PALESTINE : guerre des messianismes et religions de l’horreur

Aucune discussion n’est permise : ce qui s’est passé samedi & dimanche dernier sur le territoire d’Israël est un crime terroriste contre l’humanité. Partout, les esprits s’échauffent. Sans chercher à excuser les criminels du Hamas, ni à justifier leurs abominations, on doit se poser la question : d’où viennent ces éruptions de violence qui se répètent périodiquement en Palestine, année après année, depuis si longtemps ? La réponse porte un nom, le Messianisme, et elle se situe haut, très haut dans l’Histoire. Remontons le temps.

Au commencement fut l’anathème

Si l’on en croit la Bible, vers 1200 avant J.C. les Juifs se seraient enfuis d’Égypte pour envahir la Palestine. Ce petit pays était habité depuis la nuit des temps par des tribus qui sont les lointains ancêtres des Palestiniens (1).

Au moment de les attaquer, Josué dit aux Juifs : « Purifiez-vous, car demain ‘’Dieu’’ accomplira des merveilles pour vous » (Jos 3,5). Et il ajouta : « Ȧ ceci vous reconnaîtrez que ‘’Dieu’’ est avec vous : il chassera de votre présence les habitants [de la Palestine] et les exterminera » (Jos 3,13 et 9,24).

« Au nombre d’environ quarante mille hommes armés, prêts au combat, les Juifs [pénétrèrent en Palestine] » (Jos 4,13). Quand ils entrèrent dans Jéricho, « ils massacrèrent tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes, femmes, enfants et vieillards, en les passant au fil de l’épée » (Jos 6,21). C’était l’anathème, anéantissement voulu par ‘’Dieu’’ et accompli au nom de ‘’Dieu’’.

S’ensuivit la conquête méthodique, systématique de la Palestine dans un bain de sang. L’une après l’autre les villes de Aïn, Maqquéda, Libna, Lakish, Églon, Hébron, Debir « furent   passées au fil de l’épée avec tout ce qui s’y trouvait de vivant, sans laisser échapper personne » (Jos 8,26). Puis ce fut la conquête de Jérusalem et du nord du pays. Terrorisés, « tous les voisins s’unirent pour combattre Israël… Mais Josué tomba sur eux à l’improviste, les battit et les poursuivit jusqu’au Liban » (Jos 9 et 11).

Résumé : « Josué attaqua les villages en partant du centre, et massacra tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous furent passés au fil de l’épée. C’est ainsi qu’il soumit tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant » (Jos 10).

La Bible décrit avec complaisance un génocide (le premier de l’Histoire) commis par les Juifs contre les habitants de la Palestine. Mais a-t-il été aussi radical et atroce qu’elle le dit ? On peut en douter, car ce récit fut mis par écrit 600 ans plus tard, à Babylone où le peuple juif avait subi la première déportation de son histoire.

Là-bas, les exilés juifs se rendirent compte qu’ils couraient un grand danger : être peu à peu assimilés, digérés par la prestigieuse culture (et la religion) d’une civilisation bien supérieure à la leur. Pour ne pas disparaître ils se raccrochèrent aux légendes qu’ils se transmettaient de bouche à oreille, et les transformèrent en épopée glorieuse : un jour, comme Josué ils reprendraient possession de la Palestine par la puissance de leurs armes.

Sous leur plume le mythe de la conquête violente de la Palestine s’introduisit dans la mémoire d’Israël. Il fera désormais partie de l’identité juive.

Naissance du messianisme

Dans l’imaginaire des exilés de Babylone David devint, comme Josué, le type du héros juif triomphant, l’étendard d’un peuple humilié. Ils firent dire à ‘’Dieu’’ : « David, tu es mon fils. Je te donnerai les nations en héritage » (Ps 2). C’est pour affirmer leur identité qu’ils ont créé le mythe messianiste qui justifiait leur volonté de conquête. Une idéologie d’expansion territoriale par la guerre, à la fois utopique (le retour à la situation d’avant l’exil) et apocalyptique (par une guerre d’extermination conduite au nom de ‘’Dieu’’).

Fidèles à la mémoire de Josué ils opposèrent face à face nous, les justes qui accompliront la promesse de ‘’Dieu’’, reconquérir la Palestine. Et ses habitants, qu’il faudra supprimer de la surface du globe.

Cinq cents ans avant notre ère, le messianisme venait de naître. Il infestera la planète, jusqu’à nos jours.

Radicalisation

Ce passé rêvé et recomposé prit au tournant du 1er millénaire une tout autre tournure : celle d’un messianisme radical dont témoignent les Manuscrits de la mer Morte, écrits par les Esséniens (le « peuple de Dieu ») entre le 2e siècle avant J.C. et l’an 70 de notre ère.

Satan, le Mal personnifié, y est assimilé à tous les non-esséniens : « Rassemblez vos forces pour le combat de Dieu ! Car c’est aujourd’hui l’heure du combat contre l’univers satanique… Ce sera l’heure de la domination pour ceux du peuple de Dieu et de l’extermination pour tous les autres » (2). Un génocide universel (et pas seulement Palestinien) : « L’extermination de toute nation impie est décidée… Tu poursuivras l’ennemi pour le détruire dans le combat de Dieu, jusqu’à son extermination définitive » (3).

Le messianisme contamine le Coran

Les judéo-chrétiens qui fuyaient l’armée romaine après l’an 70 étaient imprégnés de ce messianisme apocalyptique. Réfugiés en Syrie, ils le transmirent sans nuances à leurs disciples arabes qui commençaient à écrire ce qui allait devenir le Coran.

On trouve dans ce livre des versets inspirés des Esséniens, qui appellent cette fois-ci au massacre de tous les non-musulmans. Certains font froid dans le dos : « Combattez dans le chemin d’Allah ceux qui vous combattent, tuez-les partout où vous les rencontrerez. Chassez-les des lieux d’où ils vous ont chassés… Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de résistance… Pour toute profanation du masjïd al-haram (l’esplanade du temple) ce sera la loi du talion, hostilité pour hostilité » (4).

Ces versets s’appliquent d’abord aux kouffar du monde entier, les mécréants qui ne sont pas soumis à Allah. Mais avant eux ils visent les  Juifs envahisseurs (« Chassez-les des lieux d’où ils vous ont chassé »). Ainsi a évolué l’idéologie messianique née 500 ans plus tôt en Israël : de la haine des premiers occupants de la Palestine à la haine des ennemis des Esséniens pour finir par la haine des Juifs et de tous les non-musulmans.

Toujours la haine. Au nom de ‘’Dieu’’.

Une guerre des religions

Ces versets brûlants du Coran sont à l’origine de mouvements terroristes comme le Hamas. Ils enflamment et ravivent chez eux la vieille haine messianiste.

Mais quand ils rencontrent un autre messianisme, la volonté juive de reconquérir dans sa totalité Heretz Israël, le Grand Israël mythique… quand ils se heurtent à un sionisme devenu de moins en moins laïc, de plus en plus religieux et intolérant… alors, ce sont deux radicalités d’origine biblique qui s’affrontent à mort.

Ne nous y trompons pas : ce qui se passe en Palestine (et depuis longtemps) c’est une guerre de religion. Comme toutes les guerres de religion elle est impitoyable et ne connaît aucune limite dans la violence entre combattants aveuglés par leur foi.

Tant que d’un côté les Juifs ne reconnaîtront pas le droit à l’existence nationale des Palestiniens, tant que de l’autre les Palestiniens trouveront dans les Juifs les héritiers de Josué, le messianisme continuera de flamber sur ce malheureux territoire hanté par ‘’Dieu’’ et oublié des dieux.

                                                                  M.B., 15 octobre 2023
Rapidement esquissée ici, l’évolution du messianisme depuis ses origines est exposée en détail (avec sources) dans mon essai, Naissance du Coran, aux origines de la violence, L’Harmattan, 2014.
Son évolution récente est remarquablement décrite dans l’essai de Georges Bensoussan, Les origines du conflit israélo-arabe (1870 – 1950), Que Sais-je, 2023.
(1) Le Livre de Josué donne la liste de ces tribus locales : « Cananéens, Hittites, Hivvites, Périzzites, Guirgashites, Amorites et Jébuséens » Jos 3,10.
(2) Règlement de la guerre XV,12 et I,5 (texte essénien).
(3) id-, XV,2 et IX, 5.
(4) Coran 4,89 et 8,34-39.

11 réflexions au sujet de « PALESTINE : guerre des messianismes et religions de l’horreur »

  1. Louis Belon

    dans le dossier consacré par wikipedia à la guerre d’Algérie, paragraphe Massacres du Constantinois (20-26 août 1955) : Plusieurs milliers de paysans mal armés mobilisés de gré ou de force qui se lancent à l’assaut d’une trentaine de villes et villages et assassinent à coup de haches et de pioches Européens ou indigènes favorables à la France. 117 Européens sont tués ainsi qu’une centaine de musulmans francophiles et 47 membres des forces de police. La presse est indignée par les exactions d’El Halia où 39 Européens ont été égorgés dont dix enfants et trois bébés de moins de deux ans.
    La réponse des autorités françaises est démesurée et touche des innocents. L’aviation bombarde les douars des environs, plus particulièrement le hameau du Béni Malek. Des civils armés font eux-mêmes acte de vengeance dans une répression aveugle. Le nombre de victimes atteint plusieurs milliers : entre trois et sept mille cinq cents morts
    Il est vrai que ça date de près de 70 ans; ce n’était pas des juifs mais des français, pas des palestiniens mais des algériens, mais sinon … n’y a-t-il pas de quoi désespérer !

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Et en l’an 64 Néron, après l’incendie de Rome, fit crucifier des milliers de « chrétiens » dont des enfants – en fait, souvent des Juifs.
      Désespérer ? Oui. Mais voyez le commentaire de M. Bon ci-dessus : je préfère ça.
      M.B.

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  2. Paul K.

    ISRAËL/PALESTINE –
    « Le sermon que je ne voulais pas écrire », par Delphine Horvilleur (Rabbine)
    Dans son sermon de Kippour prononcé le 24 septembre 2023, la rabbine s’est livrée à une critique sans concession de la politique conduite par le gouvernement de Benjamin Netanyahou en Israël. « Méfiez-vous de la puissance quand elle vous mène simplement à vouloir écraser l’autre », écrivait-elle alors.

    https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2023/10/15/le-sermon-que-je-ne-voulais-pas-ecrire-par-delphine-horvilleur_6194572_6038514.html

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      On ne le dit pas assez : la politique menée par Netanyahou depuis 20 ans consiste à enterrer les accords d’Oslo pour empêcher la solution à 2 états. Il pousse les Palestiniens au fond de l’impasse : partir ou mourir. Et sans lui, peut-être le terrorisme Hamas n’existerait pas.

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  3. Monique

    La religion nous fait vivre dans la peur. Le Coran est un appel à la violence. Que peut on espérer pour les prochaines générations ? Cette guerre de religion a fait des dégâts et en fera encore. Finalement que peut nous apporter la « croyance » ?
    Mes respects Monsieur Benoît.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je me méfie de (tous) les systèmes religieux. En revanche, pouvoir entrer en contact avec  »Dieu » et alii est de l’air frais !
      M.B.

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  4. Jean Roche

    Bonjour,
    Il est assez largement admis aujourd’hui (et ça peut aider) que les conquêtes génocidaires de Josué et des Juges ne sont pas historiques. Voir par exemple
    Elles semblent avoir été mises en forme au temps de Josias, donc à une époque ou l’Empire Assyrien s’effondrait lentement et où il y avait une place de leader régional à prendre. Ces velléités ont été brisées par la mort au combat de Josias, et la domination babylonienne.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Certes. Mais le récit de ces « conquêtes » a donné naissance à un mythe aux effets dévastateurs.
      M.B.

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Bien sûr ! Si j’ai bien compris, M. Netanyaou reste au pouvoir grâce aux Juifs ultra-religieux, limite fascistes.
          ce type porte une responsabilité + + + dans les évènements. J’espère qu’il va « dégager ».
          M.B.

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          1. Jean Roche

            C’est vrai qu’il est un peu leur otage, surtout avec ses casseroles judiciaires. Cela posé, c’est quand même le Hamas, certainement sur ordre de l’Iran, qui a attaqué.
            Je ne sais pas si cela va durer, mais au moins pour le moment on ne signale rien du côté de la Cisjordanie ou de Jérusalem.

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