Mort de Benoit XVI : « POURQUOI PAS LIBELLULE OU PAPILLON ? »

« Le pape est mort. Un nouveau pape est appelé à régner. Araignée ? Pourquoi pas libellule ou papillon ? »

Cette innocente comptine circulait dans la cour des sixièmes de mon lycée parisien. Lycée républicain, ce qui prouve que les mystères de l’Église catholique étaient alors profondément ancrés dans l’esprit de la société française, laïque et voltairienne.

En ce temps-là, le pape régnant était Pie XII, le dernier « pape-roi » qui portait sur sa tête émaciée la tiare aux trois rangées de diamants. Il avait, disait-on, des visions du ciel et utilisait une machine à écrire, signe indéniable de modernité.

Quand il mourut, le nouveau à régner fut Jean XXIII qui possédait en rotondités bonhommes tout ce qui manquait à l’austère silhouette de Pie XII. De lui, la postérité a retenu un geste – quand il ouvrit toute grande la fenêtre de son bureau en disant: « C’est de cela que l’Église a besoin, de l’air, de l’air ! » Et une phrase, échangée avec Nikita Krouchtchev lors d’un dîner à l’Élysée : « Finalement, excellence, qu’est-ce qui nous sépare, vous et moi ? Des idées ? C’est si peu de choses ! »

J’ai bien connu son successeur Paul VI, homme frêle, timide, discret. Mais d’un grand courage quand, après avoir déposé la tiare, il décida – contre l’avis des conservateurs – de poursuivre le concile Vatican II. C’est pourtant à ce moment-là que le destin de l’Église catholique bascula, quand au début de la 2e session l’assemblée décida de se donner pour mission la réponse à une seule question : « Église, que dis-tu de toi-même ? ». Dès lors les dés étaient jetés : progressivement, l’Église catholique ne pouvait que se refermer sur elle-même.

Je crois que Paul VI en était conscient. J’étais présent à une audience privée au Vatican lorsqu’il circula parmi nous, disant un mot à chacun. Mon voisin lui demanda « Comment allez-vous, Saint-Père ? » Il leva vers lui son regard tragique et répondit dans un souffle : « Vous voyez, je ne fais que passer… »

Le gentil Jean-Paul 1er ne dura que six semaines, le temps d’un verre de lait. Il avait eu le tort d’annoncer publiquement sa volonté de réformer la Curie romaine : c’est fou comme le lait peut devenir toxique dans ces cas-là.

S’ensuivit le pape polonais, qui avait fait du théâtre et s’en souvenait. Pendant son très long pontificat (26 ans), Jean-Polsky abandonna le gouvernement de l’Église à la Curie pour se transformer en commis-voyageur. Il adorait être acclamé par les foules, qui le lui rendaient bien, et ce fut une succession de shows très médiatisés, au cours desquels il présentait toujours son meilleur profil à la caméra.

Certes, il donna la poussée finale à un système communiste à bout de souffle, qui de toutes façons serait tombé sans lui. Mais pendant qu’il faisait de la géopolitique, à Rome des théologiens, des évêques, des religieux étaient poursuivis et réduits au silence. C’est de cette époque que date la disparition, dans l’Église catholique, de toute théologie, de toute réflexion, de toute interrogation critique sur l’institution et sa place dans le monde.

Il n’y a plus aujourd’hui de vrais théologiens, mais seulement  des répétiteurs. Et l’avenir est au passé.

Un des artisans de cette stérilisation programmée de la pensée et de l’initiative dans l’Église fut un Allemand, Ratzinger, qui avait eu son heure d’ouverture avant de devenir farouchement traditionnaliste. Pierre après pierre, il mura la pensée dans un corset qui lui alla très bien quand il devint Benoît XVI.

Cet abandon de la pensée vivante, programmé dès le pontificat de Jean-Paul II, créa un tel désert intellectuel et spirituel que l’Argentin François, malgré sa lucidité, son talent et sa volonté, ne parvint pas à faire bouger les lignes. On s’achemine vers une fin de son pontificat triste, dans un monde inquiet où l’Église catholique semble incapable d’apporter l’initiative de l’espoir parce qu’elle l’a elle-même perdu.

Qu’est-ce qui a été manqué, depuis la fin de la 2e guerre mondiale ? La remise en cause, non pas des pratiques sexuelles, du mariage des prêtres ou de l’ordination des femmes – ce qui ne changerait rien à rien -, mais des dogmes fondateurs et de leur expression dans les principaux sacrements de l’Église.

Hélas, il est trop tard. Et l’Église va continuer, bon an mal an, son douloureux chemin de mal-voyante dans un monde en proie à d’infinies souffrances.

                                                                                    M.B., 8 janvier 2023
P.S. : Ajoutons (c’est important) que ‘’Dieu’’ n’a pas grand-chose à voir avec tout ça

10 réflexions au sujet de « Mort de Benoit XVI : « POURQUOI PAS LIBELLULE OU PAPILLON ? » »

  1. M.Bon

    Oui « l’institution ecclésiale » se délite.
    Mais en quoi serait-ce anormal pour une institution purement humaine ?
    La royauté française que l’on pensait d’inspiration « divine », donc éternelle, a bien disparu en quelques mois.

    Cette institution d’église a été créée par quelques disciples et nouveaux « croyants », dont Paul, plusieurs mois ou années après le décès de Jésus, homme, qui lui, a toujours rejeté être le nouveau Messie. Son message n’était qu’amour, ce qui fut refusé et incompris par beaucoup, jusqu’à sa mort où il fut bien seul sur sa croix, hormis quelques femmes présentes à ses pieds.

    Dès l’origine, cette institution fut patriarcale, masculine voire machiste.
    Elle a très vite et fort bien collaboré pendant plusieurs siècles avec les puissances militaires et laïques.
    Elle était l’un des piliers de l’ancien régime : Clergé, Noblesse et… tiers-état.
    Pour renforcer sa puissance et son pouvoir, elle a « inventé » au cours des siècles, les concepts de « fils de dieu », de « né d’une vierge », « d’immaculée conception », « d’infaillibilité du pape » etc.
    C’est cette même approche que les califes, successeurs de Mahomet, ont eu pour assoir leur pouvoir : dieu l’ayant dicté à l’oreille du prophète, le coran est devenu sacré et intouchable. On en voit aujourd’hui les conséquences.

    Donc, espérons que les « institutions » ecclésiales s’arrêtent en tant que telles.
    Qu’avons-nous à faire des Etats pontificaux et des membres purement masculins de la Curie, avec leurs dérives sexuelles et leurs investissements immobiliers provenant des dons et des quêtes…

    Que ce soit le message de paix, d’humilité et d’amour de l’homme Jésus qui l’emporte.
    Difficile, mais pas irréaliste. Cela a bien sûr déjà été le cas dans le passé avec St François d’Assise, avec sœur Thérèsa, avec Patrice Lumumba et bien d’autres, tournés vers la paix et l’amour des faibles et des pauvres.
    De nombreuses structures s’y emploient aujourd’hui à travers le monde.
    Et que les multiples bâtiments d’église devenus sans pratiquants, redeviennent des « basiliques » comme au début du christianisme, à savoir des lieux de rencontre et d’écoute ouverts à tous.

    « Le vrai rêveur est celui qui rêve de l’impossible. » Elsa Triolet

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  2. Ange Lini

    Pie xii le dernier pape roi qui portait sur sa tête (d’idiot) une tiare aux  » 3 rangées de diamants »… Tout est dit sur cette institution et ses thuriféraires dont une curie à cureter jusqu’au plus profond et une extrême richesse indécente à distribuer… Comment peut-on encore avoir une once de respect vis a vis de ces gens et leurs églises… Mystère, mystère que Dieu laisse faire …

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Pie XII était fort intelligent.
      La richesse de l’Église à Rome est immobiliére = rapporte peu.
      Ailleurs, les Églises locales sont plutôt pauvres.
      M.B.

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  3. Jean-Claude Lacaze

    Effectivement ce qui a manqué, depuis la fin de la 2e guerre mondiale c’est bien la remise en cause des dogmes fondateurs de l’Eglise. En fait, une refondation systémique s’imposait et plus encore aujourd’hui, une foi à repenser selon Théodore Monod. Celui-ci alla même jusqu’à dire malicieusement « on n’a pas encore essayé le christianisme, il est temps de commencer »

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  4. André FALISSE

    Dieu s’est fait Homme. Le Christianisme est une affaire d’Hommes. Les Eglises de la Chrétienté sont des créations humaines avec leurs qualités et défauts, avec leurs vertus et vices. Il faut retourner au moins à la Réforme sinon plus loin, et avoir le courage de revoir tout depuis là, en partenariat avec les autres Chrétiens. Pour l’Eglise Catholique, ceci impliquerait de revoir fondamentalement la composition de la Curie, club de membres consanguins, voire de la supprimer, mais qui en aura le pouvoir. En attendant, que faire d’autre que de laisser chaque Eglise chrétienne dériver et de prendre de chacune ce qu’elle a de fondamentalement chrétien: l’Amour du Prochain. Et de le faire savoir par l’exemple certes imparfait des comportements personnels.

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  5. LECOCQ Jean François

    Merci vivement Monsieur Benoît de ce très brillant article et de cette synthèse. En quelques phrases bien construites, vous décrivez très bien à mon sens, cette descente aux enfers (!) de l’église catholique romaine. Que de déceptions et de drames dans cette absence de remise en cause. Il paraît effectivement bien tard pour l’Eglise et vos écrits sur l’Homme Jésus nous sont d’autant plus utiles !

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  6. Stéphane Michaud

    Bonsoir cher Michel,
    un tour d’horizon succin mais intéressant des différents pontificats depuis 70 ans.
    Il est intéressant de remarquer un certain parallèle entre la disparition de la pensée théologienne dont vous parlez, conduisant à une uniformisation de la pensée catholique, et la pensée étroite des édiles musulmans qui refusent et réfutent obstinément toute tentative de discussion autour du Coran. Certes, du coté catholiques, la remise en cause a bien eu lieu depuis le XVIIIe siecle, avec tellement de conséquences, mais cette tendance actuelle à se refermer et se barricader derrière des certitudes intouchables témoigne bien de l’incompréhension totale de cette « classe dirigeante » catholique à l’égard du monde actuel.
    C’est peut-être aussi la tendance que l’on observe dans les institutions politiques: le refus de toute compromission avec un parti « ennemi », le replis sur des convictions de plus en plus tranchées et indiscutables.
    Les opinions marquées font désormais loi, si l’on n’est pas d’accord c’est qu’on est forcément contre… Plus de place à la nuance, à la réflexion, au recul par rapport aux choses et aux évènements.
    Nous n’allons pas vers des jours sereins.

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  7. Nicole

    Quelle lucidité de brosser un tableau certes stylisé à grands traits, sûrement à la hauteur des plus grands humoristes, si ce n’était dramatique !
    Je suis une femme comme mon prénom l’indique, et cela est déjà un commentaire à lui seul !
    Heureusement que l’Eternel se faufile, pour toute éternité, en dehors de tous les pièges des institutions humaines .
    Dieu est un vagabond ……
    Merci Michel

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  8. Jean Roche

    Bonjour, et bonne année,
    J’étais collégien chez les maristes au moment de Vatican II. On nous présentais ça comme une révolution, l’Eglise débarrassée de ses vieilleries allait être irrésistible. Le sémillant Père Guichardan, patron du Pèlerin, proclamait dans ses éditoriaux que l’Eglise se mettait « en short comme un sportif ».
    Ce fut au contraire plutôt une accélération de la désaffection des fidèles, de la baisse de la pratique et des vocations, les deux indicateurs préférés de l’Eglise. Alors on peut comprendre que depuis on y regarde à plusieurs fois avant de revenir sur des choses supposées fixées pour l’éternité.

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