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ILS ONT DIT… « CIVILISATIONS » ? ?

          Toujours soucieux de nous divertir, nos politiciens professionnels nous ont offert récemment une séance de cirque.

          Faute de panem, du circenses (1).

          L’attraction du jour était le mot « civilisations » – au pluriel, car il s’agissait de savoir laquelle l’emporterait sur les autres.

          Revêtues de paillettes, les Lumières et le nazisme furent donc lâchés sur la piste au seul profit du spectacle. Faut-il se hasarder dans cette foire ? Ce sera pour poser deux questions :

           1- Ầ quoi reconnaît-on une civilisation ?

          2- Comment peut-on la juger, et donc la placer avant – ou après – d’autres civilisations ?

 I. COMMENT (re)CONNAÎTRE UNE CIVILISATION ?

           Voilà le genre de question qu’affectionnent les français, grands amateurs d’idées générales planant dans le ciel des idéologies. Revenons sur terre.

 1- Une civilisation laisse des traces.

           Deux sortes de traces survivent à l’usure du temps : les objets & monuments, et les textes.

 -a- Des objets et des monuments : Ils témoignent d’une grandeur passée, mais ne parlent pas d’eux-mêmes.

          Exemple : au 19° siècle, on découvre entre le Mexique et l’Amérique centrale des vestiges considérables de la civilisation Maya : pyramides, restes de cités englouties dans la forêt vierge… On devine qu’il y a eu là une immense civilisation, mais personne n’en peut rien dire faute de textes. C’est tout récemment qu’un patient travail a permis de déchiffrer les glyphes mayas, écriture complexe gravée sur les monuments. Le travail de lecture est en cours : il permettra de donner son visage et sa voix à cette civilisation, jusque-là muette.

           Pour les Celtes, c’est à désespérer : les magnifiques objets découverts dans leurs tombes ne sont accompagnés d’aucun texte. Civilisation ? Certainement, mais comment l’apprécier ou la comparer à d’autres ?

           -b- Des textes sont donc indispensables pour connaître une civilisation. Ầ condition d’en comprendre le sens, pour les confronter à ses autres traces, puis aux civilisations voisines dans le temps et dans l’espace.

         Mais les textes ne font pas que témoigner d’une civilisation.

 2- Les textes fondent une civilisation

           Une civilisation se développe à partir d’un ou plusieurs textes fondateurs.

          Exemples : la conquête arabe foudroyante du bassin méditerranéen, entre la fin du VII° et le milieu du VIII° siècle, aurait pu n’être qu’une série de razzias réussies. Les armées arabes conquérantes se transforment en civilisation musulmane conquérante dès lors qu’apparaît un texte, le Coran.

          De même, le christianisme ne pourra naître que lorsqu’il disposera d’abord des lettres de Paul de Tarse (écrites entre l’an 50 et 62), puis des Évangiles (mis par écrit un peu avant l’an 70 et jusqu’en l’an 100).

           Pas de civilisation sans texte fondateur, qui lui sert à la fois de référence identitaire et de centre de ralliement des masses populaires.

 3- Les civilisations écrivent leurs textes fondateurs

           C’est vrai du christianisme : la personne de Jésus va être utilisée pour inventer une nouvelle religion, qui trahit en partie son message originel et totalement sa personne.

          Vrai aussi de l’islam : à partir du début du VIII° siècle, les Hadîths et la Sîra (cliquez) vont inventer un personnage, Muhammad, à partir d’un chef de guerre dont on sait finalement peu de choses. Dans ce cas, il est plus difficile d’apprécier comment et jusqu’où son message originel a été déformé par l’islam.

          Vrai du bouddhisme : l’enseignement de Siddhârta n’a pu devenir civilisation qu’en évoluant vers une forme de religion cultuelle qu’il avait justement eu pour intention de supprimer.

           Un texte fonde une civilisation quand un courant de pensée manifeste sa volonté de pouvoir en l’écrivant.

          Disons-le autrement : les textes fondent les civilisations, mais les civilisations se fondent elles-mêmes en écrivant des textes qui gauchissent ou trahissent l’intention du fondateur présumé.

 II. LE DÉCLIN DES CIVILISATIONS

           On sait que les causes de ce déclin sont multiples, économiques, climatiques, technologiques… Mais on oublie toujours de mentionner une cause essentielle, peut-être sous-jacente à toutes les autres : l’éloignement du texte fondateur, et l’oubli de la personnalité du fondateur présumé.

 1- La perte du sens

           Le texte fondateur peut perdre son sens, parce qu’il n’est plus compris.

          Pour la chrétienté, ce fut le cas de l’Ancien Testament : elle le traita longtemps comme le vestige d’un passé qu’elle reniait avec acharnement.

          C’est en partie le cas du Coran, écrit dans un arabe archaïque que très peu d’érudits peuvent comprendre, souvent en désaccord entre eux sur son sens premier.

 2- La manipulation du sens

           La perte du sens originel d’un texte s’accompagne toujours de sa manipulation, c’est-à-dire son interprétation abusive.

          C’est flagrant pour le christianisme, qui transforma très rapidement (2) un rabbi galiléen charismatique en Messie d’abord, puis en Dieu.

          C’est vrai aussi pour l’islam, qui transforma un hypothétique chamelier inculte en fidèle réceptacle de la parole divine.

           Cette manipulation du texte s’accompagne évidemment d’une transformation de l’image du fondateur présumé de la religion. Siddhârta devient l’obèse souriant qu’encensent les foules, Jésus devient le fils de Dieu, Muhammad le secrétaire et propagateur d’une parole qui ne vient pas de lui.

 3- Les civilisations prisonnières de leurs textes fondateurs

           Une fois commencé le processus de manipulation du texte (et de son auteur réinventé pour les besoins de la cause), ce processus ne peut plus s’arrêter.

          Une civilisation s’est constituée sur l’interprétation qu’elle a elle-même secrétée (3) : revenir en arrière – avouer qu’elle a manipulé son texte fondateur en l’écrivant – ce serait pour elle commettre un suicide, et disparaître.

           C’est pourquoi il est illusoire de songer à une réforme en profondeur du christianisme et de l’islam. Mises depuis si longtemps en place sur des rails qui s’écartent les uns des autres, ces deux religions ne peuvent ni revenir à leur point de départ, ni s’entendre autrement que par des compromis en trompe l’œil.

          Et les deux civilisations qu’elles ont engendrées ne peuvent que se regarder avec une hostilité plus ou moins déclarée.

 III. COMPARER LES CIVILISATIONS ?

           Pour comparer des civilisations sans jeter de la poudre aux yeux des foules, il faudrait donc

 1°- Revenir, non pas aux textes fondateurs, mais d’abord aux fondateurs présumés eux-mêmes (la personne historique de Jésus et de Muhammad), pour discerner quelles furent leurs intentions originelles, dans le contexte qui fut le leur.

          En ce qui concerne Jésus, c’est le sens de tout mon travail (cliquez).

 2° Reconnaître comment, et à quel point les textes fondateurs eux-mêmes (les Évangiles, le Coran) portent l’empreinte des manipulations des fondateurs de civilisations qui se réclament d’eux.

           Alors, peut-être, pourrait-on établir des comparaisons.

          Ầ titre d’exemple : montrer que le judaïsme du I° siècle, tout comme l’Ancien Testament, n’était pas exempt de violence et d’appels à la violence. Mais que l’herméneutique chrétienne a permis (récemment il est vrai) de faire le tri entre ces appels à la violence et le meilleur de l’enseignement des prophètes.

          Et comment Jésus lui-même s’est singularisé de son vivant par le refus de cette violence – ce qui lui a valu d’être livré aux romains (cliquez).

           Ou bien, montrer comment l’auteur du Coran s’est d’abord converti au judaïsme rabbinique de son époque, avant de devenir chef de guerre. Retenant, et même accentuant, la violence messianique de ce judaïsme exalté – sans cesser pourtant d’être séduit par la beauté abrupte d’un Dieu aussi magnifique dans son éloignement que le désert d’Arabie dans son dénuement.

            Alors seulement, on pourra comparer les deux civilisations nées du christianisme et de l’islam (4) en connaissance de cause.

           Pour cela, il faudrait sortir du cirque et revenir paisiblement à des vérités objectives.

           Mais les paillettes du cirque offrent plus d’attrait (et de facilité) que le travail austère de la réflexion.

                                                    M.B., 14 février 2012

 (1) Au déclin de l’Empire romain, le peuple exigeait « du pain et les jeux du cirque » (panem et circenses) comme condition pour ne pas descendre dans la rue et flanquer les politiciens dehors.

 (2) On attribue habituellement cette transformation à Paul de Tarse, dans les années 50. En fait, j’ai montré que son origine remonte à beaucoup plus tôt, quelques semaines après la mort de Jésus et dans son entourage. Voyez Dieu malgré lui et Jésus et ses héritiers.

 (3) En 381 pour le christianisme, vers le milieu du VIII° siècle pour l’islam. Soit respectivement 350 ans après la mort du « fondateur » pour l’un, et tout juste un siècle pour l’autre.

 (4) Car c’est bien de cela, n’est-ce pas, qu’il s’agissait ?

JÉSUS ÉTAIT-IL NAZORÉEN ?

          Dans mes derniers ouvrages (voir les sources dans L’évangile du 13e apôtre), j’affirme sans hésiter que Jésus était nazôréen : il me faut revenir sur cette affirmation.

          On sait qu’il existait à son époque une secte juive de ce nom. Au 4e siècle après J.C., Épiphane écrit: « Ils s’appellent eux-mêmes nazaraïoi. Il y eût en effet une secte des nazaraïoi avant le Christ, et elle ne connut pas le Christ ». Pline l’Ancien (né en l’an 23) signale, en Syrie, une « province des Nazerini », nazerinorum. L’hébreu n’utilisait pas les voyelles : nazôréens, nazâréens, nazîréens, l’appellation hébraïque varie selon les versions grecques, mais le Nouveau Testament semble formel : Jésus aurait été perçu, de son vivant, comme membre d’un groupe portant ce nom.

           Quelle que soit l’orthographe, cette secte est donc antérieure à Jésus. Épiphane avoue ne pas savoir à quel moment elle a pris naissance : il pense qu’il faut les distinguer des nazîréens de l’Ancien Testament, auxquels Jean-Baptiste lui-même aurait appartenu.

          Est-ce en tant que disciple de Jean-Baptiste que Jésus aurait été nazîréen ? C’est-à-dire que ses parents auraient prononcé pour lui, à sa naissance, le vœu de nazirat ? Les nazîrs ne devaient ni couper leurs cheveux, ni boire de l’alcool – et l’on voit qu’à Cana, Jésus semble être le seul de la noce à être resté sobre. On sait aussi avec certitude que son frère Jacques était nazîr : si le cadet l’était, l’aîné devait l’être également.

          Mais les nazîréens ne doivent pas être confondus avec les nazôréens, rappelle Épiphane. On revient au point de départ : Jésus était-il nazôréen ?

           Il a été formé par des pharisiens provinciaux avant de devenir disciple de Jean-Baptiste. Puis il se sépare de son maître, adopte une attitude et un enseignement très différents de ceux du Baptiste, et s’éloigne des pharisiens ses premiers maîtres. Il se veut totalement indépendant, continuateur mais aussi rénovateur du judaïsme. Cette volonté d’indépendance, cette conscience d’apporter quelque chose de nouveau qui accomplit (et dépasse) la religion de son enfance, sont-ils compatibles avec son appartenance à l’une des sectes juives, par ailleurs mal connue ?

          Un indice permet peut-être d’y voir plus clair. Les Actes des apôtres 24,5 – et ils sont les seuls – désignent Jésus comme « chef de file de la secte des nazôréens ». Désignation hautement improbable, quand on sait que Jésus a refusé d’être assimilé à l’une quelconque des sectes juives de son époque, Zélotes, Hérodiens ou Esséniens.

          Voici donc ce qui a pu se passer.

           Les Actes sont écrits vers l’an 80, quand fait rage la controverse (qu’ils décrivent) entre Juifs et ‘’grecs’’ convertis à la nouvelle religion. A Jérusalem, on est judéo-chrétien, c’est-à-dire qu’on veut rester Juif, tout en étant disciple du Christ. Comme le dira plus tard Jérôme, ils « veulent être à la fois Juifs et chrétiens, mais ils ne sont ni Juifs, ni chrétiens ».

          Ces judéo-chrétiens, il les identifie sans hésitation : il les appelle nazôréens, et c’est en Syrie que Jérôme les a fréquentés.

          D’où mon hypothèse, qui me paraît mieux correspondre à ce que nous savons de Jésus, de la formation du Nouveau Testament et des tensions qui traversèrent l’Église chrétienne jusqu’au 5e siècle.

           Jésus, de son vivant, n’aurait été membre d’aucune des sectes juives répandues en Palestine : il trace une voie nouvelle, c’est un pionnier, un solitaire.

          Après sa mort, les premiers convertis se déchirent : faut-il d’abord être Juif, pour pouvoir devenir chrétien ? Se faire circoncire, pour pouvoir être baptisé ?

          A Jérusalem, les judéo-chrétiens répondent « oui », et se heurtent violemment à Paul de Tarse qui ne veut pas entendre parler de judaïsation comme préalable au baptême.

          Certains de ces judéo-chrétiens sont les nazôréens. Comment se rattachent-ils à la secte juive antérieure du même nom, et que signifierait ce rattachement ? La question reste sans réponse.

          Mais c’est après-coup, quand on écrit la version finale du Nouveau Testament (entre l’an 70 et 90), qu’on fait de Jésus le « chef de file de la secte des nazôréens » : victoire des judéo-chrétiens sur leurs opposants ‘’grecs’’, et victoire ambigüe puisque la version grecques des évangiles trébuche partout sur le nom exact de la secte.

          Nazôréens, nazîréens, nazaréniens ? C’est chez Matthieu qu’on trouve cette dernière orthographe, car il se croit obligé de faire de Jésus un habitant de Nazareth – pour éviter d’en faire un nazôréen, comme les autres

           Auteur du noyau initial de l’évangile selon s. Jean (cliquez), le Disciple que Jésus aimait est le seul qui ajoute sur l’écriteau de la croix la mention « Jésus le nazôréen » – mention totalement improbable, les autorités romaines ne s’intéressaient pas à l’appartenance d’un condamné à une secte juive, dont ils devaient d’ailleurs tout ignorer. L’écriteau de la croix portait seulement, comme c’était la jurisprudence, le motif de la condamnation : « Jésus, [qui s’est fait] le roi des Juifs ».

          Son insistance à qualifier Jésus de nazôréen m’a permis de suggérer que ce disciple aimé de Jésus était, lui, judéo-chrétien sous cette appellation. La communauté qu’il a regroupée autour de lui, et qui nous transmettra son témoignage dans l’évangile dit Selon s. Jean (cliquez), serait la communauté des nazôréens à laquelle font allusion les Actes des apôtres. Ce sont peut-être les « faux-frères » dont Paul parle, avec rage, dans son Épître aux Galates.

          Ces nazôréens, Jérôme les rencontre en Syrie à la fin du 4e siècle.

          Et on les retrouve dans le Coran, sous la transcription arabe nasâra. Dans mon étude à paraître, je mets en lumière le rôle considérable qu’ils ont joué dans la naissance du Coran.

           Pardon à mes lecteurs : il est vraisemblable que Jésus n’était pas nazôréen. Après la mort de Jean-Baptiste, il devient enfin lui-même dans son comportement comme dans son enseignement. Lui-même, c’est-à-dire totalement original. Il ne se rattache ni aux nazôréens, ni aux pharisiens, ni aux esséniens : il se rattache exclusivement à Celui qu’il appelle Abba, et qu’il a découvert au désert (cliquez).

          Abba, ce n’est pas un nouveau nom de Dieu, une autre définition de l’Invisible (cliquez). Par ce mot, Jésus indique seulement quelle était la nature de sa relation avec le Dieu de Moïse.

          Une relation totalement inédite dans le judaïsme, celle d’un enfant qui s’abandonne avec une totale confiance dans les bras de son papa – ou de sa maman (cliquez).

           Les chrétiens ne sont donc pas les héritiers spirituels des nazôréens, à travers Jésus qui en aurait fait partie. En revanche, le Coran est imprégné de ce qu’était devenue l’idéologie messianiste de ces judéo-chrétiens, au 7e siècle et en Syrie.

          Mais ceci est une autre histoire, de violence et de sang.

                                         M.B., 12 juillet 2013
Où l’on voit que l’exégèse, science historique, est affaire de nuances et d’interprétation. Et qu’un exégète peut être honnête dans sa recherche de la signification des textes.

L’AGONIE DU CHRISTIANISME : BILAN ET PERSPECTIVE

(Conférence donnée à Paris le 20 janvier 2007)

I. BILAN

      Le 9 avril de l’an 30, un tombeau était trouvé, vide, aux portes de Jérusalem. Deux jours auparavant, on y avait déposé le corps supplicié d’un rabbi juif itinérant, qui s’était fait connaître dans la région comme guérisseur. Le cadavre avait disparu.

     Quelques mois plus tard, ses disciples vont imaginer une solution inédite au problème irritant du tombeau trouvé vide : la résurrection de cet homme, 72 heures après sa mort en croix. Apparemment, l’explication ne change rien à leur vie, puisqu’ils continueront longtemps encore à se comporter en juifs observants.

     Vers la fin du 1° siècle, on voit apparaître une mutation considérable : cet homme est devenu Jésus-Christ. On affirme qu’il est égal à Dieu, et comme lui créateur de l’univers. Sa résurrection est désormais invoquée comme preuve de sa divinité. Elle devient, pour les croyants, un gage et une assurance de leur propre survie.

         C’est un juif de culture grecque, Paul de Tarse, qui va mettre en place une religion nouvelle dont ce crucifié sera le pivot. Pour y parvenir, il puise dans les « religions à mystères », très populaires dans l’Empire romain et qu’il connaît bien. Il prétend les rejeter comme païennes, mais en fait il intègre leurs principales structures : la divinisation d’un héros, qui reste homme tout en étant dieu, et joue le rôle de passerelle entre la sphère d’en-haut et la sphère d’en-bas. Un rite d’initiation qui introduit l’initié dans une vie nouvelle, en l’identifiant à la mort et à la résurrection du héros, et en lui offrant la sécurité d’une promesse d’éternité. Enfin, un rite de communion avec la divinité grâce à un sacrifice, non plus sanglant, mais symbolique.

     Rapidement, apparaît un clergé stable, et un dogme, ensemble de vérités irrationnelles proposées par la hiérarchie, auxquelles le croyant se doit d’adhérer intégralement s’il ne veut pas être exclu.

          La popularité des religions à mystères dans l’Empire romain était immense : elle reposait sur deux éléments fondateurs, intégralement repris par le christianisme :

     1- Un éthos qu’on pourrait qualifier de « magique« , parce qu’il introduit dans le domaine du mystère en satisfaisant l’imaginaire, et le besoin de sensibilité.

     2- Une réponse au besoin sécuritaire des croyants : la promesse d’une survie apaise l’angoisse devant le trou noir de la mort.

     La nouvelle religion se constitue au cours d’assemblées, dont les Lettres de Paul et les Actes soulignent le caractère exalté, quasi incontrôlable. La part de rêve, d’irrationnel et de névrotique y est importante : on voit les nouveaux dirigeants utiliser ces délires de groupe pour consolider leur pouvoir, tout en essayant de les contrôler.

          La magie, l’offre sécuritaire et le pouvoir : nous avons là les trois composantes du béton, avec lequel on coule les murs épais d’une Église.

     Dans ce contexte, la commémoraison du juif Jésus va rapidement s’exprimer selon les schémas mentaux et les modalités cultuelles du paganisme ambiant : le caractère singulier, et singulièrement juif de cet homme inclassable disparaît, recouvert du somptueux manteau des utopies grecques et oriantales – à vrai dire, universelles.

     Ce paganisme, autrefois rejeté farouchement par le peuple juif, est désormais intégré dans le dogme comme dans la pratique de l’Église chrétienne : les peuples y trouvent la part de rêve et de sensibilité dont ils ont besoin, en même temps que la sécurité d’une promesse d’éternité. La fusion (remarquablement réussie) de ce paganisme avec la mémoire faussée de Ieshua, le rabbi juif, assur le succès et la diffusion planétaire de la nouvelle religion, que je qualifierais de judéo-païenne.

      Les 1° communautés chrétiennes, encore illicites et donc discrètes, vont pourtant consacrer une partie de leurs jeunes énergies à se déchirer entre elles autour d’un point central : l’identité de Jésus. Et tout d’abord, pour pouvoir devenir dieu il doit cesser d’être juif : très tôt, l’Église renie son enracinement dans le judaïsme. Ensuite, se pose une question lancinante : s’il est dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

     En 325, pour la première fois, la divinité de Jésus est officiellement proclamée au concile de Nicée, sans que soit pourtant tranchée la question du comment.

     C’est que l’Église ne possède pas encore l’envergure qui lui permettrait d’imposer, et de s’imposer. Elle y accède sous l’empereur Théodose : entre 381 et 392, il décrète ;e christianisme religion d’état. De persécutés, les chrétiens deviennent persécuteurs, et Rome peut enfin exiger la soumission de tous à l’édifice dogmatique en construction. L’Empire romain qui se délite rêve d’unité, et l’Église doit lui en fournir les moyens, en même temps que le modèle.

     Aboutissement de trois siècles de luttes féroces entre chrétiens, le concile de Chalcédoine (451) définit enfin le comment de la divinité de Jésus. Il l’appelle d’un seul mot, Trinité : comme celle de dieu, l’unité de l’Empire est proclamée, et comme celle de dieu, sa diversité est reconnue.

     Mais ce n’est q’au VII° siècle que les conséquences ultimes de la divinisation de Jésus seront définies, par la condamnation des agnoètes puis des monothélistes (III° concile de Constantinople, 681). Revêtu d’ornements divins parfaitement ajustés, Ieshua, devenu Christ, est désormais présentalbe au monde.

     Or c’est dans ces années, à partir de 650, que se développe, de façon foudroyante, un mouvement appelé à faire parler de lui : l’islam. Qui va chasser l’Église de sa terre d’origine, le Moyen Orient.

      Partout ailleurs, Rome tient le pouvoir : elle est en position de force ou de monopole dans tous les domaines de la vie civile et politique, et ce jusqu’à une époque toute récente.

     S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul ilôt stable, émergeant de cette mer démontée. L’Europe trouve d’abord en elle la force de sa survie, puis le creuset où va se forger son identité, son unité face à l’adversité : dès lors, et jusqu’au projet de constitution de 2004, l’Europe reconnaîtra toujours dans le christianisme son fondement identitaire.

     A peine sortie de ce chaos, elle voit réapparaître la remise en cause, non plus de la divinité de Jésus, mais de ses conséquences : le pouvoir de l’Église, terni par ses moeurs dissolues. Sous forme de réformes, de révoltes ou de révolutions, chacun des siècles qui suivra viendra ébranler au moins une fois l’ordre défendu par l’Église, en matière de dogme ou de discipline.

     Aucune de ces tentatives de réformes n’a jamais abouti : l’Église les a toutes surmontées par la violence. Parfois affaiblie par elles, elle ne s’est jamais remise elle-même en cause, ni l’édifice de ses dogmes – et son noyau fondateur, la divinité de Jésus.

     On l’a vu, c’est au moment où l’Église peaufinait cette divinisation d’un homme qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lançait au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette le paganisme en affirmant l’unicité de Dieu et en refusant la divinité de Jésus.

      Ceci n’est pas une simple coïncidence : d’inspiration entièrement judéo-chrétienne, le Coran répond à l’éternelle question : qui est Jésus ? Et s’il n’est pas Dieu, quelles sont les voies d’accès au divin ? Cette interrogation, née de la fabrication d’un dieu à partir d’un homme, l’Église n’a jamais su y répondre qu’en faisant appel à ce que j’ai qualifié (un peu rapidement) de magie. Le Coran rejette explicitement la « magie chrétienne », et attire à lui un quart de l’humanité.

     L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant par la violence à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à Dieu, c’est-à-dire païenne.

      Hors l’islam, la réforme de Luther est parvenue à entamer l’unité européenne cimentée autour de l’Église de Rome. Mais Luther et Calvin se sont contentés d’une réforme intra-ecclésiale, dont l’aspect le plus visible a été d’ordre disciplinaire et sacramentel : ils n’ont pas touché aux dogmes fondateurs du christianisme, et Michel Servet a été brûlé en terre calviniste pour y avoir prétendu.

     Pourtant, Luther a semé la graine d’une véritable réforme par sa traduction de la Bible en allemand. Pour la première fois, la lecture et l’interprétation du texte sacré n’étaient plus réservés au seul clergé ! Timidement d’abord, puis de façon fructueuse, l’exégèse critique de la Bible se développe en milieu protestant. Elle est violemment combattue et interdite par l’Église catholique, qui la considère comme démoniaque et veut se réserver le pouvoir d’interprétation. Mais les digues romaines, assiégées de partout, finiront par céder : en 1943, prenant le contre-pied de ses prédécesseurs, Pie XII autorise pour la première fois l’exégèse historico-critique de la Bible (Divino Afflante Spiritu).

     Dès lors les catholiques peuvent – enfin – se joindre à un mouvement initié un siècle plus tôt : la « recherche du Jésus historique« . En fait, ce n’est pas un mouvement structuré, mais un ensemble hétéroclite de chercheurs (juifs, protestants, catholiques) qui travaillent tous dans la même direction, et publient individuellement les résultats de leurs travaux.

     En 1974, dans la solitude de mon monastère, je me suis engagé sur cette piste : je puis vous assurer qu’on s’y sentait bien seul ! Mais depuis les années 1980 et jusqu’à maintenant la recherche s’est emballée. Dieu malgré lui, publié en 2001 chez Robert Laffont, s’inscrit dans ce mouvement. Si je l’écrivais aujourd’hui, le fond resterait le même, mais il y aurait bien des corrections à apporter, tant les choses avancent vite.

      A quelques exceptions près, ces chercheurs appartiennent à une Église : ils ne peuvent donc s’autoriser à tirer toutes les conclusions de leurs travaux. Le faire, ce serait s’exclure de leur communauté, ou être exclus par elle. Je n’ai pas ce souci, et me sens libre d’aller là où ils ne peuvent s’aventurer.

     C’est-à-dire dans une grande solitude.

     Car découvrir qui était Ieshua Ben-Joseph, cet électron libre éliminé parce qu’il touchait à la structure même des pouvoirs religieux, moraux et politiques établis, c’est aller à contre-courant du mouvement général des esprits, des sensibilités, des conformismes sociaux. Nous l’avons vu, le succès  et l’existence même d’une religion vient de ce qu’elle satisfait les besoins de rêve, de magie, d’évasion d’une humanité qui souffre. Mais aussi de ce qu’elle sait répondre à l’irrésistible besoin de sécurité, qui taraude les êtres humains d’où qu’ils viennent.

     Jésus, par sa façon de vivre comme par son enseignement, n’offre pas la sécurité. Il propose une remise en question permanente : l’entrée dans son « Royaume » n’est pas une promesse, mais le fruit d’un arrachement – ou plutôt d’une succession de déracinements, proche de l’anatta enseignée ailleurs par le Bouddha.

      La « recherche de Jésus », dans laquelle je me suis engagé, va exactement à l’encontre du besoin viscéral des peuples. Plus on s’approche de lui – tel qu’on l’entrevoit à travers les textes, tel qu’on peut le rencontrer dans la prière – plus on s’approche de Jésus, et moins on le rêve.

     Plus on s’approche du Dieu vers lequel Jésus guide ceux qui le suivent, et moins on l’imagine : à l’école du galiléen, la réalité tue les fantasmes religieux. Et les théologiens, maçons-architectes des Églises qui les prennent à leur service, se trouvent renvoyés par Jésus à leurs chères spéculations déconnectées du réel.

     La « recherche de Jésus », Prophète de l’insécurité, n’offre donc aucun des attraits qui en ferait un phénomène de masse.

  II. PERSPECTIVE

      Ceci nous ramène à aujourd’hui : où en sommes-nous ?

     Vous avez tous vu les images bouleversantes de Berlin, dévastée par les bombardements en mai 1945 : voilà où nous sommes. Dans un champ de ruines, celles d’un grand Reich dévasté.

     Seuls ceuX de ma génération peuvent mesurer l’étendue du désastre. Car nous avons encore connu, dans notre lointaine enfance, les dernières splendeurs d’une Église catholique sûre d’elle-même et triomphante : quand Pie XII, le dernier pape-roi, est mort en 1958, j’avais 18 ans.

     Les sociologues situent en 1942 (France, pays de mission de l’abbé Godin) le commencement de la fin. En fait, l’expansion missionnaire au XIX° siècle et la montée des fascismes au début du XX° ont masqué le déclin, qui était latent depuis plus longtemps. Ce déclin, il nous a explosé à la figure en à peine une génération – la nôtre : en 50 ans, tout a disparu de ce qui faisait la gloire de l’Église catholique. Partis politiques, syndicats, éducation, mouvements de jeunesse, organismes caritatifs (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale… Mais aussi : littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel…), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi-siècle, le catholicisme a disparu du champ de la créativité humaine.

     Mais il y a beaucoup plus grave : systématiquement détruite depuis 1978 par l’action conjointe du cardinal Ratzinger et de Jean-Paul II, la théologie catholique est morte. Les bouddhistes tibétains sont les seuls à s’intéresser aux deux domaines les plus actifs de la recherche depuis 30 ans, l’infiniment petit (biologie moléculaire) et l’infiniment grand (astrophysique). L’Église ne dit plus rien au monde, parce qu’elle n’a plus rien à dire.

     Elle répète, et elle se répète, à l’infini.

     Une société d’idéal comme l’Église qui n’a plus de pensée, d’où toute pensée est exclue ou pourchassée, cette société n’est plus vivante : elle n’est plus rien, qu’un musée du passé.

     Tout naturellement enfin, la spiritualité a également déserté la chrétienté. On compte environ cinq millions de français qui se disent actuellement proches du bouddhisme. Ce sont tous d’anciens chrétiens, déçus par le désert spirituel qu’est devenu pour eux leur Église.

     Et je ne parle pas des sectes, qui pullulent.

      En 1816, le fleuron de la marine française, La Méduse, coulait au large des côtes du Sénégal. Eh bien ! Les Églises, nouveau navire La Méduse, viennent de couler sous nos yeux. Nous sommes quelques rescapés du naufrage, abandonnés sur un radeau. D’où nous lançons des signaux désespérés, vers un horizon vide.

     Le Radeau de la Méduse, c’est nous.

     Le paradoxe dramatique de notre situation, c’est que nous avons tout reçu de ces Églises. Et d’abord, les textes fondateurs : la personnalité du juif Jésus était telle, qu’elle transperce les Évangiles, malgré les manipulations politiques dont ils ont été l’objet. Sans les Églises, je ne saurais rien de lui, et elles m’ont même donné les moyens de le découvrir derrière les maquillages dont elles l’ont recouvert.

     Le « meurtre de la mère » (l’Église) apparaît aujourd’hui comme une condition nécessaire à la redécouverte du Père, abba – comme l’appelait Jésus.

     Nous, qui sommes (sans l’avoir choisi) les derniers dépositaires d’une expérience unique, dont la possibilité nous a été offerte – alors qu’elle ne semble plus devoir être accessible aux jeunes générations,

     Nous, qui avons derrière nous toute une vie de recherche, par l’étude, d’une tradition recouverte aujourd’hui par le tintamarre des médias,

     Nous, pour qui Jésus n’est pas seulement un objet d’étude parmi d’autres, mais un être vivant, aimable et aimant,

     Que ferons-nous pour transmettre ce que nous avons reçu ? Allons-nous nous contenter d’autopsier un cadavre encore chaud ?

     Une nouvelle réforme est-elle possible ? Si l’Église catholique pouvait se réformer, cela se saurait. Elle ne l’a jamais pu, elle ne le pourra jamais. Quand le communisme a voulu se réformer, il a disparu. Une société d’idéologie ne peut pas remettre en cause les dogmes sur lesquels elle s’est construite : l’Église le sait, et c’est pourquoi elle maintient jusqu’au plus petit détail les aspects les plus in-croyables de son paganisme. Ce qui est nouveau, c’est que l’humanité n’adhère plus à la démarche magique du christianisme officiel : elle va chercher ailleurs le rêve dont elle a besoin. Ou bien – privée de rêve – elle s’enfonce dans la violence.

      Que faire ?

     Dans ce naufrage constaté du christianisme, je n’aperçois qu’une seule lueur d’espoir : le retour au Jésus de l’histoire. La recherche de Jésus tel qu’il fut, et non pas tel que l’Église l’a réinventé pour asseoir son pouvoir. Le retour vers Ieshua, fils de Joseph, m’apparaît comme la seule alternative au néant.

     Revenir vers Ieshua, c’est reconnaître que nous sommes parvenus à la fin d’un cycle de civilisation. L’Égypte, Sumer, Assur, les Incas, les Mayas, tant d’autres civilisations prestigieuses ont disparu… Eh bien ! Le christianisme vient de disparaître à son tour, sous nos yeux.

     C’est un peu comme si les gestes de Jésus n’avaient jamais encore été compris, ses paroles jamais encore entendues, son regard jamais encore croisé par un Occident qui se réclame non pas de lui, mais du Christ fabriqué pour figurer au fronton des cathédrales, signes et symboles


     Que faire ?

     Je dois maintenant parler en mon nom propre, et je le fais avec d’infinies réticences. Quitté par l’Église en 1984, je suis rentré depuis dans le silence. En sortir, pour quoi ? Proposer une nouvelle Église ? Ayant vécu de l’intérieur le naufrage du catholicisme, le désert m’a paru être le lieu de refuge le plus indiqué pour la rencontre personnelle avec le Dieu de Jésus.

     Que faire ? Pour quelle action sortir de ce désert où Jésus trouva l’Éveil autrefois, et où peut-être il appelle les rescapés de la défunte civilisation voulue par l’Église ?

     Je n’entrevois qu’une seule action à notre mesure : la formation. Transmettre à d’autres, si d’aventure il s’en trouve qui le souhaitent, ce que découvre cette communauté informelle et cachée des « chercheurs du Jésus de l’Histoire ». Transmettre, afin que Jésus ne meure pas avec l’Église.

     Après l’agonie du christianisme, tout est à reconstruire : il faut savoir où l’on va. Jésus disait : « Celui qui bâtit une tour, il commence par s’asseoir et réfléchir ». S’asseoir, à nouveau, aux pieds de Jésus. Et tenter de l’écouter, lui, enfin ! Toute action qui ne serait pas précédée par ce retour à l’école de Jésus lui-même me paraît illusoire.

     Revenir à l’école, humblement. C’est la proposition qui vous est faite, e,n trois étapes :

     1- Former d’abord à une lecture nouvelle des textes, à leur compréhension sous un regard neuf, non dogmatique : grâce à la « recherche sur Jésus » nous en avons aujourd’hui les moyens, qui manquaient à ceux qui nous ont précédés. Grâce à ces savants, à ces chercheurs acharnés qui, depuis environ cinquante ans, labourent un terrain qu’on croyait à jamais recouvert par le béton des dogmes.

     2- Une fois cernés les critères d’une lecture non-dogmatique des Évangiles, poser à nouveau la vieille question de l’identité de Jésus : qui était cet homme ? Comment expliquer les singularités de sa vie, depuis le séjour initial au désert où tout a basculé pour lui, jusqu’au tombeau trouvé vide ? Il a été transformé en Dieu : comment, quand, où, par qui, et surtout pourquoi ?

   3- Jésus enfin approché tel qu’il fut en lui-même, entamer avec lui un dialogue. Toutes les questions qui sont les nôtres aujourd’hui peuvent alors lui être posées, même celles auxquelles il semblerait que les Évangiles n’aient jamais pensé. Car Jésus, ce n’est pas seulement un maître à penser : celui d’une époque révolue, marqué par elle et catalogué dans les rayonnages de l’Histoire, comme tant d’autres pédagogues et philosophes du passé. Jésus, c’est un mouvement, une façon d’être, une façon de voir, une attitude face à la vie et aux questions qu’elle suscite. Il ne demande qu’une chose, dialoguer avec nous : encore faut-il que nous nous adressions à lui, et non pas à une icône, recouverte par la fumée des cierges d’une Église.

     Tel pourrait être le programme d’une formation, préalable indispensable à toute action. C’est un retour sérieux, exigeant, aux textes et à eux seuls. J’utilise pour cela les acquis de la recherche fondamentale de ces dernières années, mon propos est de les rendre accessibles à un public non-spécialisé.

     Une seule condition me paraît requise pour participer à cette formation : un intérêt, qui peut aller de la simple curiosité à la passion, pour cet homme hors du commun. Dès lors qu’on rencontre Ieshua Ben-Joseph, tout le reste – appartenance à une Église, foi ou non-foi, passe à l’arrière-plan. Puis disparaît.

      Le radeau de la Méduse va-t-il toucher terre quelque part ?

     La réponse à cette question ne m’appartient pas.

                            M.B., 22 janvier 2007

L’OMBRE DE LA MORT DANS LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM

La mort est notre seule certitude.

Pour l’Ancien Testament, la mort est une punition infligée par Dieu à l’homme et à la femme, parce qu’ils ont voulu savoir ce qu’il fallait ignorer afin de ne jamais mourir : où se situe la frontière entre le bien et le mal.

C’est-à-dire qu’il existe un Mal, un Mauvais, un Shatân à l’œuvre dans la création. Faire sa connaissance c’est le rencontrer, le rencontrer c’est être brûlé par lui à jamais .

Tandis qu’ignorer Le Mal, c’est être ignoré par lui et ne pouvoir être atteint par lui. « Le Mal c’est mon affaire dit Dieu, certes il existe mais vous ne devez savoir ni d’où il vient, ni s’il est comme vous une créature que je tolère ou puis seul soumettre. Ne lâchez pas ce fauve, sinon il vous dévorera. »

On connaît la suite : la femme (encore elle !), séduite par le charme du Mal, lui fait de doux yeux et la fracture s’installe pour toujours dans une création jusque là unifiée par le sommeil du dia-bolos, celui qui sépare, qui divise.

Désormais, la mort sera l’horizon du peuple juif. Elle met un terme à la vie, mais rien n’est perdu puisqu’un Messie reviendra, qui restaurera l’ordre ancien de la création, perdu par l’acquisition de la connaissance.

La Bible est fataliste, mais point désespérée : l’attente du Messie permet de supporter celle de la mort. On s’en accommode sans s’en inquiéter outre mesure. Se l’infliger ou l’infliger à autrui est un crime, qui conduit tout droit à l’enfer.

Au milieu du 1er siècle, le rabbi Jésus s’insurge contre la mort. Il fait preuve à son égard d’une absolue détestation : quand il la rencontre aux portes du village de Naïm ou devant la pierre tombale de Lazare, quand elle menace une femme à l’instant de sa lapidation pour crime d’amour, quand elle attend des malades condamnés par l’absence de médecine, il fait tout pour s’opposer à elle : il ranime, il prend la défense de l’accusée, il guérit.

A-t-il souhaité mourir, s’est-il suicidé ? Cliquez.

Ce refus de l’acceptation de la mort comme châtiment inéluctable, inévitable, cette insoumission devant l’œuvre du Shatân est la marque de Jésus. Elle le classe à part dans le judaïsme, et à vrai dire dans la lignée des grands Éveillés.

En s’imprégnant du messianisme exalté qui s’était développé autour des esséniens un siècle auparavant, le christianisme naissant abandonnera (ou plutôt, n’adoptera jamais) le rejet de la mort manifesté par Jésus.

Les choses se compliquent quand Paul de Tarse introduit dans le dogme chrétien naissant des pans entiers de la religiosité orientale – donnant naissance au christano-paganisme qui est toujours le nôtre aujourd’hui.

La mort n’est plus le châtiment de la connaissance : elle sanctionnera désormais le refus d’adopter les dogmes, les sacrements et les pratiques chrétiennes. l’Église s’est substituée à Dieu, elle est la seule à posséder le savoir. « Si tu le suces à son sein et nulle part ailleurs, tu entreras au paradis. Sinon, c’est l’enfer plus tard – et déjà maintenant, puisqu’on te brûlera si tu oses mettre en doute le monopole de la vérité détenu par l’Église ».

Hors de l’Église, pas de salut : n’attendez plus le Messie, il est déjà là, il a pris corps dans une corporation qui s’identifie à lui et rend son retour inutile.

Les chrétiens ne désirent pas la mort, ils la condamnent et la craignent. Mais ils s’agrippent à la barque de Pierre pour ne pas s’y noyer.

Le Coran marque l’aboutissement final du messianisme judéo-chrétien.

Ầ ses yeux non plus, le Messie n’aura pas à revenir puisqu’il vient d’arriver : c’est l’Umma, la communauté musulmane, « la meilleure communauté suscitée par Allah sur terre ». Le croyant coraniste ne peut vivre qu’à l’intérieur de l’Umma : tout ce qui se trouve en-dehors, le dar-al-harb, c’est un monde de ténèbres où règne le Shatân. Plutôt mourir que d’en franchir l’immatérielle frontière.

S’infliger la mort pour demeurer fidèle à l’Umma, c’est être assuré d’entrer au Paradis. L’infliger à autrui pour préserver l’Umma, ce n’est pas un péché mais une bonne oeuvre.

          Hors de l’Umma, pas de salut.

Et comme chaque Infidèle – chaque être humain vivant hors de l’Umma – est habité par le Shatân, bien plus, comme il défend et propage sans le savoir l’œuvre de Shâtan, il faut en tuer le plus possible.

Tuer les infidèles, c’est faire reculer le royaume de Shatân, c’est accélérer la venue du ciel sur la terre, quand il n’y aura plus que des muslims, des hommes et des femmes soumis à Allah.

La mort est un bien désirable, se l’infliger pour Allah c’est aller au Paradis, l’infliger au nom d’Allah c’est protéger l’Umma.

Donner la mort ou la recevoir dans le « Chemin d’Allah », c’est l’idéal de tout croyant coraniste.

Parce qu’il a été travesti par les chrétiens, ignoré par le Coran, le message de Jésus n’a jamais eu aucune chance d’être entendu, et encore moins mis en pratique.

          Shatân lâché en liberté, l’ombre de la mort ne nous quitte plus.

Chrétiens ou musulmans, musulmans contre chrétiens, nous sommes condamnés à patauger dans le sang et la violence des ‘’Voies du Seigneur’’ de l’Église ou du ‘’Chemin d’Allah’’ du Coran.

                                                                     M.B., 21 août 2013

 

 

ÉGYPTE : une première dans le monde musulman ?

On se souvient qu’à la suite de la « révolution égyptienne », les Frères Musulmans avaient remporté les élections et qu’un Président issu de leurs rangs, Mohammed Morsi, a été élu après un scrutin conforme en apparence aux critères de la démocratie à l’occidentale.

Qu’est-ce que les Frères Musulmans ?

C’est une confrérie religieuse, fondée en Égypte par Hassan El-Banna en 1928. Officiellement non-violente, elle a pourtant donné naissance au Jamma’a al-islamiya et au Hamas, qui sont deux organisations aux méthodes terroristes sanguinaires. En France, Tariq Ramadan est le petit-fils d’El-Banna. Son double langage, son hypocrisie, sont typiques d’une organisation qui avance masquée et souhaite un « renouveau islamique » – il faut savoir lire entre les lignes.

Arrivés au pouvoir en Égypte, les Frères Musulmans se sont présentés comme des « musulmans modérés ».

Soyons clairs : il n’y a pas d’islam modéré. Il y a un islam coranique, c’est-à-dire qui adopte la théologie, la philosophie politique, la législation du Coran et veut instaurer la Charia. Ou bien un islam non-coranique, qui prend ses distances vis-à-vis du texte du Coran.

Mais cet animal hybride (un islam non-coranique, « modéré ») est une fiction.

In fine, tous les musulmans se réclament bien évidemment du Coran, point à la ligne.

Or le Coran est un texte messianique, c’est-à-dire

1- Théocratique : le pouvoir est aux mains des religieux.

2- La notion de laïcité, lentement élaborée par l’Occident à partir du XVIII° siècle, est incompatible avec le Coran. C’est Allah qui exerce le pouvoir, par califes ou imams interposés (1) .

3- Le messianisme est une idéologie intrinsèquement violente, parce qu’elle sépare la société en deux : « eux« , qui ne pensent pas comme nous, et qu’il faut éliminer physiquement. Et « nous« , qui sommes dans la droite ligne de la volonté d’Allah, et qui devons éliminer ceux qui ne se convertissent pas à la Troisième Révélation, l’islam coranique.

De fait, une fois au pouvoir les Frères Musulmans se sont rapprochés des Salafistes (coranistes pur et durs). Par petites touches, ils ont commencé à instaurer en Égypte des règles de vie qui tendent vers l’appication de la Charia, loi coranique qui est la seule acceptable à leurs yeux.

Obnubilés par leurs objectifs religieux, ils ont montré leur incapacité à mener une politique économique adaptée à la situation de crise mondiale. La rue égyptienne les accuse  d’être « des incapables ». Il ne sont pas « incapables » : seulement, leur objectif réel (caché) n’est pas de sortir d’Égypte de la crise. C’est d’aller progressivement, insidieusement, vers une société islamisée par la Charia. L’économie passe après.

Il est difficile de savoir ce qui a jeté dans la rue les foules qui ont amené la destitution par l’armée du président Morsi. Difficile, pour nous, de savoir quel est exactement la volonté de cette armée, ses motivations réelles.

Mais, pour autant qu’on puisse en juger, une partie au moins des manifestants anti-Morsi se sont révoltés contre l’islamisation forcée de la société égyptienne.

Si c’est bien le cas, est-ce le sentiment de l’ensemble de la société égyptienne ? Sans doute pas, et les Frères Musulmans le savent, ils jouent là-dessus. Mais l’existence de ces contestataires, et le fait qu’ils se fassent (discrètement) entendre dans la foule, est une lueur d’espoir.

S’il s’avérait que la seconde révolution égyptienne est une « révolution laïque » (ce qui reste à prouver), ce serait la première fois dans l’Histoire moderne qu’une population musulmane choisirait librement et volontairement la laïcité, en refusant l’application stricte du Coran.

Hélas, les choses ne semblent pas aussi claires….

Et l’embarras des démocraties occidentales, USA en tête, devant ces événements, montre leur incapacité à comprendre ce que c’est qu’une théocratie messianiste. Dont l’échelle de temps n’est pas la prochaine élection, mais les siècles.

Messianiques, les islamistes ont le temps pour eux. Ils voient loin, et visent loin. Ils savent agir sur la religiosité profonde, les peurs, les frustrations, la haine de populations fanatisées, qu’ils ont gagnées par des services sociaux bien implantés et efficaces.

Mon étude sur le Coran finira bien par être publiée. A ce jour, ce texte a été refusé par 6 grands éditeurs. Motif : « Politiquement incorrect », « inclassable ». Quand vous l’aurez en mains, vous comprendrez mieux ce que c’est que le messianisme, poison violent qui a infecté le judaïsme d’abord, puis le christianisme, l’islam, le communisme et le nazisme.

                                             M.B., 4 juillet 2013
 (1) « Tout parti qui s’éloigne des préceptes d’Allah et du Coran représente le parti du Diable. Quant à la question de la démocratie, je maintiens que, dans une nation musulmane, le pouvoir suprême ne saurait être ailleurs que dans les mains d’Allah. Nous ne croyons pas au pouvoir du peuple sur le peule, mais au pouvoir d’Allah sur le peuple ».

(Ali Benhadj, F.I.S algérien, Jeune Afrique du 1° avril 1992.)