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A propos Michelbenoît-mibe

Biologiste de formation, moine bénédictin pendant 20 ans, Michel Benoît a ''été quitté" par l'Église pour raisons idéologiques. Chercheur, historien, exégète, écrivain, il s'intéresse à tout ce qui touche au fait religieux en relation avec les questions de société.

PEUT-ON RENCONTRER L’INVISIBLE ?

          Dès qu’elle émerge de l’évolution, l’espèce humaine se montre fascinée par l’au-delà. Comme le rappelle Yves Coppens, ce qui permet (entre autres) de distinguer sur le terrain les ossements d’un grand singe de ceux d’un humanoïde, c’est que les premiers sont dispersés dans la nature tandis que les seconds sont rassemblés dans un même lieu.

           Rassemblés par qui ? Par les compagnons du ou de la défunt(e).

          Rassemblés où ? D’abord dans de simples failles (comme « Lucy »), qui deviendront des tombes, puis des cénotaphes, puis des pyramides…

          Conclusion : n’en déplaise à certains, l’être humain est fondamentalement, ‘’génétiquement’’, un être religieux. Dans le règne animal, il est le seul à avoir conscience qu’il y a quelque chose au-delà de ce que ses yeux voient, de ce que ses oreilles entendent.

          Le seul capable de s’interroger sur l’au-delà des apparences.

           Cet au-delà des apparences, très vite nos ancêtres s’en sont fait une image, plus ou moins proche de ce qu’ils étaient eux-mêmes, et cette ‘’chose’’ qui leur ressemblait tout en étant autre, ils lui ont donné un nom.

          Ou plutôt, des noms, aussi variés que l’imagination humaine.

          Pourquoi lui donner un nom ? Mais pour pouvoir l’appeler, le convaincre, le persuader d’agir, bref pour pouvoir négocier avec lui.

          Négocier sa destinée, le présent et l’au-delà – où il est censé se trouver.

          Pouvoir donner un nom à cette chose en même temps si semblable et si dissemblable, c’est avoir prise sur elle. C’est être plus fort que l’ennemi qui ne sait pas la nommer, ou qui en reconnaît une autre moins puissante. C’est un atout supplémentaire pour faire face à l’adversité, aux difficultés de la vie.

 L’histoire de Moïse

           Ayant tué un soldat, Moïse a été obligé de s’enfuir dans le désert. Il est seul, à la merci du soleil, des tribus hostiles aux Égyptiens – car il a été élevé dans la culture et la religion égyptienne -, quand il aperçoit au loin un buisson qui brûle sans se consumer.

          Intrigué, il s’approche, et la chose lui dit de retirer ses sandales, car elle est une chose sacrée.

          « Tiens, se dit Moïse, un dieu que je ne connais pas ! » Dans sa situation désespérée, un nouveau dieu, ça ne se néglige pas. Il se prosterne donc, et demande à la chose : « Quel est ton nom ? » Sous-entendu : dis-le moi, afin que je puisse négocier avec toi les conditions de mon salut, car je suis au bout du rouleau.

          Et la chose lui répond : « Je suis ce que je suis ».

          Ce passage du Livre de l’Exode 3,14 est fondateur du prophétisme juif dont Jésus se réclame explicitement (1).

          En hébreu, Héyiéh acher héyiéh.

           Ignorants et faussaires, des philosophes et théologiens ont traduit ces trois mots hébreux par « Je suis celui qui suis », ou même « Je suis l’Être [suprême] ». Or Héyiéh acher héyiéh veut dire Je suis (éyiéh) ce que (acher) je suis (éyieh).

          Et rien d’autre.

           Autrement dit, la chose répond à Moïse : « Tu veux savoir comment m’appeler, pour mettre sur moi ta main ? Savoir qui je suis, pour pouvoir négocier à coup d’offrandes ? Eh bien, je suis ce que je suis, et tu n’en sauras pas plus. Tu ne pourras ni m’utiliser à tes fins, ni construire d’interminables théologies à mon sujet ».

          Car nommer ‘’Dieu’’, c’est déjà projeter sur Lui une image. Puis faire des discours théologiques, pour prendre le pouvoir. Et c’est pourquoi les Juifs pieux, quand ils écrivent sur ‘’Dieu’’ (car, hélas, ils ont beaucoup écrit), l’appellent de quatre consonnes qui ne veulent rien dire, YHWH. Ou bien, à l’époque moderne, ils remplacent le mot imprononçable par la plus petite lettre de l’alphabet hébreu, le yod.

          Et en français, ils écrivent D’.

           De D’ on ne peut rien dire, parce qu’on ne peut pas le penser. On ne peut que constater qu’il est là (2). Tous les mystiques, Juifs, chrétiens, musulmans (soufis), ont cherché à rencontrer Celui-dont-on-ne-peut-rien-dire (3) .

 Rencontrer D’ ?

           Mais comment rencontrer Celui dont on ne peut rien savoir ? Comment connaître l’Inconnaissable ? Comment faire l’expérience d’une réalité qui échappe non seulement à nos sens, mais même à notre esprit ?

          Pendant mes vingt années de vie monastique, j’ai cherché une réponse dans la tradition catholique d’abord, puis orthodoxe. Sans trouver, à cause des théologiens qui avaient pensé l’Impensable. Il a fallu que je croise le bouddhisme, ou plutôt l’enseignement de Siddhârta (4), pour enfin trouver la clé.

          C’est-à-dire une méthode, simple et efficace, pour instaurer – dans mon crâne encombré de pensées – le silence de toute pensée.

           Ne plus penser, est-ce rencontrer D’ ?

          Non, et c’est la limite de l’enseignement de Siddhârta, qui ignore ou plutôt rejette la réalité de D’.

          Ne plus penser, pour le disciple de Jésus (et donc de Moïse), c’est se poser en face (ou à côté, ou en-dessous, D’ que les mots sont pauvres !) de D’.

          Et dans le silence des pensées, savoir qu’on n’est plus séparé de Lui que par un voile (comme Moïse).

          Alors, s’instaure un dialogue au-delà des mots, au-delà des pensées et de la pensée.

          Un dialogue ? Non, puisque le silence est (de mon côté) absence de parole intérieure.

          Une écoute ? Oui, sûrement. Mais on n’entend pas avec le cerveau, qui est au repos. On entend avec ce que la Bible appelle le ‘’cœur’’, qui est ce carrefour où se rejoignent toutes les capacités humaine, affectives et intellectuelles.

           Donc, le ‘’cœur’’ entend une parole inexprimée. Parle-t-il à D’ ? Oui, et lui aussi, au-delà des mots. Jésus enseigne qu’il est inutile d’informer D’ de la liste de nos besoins et aspirations, parce qu’il est déjà au courant.

          Faire silence, donc. Que se taisent les mots et les pensées, pour que s’établisse avec D’ un contact au-delà des mots. La puissance transformante de ce silence est considérable, parce que D’ ‘’agit’’ (toujours les mots !) en-deçà même du subconscient.

           C’est aussi pourquoi tous les mystiques, dont beaucoup n’en avaient aucune expérience, ont vu dans l’union charnelle entre un homme et une femme la meilleure image de cette rencontre. Faire l’amour avec amour, c’est se parler sans parler…

           Dans ce monde de brutes où nous vivons, la rencontre de D’ au-delà des mots est une des grandes joies offerte aux humains, sans distinction de race, de culture ou de position sociale.

                                                  M.B., 8 juillet 2013

(1) Marc 12,26 et // en Luc 20,37. Repris en Actes 7,30. C’est une des rares citations explicites de l’Ancien Testament dans la bouche de Jésus.

(2) C’est ce que je fais dire à Jésus dans les Mémoires d’un Juif ordinaire

(3) Sept mots que la langue allemande traduit en un seul, Der Unaussprechlischen.

(4) Voir dans ce blog la catégorie « Enseignements du Bouddha Siddharta »

L’UNIVERS : la « Fin du Monde » ? (IV.)

          L’univers n’est pas éternel, il a commencé.

          Une impensable quantité d’énergie, de lumière qui s’est transformée en matière.

          L’expansion de cette matière en milliards de galaxies. Une probabilité quasi-nulle pour que tout cela soit dû au hasard.

          Le Big Bang, l’expansion de l’univers, prouvés par les chercheurs (article I.).

           Pas de hasard dans la formation et la structure de l’univers. Encore moins dans l’émergence d’une espèce humaine capable de penser. Un « plan directeur » que les plus grands parmi les chercheurs ne peuvent que constater, qu’ils évoquent en termes différents mais convergents, tout un champ sémantique que j’ai proposé de rassembler sous le mot intention (1).

          Ầ l’origine de l’univers, on discerne une intention créatrice (article II,).

           Une intuition biblique qui rejoint les résultats de la recherche, mais donne à cette intention le nom de « Dieu ». Le danger de ce mot : comment qualifier autrement l’intention créatrice ? Peut-être par l’extraordinaire générosité (2) dont témoignent à la fois le Big Bang et son résultat actuel – infinie diversité de l’univers, infinie complexité de la vie sur terre.

          De bout en bout, la générosité caractérise l’intention créatrice (article III,)

          Deux questions se posent alors :

          Le Mal fait-il partie de l’intention créatrice ?

          Si l’univers a commencé, est-il appelé à finir – à disparaître ?

           La présence du Mal dans l’univers taraude l’humanité depuis qu’elle se pense. Religions et philosophies se sont épuisées à trouver son origine, et la science n’a rien à dire à ce sujet.

          Le Mal est-il un raté du Big Bang, dès l’origine ? Ou bien un bégaiement dans l’évolution de la matière dont nous sommes issus, êtres pensants mais souffrants ? Questions sans réponses satisfaisantes, question de cultures et d’opinions.

           En revanche, la science n’est pas démunie d’hypothèses sur le destin de l’univers.

          Dans un premier temps, on a pensé que son expansion s’arrêterait un jour, et qu’il se contracterait pour s’effondrer sur lui-même : après le Big Bang, le Big Crunch. C’était déjà l’intuition de Siddhârta : « Vient un moment, après une très longue période, où l’univers se contracte. Mais [ensuite] vient un temps, tôt ou tard après une très longue période, où l’univers commence à s’étendre. » (cliquez).

          Comme une balle qu’on lance en l’air, l’univers finirait par retomber sur lui-même. Un Big Bang à l’envers, la contraction de l’univers engendrant une chaleur aussi intense que celle de ses débuts.

           Et puis, on a découvert que les galaxies ne se contentaient pas de s’éloigner les unes des autres : la vitesse de cette expansion semble croissante, elles ne ralentissent pas mais s’éloignent de plus en plus vite. Y aurait-il une cinquième force, encore inconnue, à l’origine de l’énergie qui accélère l’expansion de l’univers ?

          Mais si les galaxies s’éloignent de plus en plus vite du point initial, l’univers va se refroidir jusqu’à devenir glacial, impropre à la vie : c’est le Big Freeze.

           Finira-t-il dans une fournaise ardente, ou bien dans une glaciation irrémédiable ? Big Bang à l’envers, ou Big Freeze ? On en est là, ce n’est pas moi qui trancherai.

           En revanche, la fin de notre espèce humaine semble programmée.

          L’intention créatrice avait aimablement prévu à la fois notre atmosphère riche en oxygène, et des forêts pleines d’arbres : pendant des millénaires, les humains ont puisé l’énergie nécessaire à leur survie dans le bois que nos ancêtres faisaient brûler. C’était bien vu, parce que les arbres ça produit de l’oxygène et une fois coupé, ça repousse. On avait donc sous la main toute l’énergie qu’il fallait pour vivre .

          Mais les humains étant ce qu’ils sont, il leur en a fallu toujours plus. Ils ont découvert que l’intention créatrice avait eu la bonne idée d’enfouir sous leurs pieds un peu de charbon, qu’ils ont brûlé, puis du pétrole, qu’ils ont brûlé aussi et dont ils ont fait le plastique de votre ordinateur.

           L’ennui, c’est que la gourmandise humaine était insatiable, et les réserves enfouies incapables de se renouveler. Alors les humains ont percé le secret des étoiles, et inventé la fission, puis la fusion de l’atome. Le Mal était-il à l’œuvre ? Toujours est-il que cette énergie-là, elle serait capable de faire sauter la planète. On voudrait donc bien s’en débarrasser, mais comment satisfaire la gourmandise insatiable d’une humanité toujours plus nombreuse ?

          Le scénario le plus vraisemblable, c’est que dans un avenir très proche les humains vont cruellement manquer d’énergie. Ils auront faim et froid : ce sera le Big Freeze de l’humanité pensante.

          Sauf si elle se fait sauter avant, bien sûr. Les Apocalypses des Babyloniens, des Juifs et des chrétiens ont penché vers cette solution charmante.

           Alors, l’intention créatrice (quel que soit son nom) se demandera peut-être si c’était bien la peine de créer un univers aussi chouette, pour voir cette jolie planète tourner dans l’espace, morte ou presque à cause de la bêtise des être pensants apparus si tard, et si vite disparus (ou presque).

                                            M.B., 6 octobre 2013

 (1) Du latin in-tendere : une tension à l’intérieur d’un système qui le rend dynamique, le fait tendre vers un but final et s’organiser en fonction de cette finalité.

(2) Le concept de « générosité » est à prendre ici dans son sens premier, qualitatif : beaucoup de possibilités. Le sens second, une qualité morale, n’étant pas loin. Mais l’univers ne connaît pas de morale,..

PROBLÉME PALESTINIEN ET MESSIANISME

L’historien n’est pas neutre. Lorsqu’il s’efforce de dégager la signification des événements du passé, c’est toujours en fonction de ce qu’il vit dans son présent.
       Je voudrais vous donner quelques pistes de réflexion pour comprendre ce qui se passe en Palestine. Sans prétendre aucunement que cette lecture soit la seule possible, ni qu’elle englobe à elle seule la totalité des ressorts complexes de la situation.

I. Messianisme et sens de l’Histoire

Pour toute l’Antiquité (Orient et Occident gréco-latin), l’Histoire est cyclique, elle fonctionne selon le mythe de l’éternel recommencement.
       Le Bouddha enseigne que « rien ne commence, rien ne finit : tout se transforme ». Le résultat, c’est chez certains un profond scepticisme : ce qui s’est produit se produira, « rien de neuf sous le soleil » (1).

       Le premier – et le seul – Israël a un jour inventé la conception linéaire de l’Histoire : il y a un commencement, voulu par Dieu. Et il y aura une fin, qui sera le retour à l’unité originelle entre l’Homme et la création, telle que Dieu l’a pensée dans son acte créateur.
       Pour Israël l’Histoire a un sens, elle tend vers quelque chose qui sera meilleur que ce que nous vivons aujourd’hui.
     Cet aboutissement de l’Histoire s’accompagnera de la manifestation d’un Messie : un homme providentiel dont le retour mettra fin à l’Histoire. Alors, comme le dit Isaïe, le lion broutera à côté de l’agneau, il n’y aura plus ni guerres, ni souffrance : c’est le paradis.
       Le messianisme, propre à Israël, explique son histoire passée et présente. Car tout est permis pour favoriser le retour du Messie : au nom du Grand Soir messianique, génocides, crimes, spoliations, ne sont plus que des accidents nécessaires de l’Histoire. Et Israël, qui a pourtant inscrit dans son Décalogue le commandement « Tu ne tueras point », va allègrement massacrer ses ennemis parce qu’ils sont autant d’obstacles au retour du Messie, à l’accomplissement du Grand Soir.
       Par sa nature même, le messianisme est aveugle, il ne connaît aucune autre loi que son propre sens de l’Histoire : la fin justifie tous les moyens.

II. Postérité du messianisme juif

Le judaïsme va transmettre au christianisme sa conception messianique de l’Histoire. Mais le messianisme juif était (et est toujours) territorial : son but est d’occuper un territoire, identifié au royaume mythique de David, avec Jérusalem pour centre. Le messianisme juif n’a pas d’autre ambition, jamais il n’a songé à conquérir le monde. 

     Tandis que le messianisme chrétien n’est pas centré sur un territoire, mais sur une personne divinisée, Jésus-Christ. Laquelle s’incarne dans la personne de dirigeants religieux (le clergé) et politiques (le roi de droit divin).
     L’ambition messianique chrétienne n’est pas territoriale : il ne s’agit pas de reconquérir un territoire sacré, mais d’amener l’humanité entière à reconnaître Jésus-Christ comme dieu, pour qu’elle trouve en lui son salut.
     Puisqu’il veut sacraliser l’Humanité à travers son adhésion à une foi strictement définie, le messianisme chrétien (à la différence du juif) est universel : mais il n’est pas intrinsèquement guerrier. Si les chrétiens tuent ce n’est pas pour conquérir ou défendre un territoire, mais pour défendre une forme de foi qu’ils veulent imposer à tous les autres.
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       Le messianisme musulman s’inspire à la fois du judaïsme, dont il est issu, et du christianisme. Pour l’islam, il s’agit :
       – De reconquérir Jérusalem et d’en faire le centre du nouveau royaume terrestre (qui deviendra le Califat). Par là, les musulmans s’opposent aux juifs qui revendiquent Jérusalem comme capitale du Grand Israël.
       – D’imposer à la planète la foi en un Dieu unique : par là, les musulmans s’opposent aux chrétiens qui sont perçus comme polythéistes, puisqu’ils croient en trois dieux (Trinité).

       Mais le messianisme judéo-chrétien a imprégné tout l’Occident
     – Le communisme est un messianisme social : le Grand Soir n’est plus la reconquête d’un territoire, mais la victoire d’une classe sociale (le prolétariat) sur les autres. Ici le Messie, c’est le prolétariat. Quand il sera seul au pouvoir il n’y aura plus ni guerres, ni pauvreté, ni religions : c’est le paradis socialiste.
     – La nazisme est un messianisme racial : il faut éliminer les sous-hommes (juifs, tziganes, homosexuels, prêtres) pour permettre la domination de la race des Seigneurs. Le Messie c’est le Herrenvolk, seul capable de fonder durablement le « Royaume de Mille Ans ».
       – Particulièrement dangereux, le messianisme évangélique américain voit dans l’Amérique le nouveau Messie. Le Grand soir doit être précédé par le retour d’Israël dans le Royaume de David restauré, avec Jérusalem comme capitale juive (d’où le soutien inconditionnel à Israël des sionistes chrétiens américains). Alors seulement, et dans une deuxième étape, les juifs pourront être convertis au Messie chrétien. Ce sera l’aboutissement de l’Histoire, et les USA en sont l’instrument privilégié.

       Chacun de ces messianismes croit voir compris le sens de l’Histoire. Il est prêt à tout pour faire accoucher l’Histoire.

       Ce qui est terrifiant, c’est que l’ambition (ou le rêve) messianique justifie tous les moyens. Il n’y a plus de parole donnée, de morale politique ou individuelle. De la même façon que les nazis autrefois (génocide = « solution finale »), les sionistes ont mis au point un vocabulaire adapté : nettoyage ethnique ou déportation se dit chez eux « transfert », torture s’appelle « pression physique », liquidation se traduit « autodéfense active ». Assassinat politique devient « élimination ciblée », colonisation s’appelle « implantation », etc…

III Une vieille histoire

Pour terminer, je voudrais vous lire quelques extraits d’une chronique – en vous laissant deviner à quelle époque elle a été écrite

       « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais lui, il est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivi jusqu’au Liban ». Qui est ce « lui » ? Est-ce Moshé Dayan, et le récit de la guerre des Six Jours ?
       « Il attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant » S’agit-il du premier « transfert » palestinien de 1949 ?
       « Les juifs se sont emparés de tout le pays… Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre. Quand il n’en est plus resté un seul, lui a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives ». Ce « lui », est-ce Yitzaac Shamir ?
       Puis il déclare : « Prenez possession de ces terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées, et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous« . Maintenant, est-ce Ariel Sharon qui parle ?
       « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants ». Est-ce la description des camps palestiniens, de Sabra et Chatilla ?
       Alors, les palestiniens s’insurgent : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays : rendez-nous ces terres, maintenant ! » Est-ce la voix de Yasser Arafat ?
     Ce à quoi un responsable juif (lequel ?) répond : « Nous ne serons quittes envers les palestiniens qu’en leur faisant du mal ! »

       Ce sont des extraits du Livre de Josué écrit au début du VIII° siècle avant Jésus-Christ, faisant partie de la Bible et devenu sacré.

       J’ai pris cet exemple pour illustrer ce à quoi mène le messianisme.
       Actuellement, trois messianismes s’affrontent en Orient : le sionisme, l’islam et l’évangélisme américain.
       Trois conceptions du sens de l’Histoire, trois lignes directrices semblables mais qui ne se croisent jamais.
       C’est pourquoi on se trouve en Palestine (et depuis 3000 ans) dans une impasse, dont on ne voit pas comment il serait possible de sortir – pas plus aujourd’hui qu’hier.

                            M.B., conférence donnée le 9 janvier 2008

(1) Livre biblique de l’Ecclésiastique

N. Sarkosy, la Bible, le Coran

Lu dans Le Parisien du 26 février 2008, page 2, cette déclaration de M. Nicolas Sarkosy :

« Dans mon discours en Arabie Saoudite…
j’ai dit qu’il n’y a pas un mot de la Bible, pas un mot du Coran
qui prône la violence, la haine et l’extrémisme »

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J’ai été feuilleter l’un et l’autre texte sacré.
Pas un mot ? En voici quelques-uns seulement, parmi d’autres :

Bible

Lévitique 17,14 : « Quiconque [enfreindra les interdits alimentaires]
sera anéanti physiquement »

-id- 26,29-33 : « [Ceux qui ne respecteront pas les lois saintes],
je dégainerai l’épéecontre eux ,
j’entasserai cadavre sur cadavre »

Josué 6,17-26 : « La ville de Jéricho sera vouée à l’anathème,
avec tous ses habitants… »
Alors le peuple poussa le cri de guerre…
il passa au fil de l’épée tout ce qui se trouvait dans la ville,  hommes et femmes, jeunes et vieux… On brûla la ville…      et Josué jura devant Dieu : « maudit soit celui qui rebâtira cette ville ! »

Juges, 15,3 :  Samson dit : « Je ne serai quitte envers les Palestiniens
qu’en leur faisant du mal »

Psaume 137 :           « O Babylone  misérable,
Heureux qui saisira tes enfants pour les briser contre le roc ! »

Coran 
Sourate 8,12 : « Dieu est avec vous, courage, les croyants !
Dieu va jeter l’effroi dans le cœur des incroyants :
Frappez-les au cou ! Frappez-les aux jointures !

S. 8,17 : « Ce n’est pas vous qui avez tué [nos ennemis],
mais c’est Dieu qui les a tués !
Quand tu lançais [contre eux] tes flèches, c’est Dieu qui les lançait ! Ils ont perdu la vie parce qu’ils se sont séparés de Dieu-et-de-son-Prophète ! »
S. 4,91 :  » [les infidèles], combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de résistance… S’ils retournent à l’infidélité, saisissez-les et mettez-les à mort, partout où vous les trouverez… »

S. 4,115 : « Ceux qui se séparent du Prophète… que Dieu les précipite en enfer ! »

S. 63,4 : « Vos ennemis… méfie-toi d’eux ! Que Dieu les tue ! »

S. 57,15 : « On n’accepte plus [désormais] de rançon des incroyants :
leur seul refuge est le feu »

S. 58,5 : « Ceux qui s’opposent à Dieu et à moi seront culbutés,
comme l’ont été ceux qui les ont précédés »

S. 58,22 : « Personne ne témoignera d’affection
à ceux qui s’opposent à Dieu et à moi,
même s’il s’agissait d’un père, de fils, de frères »

(Traduction et numérotation des versets de Denise Masson)

Sans commentaires

M.B., 27 février 2008

 

(Brève) RÉPONSE A UNE JEUNE MUSULMANE

          Une jeune femme (19 ans) que je ne connais pas, vient de mettre un commentaire sur ce blog. Je me permets de lui répondre ici, très rapidement.
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          Voici les extraits significatifs de son texte :
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          En tant que musulmane, je pense que la base du dialogue entre les juifs, les chrétiens et les musulmans serait que chaque religion accepte l’autre. Les musulmans à l’image de notre prophète reconnaissent Noé, Abraham, Moise Jesus etc en tant que prophètes? Mais en est-il de même pour les chrétiens et les juifs ? Reconnaissent-ils vraiment Mahomet comme le messager de Dieu porteur d’un mesage divin tout comme le fut Moise et Jesus ?
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          On retrouve en effet des « influences » juives et chrétiennes dans Le Coran, et pour cause. La Bible, Les Evangiles et le Coran proviennent du meme Dieu, non ? Dieu n’aurait pas lieu d’être s’il revenait sur ce qu’il disait, à chaque fois qu’il envoyait un ecrit saint par l’intermediare d’un Prophète !
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Chère amie,
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          Vous posez, de façon limpide, le problème de fond qui rend impossible toute convergence entre musulmans et chrétiens.
          Vous dites (et c’est le dogme fondateur de l’islam) : Dieu n’aurait pas lieu d’être s’il revenait sur ce qu’il disait, à chaque fois qu’il envoyait un ecrit saint par l’intermediare d’un Prophète !
          Pendant plus de quinze siècles, les chrétiens ont fermement cru que les évangiles avaient été écrits par des hommes inspirés : ce qu’ils écrivaient ne venait pas d’eux, mais de l’Esprit Saint qui parlait à travers eux. Certains chrétiens (on les appelle fondamentalistes) le croient toujours. Tout comme ils croient que le Pentateuque, la Thora des juifs (les cinq premiers Livres de la Bible) ont été dictés par Dieu à Moïse. Ils ressemblent exactement aux fondamentalistes musulmans.
          Si l’on se tient à cette croyance, bien évidemment Dieu ne peut pas dicter une chose un jour, et son contraire un ou deux siècles plus tard. Il y a donc nécessairement progression de la Révélation, chaque prophète faisant faire un pas de plus à cette Révélation (sans annuler celles qui précèdent). Et c’est pourquoi le Coran présente son auteur comme le sceau des prophètes, et le Coran s’attribue à lui-même le titre de dernière Révélation.
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          On sait maintenant que les choses ne se sont pas passées ainsi. Mais il a fallu batailler ferme, dans le monde catholique, pour parvenir à une conception plus exacte de la Révélation. Ce qu’on appelle l’exégèse historico-critique (l’application à la Bible des techniques de lecture valables pour tout texte ancien) n’est autorisée officiellement chez les catholiques que depuis 1943 !
          Je ne ferai pas dans cet article – qui est plutôt une lettre amicale – un exposé de ce qu’est cette méthode de lecture, valable pour la Bible comme pour le Coran. Tous mes livres sont le fruit de cette méthode, que j’essaye d’appliquer avec discernement. Et sans oublier jamais qu’il ne s’agit pas de textes « morts », mais de textes pour vivre.
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          En un mot :
          « Dieu » n’a pas dicté le Coran à un Muhammad inculte, par l’intermédiaire de l’ange Ghibraïl. Cette croyance, c’est le dogme musulman, qui a été imposé, bien après la mort de Muhammad en 632, à l’Umma en formation – et pour des raisons politiques.
          Le résultat, c’est l’islam.
          Exactement comme les évangiles ont été mis par écrit, bien après la mort de Jésus, par des hommes qui ne cherchaient pas seulement à transmettre un souvenir, une mémoire de Jésus, mais aussi à établir un pouvoir politique – et ils ont parfaitement réussi.
          Le résultat, c’est le christianisme.
          Quelques chercheurs, presque tous d’origine chrétienne, et extraordinairement discrets, travaillent le texte du Coran selon les méthodes historico-critiques. C’est un immense travail, il a fallu un siècle et des centaines de chercheurs pour que le monde catholique découvre une autre vérité que celle du dogme de la Révélation, « dictée » par Dieu à des hommes.
          Ce travail, les penseurs musulmans ne l’ont pas encore commencé. Quelques-uns (peu nombreux) tournent autour, sans oser s’y aventurer, car leur vie est en jeu.
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          Il n’y aura pas de rapprochement possible entre musulmans et chrétiens (entre musulmans, chrétiens et juifs) tant que les musulmans ne s’attelleront pas, avec courage, à cet énorme travail de démythologisation du texte du Coran.
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          Peut-être, alors, découvriront-ils ce que j’ai esquissé dans le chapitre 59 du Secret du treizième apôtre. Vous vous doutez qu’en 3 pages, je n’ai pas pu faire état des résultats d’une recherche à peine esquissée ! Je n’ai fait qu’en donner les principaux résultats. Et dans le cadre d’un roman, ce qui « passe mieux ».
.
          Que vous dire d’autre ? Que pendant tous ces siècles où l’obscurantisme régnait sur la chrétienté, justifiant le pouvoir des papes et des évêques, il s’est trouvé quantité de grandes âmes pour découvrir « Dieu » à travers le dogme imposé, et malgré lui.
          Et des anonymes innombrables, une foule de sans-voix, admirables, qui en ont fait tout autant.
          Car « Dieu » n’est pas lié par les convoitises humaines : il se laisse trouver, même à travers le mur épais des mensonges dogmatiques, par les coeurs purs.
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          C’est peut-être cela, l’humour de Dieu : ce pied-de-nez qu’il fait aux prélats mitrés, aux imams, mollah et autres ayatollahs : « Dites toujours : vous n’empêcherez pas ces petits qui me cherchent, de me trouver ».
          En attendant que l’islam évolue, et qu’il le fasse en profondeur, dans la paix, je vous souhaite ce même humour, jour après jour.
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                             M.B., 27 août 2008

P.S. : Vous trouverez, dans les catégories « ISLAM, JUDAISME, CHRISTIANISME » de ce blog, quelques « prudentes » réflexions à ce sujet.




GAZA, LE VIEIL HOMME ET LA CLEF

          C’était au printemps 1978, des amis m’avaient offert un billet d’avion Paris -Tel-Aviv. Israël était alors au faîte de sa puissance, régnait encore en maître sur la péninsule du Sinaï. Ecrasé, l’OLP faisait silence : il n’y avait plus de « question palestinienne ».

          Je n’ai pas voulu quitter ce pays sans avoir fait, à pied, le même trajet que Jésus : de Jéricho à Jérusalem.
          On quitte Jéricho-la-verte, et l’on entre au désert. Un chemin qui sinue, sous le soleil de feu. Puis des collines abruptes, nues, on chemine à flanc de coteaux.
          Personne. Parfois un bruit étrange, répercuté par les parois escarpées.

          Soudain, on débouche sur la grande route Tel-Aviv – Jérusalem. Au milieu de rien, un arrêt de bus. Je m’approche : je suis au lieu-dit « le bon samaritain », un bus va passer. Le prendre, c’est échapper à la chaleur, à la fatigue. Un instant d’hésitation, le souvenir de Jésus qui n’avait pas de bus à sa disposition : je traverse la route et m’enfonce à nouveau dans le sable. Jérusalem est là-bas, derrière les vagues de chaleur.

          Le désert.
          Soif, très soif.
          Le soleil : il doit être 15 ou 16h, comment se fait-il qu’il brûle encore autant ?
          La lumière aveuglante. Soudain, une voix qui m’appelle : mais oui, c’est bien à moi qu’on en veut. Dans l’air qui tremble, un cube de béton posé sur le désert, une espèce de véranda, un vieil homme au keffieh qui me fait de grands signes des bras.
          Je m’approche : il est âgé, me parle en arabe, me montre le ciel embrasé, le sable, la direction de Jérusalem. Que me veut-il ?
          Un homme plus jeune apparaît derrière lui, et me crie en anglais : « Come, sir, come here ! »

          Je suis arrivé au pied du cube de béton. Le jeune homme sourit, il est vêtu à l’européenne :
          – Monsieur, me dit-il en mauvais anglais, mon père vous a vu marcher dans le désert. Vous venez de Jéricho, n’est-ce pas, vous allez à Jérusalem ? Vous ne pouvez pas continuer sans boire, il vous reste dix kilomètres à faire. Mon père veut que vous veniez prendre du thé. C’est nécessaire pour vous, vous comprenez ?
           Le vieillard hoche la tête, me prend par la main, me fait asseoir à l’ombre. D’un bras tremblant, fait gicler dans un verre ébréché un jet de thé mousseux. Me le tend avec un sourire qui découvre ses dents orphelines :
          – Bismillah, schouf, bech’er !
          Oui, c’est bon, c’est délicieusement sucré, odoriférant. La vie revient en moi : sans cet apport d’eau et de sucre, je ne sais pas dans quel état je serais parvenu au terme de cette longue marche.
          Le vieil homme tourne la tête, parle à son fils, qui traduit tant bien que mal :
          – Notre famille vit en Palestine depuis toujours, aussi loin que la mémoire de mon père remonte, peut-être depuis les croisades. Mon père sait : dans ce désert, sans eau, vous étiez en danger.
          Je n’ai rien dit. Je bois le thé, et aussi les yeux, le visage ridé du vieil homme. Une immense humanité, faite de tristesse et de compassion.
          Il me regarde boire, puis se tourne vers son fils, et lui dit quelques mots. Le fils secoue la tête – « non, non !  » – puis finit par céder, se lève, entre dans le cube, en revient au bout d’un instant, le poing fermé sur un objet.
          – Mon père dit que vos yeux savent entendre. Il veut que je vous montre quelque chose, si vous voulez bien : il faut monter là-haut.

          Nous gravissons une colline de sable et de pierres. Parvenus au sommet, un vaste panorama : tout là-bas, Jérusalem et le dôme de la Mosquée qui scintille sous le soleil.

          A cette époque, la banlieue nord-est de Jérusalem était peu construite. Le jeune homme tend sa main libre, me montre des maisons basses au milieu des oliviers, à la limite de la ville :
          – Vous voyez ? Dans ce petit village c’est notre maison. Celle où mon père est né, et son grand-père avant lui. Et ça, ce sont nos oliviers. Ils ont été plantés par le grand-père de mon grand-père. Nous vivions bien, il y avait un pressoir à huile… Et puis, en 1948, Tsahal est arrivé. Ils nous ont expulsés, ils ont pris notre maison, notre plantation. Maintenant, ce sont les juifs qui font couler l’huile du pressoir, avec le fruit de nos oliviers. Et nous, nous n’avons plus rien. Nous vivons là…
          Je me retourne : en contrebas le cube de béton, planté en plein désert, est l’image de la désolation et du dénuement solitaire. Pas un arbre, rien.
          Rien.
          Le jeune homme ouvre son poing fermé. Au creux de sa paume, une clef rouillée :
          – Et ça, c’est la clef de notre maison. Chaque jour depuis trente ans, chaque jour mon père monte jusqu’ici. Il regarde sa maison de loin, et puis il embrasse sa clef, la clef de sa maison, de la maison de ses ancêtres. Et puis il descend, s’assied sur la véranda, fixe le désert. Des larmes coulent sur ses vieilles joues. Et moi…
          Il a refermé ses doigts sur la clef :
          – Moi, je m’appelle ‘Amîn. En arabe comme en hébreu, cela veut dire « fidélité« . Moi, je pense à notre maison, au bruit du vent le soir dans les oliviers. Mon premier fils s’appellera lui aussi ‘Amîn. Et chaque jour, comme moi, il viendra ici regarder notre maison. Quand mon père mourra, je lui transmettrai la clef. Et il la transmettra à son fils. Pour le jour où nous rentrerons chez nous. Chez nous…
          Je n’ai rien dit. Dans les yeux d’Amîn, il y a une lueur particulière, ardente et dramatique.


          Le lendemain, c’était la veille de mon départ. A Jérusalem, j’ai pris un bus rue Réhovot. Direction, Gaza.
          A l’époque, on pouvait entrer dans le territoire simplement en montrant son passeport. Évidemment, aucun touriste, jamais, n’allait là-bas. Mais depuis ma rencontre avec ‘Amin et son vieux père, depuis le thé, depuis les yeux d’Amin, je n’étais plus un touriste.
          A Gaza, je me suis dirigé vers un camp au bord de mer, où les Palestiniens expulsés étaient concentrés. Immédiatement, j’ai été entouré d’une foule de keffiehs. Personne ne parlait. Mais des dizaines de paires d’yeux, qui me fixaient en silence, avaient en eux le même reflet que ceux d’ ‘Amîn.
          Et puis une jeep de Tsahal est passée, a freiné dans un nuage de poussière. On m’a saisi, jeté sur le plateau de la jeep :
          – Mais qu’est-ce que vous faites ici ? C’est interdit, c’est très dangereux pour vous !
          Les militaires israéliens m’ont reconduit jusqu’au bus. Ils ne m’ont quitté que quand il a démarré pour Jérusalem, avec moi dedans.


          Depuis, je pense à la clef du vieil homme, à sa maison qu’il n’a pas revue avant de mourir. A ‘Amîn le fidèle, à son fils qui doit être grand maintenant. Et qui doit, à son tour, gravir chaque jour la colline aride pour regarder, de loin, sa maison et ses oliviers.
          Une clef rouillée dans son poing fermé.

          Je revois la lueur dans le regard des ‘Amîns de Gaza.
         Et je sais qu’elle ne s’éteindra jamais.


                              M.B., 15 janvier 2009

Tempête en monde musulman (Printemps arabe)

          « Je ne crois pas que les livres puisent changer le monde. Mais lorsque le monde commence à changer, alors il se cherche un livre nouveau » (1)

            Après l’écroulement de l’éphémère royaume de David-Salomon, pendant leurs années d’exil à Babylone, les tribus juives ont cherché comment elles pouvaient survivre, c’est-à-dire se donner une identité dans un monde en changement.

          Qu’ont fait les juifs anéantis, noyés  au milieu d’un peuple inconnu ? Ils ont écrit un livre, la Bible.

          La Bible est (en partie) la façon dont le peuple juif s’est donné une existence parmi les peuples, en relisant son passé mythique pendant et après l’Exil.

           Dans un Empire romain fragilisé par son immensité, des juifs de la diaspora grecque ont voulu créer un monde nouveau qui prendrait le pouvoir de l’intérieur, par la diffusion d’une religion nouvelle. Le christianisme est né au milieu des soldats romains, des esclaves et des affranchis. Dans ce monde mouvant c’était une révolte des jeunes, des pauvres qui n’avaient rien à perdre, contre la classe établie, vieillie, fatiguée, ayant perdu tout idéal.

          Qu’ont-ils fait ? Ils ont écrit un livre, ou plutôt quatre – les Évangiles –, et des lettres.

           Dans une oasis arabe enrichie par le commerce sud-nord, un jeune Qoraysh a voulu sortir du lot. Exilé à Médine par ses coreligionnaires, il a d’abord guerroyé contre eux, puis contre les juifs de la diaspora locale, et enfin contre l’Empire chrétien de Byzance.

          Comment a-t-il pris le pouvoir ? En écrivant un livre, le Coran.

           Trois livres, qui ont changé le monde quand ils ont été écrits.

          Ou plutôt, qui ont été écrits au moment où le monde changeait autour de leurs protagonistes, et qu’ils se sont cherchés un livre pour accompagner, puis provoquer ce changement.

           Encore aujourd’hui, la Bible sert d’alibi aux sionistes pour justifier leur occupation illégale et meurtrière de la Palestine.

           Après avoir été sa colonne vertébrale pendant 17 siècles, le livre des Évangiles a été oublié par l’Occident, oubli qui s’accompagne chez lui d’une crise d’identité sans précédent.

           Quelle que soit leur sensibilité, leur engagement politique, leur ouverture d’esprit, leur bienveillance ou leur agressivité, le Coran reste aujourd’hui pour tous les musulmans une référence fondatrice de leur identité.

           Contrairement aux juifs et aux chrétiens, jamais les musulmans n’ont accepté de faire une lecture historico-critique du livre qui a accompagné, pour eux, la naissance d’un monde nouveau.

          Mettre en doute la valeur divine des paroles du Coran, c’est un blasphème puni de mort (2). Il n’y a qu’une seule lecture autorisée du Coran, elle a été précisée au cours des siècles par une tradition de plus en plus fondamentaliste, et les rares voix arabes qui ont tenté récemment de s’ouvrir à une autre forme de lecture ont été étouffées.

           Or, si l’on en croit nos médias, la révolte qui secoue l’un après l’autre les pays arabes a ceci de tout à fait nouveau : ce n’est pas un mouvement lancé par les mosquées, mais par une jeunesse qui a su se servir d’Internet.

          Facebook et Ipad ont pris la place des muezzins.

          Passant par-dessus le clergé chiite ou les imams sunnites alliés des pouvoirs en place, ces jeunes, sentant qu’ils n’avaient plus d’avenir, semblent s’être unis virtuellement pour ouvrir une brèche dans un establishment arabe qu’on croyait incapable à jamais de s’extirper du Moyen âge.

           Est-ce un frémissement voué à s’éteindre dans la répression ou la lassitude, comme tant d’autres ? Ou bien une fissure capable de s’élargir ? De créer une façon nouvelle de vivre en pays islamique, pour la première fois dégagée de l’emprise des dignitaires religieux ?

           L’avenir le dira.

          Si ces révoltes continuent dans ce sens, des questions se poseront. Quelle place pour le Coran dans une société qui aura appris à communiquer librement, sans se référer à lui ? Les arabes oublieront-ils un jour leur livre fondateur, comme les chrétiens ont oublié le leur ?

           Comme les occidentaux, se chercheront-ils alors un « livre » nouveau, c’est-à-dire une identité dans laquelle le Coran ne sera plus guère qu’une référence culturelle ? Nous rejoindront-ils dans une crise d’identité semblable à la nôtre ?

           Et nous occidentaux, dans ce monde qui change, quel « livre » nouveau chercher pour nous retrouver nous-mêmes ?

          Je continue à croire que la personne de Jésus, ses gestes, son enseignement authentique, si originaux qu’ils n’ont jamais été imités ni mis en pratique par nous, pourraient être ce « livre ».

          Utopie, rêve pieux ?

           Mais Jésus n’est pas un livre, et les livres qu’on a écrits à sa mémoire sont (en partie) bien différents de ce qu’il était en vérité.

          Aller à sa recherche, rencontrer une personne et non un ensemble de vérités, un vivant et non des dogmes, est-ce possible, pour une société ?

         L’expérience montre que les livres ne changent pas le monde, pas pour toujours

           Mais une ou quelques personnes, oui, peut-être.

                                                        M.B., 24 février 2011

 (1) Shlomo SAND, Comment le peuple juif fut inventé.

(2) Voir dans ce blog la rubrique L’islam en questions,

FEMMES, JE VOUS HAIS ! (le Coran et ces dames)

          Il y a sur cette terre, environ 1 milliard de musulmans – soit logiquement la moitié de femmes. Que dit le Coran de nos adorables moitiés ?

 Aux origines : le messianisme judéo-essénien

           Pour son époque l’Ancien Testament n’est pas particulièrement misogyne, il donne même parfois aux femmes une place qu’elles n’avaient pas chez les peuples voisins.

           Mais à partir de l’exil (- 586), on voit apparaître en Israël un messianisme de plus en plus exacerbé, combiné à partir du II° siècle avant J.C. avec un gnosticisme de plus en plus affirmé.

           Messianisme : c’est l’attente d’un Messie charismatique et belliqueux, qui prendra la tête d’une guerre d’extermination contre tous les ennemis d’Israël.

          Gnosticisme : c’est un courant philosophique qui sépare l’univers en deux sphères, celle du bien (les Fils de Lumière) et celle du mal (les Fils des Ténèbres).

           Les manuscrits trouvés sur les rives de la Mer Morte datent du tournant du 1° millénaire. On y lit des perles, comme : « La perversion du cœur des femmes éloigne les humbles de Dieu, égare les humains dans un fossé et les séduit par leurs flatteries. (1) Au roi elles enlèvent sa gloire, au brave sa force, au pauvre le soutien dans sa pauvreté. » (2)

          Ầ cette époque, était donc répandue en Israël une idéologie selon laquelle la femme, par nature, détourne l’homme de sa mission.

          Pourquoi ? Parce qu’ici-bas les Fils de Lumière (nous) sont engagés dans une guerre sans merci, totale, contre les Fils des Ténèbres (eux). Dans ce climat totalitaire, la séduction féminine empêche le fanatique d’être entièrement investi dans la seule chose qui compte, son combat pour le triomphe de la cause du Bien (nous).

          Séductrice, la femme représente pour l’homme (et donc pour la communauté des combattants) un danger mortel.

          Séduction (tentation), en arabe, se dit fîtna.

           On retrouve cette misogynie dans le Talmud, écrit juif rabbinique écrit cinq siècles plus tard. « Le Talmud est résolument misogyne… La femme n’est pas digne de témoigner (pas plus que le fou ou l’enfant). Le mariage est un acte d’achat, et la femme appartient à son mari sans pouvoir, contrairement à lui, dissoudre cette union. » (3)

           Retenons de cela qu’un fort courant juif, d’origine essénienne et qui s’épanouit dans le judaïsme rabbinique, voyait dans le monde la scène d’un combat apocalyptique entre le bien et le mal. Guerre totale : ne survivront que ceux dont les armes ne seront ni polluées, ni alourdies par une quelconque tentation.

          Prêt à se sacrifier pour le retour du Messie, le fanatique ne doit être retenu ou empêché par rien.

 Le Coran, un texte d’inspiration judéo-chrétienne

           La recherche contemporaine a mis en évidence un fait que les érudits musulmans peinent à reconnaître : le Coran est entièrement d’inspiration juive et nazôréenne. (4)

          Juive, et pas n’importe quel judaïsme : le judaïsme rabbinique du VII° siècle, c’est-à-dire talmudique.

          Nazôréenne : cette secte judéo-chrétienne, qui sort lentement de l’oubli, E.M. Gallez l’appelle à juste titre un judéonazôréisme (5). C’est-à-dire un judéo-christianisme particulier, à la fois messianique et fortement teinté de gnosticisme.

           On ne peut pas comprendre le Coran si l’on oublie qu’il part en guerre d’une part contre les musrikûn, ceux qui associent d’autres dieux au Dieu unique (les idolâtres et les chrétiens). Et d’autre part contre les kafirûn, ceux qui « recouvrent » Dieu par leurs infidélités à sa Loi (les juifs).

          Dans l’optique talmudique aussi bien que nazôréenne reprises par le Coran, le salut du monde est en jeu : il y a d’un côté le « parti d’Allah », hizb Llah, qui doit tout sacrifier au Chemin d’Allah, sabîl Llah. Et de l’autre le « parti de Satan », hizb saytân formé par les ennemis d’Allah.

          L’homme musulman est un mukallaf, un chargé de mission, réquisitionné par Allah : tout doit être sacrifié à cette cause.

 Les femmes, obstacles à la cause

          Dans cette optique totalitaire seule compte l’Umma, la communauté des croyants : l’individu ne compte pas.

          Or, à cause de leur maternité les femmes ont l’esprit tourné vers la vie qu’elles créent autour d’elles, d’où cette prescription du Coran : « Vos femmes et vos enfants sont pour vous des ennemis. Prenez-y garde ! Vos biens et vos enfants ne sont qu’une tentation – fîtna » (6).

          C’est aussi pourquoi « les hommes ont autorité sur les femmes, parce qu’Allah les préfère à elles » (7). Et si elles ne se soumettent pas, « celles de vos femmes dont vous craignez la désobéissance, reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais si elles vous supplient, cessez de peser sur elles » (8).

           Non pas que l’homme serait automatiquement du parti de Dieu, tandis que la femme serait automatiquement du parti de Satan. Mais seule une femme devenue mukallaf , militant(e) totalement engagée dans la cause, peut trouver grâce aux yeux de la communauté, l’ Umma.

          La femme n’est pas l’égale de l’homme, mais la croyante est l’égale du croyant. Ce qui peut expliquer le choix de certaines femmes du port du voile, qui les marque comme croyantes plutôt que comme femmes.

           On trouve déjà cette idée dans plusieurs évangiles apocryphes gnostiques comme l’évangile de Thomas, logion 114 :

          « Simon-Pierre dit : « Que Marie sorte du milieu de nous, car les femmes ne sont pas dignes de la Vie ». Jésus dit : « Je l’attirerai afin de la faire mâle… car toute femme qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux ».

 Le Coran, un progrès et un adoucissement

           On sait assez peu de choses sur la société arabe du Hîdjaz au VII° siècle. Mais ce qu’on constate, c’est que le Coran annule la lapidation de la femme adultère, prescrite – et pratiquée – dans le judaïsme à l’époque de Jésus.

          Si une femme est surprise en flagrant délit d’adultère (ou fortement soupçonnée), « le débauché et la débauchée recevront cent coups de fouets chacun, et un groupe de croyants sera témoin de leur châtiment. N’ayez aucune indulgence envers eux, c’est la religion d’Allah. » (9)

          De même, en cas d’héritage « Allah ordonne d’attribuer au garçon la part de deux filles » (10) : c’était sans doute plus qu’elles n’avaient jamais reçu.

          La législation coranique sur la dot, les enfants, le divorce, le témoignage en justice nous paraît médiévale et inacceptable : pour nous elle l’est , mais au VII° siècle elle représentait plutôt un progrès.

          Le problème, c’est que l’horloge historique de certains fanatiques musulmans s’est arrêtée à la fin du VII° siècle. En ce qui concerne l’accusation d’adultère notamment, ils oublient que les plaies de cent coups de fouets cicatrisent plus facilement qu’un corps écrasé à coups de pierres.

 Les hadîths

           D’autant plus qu’au texte du Coran se sont ajoutés, au cours des siècles, des hadîths ou paroles du Prophète recueillies par ses proches compagnons, et non consignées dans le texte du Coran dicté par Allah à son Prophète.

           Ainsi, ce délicieux proverbe qui lui est attribué :

          « La plus grande cause de misère que j’ai laissée à l’homme, ce sont les femmes. »

          Ou encore, cet autre attribué à ‘Ali, neveu de Mahomet :

          « La femme toute entière est un mal. Et ce qu’il y a de pire en elle, c’est que c’est un mal nécessaire » (11).

           Heureusement, il y a des versets du Coran (dictés par Dieu) comme celui-ci :

          « Vos femmes sont un champ à labourer : labourez-le comme il vous plaît. » (12). Tout récemment, je bavardais avec un musulman de milieu populaire, qui était fier de passer ses journées à étudier le texte du Coran. Il m’expliqua que ce verset de la sourate « La Vache », la 2° du Coran, signifiait en fait que les maris peuvent prendre leurs femmes par devant ou par derrière, « comme il leur plaît ». Ce sont les délices de l’exégèse coranique, adaptée à « un peuple qui ne se trompe pas » (13).

 L’héritage judéo-gnostique en christianisme

           Les chrétiens n’ont de leçons à donner à personne.

          Rappelons-nous ce que fut la condition de la femme en chrétienté triomphante : nous étions tout aussi messianistes, attendant le retour du Christ et prêts à le hâter par quelques bonnes croisades – comme celle des armées du pape contre les pieux albigeois.

          Tout aussi gnostiques, reléguant l’œuvre de chair aux confessionnaux, si d’aventure elle s’accompagnait de plaisir.

          Combien de siècles avons-nous mis à reconnaître aux femmes, après une âme semblable à celle des hommes, une dignité égale à la leur ?

           Et nous souvenons-nous que Jésus, qui fut nazôréen, parlait en public à une femme, étrangère de surcroît, acceptait dans son entourage des femmes qui se montrèrent à son égard d’un dévouement sans borne, jusqu’au bout. Relevait sans la juger une prostituée repentante, rendait la vie à une femme adultère sur le point d’être lapidée…

           Hélas, Jésus a été transformé en Christ, ce qui ne lui a pas réussi – et à nous non plus.

                                                M.B., 21 août 2011

 (1) Écrits Intertestamentaires, Pléiade 1987, Fragments divers : Pièges de la Femme, pp. 447-451.

(2) Testaments des XII Patriarches, Juda, id. p. 867.

(3) Raphaël Cohen, Ouvertures sur le Talmud, Paris, Granger, 1990, p. 125.

(4) Voyez, dans ce blog, les articles rassemblés sous la rubrique « L’islam en questions »

(5) Le Messie et son prophète, 2 tomes aux Éditions de Paris, 2005. Ouvrage remarquable, auquel j’emprunte une partie de cet article.

(6) Coran 64, 14-15.

(7) Coran 4,34 a.

(8) Coran 4,34 b. Traduction Denise Masson, corrigée par Berque.

(9) Coran 24,2.

(10) Coran 4,11.

(11) Deux hadîths cités par Gallez, Tome I page 508.

(12) Coran 2, 223.

(13) Coran 5, 51.

SUIS-JE (sommes-nous) ANTI-ISLAMISTE ?

          Une lectrice m’écrit :

 « Je dois avouer que votre obstination contre l’islam me bloque. Que vous apporte, dans vos recherches, votre dénigremet permanent de l’islam ? Vous aide-t-il à retrouver les traces des premiers chrétiens qui ont tenté de sauvegarder le message de Jésus ? »

           D’abord, merci  de votre interrogation. Elle mérite que j’y réponde point par point.

 Obstination contre l’islam

           Soyons clairs : autant je connais la tradition chrétienne dans sa formation et son évolution au cours des siècles, autant (par comparaison) je n’ai de l’immense tradition islamique qu’une connaissance approchée. Courte est la vie.

          Je ne porte donc jamais de jugement sur l’islam en tant que tradition intellectuelle & spirituelle.

          Mais j’ai passé beaucoup de temps à étudier le texte du Coran, avec les mêmes méthodes exégétiques & critiques qui se montrent si fructueuses pour la Bible.

          Pourquoi tant de travail ?

           Parce que j’en avais assez d’entendre dire que « l’islam est une religion de paix, d’amour et de tolérance. Ne confondons pas islam et islamistes« . J’ai donc voulu aller au texte fondateur de cette religion, le Coran dont tous, « bons musulmans » comme islamistes, semblent apparemment se réclamer.

           Conclusion : je ne sais pas si « l’islam est une religion de paix et de tolérance » (la réponse n’est pas de mon domaine de compétence). Mais je sais désormais que le Coran est un texte qui appelle à la violence, au meurtre et à l’intolérance.

          Tout le Coran ? Non. Et c’est là la difficulté, que seule une exégèse historico-critique permet de lever.

           Une partie du Coran seulement appelle à la violence et à l’intolérance. Ce que j’appelle dans mon roman (à venir) les « versets brûlants ». Ces versets éclairent de leur lumière incendiaire tout le Coran.

          Les identifier, comprendre d’où ils viennent et pourquoi, c’est se rapprocher des « bons musulmans » qui ne s’en réclament pas, et s’éloigner des islamistes qui en ont fait l’étendard de leurs violences.

 Les traces des premiers chrétiens

           On le dit rarement, mais toute une partie du Coran n’est rien d’autre que le reflet d’un judéo-christianisme primitif, le nazôréisme (parfois confondu à tort avec l’ébionisme). L’auteur du Coran a été assez proche des nazôréens – tels qu’ils survivaient encore en Syrie au VIII° siècle – pour inclure dans son texte de larges extraits de leur christianisme particulier. Et condamné comme hérétique par l’Église chrétienne.

           Or il se trouve que Jésus était nazôréen (voir Dieu malgré lui, et ma mise au point postérieure). Certes, le nazôréisme du Coran n’est pas celui de Jésus au 1° siècle (dont on sait peu de choses). Le Coran témoigne de l’évolution subie pendant 6 à 7 siècles par un nazôréisme devenu de plus en plus messianiste. Mais enfin il existe bien un lien matériel entre l’auteur du Coran, séduit par ce nazôréisme judéo-chrétien tel qu’il le rencontra au 8° siècle en Syrie, et Jésus qui fut nazôréen au 1° siècle en Palestine.

         Et les lecteurs du Secret du 13° apôtre comme de Jésus et ses héritiers et Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire savent le rôle joué dans la vie de Jésus par un homme, qui fut sans doute nazôréen lui-même (le « disciple que Jésus aimait »), dans la transmission du message de son maître.

          Comme dans l’évolution primitive du mouvement nazôréen.

           Certes, tout ceci ne repose que sur des hypothèses historiques. Criticables, par définition. Mais à une condition toutefois :  que la critique se situe (au moins) au même niveau d’élaboration et de travail sur les sources que l’hypothèse. Désirée, cette critique est alors toujours bienvenue.

           Islamophobe ? Pas sûr, en tout cas pas directement.

          Plus que réservé sur la nature pacifiste et tolérante du Coran ? Oui, et en connaissance de cause.

                                                   M.B., 26 sept 2011

CHARIA OR NOT CHARIA (Hebdo)

          Un hebdomadaire français satirique, Charlie Hebdo, a été incendié récemment. Il avait modifié son titre en Charia Hebdo, et affiché sur sa « Une » le portrait stylisé du Prophète.

          Pourquoi ce geste, fait pour détruire et peut-être pour tuer ?

          Selon l’habitude de ce blog, pour comprendre je vous invite à prendre du recul.

           Au début du VIII° siècle de notre ère apparût en Arabie un livre, écrit dans une langue d’une grande beauté : le Coran.

          Pareils chefs d’œuvre sont toujours l’aboutissement d’une lente maturation de la langue, des idées, de l’écriture elle-même. Or, fait unique dans l’histoire de la littérature, celui-là n’avait aucun antécédent arabe.

          Les musulmans considérèrent donc son apparition comme miraculeuse : « Le Coran… a été transmis au Prophète, instrument passif de la Révélation, tel qu’il est conservé au ciel, de toute éternité, sur la Table gardée. Selon la tradition la plus constante,… il constitue en lui-même un miracle. » (1)

          L’auteur de ce miracle ne pouvait être que Dieu lui-même. La légende se répandit qu’un arabe, prophète et illettré, avait fidèlement répété ce que Dieu lui dictait au cours de ses visions.

           Il manquait à l’islam le héros sans lequel aucun grand mythe ne peut voir le jour : une biographie, qui soit à la hauteur de son visionnaire.

          Il faudra attendre cent trente ans pour voir apparaître une « vie du fondateur de l’Islam qui se présente en une suite chronologiquement ordonnée » (2), celle d’Ibn Ishâq (704-768). L’auteur aurait puisé sa matière dans des compilations de traditions orales provenant des compagnons du prophète :

     – les Hadîths rapportant ses paroles

     – et la Sîra décrivant ses faits et gestes.

           Un siècle plus tard, Ibn Hichâm (mort en 834) prit connaissance du texte d’Ibn Ishâq avant qu’il ne disparaisse, et s’en inspira pour écrire la première biographie complète du fondateur de l’islam.

           Deux siècles séparent donc cette biographie des événements qu’elle raconte. Puis les Vies du Prophète s’enchaînent à un rythme soutenu, toutes calquées – jusqu’à nos jours – sur celle d’Ibn Hichâm.

           Hadîths et Sîra se développèrent au sein de la Sunna, qui devint après le texte sacré la seconde autorité législative de l’islam, donnant naissance à la Charia.

 Arrêtez de charrier !

           Il n’existe pas de texte de référence de la Charia, un code écrit comparable au Code Napoléon ou au Code de Droit Canonique de l’Église catholique.

          La Charia n’est consignée nulle part : c’est un ensemble de jurisprudences, qui se sont imposées au fil des siècles et sont considérées d’origine divine.

 Deux exemples :

 1- les juifs punissaient l’adultère par la lapidation publique (3). Le Coran abolit cette loi : en cas d’adultère, la femme sera punie de cent coups de fouets, ce qui cicatrise quand même plus facilement qu’un crâne écrasé sous les pierres.

 2- Le Coran ne dit nulle part que les femmes musulmanes doivent être voilées, mais seulement que les femmes du Prophète devront être couvertes jusqu’en bas. Ầ cette époque, les bédouines travaillaient vêtues d’un simple pagne : prescrire aux femmes du chef de l’État de ne pas montrer leurs cuisses en public était somme toute raisonnable.

           C’est la Charia qui a réintroduit la lapidation de la femme adultère, rendu obligatoire le port du voile intégral, et prescrit bien d’autres règles dont il n’y a pas trace dans le Coran.

          Quand, où, qui ? Ce n’est pas notre sujet.

           Empilées les unes sur les autres, les pratiques médiévales de la Charia sont mises en œuvre différemment selon les pays : il existe une application modérée de la Charia (« Je prends ceci, je laisse cela »), et des applications rigoureuses ou fondamentalistes (« Je choisis le plus sévère »).

           Chaque dictature islamiste est libre de charrier à sa guise.

 Le Prophète sans visage

           Mais ce n’est pas pour son titre que Charia Hebdo a été détruit : c’est pour avoir montré, d’un trait de plume incisif, le visage du Prophète à sa « Une », et donc visible dans tous les halls de gare.

           Rappelez-vous la querelle des iconoclastes dans l’empire Byzantin : le Christ, abstraction forgée à partir de s. Paul, est le socle du christianisme. Donc on ne devait pas montrer le visage de Jésus, dont l’humanité aurait pu remettre en question l’édifice dogmatique chrétien.

           Le Coran est matériellement la parole de Dieu. L’humanité de son Prophète, forgée tardivement comme on l’a vu, doit disparaître devant le message qu’il a reçu. Montrer le visage de Muhammad, c’est ramener les musulmans aux origines historiques de leur légende fondatrice et risquer de la voir se fissurer.

           L’incendie d’un hebdomadaire français rappelle à tous que le dogme musulman est intouchable. Symboliquement, il remplace les bûchers de l’Inquisition, flammes pour flammes.

                   On n’est pas sortis de l’auberge.

                                            M.B., 9 décembre 2011

 (1) Denise Masson, Le Coran, Introduction, Paris, Pléiade, 1967, p. XVII.

(2) Régis Blachère, Le problème de Mahomet. Essai de biographie critique du fondateur de l’Islam, Paris, P.U.F., 1952, p. 5.

(3) Voyez dans l’Évangile dit selon s. Jean l’épisode de la femme adultère, que Jésus sauve de la mort par lapidation.