PEUT-ON COMMUNIQUER AVEC NOS MORTS ?

 M. me raconte que sa mère dit bonsoir à son mari, puis s’effondre : la mort était là. Deux jours après, son mari, homme au cœur humble, la voit à côté de lui. Elle est éclatante de lumière et lui affirme : « Ne sois pas triste. Traverse tranquillement ces journées. Sache que maintenant je ne suis plus de la terre, mais du ciel. (1)

C’était en mars 1945. Jeune jésuite, j’étais alors à Berlin qui croulait sous les bombes. Soudain j’entends tambouriner à la porte. J’ouvre et vois un jeune homme, son visage nettement éclairé par les incendies : « Vite, allez à tel endroit, mon père est en train de mourir ! » J’y cours et dans les décombres je trouve un homme âgé, déjà mort. Dans sa poche, un portefeuille. En tombe la photo du jeune homme aperçu à l’instant. Au dos de la photo, une ligne : « Mon fils, mort sur le front russe en 1943 ». (2)

Deux récits parmi tant d’autres. Plus dignes de foi sans doute que d’autres, à cause de la personnalité exceptionnelle de leurs auteurs. Mais des faits comparables, le contact d’un vivant avec un mort, si l’on y est attentif ils sont très nombreux. Ils ont suscité une littérature considérable où se mêle un spiritisme douteux à des témoignages de gens connus pour leur sérieux, leur équilibre et leur science comme Roger Schütz ou Karl Rahner. Il y a là des faits indéniables.

Que faut-il en penser ? Charlatanisme, exaltation nerveuse ? Ou bien, contraint par les faits, faut-il admettre qu’un contact avec les morts est une possibilité – et alors, comment l’expliquer ?

Corps et ‘’âme’’ ?

L’existence d’une ‘’âme’’ distincte du corps a toujours fait débat. Le Bouddha Siddhârta la rejette absolument (3), les philosophes Grecs sont divisés à son sujet, l’Occident judéo-chrétien voit dans la mort une « séparation de l’âme et du corps ». Mais tous, même le Bouddha, enseignent que ‘’quelque chose’’ de nous continue d’exister après notre mort.

Prenons les choses à rebours : notre corps est-il seulement un tas d’os et de chairs, séparé de l’extérieur par la peau ? Nous savons maintenant qu’il est en échanges perpétuels avec ce qui l’entoure, et qu’il se renouvelle périodiquement. Difficile de réduire ses dimensions à celles de notre épiderme. Nous ne sommes pas un sac bien clos mais un système ouvert sur l’extérieur, en relation avec lui et agissant sur lui.

Ce système – cet ensemble de cellules – est animé par ce ‘’quelque chose’’ qui fait de lui un vivant, un individu unique doué de pensée, de volonté, d’initiatives et de libre-arbitre. Ce ‘’quelque chose’’, l’Occident l’a appelé l’âme et il enseigne, depuis Thomas d’Aquin, que c’est à travers le corps et par son intermédiaire que l’âme agit et intervient dans le monde. Pas de corps sans ‘’âme’’, mais pas d’âme sans un corps qui l’exprime.

Si l’on retient cette conception des choses – qui correspond à la réalité simple que nous connaissons – qu’advient-il de l’âme après sa séparation d’avec le corps au moment de la mort ? Est-ce qu’elle disparaît, elle aussi ?

C’est là que les grandes religions interviennent : l’âme, disent-elles, ne disparaît pas. Elle passe dans un au-delà du visible, une éternité décrite de façon fort différente selon les cultures. Mais toutes sont unanimes : ce ‘‘quelque chose’’ qui faisait de nous un individu capable de communiquer et d’inter-agir avec le monde, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’est pas anéanti par la mort. Et l’on trouve dans les multiples traditions autant de descriptions colorées qui imaginent et décrivent le sort de l’âme dans l’au-delà.

L’âme et le cosmos

Poursuivons ce qui n’est pour l’instant qu’une expérience de pensée. « Pas d’âme sans corps » ? Puisqu’elle était ouverte au monde extérieur par l’intermédiaire d’un corps, puisque par le corps l’âme entretenait une relation avec tout ce qui l’entourait, la mort apparaît comme un élargissement de cette relation qui unissait l’âme au monde. Si elle ne disparaît pas (comme le pensent toutes les cultures) elle n’est plus limitée par un corps et entretient une relation plus totale, plus universelle avec le cosmos tout entier. Une « relation pan-cosmique de l’esprit au monde » (4), c’est-à-dire une relation de l’âme des défunts avec tout le cosmos, sans la limitation qu’apporte le corps pendant la vie.

Voilà qui bouscule nos représentations habituelles sur la vie des défunts après leur mort, parce que nous pensons spontanément que cette mort équivaut, pour l’âme, à une disparition ou à une fuite hors du monde. Alors qu’au contraire c’est peut-être un achèvement, un épanouissement de sa relation avec le monde qui nous entoure. N’animant plus un corps limité dans l’espace et le temps, l’âme des défunts s’ouvre au cosmos tout entier et entretient avec lui une relation universelle.

Les preuves

 Cette expérience de pensée est confirmée par l’expérience tout court. Nombreuses sont les personnes qui ont eu un certain contact avec les morts. Le plus souvent elles aperçoivent une silhouette, ou perçoivent un message plus ou moins clair. Parfois elles ont un bref entretien avec un défunt. Il existe très peu d’exemples (et ils sont douteux) où elles le touchent.

Dans la grande majorité des cas, les gens ordinaires ayant eu un contact avec leurs défunts n’en parlent jamais, à personne. C’est sans doute l’un des secrets les mieux gardés, tant on a peur du ridicule, de passer pour fou ou anormal. Et tant tout ce qui touche à la mort est tabou dans nos sociétés.

Si l’on veut bien ne pas les refouler, si l’on y est attentif, les langues se délient et les cas se multiplient, qui sont autant de preuves. Quand on laisse des témoins s’exprimer par oral ou par écrit, ces expériences ne tiennent compte ni du temps, ni des distances, ni des lieux. Libérée des contraintes d’un corps, ‘’l’âme’’ peut se manifester partout (« pan-cosmique »), à tout moment.

À quelles conditions ?

On constate que presque toujours le défunt(e) se fait voir ou entendre à des proches, des personnes ayant eu avec lui/elle un lien affectif particulier (mari/femme, parents/enfants…). Ou bien lorsqu’il y a eu une relation forte de maître à disciple. Ainsi les grands Éveillés se sont manifestés à ceux/celles qui les avaient suivi et dont ils avaient bouleversé la vie. Au 11e siècle Milarepa, Marpa, Naropa, Éveillés du bouddhisme tibétain, apparaissent à des disciples très éloignés du lieu de leur mort. Jésus se fait voir à Marie-Madeleine le surlendemain de sa crucifixion, à ses disciples peu de temps après. Mais au cours des siècles et jusqu’à récemment, des mystiques ont entretenu avec lui une relation qui s’accompagne de nombreuses visions.

La qualité spirituelle du témoin joue ainsi un rôle de premier plan. Le témoignage rapporté plus haut note bien que le mari était un cœur humble. C’est le cas de nombreux voyants comme Bernadette Soubirous ou les enfants de Fatima. Et c’est le cas des mystiques qui mènent une vie spirituelle intense.

Ne vous étonnez donc pas si vous n’avez jamais vécu pareille expérience : vous n’y étiez pas disposé, ou pas préparé. Et elle n’est en rien nécessaire à votre existence : sauf cas particulier, elle n’apporte pas grand’chose à celui/celle qui en est l’objet. Elle confirme seulement cette conviction non-réfléchie, parfois obscure, souvent refoulée, que la vie ne s’arrête pas avec la mort.

                                                                      M.B., 14 août 2022
Sur le même sujet, voyez Que se passe-t-il après la mort ? – Le christianisme : mort ou continuité ? – Accompagner les mourants, tutoyer la mort  
(1) Roger Schütz, fondateur de Taizé, assassiné en 2005. Témoignage cité dans Ta fête soit sans fin, Les Presses de Taizé, 1971, p. 139.
(2) Karl Rahner, éminent jésuite (1922 – 1984), expert mondialement respecté au Concile Vatican II. Je l’ai en entendu à la Grégorienne (Rome) raconter cet épisode vécu par lui alors qu’il avait 21 ans.
(3) Le rejet de l’âme par Siddhârta vient de son refus de la destruction du composé humain par la mort. Pour lui, « rien ne disparaît, tout se transforme ». Mais il admet la permanence d’un « moi » qui tend vers l’Éveil et l’immortalité à travers le cycle des renaissances.
(4) L’expression est de Karl Rahner, Écrits théologiques, T. III, p. 118.

7 réflexions au sujet de « PEUT-ON COMMUNIQUER AVEC NOS MORTS ? »

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  2. Gris

    La mort dans l’âme, si j’ose cette formule pour le plaisir de proposer un koan qui n’a pas la hauteur d’un maître zen, mais bon …
    La mort dans l’âme je dénonce Aristote et son entéléchie par le fait même qu’il fût promoteur des ambitions d’un Alexandre dit le Grand : de par sa prétendue philosophie (à psychanalyser dans son rapport à Platon) la fin justifierait les moyens et on perdure dans nos sociétés étatiques par la notion de raison d »Etat qui écrase l’individu.
    Alors et à contrario, si c’était non pas l’âme qui anime le corps mais l’inverse. Entendons nous bien : si évolution biologique il y a eu (je considère les faits paléontologiques comme démonstratifs d’une transformation par complexité et spécialisation des organismes vivants, on peut avoir une croyance différente mais c’est un autre sujet) alors on peut émettre l’hypothèse d’une continuité de celle-ci sous d’autres angles ou autres plans,
    L’inverse d’un Aristote dirait que l’âme est une émergence du corps affectif que les mammifères ont commencé par le développement d’un cerveau « en plus » du reptilien. Ces mêmes mammifères ont, au fur des âges, stimulés ce cerveau qui s’est additionné d’un cortex préfrontal qui autorise l’émergence d’une reconnaissance de l’image de soi chez le dauphin ou le chimpanzé par exemple.
    Chez l’homme cette reconnaissance fait advenir la notion d’une pensée réflexive ouvrant sur un choix de nos actions : la morale (ou autre nom si le lecteur en préfère un autre).
    Et qui dit choix dit comparaison et ceci nous fait franchir le pas de la dichotomie, de la dualité par observation même de notre manière de penser, son fonctionnement.
    Moi-je / l’autre, qualitatif / quantitatif, blanc / noir, bien / mal, âme / corps, esprit / matière, etc.
    Certains ont proposé la dialectique pour éviter des raisonnements par trop binaires et pour palier aux conflits engendrés par des prises de positions rigidifiées. Ceci nous invite à réfléchir sur le fonctionnement du vivant (et même de la matière) : qui dit transformation dit couplage entre deux choses distinctes comme dans les réactions chimiques qui ont besoin d’un catalyseur ou encore en biologie ou aucune réaction métabolique n’est possible sans enzyme.
    Mon propos est de suggérer qu’à l’instar de la biologie (car que connaissons nous d’autre puisque c’est cette unité qui nous fait fonctionner, penser) nous sommes l’association d’un couplage « dialectique » entre la matière et l’esprit (dichotomie verbale oblige) dont l’âme serait une résultante qui, à l’image de la croissance du bébé-enfant-adulte, acquiert aussi cette autonomie qui fait que nos réactions ne sont plus des additions de mimétismes ou des contradictions pour marquer un « territoire » (notre individuation) mais un organe sensible mélange d’affectif originel à notre naissance et d’impulsions quasi impersonnelles (pour dire qu’il n’est pas non adapté) d’un esprit universel subodoré par toutes les religions. (La phrase est longue, désolé !).
    Pour faire simple : le « religare » serait l’âme en croissance stimulée par l’esprit et trempée par l’expérience d’un corps.
    Il y a bien d’autres demeures dans la maison de mon Père évoquait Jésus. Et si au moins deux meurent alors bien des corps potentiels seraient supports à cette croissance de l’âme avec l’esprit.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Pour faire simple : la preuve que l’âme existe, c’est que vous avez écrit les lignes qui précèdent.
      M.B.

      Répondre
  3. Paul

    De quel Karl Rahner s’agit-il? Comme Jojo je doute. Le théologien jésuite RAHNER KARL né en 1904, DCD en1984, est entré dans la Compagnie de Jésus le 20 avril 1922…

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      C’est bien celui qui fut mon professeur à Rome. Dans la note de mon article, j’ai fait une erreur : en 1945 il n’avait pas 21 ans mais 41 ans. C’était encore un « jeune jésuite »
      M.B.

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  4. Jojo

    Karl Rahner, né en 1922, avait donc 21 ans en 1945… Je n’ai aucun doute sur son témoignage, mais cela montre qu’il faut toujours se méfier. Cela dit, la masse des témoignages de ce genre est énorme, et il faut rendre hommage à Jean Prieur d’avoir fait un travail capital dans ce domaine, qui a ensuite été superbement étudié par François Brune. Brune reconnaissait l’importance de Prieur, qui, quoique protestant, lui avait demandé d’assurer son service funéraire, alors que Brune était encore prêtre catholique (il n’était pas encore passé à l’orthodoxie). Prieur a eu ensuite un petit dérapage anti-trinitaire, que Brune déplorait autant que moi, sans pour autant lui retirer ni son estime ni son amitié.
    À cela s’ajoutent tous les travaux, généralement faits par des médecins, sur les expériences de mort imminente ou provisoire, de Moody (75) à Alexander et van Lommel. En France, nous avons J.-P. Jourdan et surtout J.-J. Charbonier, qui vaut mieux que son style. Bref, pour toute personne intellectuellement honnête, la cause est entendue, et, comme vous le dites des expériences de contact avec les morts, qui sont extrêmement fréquentes chez les veuves (ma mère le vivait régulièrement), les expériences de mort provisoire sont le plus souvent tues: on n’en parle pas de peur de passer pour fou ou affabulateur.
    Sur la question de l’âme, tout se trouve dans le débat entre Platon et Aristote. L’âme anime le corps (en latin, anima-animal/animer), alors que devient-elle quand elle n’a plus de corps à animer? Selon Aristote, l’âme est l’entéléchie d’un corps vivant, c’est-à-dire ce qui réalise en acte le corps animé, de sorte qu’elle disparaît à la mort du corps: elle n’a plus rien à animer, donc elle disparaît, et avec elle tout ce qui avait constitué la personnalité du défunt. Il n’y a donc ni survie de l’âme, ni jugement, ni paradis ni enfer. Seul l’intellect, qui est une abstraction, va rejoindre l’intellect divin. Aristote est par conséquent radicalement incompatible avec le christianisme, ce qu’ont bien compris tous les Pères de l’Église. Seul le tripatouillage malhonnête de Thomas d’Aquin a pu faire croire de contraire. Platon, lui, admet un jugement des âmes, qui vont au paradis, au purgatoire ou en enfer. Pour Platon, le fait que l’âme anime le corps implique d’abord qu’elle ne soit pas un corps, ce qui conduirait à une régression à l’infini, et donc qu’elle soit étrangère au corps, tout en le dirigeant de l’intérieur. Et cela implique qu’elle ne dépende pas du corps, et donc qu’elle lui survive. Il faut cependant bien noter qu’il s’agit de l’âme en général, et, par là, aussi de celle des animaux. L’Église se trouve ici bien ennuyée, malgré François d’Assise. Et cela a conduit à la stupidité de Descartes et de Malebranche (qui donnait des coups de pied à son chien, en prétendant qu’il ne sentait rien!).

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