ils se sont frottés aux courants ésotériques, gnostiques et philosophiques qui parcouraient le Moyen-Orient. Quand ils font parler Jésus, le langage qu’ils lui attribuent n’est absolument pas le sien. La parole la plus authentique du rabbi juif de Galilée se trouve dans ses paraboles, en général peu ou pas remaniées, et dans les sentences rabbiniques qui parsèment les synoptiques (3). Paroles directes, linéaires, sans mystère ni fioritures, qui vont droit au but dans un vocabulaire tiré de l’araméen. Tandis que les longs discours de ‘’Jean’’ fonctionnent en cercles concentriques et répétitifs, à partir de quelques termes fortement colorés par ces courants signalés plus haut.

Est-ce à dire que le Jésus de ces discours n’a rien à voir avec le Jésus réel, qu’ils ont réinventé en quelque sorte un personnage et des discours fictifs à partir du prédicateur qu’ils n’ont pas connu personnellement ?

On pourrait le penser, si on cherchait dans ces discours des informations historiques sur Jésus et son enseignement. Mais on ferait fausse route. Ces longs développements ne sont pas, comme les synoptiques, des témoignages vécus : ce sont des méditations sur un Jésus dont les auteurs n’ont appris que le strict nécessaire. Assez cependant pour chercher à le rencontrer dans leur contemplation mystique parce qu’ils savaient que Jésus, après sa mort, vit d’une autre vie qu’il avait annoncée à ses disciples et qu’il appelait le ‘’Royaume de Dieu’’.

Des contemplatifs

Les discours que j’appelle ‘’Jean’’ dans le IVe évangile viennent donc d’écrivains moyen-orientaux qui n’ont pas connu le rabbi galiléen, mais qui approfondissent leur relation avec lui dans une démarche contemplative.

C’est cet enseignement que je me propose de relire avec vous dans les articles suivants. Au passage, l’exégète signalera sans s’y attarder l’empreinte culturelle des auteurs et les tensions qui parcouraient l’Église primitive dont ils se font l’écho. Mais c’est en contemplatif que je choisirai dans les chapitres 12 à 18 du IVe évangile ces passages d’un texte souvent décousu où d’autres contemplatifs, il y a 19 siècles, ont tenté de percer le mystère d’un monde qui était  alors aussi compliqué, désespéré et désespérant que le nôtre.

                                                                                                M.B., 31 oct. 2021
À suivre : Le IVe évangile et Jésus (II) : Jean chapitre 12.
(1) L’évangile du treizième apôtre, aux sources de l’évangile selon saint Jean, L’Harmattan, 2013, p. 17.
(2) On date la version finale de l’évangile selon saint Jean au plus tôt de l’an 90, au plus tard de l’an 110.
(3) Synoptiques : les trois évangiles de Marc, Luc et Matthieu.

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