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RÉFORMER LA RELIGION CHRÉTIENNE (Élie Barnavi)

          « Le processus est toujours le même », explique Élie Barnavi (Les religions meurtrières, Flammarion, 2006). Comme le judaïsme et l’islam, le christianisme est fondé sur un texte sacré, la Bible. Texte ancien, né dans une culture qui n’est plus la nôtre : il faut l’interpréter. A leur tour sacralisées, les interprétations s’empilent les unes sur les autres au cours des siècles. 
        La réforme consisterait à revenir aux sources, aux fondamentaux.

          Quelles sources ? Mais (disent les réformateurs) le texte lui-même, débarrassé des couches successives d’emplâtres interprétatifs ! C’est ainsi qu’ont fonctionné toutes les tentatives de réforme du christianisme depuis le Moyen âge : redécouvrir la pureté du texte fondateur.
      Ré-forme : retrouver la forme primitive, l’Église primitive, une origine rêvée, purifiée de la poussière accumulée pendant des siècles (cliquez).

     Et c’est pourquoi aucune de ces réformes n’a pu aboutir. Car – on s’en aperçoit seulement depuis une cinquantaine d’années – l’Évangile lui-même est le produit d’une manipulation, non plus sur un texte, mais sur la mémoire d’un homme.    

          Revenir aux origines ? Si c’est à l’Évangile lu de manière fondamentaliste, ou à l’Église naissante décrite dans les Actes des Apôtres, c’est revenir à un texte qui comporte déjà des couches successives de réinterprétations, ou bien à une expérience idéalisée par l’auteur des Actes.

     Rêver à une réforme par retour aux sources, c’est s’arrêter en chemin : car la source est déjà polluée, et gravement, par l’ambition politique, idéolgique et religieuse, de ceux qui ont mis la dernière main à l’écriture du texte « fondateur ».

     On sait maintenant que les Évangiles ont été à la fois la mise par écrit d’une mémoire, et l’enjeu crucial d’une Église en train de se constituer grâce à eux. Le lecteur non-averti y reçoit en même temps l’écho du passage de Jésus en Palestine, et les éléments nécessaires à la création d’une imposture – la transformation d’un homme en dieu. Imposture indispensable à ceux qui avaient bien l’intention de bâtir, sur la mémoire faussée de Jésus, un empire religieux, idéologique et politique.

     Contrairement à nos prédécesseurs, nous avons maintenant les moyens de distinguer, dans les textes tels qu’ils nous sont parvenus, la personne et l’enseignement de Jésus lui-même de ce que les « fondateurs » ont eu l’intention de lui faire dire ou de lui faire faire, pour parvenir à leurs fins .

         Il ne s’agit pas de « réformer » le christianisme par un retour aux sources. Mais de décaper ces sources des couches de maquillage successif, à travers lesquelles elles nous sont présentées.

     Le Christ une fois démaquillé, Jésus apparaît peu à peu. Visage étonnamment moderne, suggestif, parlant, d’un maître de vie individuelle et sociale qu’on croit rencontrer pour la première fois. Un homme attirant, fascinant, aimable et aimant. Déroutant aussi, car il n’emprunte aucune des voies sécuritaires de nos religions. Un homme qui instaure l’insécurité en règle de vie, en moteur d’action.

          Pareil homme ne sera jamais populaire. Car les peuples aiment et plébiscitent ceux qui les flattent, les tranquillisent et les endorment. Jésus fait tout le contraire : il inquiète, il réveille et il dit vrai.

     Aucune Église ne peut être construite là-dessus.

     Jésus le solitaire semble ne devoir être connu et aimé que par des solitaires.

                    
                         M.B. , 4 janvier 2007

L’AGONIE DU CHRISTIANISME : BILAN ET PERSPECTIVE

(Conférence donnée à Paris le 20 janvier 2007)

I. BILAN

      Le 9 avril de l’an 30, un tombeau était trouvé, vide, aux portes de Jérusalem. Deux jours auparavant, on y avait déposé le corps supplicié d’un rabbi juif itinérant, qui s’était fait connaître dans la région comme guérisseur. Le cadavre avait disparu.

     Quelques mois plus tard, ses disciples vont imaginer une solution inédite au problème irritant du tombeau trouvé vide : la résurrection de cet homme, 72 heures après sa mort en croix. Apparemment, l’explication ne change rien à leur vie, puisqu’ils continueront longtemps encore à se comporter en juifs observants.

     Vers la fin du 1° siècle, on voit apparaître une mutation considérable : cet homme est devenu Jésus-Christ. On affirme qu’il est égal à Dieu, et comme lui créateur de l’univers. Sa résurrection est désormais invoquée comme preuve de sa divinité. Elle devient, pour les croyants, un gage et une assurance de leur propre survie.

         C’est un juif de culture grecque, Paul de Tarse, qui va mettre en place une religion nouvelle dont ce crucifié sera le pivot. Pour y parvenir, il puise dans les « religions à mystères », très populaires dans l’Empire romain et qu’il connaît bien. Il prétend les rejeter comme païennes, mais en fait il intègre leurs principales structures : la divinisation d’un héros, qui reste homme tout en étant dieu, et joue le rôle de passerelle entre la sphère d’en-haut et la sphère d’en-bas. Un rite d’initiation qui introduit l’initié dans une vie nouvelle, en l’identifiant à la mort et à la résurrection du héros, et en lui offrant la sécurité d’une promesse d’éternité. Enfin, un rite de communion avec la divinité grâce à un sacrifice, non plus sanglant, mais symbolique.

     Rapidement, apparaît un clergé stable, et un dogme, ensemble de vérités irrationnelles proposées par la hiérarchie, auxquelles le croyant se doit d’adhérer intégralement s’il ne veut pas être exclu.

          La popularité des religions à mystères dans l’Empire romain était immense : elle reposait sur deux éléments fondateurs, intégralement repris par le christianisme :

     1- Un éthos qu’on pourrait qualifier de « magique« , parce qu’il introduit dans le domaine du mystère en satisfaisant l’imaginaire, et le besoin de sensibilité.

     2- Une réponse au besoin sécuritaire des croyants : la promesse d’une survie apaise l’angoisse devant le trou noir de la mort.

     La nouvelle religion se constitue au cours d’assemblées, dont les Lettres de Paul et les Actes soulignent le caractère exalté, quasi incontrôlable. La part de rêve, d’irrationnel et de névrotique y est importante : on voit les nouveaux dirigeants utiliser ces délires de groupe pour consolider leur pouvoir, tout en essayant de les contrôler.

          La magie, l’offre sécuritaire et le pouvoir : nous avons là les trois composantes du béton, avec lequel on coule les murs épais d’une Église.

     Dans ce contexte, la commémoraison du juif Jésus va rapidement s’exprimer selon les schémas mentaux et les modalités cultuelles du paganisme ambiant : le caractère singulier, et singulièrement juif de cet homme inclassable disparaît, recouvert du somptueux manteau des utopies grecques et oriantales – à vrai dire, universelles.

     Ce paganisme, autrefois rejeté farouchement par le peuple juif, est désormais intégré dans le dogme comme dans la pratique de l’Église chrétienne : les peuples y trouvent la part de rêve et de sensibilité dont ils ont besoin, en même temps que la sécurité d’une promesse d’éternité. La fusion (remarquablement réussie) de ce paganisme avec la mémoire faussée de Ieshua, le rabbi juif, assur le succès et la diffusion planétaire de la nouvelle religion, que je qualifierais de judéo-païenne.

      Les 1° communautés chrétiennes, encore illicites et donc discrètes, vont pourtant consacrer une partie de leurs jeunes énergies à se déchirer entre elles autour d’un point central : l’identité de Jésus. Et tout d’abord, pour pouvoir devenir dieu il doit cesser d’être juif : très tôt, l’Église renie son enracinement dans le judaïsme. Ensuite, se pose une question lancinante : s’il est dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

     En 325, pour la première fois, la divinité de Jésus est officiellement proclamée au concile de Nicée, sans que soit pourtant tranchée la question du comment.

     C’est que l’Église ne possède pas encore l’envergure qui lui permettrait d’imposer, et de s’imposer. Elle y accède sous l’empereur Théodose : entre 381 et 392, il décrète ;e christianisme religion d’état. De persécutés, les chrétiens deviennent persécuteurs, et Rome peut enfin exiger la soumission de tous à l’édifice dogmatique en construction. L’Empire romain qui se délite rêve d’unité, et l’Église doit lui en fournir les moyens, en même temps que le modèle.

     Aboutissement de trois siècles de luttes féroces entre chrétiens, le concile de Chalcédoine (451) définit enfin le comment de la divinité de Jésus. Il l’appelle d’un seul mot, Trinité : comme celle de dieu, l’unité de l’Empire est proclamée, et comme celle de dieu, sa diversité est reconnue.

     Mais ce n’est q’au VII° siècle que les conséquences ultimes de la divinisation de Jésus seront définies, par la condamnation des agnoètes puis des monothélistes (III° concile de Constantinople, 681). Revêtu d’ornements divins parfaitement ajustés, Ieshua, devenu Christ, est désormais présentalbe au monde.

     Or c’est dans ces années, à partir de 650, que se développe, de façon foudroyante, un mouvement appelé à faire parler de lui : l’islam. Qui va chasser l’Église de sa terre d’origine, le Moyen Orient.

      Partout ailleurs, Rome tient le pouvoir : elle est en position de force ou de monopole dans tous les domaines de la vie civile et politique, et ce jusqu’à une époque toute récente.

     S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul ilôt stable, émergeant de cette mer démontée. L’Europe trouve d’abord en elle la force de sa survie, puis le creuset où va se forger son identité, son unité face à l’adversité : dès lors, et jusqu’au projet de constitution de 2004, l’Europe reconnaîtra toujours dans le christianisme son fondement identitaire.

     A peine sortie de ce chaos, elle voit réapparaître la remise en cause, non plus de la divinité de Jésus, mais de ses conséquences : le pouvoir de l’Église, terni par ses moeurs dissolues. Sous forme de réformes, de révoltes ou de révolutions, chacun des siècles qui suivra viendra ébranler au moins une fois l’ordre défendu par l’Église, en matière de dogme ou de discipline.

     Aucune de ces tentatives de réformes n’a jamais abouti : l’Église les a toutes surmontées par la violence. Parfois affaiblie par elles, elle ne s’est jamais remise elle-même en cause, ni l’édifice de ses dogmes – et son noyau fondateur, la divinité de Jésus.

     On l’a vu, c’est au moment où l’Église peaufinait cette divinisation d’un homme qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lançait au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette le paganisme en affirmant l’unicité de Dieu et en refusant la divinité de Jésus.

      Ceci n’est pas une simple coïncidence : d’inspiration entièrement judéo-chrétienne, le Coran répond à l’éternelle question : qui est Jésus ? Et s’il n’est pas Dieu, quelles sont les voies d’accès au divin ? Cette interrogation, née de la fabrication d’un dieu à partir d’un homme, l’Église n’a jamais su y répondre qu’en faisant appel à ce que j’ai qualifié (un peu rapidement) de magie. Le Coran rejette explicitement la « magie chrétienne », et attire à lui un quart de l’humanité.

     L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant par la violence à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à Dieu, c’est-à-dire païenne.

      Hors l’islam, la réforme de Luther est parvenue à entamer l’unité européenne cimentée autour de l’Église de Rome. Mais Luther et Calvin se sont contentés d’une réforme intra-ecclésiale, dont l’aspect le plus visible a été d’ordre disciplinaire et sacramentel : ils n’ont pas touché aux dogmes fondateurs du christianisme, et Michel Servet a été brûlé en terre calviniste pour y avoir prétendu.

     Pourtant, Luther a semé la graine d’une véritable réforme par sa traduction de la Bible en allemand. Pour la première fois, la lecture et l’interprétation du texte sacré n’étaient plus réservés au seul clergé ! Timidement d’abord, puis de façon fructueuse, l’exégèse critique de la Bible se développe en milieu protestant. Elle est violemment combattue et interdite par l’Église catholique, qui la considère comme démoniaque et veut se réserver le pouvoir d’interprétation. Mais les digues romaines, assiégées de partout, finiront par céder : en 1943, prenant le contre-pied de ses prédécesseurs, Pie XII autorise pour la première fois l’exégèse historico-critique de la Bible (Divino Afflante Spiritu).

     Dès lors les catholiques peuvent – enfin – se joindre à un mouvement initié un siècle plus tôt : la « recherche du Jésus historique« . En fait, ce n’est pas un mouvement structuré, mais un ensemble hétéroclite de chercheurs (juifs, protestants, catholiques) qui travaillent tous dans la même direction, et publient individuellement les résultats de leurs travaux.

     En 1974, dans la solitude de mon monastère, je me suis engagé sur cette piste : je puis vous assurer qu’on s’y sentait bien seul ! Mais depuis les années 1980 et jusqu’à maintenant la recherche s’est emballée. Dieu malgré lui, publié en 2001 chez Robert Laffont, s’inscrit dans ce mouvement. Si je l’écrivais aujourd’hui, le fond resterait le même, mais il y aurait bien des corrections à apporter, tant les choses avancent vite.

      A quelques exceptions près, ces chercheurs appartiennent à une Église : ils ne peuvent donc s’autoriser à tirer toutes les conclusions de leurs travaux. Le faire, ce serait s’exclure de leur communauté, ou être exclus par elle. Je n’ai pas ce souci, et me sens libre d’aller là où ils ne peuvent s’aventurer.

     C’est-à-dire dans une grande solitude.

     Car découvrir qui était Ieshua Ben-Joseph, cet électron libre éliminé parce qu’il touchait à la structure même des pouvoirs religieux, moraux et politiques établis, c’est aller à contre-courant du mouvement général des esprits, des sensibilités, des conformismes sociaux. Nous l’avons vu, le succès  et l’existence même d’une religion vient de ce qu’elle satisfait les besoins de rêve, de magie, d’évasion d’une humanité qui souffre. Mais aussi de ce qu’elle sait répondre à l’irrésistible besoin de sécurité, qui taraude les êtres humains d’où qu’ils viennent.

     Jésus, par sa façon de vivre comme par son enseignement, n’offre pas la sécurité. Il propose une remise en question permanente : l’entrée dans son « Royaume » n’est pas une promesse, mais le fruit d’un arrachement – ou plutôt d’une succession de déracinements, proche de l’anatta enseignée ailleurs par le Bouddha.

      La « recherche de Jésus », dans laquelle je me suis engagé, va exactement à l’encontre du besoin viscéral des peuples. Plus on s’approche de lui – tel qu’on l’entrevoit à travers les textes, tel qu’on peut le rencontrer dans la prière – plus on s’approche de Jésus, et moins on le rêve.

     Plus on s’approche du Dieu vers lequel Jésus guide ceux qui le suivent, et moins on l’imagine : à l’école du galiléen, la réalité tue les fantasmes religieux. Et les théologiens, maçons-architectes des Églises qui les prennent à leur service, se trouvent renvoyés par Jésus à leurs chères spéculations déconnectées du réel.

     La « recherche de Jésus », Prophète de l’insécurité, n’offre donc aucun des attraits qui en ferait un phénomène de masse.

  II. PERSPECTIVE

      Ceci nous ramène à aujourd’hui : où en sommes-nous ?

     Vous avez tous vu les images bouleversantes de Berlin, dévastée par les bombardements en mai 1945 : voilà où nous sommes. Dans un champ de ruines, celles d’un grand Reich dévasté.

     Seuls ceuX de ma génération peuvent mesurer l’étendue du désastre. Car nous avons encore connu, dans notre lointaine enfance, les dernières splendeurs d’une Église catholique sûre d’elle-même et triomphante : quand Pie XII, le dernier pape-roi, est mort en 1958, j’avais 18 ans.

     Les sociologues situent en 1942 (France, pays de mission de l’abbé Godin) le commencement de la fin. En fait, l’expansion missionnaire au XIX° siècle et la montée des fascismes au début du XX° ont masqué le déclin, qui était latent depuis plus longtemps. Ce déclin, il nous a explosé à la figure en à peine une génération – la nôtre : en 50 ans, tout a disparu de ce qui faisait la gloire de l’Église catholique. Partis politiques, syndicats, éducation, mouvements de jeunesse, organismes caritatifs (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale… Mais aussi : littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel…), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi-siècle, le catholicisme a disparu du champ de la créativité humaine.

     Mais il y a beaucoup plus grave : systématiquement détruite depuis 1978 par l’action conjointe du cardinal Ratzinger et de Jean-Paul II, la théologie catholique est morte. Les bouddhistes tibétains sont les seuls à s’intéresser aux deux domaines les plus actifs de la recherche depuis 30 ans, l’infiniment petit (biologie moléculaire) et l’infiniment grand (astrophysique). L’Église ne dit plus rien au monde, parce qu’elle n’a plus rien à dire.

     Elle répète, et elle se répète, à l’infini.

     Une société d’idéal comme l’Église qui n’a plus de pensée, d’où toute pensée est exclue ou pourchassée, cette société n’est plus vivante : elle n’est plus rien, qu’un musée du passé.

     Tout naturellement enfin, la spiritualité a également déserté la chrétienté. On compte environ cinq millions de français qui se disent actuellement proches du bouddhisme. Ce sont tous d’anciens chrétiens, déçus par le désert spirituel qu’est devenu pour eux leur Église.

     Et je ne parle pas des sectes, qui pullulent.

      En 1816, le fleuron de la marine française, La Méduse, coulait au large des côtes du Sénégal. Eh bien ! Les Églises, nouveau navire La Méduse, viennent de couler sous nos yeux. Nous sommes quelques rescapés du naufrage, abandonnés sur un radeau. D’où nous lançons des signaux désespérés, vers un horizon vide.

     Le Radeau de la Méduse, c’est nous.

     Le paradoxe dramatique de notre situation, c’est que nous avons tout reçu de ces Églises. Et d’abord, les textes fondateurs : la personnalité du juif Jésus était telle, qu’elle transperce les Évangiles, malgré les manipulations politiques dont ils ont été l’objet. Sans les Églises, je ne saurais rien de lui, et elles m’ont même donné les moyens de le découvrir derrière les maquillages dont elles l’ont recouvert.

     Le « meurtre de la mère » (l’Église) apparaît aujourd’hui comme une condition nécessaire à la redécouverte du Père, abba – comme l’appelait Jésus.

     Nous, qui sommes (sans l’avoir choisi) les derniers dépositaires d’une expérience unique, dont la possibilité nous a été offerte – alors qu’elle ne semble plus devoir être accessible aux jeunes générations,

     Nous, qui avons derrière nous toute une vie de recherche, par l’étude, d’une tradition recouverte aujourd’hui par le tintamarre des médias,

     Nous, pour qui Jésus n’est pas seulement un objet d’étude parmi d’autres, mais un être vivant, aimable et aimant,

     Que ferons-nous pour transmettre ce que nous avons reçu ? Allons-nous nous contenter d’autopsier un cadavre encore chaud ?

     Une nouvelle réforme est-elle possible ? Si l’Église catholique pouvait se réformer, cela se saurait. Elle ne l’a jamais pu, elle ne le pourra jamais. Quand le communisme a voulu se réformer, il a disparu. Une société d’idéologie ne peut pas remettre en cause les dogmes sur lesquels elle s’est construite : l’Église le sait, et c’est pourquoi elle maintient jusqu’au plus petit détail les aspects les plus in-croyables de son paganisme. Ce qui est nouveau, c’est que l’humanité n’adhère plus à la démarche magique du christianisme officiel : elle va chercher ailleurs le rêve dont elle a besoin. Ou bien – privée de rêve – elle s’enfonce dans la violence.

      Que faire ?

     Dans ce naufrage constaté du christianisme, je n’aperçois qu’une seule lueur d’espoir : le retour au Jésus de l’histoire. La recherche de Jésus tel qu’il fut, et non pas tel que l’Église l’a réinventé pour asseoir son pouvoir. Le retour vers Ieshua, fils de Joseph, m’apparaît comme la seule alternative au néant.

     Revenir vers Ieshua, c’est reconnaître que nous sommes parvenus à la fin d’un cycle de civilisation. L’Égypte, Sumer, Assur, les Incas, les Mayas, tant d’autres civilisations prestigieuses ont disparu… Eh bien ! Le christianisme vient de disparaître à son tour, sous nos yeux.

     C’est un peu comme si les gestes de Jésus n’avaient jamais encore été compris, ses paroles jamais encore entendues, son regard jamais encore croisé par un Occident qui se réclame non pas de lui, mais du Christ fabriqué pour figurer au fronton des cathédrales, signes et symboles


     Que faire ?

     Je dois maintenant parler en mon nom propre, et je le fais avec d’infinies réticences. Quitté par l’Église en 1984, je suis rentré depuis dans le silence. En sortir, pour quoi ? Proposer une nouvelle Église ? Ayant vécu de l’intérieur le naufrage du catholicisme, le désert m’a paru être le lieu de refuge le plus indiqué pour la rencontre personnelle avec le Dieu de Jésus.

     Que faire ? Pour quelle action sortir de ce désert où Jésus trouva l’Éveil autrefois, et où peut-être il appelle les rescapés de la défunte civilisation voulue par l’Église ?

     Je n’entrevois qu’une seule action à notre mesure : la formation. Transmettre à d’autres, si d’aventure il s’en trouve qui le souhaitent, ce que découvre cette communauté informelle et cachée des « chercheurs du Jésus de l’Histoire ». Transmettre, afin que Jésus ne meure pas avec l’Église.

     Après l’agonie du christianisme, tout est à reconstruire : il faut savoir où l’on va. Jésus disait : « Celui qui bâtit une tour, il commence par s’asseoir et réfléchir ». S’asseoir, à nouveau, aux pieds de Jésus. Et tenter de l’écouter, lui, enfin ! Toute action qui ne serait pas précédée par ce retour à l’école de Jésus lui-même me paraît illusoire.

     Revenir à l’école, humblement. C’est la proposition qui vous est faite, e,n trois étapes :

     1- Former d’abord à une lecture nouvelle des textes, à leur compréhension sous un regard neuf, non dogmatique : grâce à la « recherche sur Jésus » nous en avons aujourd’hui les moyens, qui manquaient à ceux qui nous ont précédés. Grâce à ces savants, à ces chercheurs acharnés qui, depuis environ cinquante ans, labourent un terrain qu’on croyait à jamais recouvert par le béton des dogmes.

     2- Une fois cernés les critères d’une lecture non-dogmatique des Évangiles, poser à nouveau la vieille question de l’identité de Jésus : qui était cet homme ? Comment expliquer les singularités de sa vie, depuis le séjour initial au désert où tout a basculé pour lui, jusqu’au tombeau trouvé vide ? Il a été transformé en Dieu : comment, quand, où, par qui, et surtout pourquoi ?

   3- Jésus enfin approché tel qu’il fut en lui-même, entamer avec lui un dialogue. Toutes les questions qui sont les nôtres aujourd’hui peuvent alors lui être posées, même celles auxquelles il semblerait que les Évangiles n’aient jamais pensé. Car Jésus, ce n’est pas seulement un maître à penser : celui d’une époque révolue, marqué par elle et catalogué dans les rayonnages de l’Histoire, comme tant d’autres pédagogues et philosophes du passé. Jésus, c’est un mouvement, une façon d’être, une façon de voir, une attitude face à la vie et aux questions qu’elle suscite. Il ne demande qu’une chose, dialoguer avec nous : encore faut-il que nous nous adressions à lui, et non pas à une icône, recouverte par la fumée des cierges d’une Église.

     Tel pourrait être le programme d’une formation, préalable indispensable à toute action. C’est un retour sérieux, exigeant, aux textes et à eux seuls. J’utilise pour cela les acquis de la recherche fondamentale de ces dernières années, mon propos est de les rendre accessibles à un public non-spécialisé.

     Une seule condition me paraît requise pour participer à cette formation : un intérêt, qui peut aller de la simple curiosité à la passion, pour cet homme hors du commun. Dès lors qu’on rencontre Ieshua Ben-Joseph, tout le reste – appartenance à une Église, foi ou non-foi, passe à l’arrière-plan. Puis disparaît.

      Le radeau de la Méduse va-t-il toucher terre quelque part ?

     La réponse à cette question ne m’appartient pas.

                            M.B., 22 janvier 2007

L’ABBÉ PIERRE ET LE SUCCESSEUR DE PIERRE

          La mort de l’Abbé Pierre nous touche, parce qu’elle sonne un peu comme un bilan. Bilan d’un demi-siècle de société française d’abondance, qui laisse ses déchets à la rue aujourd’hui comme en 1954. Mais bilan aussi de l’Église catholique à l’orée du XXI° siècle.

          Comment se fait-il que la figure la plus populaire d’un des pays les plus farouchement laïcs au monde soit un prêtre, qui n’a jamais caché ni sa soutane, ni sa croix de guingois sur la poitrine ? Pour deux raisons, semble-t-il :

          1- D’abord, l’abbé rappelle aux plus mécréants d’entre nous que nous sommes un pays profondément marqué par les valeurs évangéliques. Les socialistes, et même les communistes, se reconnaissent dans le message de Jésus le nazôréen, sans lequel leurs partis politiques ne seraient pas ce qu’ils sont. Je n’y peux rien, c’est politiquement incorrect mais c’est ainsi.

          Des évangiles, l’abbé n’a retenu qu’une chose : l’amour du prochain, dont Jésus lui-même fait l’égal de l’amour de Dieu. La re-connaissance du prochain, dont Jésus fait l’égal de la connaissance de Dieu.

          Pour les Églises (qui se réclament pourtant des évangiles) la connaissance de Dieu – la possibilité de s’en faire une idée, de savoir qui il est, de le connaître – passe par le dogme. Et le dogme, c’est l’Église qui l’élabore, le façonne à son gré, le proclame puis l’impose. Tout comme Jésus, l’abbé ne se référait à aucun dogme : le prochain, c’est-à-dire l’homme ou la femme abandonnés sur la route (comme dans la parabole du Bon Samaritain), voilà le dogme. L’amour en action.

          Le peuple ne s’y est pas trompé, croyants comme athés : cela sonne juste. Si Dieu existe et peut être rencontré quelque part, c’est bien dans ce regard-là. Le regard que Jésus lui-même portait, en son temps, sur le monde tel qu’il était et Dieu tel qu’il est.

          Et la France, pays de Voltaire et de Hugo, se retrouve dans cette approche-là de Dieu. L’approche non-dogmatique qui est avant tout un regard sur l’autre, qui forme et éduque le regard intérieur.


          2- La France se retrouve dans cette distance prise avec les dogmes. Mais aussi dans les conséquences pratiques de cette distance : par son choix des pauvres, l’abbé insulte Rome et ses richesses. Par sa préférence pour les sans-voix, il fouette Rome et son amour de la puissance. Par sa liberté sexuelle, il horrifie Rome et sa hantise du sexe.

           Un abbé Pierre ne pouvait sans doute naître que dans ce pays qui n’a jamais oublié l’évangile, mais n’en retient pas forcément ce que lui conseille sa hiérarchie ecclésiale.

          L’abbé Pierre ne sera jamais canonisé : le successeur de Pierre ne peut donner en exemple, au peuple qu’il administre, un homme qui lui fait ouvertement pareils pieds de nez.

          Pauvre Pierre, qui n’a jamais été pape, et aurait peut-être rêvé d’être un jour  un abbé aux chaussures éculées et à la soutane verdâtre.

                                                M.B., 26 janvier 2007

CHRISTIANISME : LES CHOSES BOUGENT-ELLES ?

          En 1967 prenait fin à Rome un Concile oecuménique. Pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, un concile véritablement oecuménique, rassemblant non seulement tous les évêques catholiques d’Occident et d’Orient, mais aussi des représentants des Églises Orthodoxes et Protestantes séparées de Rome, et des laïcs.

          Un an plus tard, la « Révolution de Mai 68 » partait de France et secouait progressivement la planète : la jeunesse affirmait qu’on pouvait changer le monde tel qu’il va, et les moins jeunes se mirent à y croire sincèrement. Mouvement civique des noirs américains, paix, droits de la femme, relations Nord-Sud, éducation…  et religions : un nouvel ordre mondial était possible, le moment était venu de le faire advenir. Tous s’engouffrèrent dans cette brèche, avec enthousiasme : on allait voir ce qu’on allait voir.

          Dans l’Église catholique, on parla de liturgie en langues vivantes, de collégialité épiscopale, de retour aux sources, de nouvelle évangélisation, de nouvelle spiritualité. Le mouvement charismatique devint l’aile marchante du renouveau des Églises.

          Quarante ans après, des sociologues dissèquent et étudient ce phénomène et ses suites. Sans prétendre ajouter quoi que ce soit à leurs savantes études, voici une simple réflexion, qui est aussi le témoignage d’un acteur des événements de l’époque.

I. Christianisme : les choses peuvent-elles bouger ?

          Au point de départ du christianisme, il y a le coup de génie de quelques hommes (Paul de Tarse, les derniers rédacteurs des évangiles et surtout du IV°) : utiliser la mémoire d’un rabbi juif itinérant, thaumaturge et prophète, pour créer une nouvelle religion. Qui va utiliser – tout en prétendant s’en démarquer – le meilleur du judaïsme et des religions orientales de l’Empire romain. Un dieu unique (judaïsme) et l’espérance d’une religion (religions orientales) fondée sur la résurrection, affirmée contre toute vraisemblance, du rabbi Jésus devenu Dieu.

          Tout repose donc sur la résurrection de Jésus, preuve de sa divinité.

          Comme cet événement ne pouvait être ni prouvé, ni admis par les juifs chez qui il prit naissance, il va être établi, puis confirmé, par un ensemble de spéculations qui s’imposeront aux croyants comme « la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (Hb 11,1) : des dogmes.

          Ces dogmes vont progressivement s’emboîter l’un dans l’autre, chacun découlant nécessairement du précédent et annonçant le suivant. Chacun étant la conséquence inévitable du précédent, et appelant le suivant par la force contraignante de la logique interne d’un système clos.

          Dix-neuf siècles après, la proclamation de la résurrection de Jésus apparaît comme un coup de force, niant toute évidence historique, ne pouvant se réclamer ni de l’enseignement ni de ce qu’on sait de la vie de Jésus : c’était un mensonge d’État, indispensable à la réalisation d’une ambition – prendre le pouvoir religieux.

          Construit sur ce mensonge nécessaire, l’édifice des dogmes, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est un immense château de cartes : tout s’emboîte, retirer une seule carte c’est faire s’écrouler l’édifice entier par l’effet dominos.

          L’Église le sait : toucher à l’un quelconque des dogmes ou de leurs conséquences, c’est provoquer la fin du christianisme comme système idéologique cohérent. Son réflexe de préservation s’étend même à des aspects de sa vie qui ne reposent sur aucun dogme, comme le mariage des prêtres ou l’ordination sacerdotale des femmes.

          Rien ne peut donc bouger dans l’Église, et rien ne bougera jamais. Même des détails qui semblent secondaires, comme l’emploi des langues vivantes dans la liturgie, ne peuvent prendre durablement racine : ils apparaissent comme des fissures dans l’édifice, et une fissure, on ne sait jamais jusqu’où cela peut aller. Le retour à la messe en latin, pitoyable victoire d’arrière garde, est dans la logique de l’instinct de conservation.

II. Une espérance, les « chrétiens critiques » ?

          Après l’enlisement du mouvement charismatique, on a vu naître des groupes de « chrétiens critiques » qui se situent délibérément sur le Parvis de l’Église, c’est-à-dire un pied dedans, et un pied dehors.

          Contrairement aux charismatiques, ces groupes ne donnent pas la primauté à l’affectif mais à la réflexion. Pendant 28 ans, toute l’action de Jean-Paul II et de son bras droit (le cardinal Ratzinger) a consisté à décapiter les têtes pensantes de cette réflexion, théologiens d’Europe ou des Amériques, clercs ou laïcs. Les quelques groupes de chétiens ouvertement critiques, qui ne veulent pas quitter l’Église mais lui apporter une « critique constructive », voient leur réflexions (et leurs propositions) se limiter à ces aspects marginaux, qui frappent l’imagination mais laissent soigneusement de côté les fondements dogmatiques : mariage des prêtres, ordinations des femmes, statut des homosexuels, justice sociale… Marginaux, ces terrains de lutte ne le sont assurément pas puisqu’ils touchent à la vie réelle des gens réels. Mais ils ressemblent un peu à un vol de mouches au-dessus du miel de la réflexion fondamentale.

          Cette réflexion fondamentale progresse pourtant. Des spécialistes non-théologiens (historiens, exégètes), juifs, protestants, catholiques, travaillent avec acharnement, et leurs résultats vont tous dans le même sens : la redécouverte du Jésus de l’Histoire derrière le Christ de la foi (et de l’Église). Leurs travaux sont publiés à un rythme soutenu, accessibles à tous. Mais d’abord, ils sont d’un niveau technique élevé, comme il se doit : il faut, pour en prendre connaissance, fournir un effort dont tous n’ont pas la possibilité ou le temps.. Ensuite, les Églises font tout pour les marginaliser (1) : le « chrétien moyen » n’en entendra jamais parler dans sa paroisse, et encore moins les enfants dans les catéchismes.

          Pourtant, la personne de Jésus continue d’attirer ou de fasciner, bien au-delà des Églises institutionnelles ou des cercles de croyants. Fin 2006, une enquête La vie-CSA montrait que pour 95 % des français – et pas seulement des catholiques ! – la personne et la figure de Jésus restent une référence fondatrice de notre identité culturelle et de notre civilisation. Alors que pour 51 % des catholiques (et une large majorité des français) ce même Jésus n’est plus perçu comme un dieu ressuscité.

L’Église a donc perdu son monopole sur Jésus : il demeure une référence incontournable, mais on ne sait plus qui il est.

          L’illustre inconnu, l’inconnu indispensable.

III. Ce qui est en train de « bouger » 

          Il n’y a pas que le Da Vinci Code : des dizaines, des centaines de livres paraissent depuis 10 ou 15 ans, destinés au grand public, autour de la personne de Jésus. Et des films à succès, des télé-films, des télé-documentaires, des séries télévisées… Vous avez forcément vu l’une ou l’autre, lu l’un ou l’autre.

          Un raz de marée médiatique, un véritable « phénomène Jésus ».

          Qui confirme ce que nous disions plus haut : d’abord, la personne de Jésus – le Jésus réel, le Jésus de l’histoire – fascine les foules. Ce phénomène est absolument nouveau dans l’histoire de l’Occident. Pendant 18 siècles, tout l’effort des théologiens et des Églises pour lesquelles ils travaillaient a été d’imposer la figure mythique du Christ-Dieu. Initiée timidement par Reimarus au XVII° siècle, la quête du Jésus de l’Histoire – Jésus tel qu’en lui-même – est un phénomène totalement nouveau, par l’ampleur qu’il a pris.

          Ensuite (et c’est un corrollaire), ce phénomène met en lumière l’échec et la fin des vénérables Églises traditionnelles. Il montre bien que ce qu’il nous faut, ce n’est pas une avancée sur le mariage des prêtres, ou tel autre point mineur : c’est une refondation du christianisme, dont l’énormité de ce phénomène récent, mais planétaire, montre à la fois l’urgence, et la possibilité.

          Hélas, la grande majorité de ces romans, de ces films ou télé-films autour de Jésus n’ont rien à voir avec les travaux des véritables spécialistes. Ils exploitent des fantasmes commerciaux (Marie-Madeleine concubine de Jésus, Jésus terroriste ou doux rêveur…) qui sont extrêmement rentables. Mais fourvoient le grand public (qui gobe l’appât avec gourmandise) sur de fausses pistes, ou dans des impasses. L’argent n’a pas d’odeur, et le parfum de la vérité est fragile.

          Il n’empêche : des foules considérables (le « peuple ») s’habituent, à travers des romans de caniveau ou des films racoleurs, ils s’habituent à entendre parler de Jésus autrement. Si les réponses (quand il y en a !) sont misérables, les questions posées sont justes, et elles tournent autour d’une seule : mais enfin, qui était Jésus ? Posant les vraies questions sans pudeur, ou même avec impudeur, ces « coups » médiatiques auraient été impensables il y a 40 ans. Leur succès est une brèche dans l’édifice immuable des dogmes fondateurs de l’Occident.

          Cette brèche, il faut s’y glisser. J’ai tenté de le faire avec un roman d’action, Le secret du 13° apôtre : on y trouve toutes les ficelles du Thriller, et j’en demande pardon. Mais la base historique est vraie, fondée sur les travaux des exégètes. Ce roman est traduit en 16 langues pour 17 pays : ceux qui le liront ne seront pas emmenés dans le fossé. Le divertissement, j’ai tenté de le mettre au service de la vérité, ou du moins de sa recherche honnête.

          C’est donc en-dehors des Églises, en-dehors même des groupes de « chrétiens critiques », que les choses bougent. Et peuvent bouger dans le bon sens, s’ils sont plus nombreux ceux qui utilisent l’appétit du public sans jamais cesser d’aimer et de respecter la personne et la personnalité de Jésus, l’inconnu des temps modernes.

                                                M.B., juillet 2007

(1) John P. Meier, l’un des plus remarquable de ces exégètes vivants, a dû faire une conférence dans une université américaine pour se justifier des attaques de l’Église catholique contre sa méthode de travail et ses résultats.

REDEVENIR CHRÉTIEN ? Le livre de J.C. Guillebaud

          Écrit de façon agréable, comme un témoignage personnel, le livre de J.C. Guillebaud (1) a pour ambition de montrer en quoi le christianisme, loin d’être une « chose morte », est et reste un fondamental vers lequel il nous faudrait aujourd’hui revenir.
          Il décrit trois cercles, et comment il les a franchis l’un après l’autre.

I. Le premier cercle

          « Le christianisme », disent ses détracteurs, « n’a plus rien à dire sur le monde du XXI° siècle… Historiquement estimable, il n’a plus voix au chapitre. Or, je suis convaincu du contraire » (p. 23).

         Pourquoi ?
          Parce que « au cœur même de cette modernité sécularisée, que nous croyons agnostique et même agressivement antichrétienne, la trace chrétienne » est profondément présente (p. 57). Dans un vaste panorama, Guillebaud montre comment tout ce qui a nourri l’Occident – la place de l’individu et sa valeur unique, l’aspiration égalitaire, l’espérance d’un progrès, l’émergence de la science… vient en fait du christianisme. A été profondément digéré par ceux-là même qui rejettent leur source chrétienne.
          L’Occident serait donc malade parce qu’il a perdu la trace du phénomène qui l’a fondé dans son identité : le christianisme.
          Je partage ce constat, qui est une évidence historique. Mais voudrais faire remarquer que c’est une forme particulière de christianisme qui a triomphé de toutes les autres, entre la fin du I° et – disons – la fin du IV° siècle. Et qui en a triomphé par la violence morale, intellectuelle, dogmatique, parfois physique.
          Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire.

II. Le deuxième cercle

Ce serait celui de la subversion évangélique. En quoi réside-t-elle ? Dans le fait que le sacrifice, commun à toutes les religions anciennes, n’est plus le triomphe du sacrificateur sur la victime coupable. La victime sacrifiée (Jésus) est innocente, en lui la persécution sacrificielle est abolie. « Avec le christianisme, le discours des accusateurs est subitement retourné » (p. 107).
          La subversion du christianisme, ce serait donc la résurrection du Christ qui condamne à tout jamais la folie accusatrice des hommes. On reconnaît là le message de Paul, qui bâtit tout son édifice sur la mort et la résurrection d’un homme qu’il n’a pas connu. Emporté par son propos, Guillebaud écrit que « Des témoins ont « constaté » la résurrection », alors que la résurrection, justement, n’a été vue par aucun témoin. Alors qu’elle est une construction de l’esprit, Paul s’appuyant sur l’annonce malhabile faite par Pierre (Ac 4,2) pour construire une théologie de la mort salvatrice, de l’échappée belle par la résurrection, qui est encore aujourd’hui celle des chrétiens.
         Puis, de Justin l’apologiste (II° siècle) à Nietzche, quantité de philosophes sont appelés à la barre.
          Jusqu’à ce qu’enfin l’auteur affirme l’importance du judaïsme, d’une judaïté originelle du phénomène chrétien, oubliée pendant des siècles, dont la redécouverte affleure tout au cours de ces deux premiers cercles de son cheminement.

III. Qu’est-ce donc que le troisième cercle ?

          C’est celui de l’aboutissement, de l’acte de foi comme décision volontaire, la foi affirmée au-delà des « hommeries » de l’Église. Guillebaud fait le choix de croire, de donner son assentiment au christianisme malgré la « clôture dogmatique, l’arrogance cléricale » (p. 175).
          Et sa récompense, c’est de se sentir réchauffé par la chaleur du petit cocon des autres croyants. Partager leur « sensibilité particulière », leur « part d’émotivité », cette « familiarité indéfinissable que j’éprouve à me retrouver parmi des chrétiens ou des juifs » (p. 180)

          Je respecte bien évidemment le cheminement particulier, à la fois intellectuel et émotif, de J.C. Guillebaud. Mais je ne crois pas que ce soit là le cheminement d’un âge post-chrétien – le nôtre.
          Pourquoi avoir reconnu la judaïté de Jésus, et ne pas en tirer les conséquences ? Si Jésus est juif, alors les Évangiles sont des textes juifs. Son enseignement est celui d’un juif. Pour le comprendre tel que Jésus l’a donné tout en le vivant, il faut le resituer dans le judaïsme qui fut le sien, celui du I° siècle. Au lieu de se perdre dans le désert infini des philosophes, à commencer par Paul…
          Regarder Jésus vivre, aller et venir, rencontrer des souffrants : leur fait-il des discours ? Exige-t-il d’eux la « décision volontaire de la foi » ? Non. Il leur demande s’ils ont confiance en lui. « Crois-tu que je puis faire cela (te guérir) ? » Si tu as confiance dans cette personne qui est là devant toi, ce juif itinérant au message totalement subversif pour sa société, son clergé, ses rites juifs, alors tu es guéri : viens, et suis-moi.

          La faillite du christianisme, son effondrement tragique en ½ siècle, vient de son éloignement constant de la personne de Jésus, transformé en Christ ressuscité. Devenu prétexte et alibi pour la construction d’un édifice dogmatique – qui appartient bien à l’Histoire.
          L’Église ne fera jamais machine arrière : ce serait renoncer à trop de pouvoirs, trop de conforts, trop d’illusions si longtemps enseignées comme vérités.
          La personne de Ieshua Ben-Joseph (Jésus, fils de Joseph) pourra-t-elle devenir le point de ralliement de ceux qui ont soif, et que le christianisme a déçus comme déçoit une eau trompeuse ?

                        M.B. Septembre 2007


(1) Jean-Claude GUILLEBAUD, Comment je suis redevenu chrétien, Albin Michel 2007.

CHRISTIANISME : SE RELEVER DE SES CENDRES ?

          Entendu hier le sociologue Boris Cyrulnik commenter son dernier livre, sur la résilience.

          Qu’est-ce que la « résilience » ? En physique, c’est la capacité des aciers à conserver leur intégrité après avoir subi des chocs. Analogiquement, c’est la capacité, pour un individu, à se relever d’un échec grave, à repartir après avoir frôlé la mort physique ou l’anéantissement psychologique ou mental. « Résilience » a la même racine que « résistance ».
          Cyrulnik donne comme exemple les rescapés des Camps de la mort, ou les génocides récents.
          On lui pose la question : « La résilience individuelle peut-elle s’appliquer de la même façon à des groupes humains, à des communautés, voire à des nations ? »
          Oui, répond-t-il : exemple certains peuples, récemment soummis à des guerres qui avaient pour but de les exterminer, et qui s’en sont sortis mieux que d’autres, lesquels avaient pourtant connu une épreuve comparable à la leur.

          On lui pose alors la question : « Dans le cas d’une communauté humaine, quelles sont les conditions de la résilience ? Que faut-il, pour qu’un peuple se relève de ses cendres ? »

Il faut deux choses, répond Cyrul :

 1) De la solidarité entre les individus. Qu’ils se tiennent les uns les autres, qu’ils se soutiennent (moralement, idéologiquement, matériellement), qu’ils agissent en responsabilité collective.

2) Du sens. Qu’ils comprennent ce qui leur est arrivé, et pourquoi, et comment c’est arrivé.      

          Qu’ils puissent prendre du recul et se donner de la perspective. Pour qu’une communauté entre en résilience, il faut qu’elle sache d’où elle vient, comment elle en est arrivée là, pourquoi elle est menacée de disparaître. Ayant une idée claire et juste de son passé, elle peut commencer à se demander où elle va, et en prendre le chemin.
          Pour une communauté, la claire connaissance de son histoire, son analyse honnête et sans concessions, est le préalable à toute renaissance.
          Plus on y verra clair sur le passé, mieux on l’analysera, moins on se mentira sur les raisons et les causes du déclin, et mieux – et plus vite -on y verra clair pour repartir : pour avoir un avenir.
          Une analyse lucide, courageuse, sans dérobade, du passé, est la condition nécessaire de la résilience – de la survie, de la renaissance, du redémarrage.

          J’applique cette analyse pertinente à l’Église catholique, et à la civilisation qu’elle a nourri de l’intérieur pendant 17 siècles.
          Si la communauté des catholiques (ou ce qui en reste !) demeure hypnotisée par son passé, ses références dogmatiques
          -a- Sans faire face à la réalité : l’effondrement récent qu’elle connaît
          -b- et en se contentant de répéter les slogans et les certitudes de ce passé évanoui…
Alors, il n’y aura pas pour elle de résilience : elle restera sous perfusion, alimentée par le goutte-à-goutte des certitudes figées.
          Morte, en fait, dans un monde qui vit.

          Mais si cette communauté  accepte de comprendre le sens de ce qui lui est arrivé depuis 50 ans. Remontant le temps, si elle analyse le sens des grands tournant de son histoire, c’est-à-dire la création puis la lente pétrification de ses dogmes fondateurs. Si, enfin, elle se tourne à nouveau vers Jésus pour entendre ce qu’il a dit (et non pas ce qu’elle lui a fait dire)…
          Bref, si elle cherche du sens non plus dans le retour aux certitudes qui ont prouvé leur faillite, mais dans l’analyse des événements passés, puis dans le message original du grand prophète dont elle se réclame, Jésus le nazôréen,
          Alors, elle remplit la première condition.
          Si, au lieu de condamner ou d’ignorer (ou d’étouffer) ceux qui sont à la recherche du sens, elle les écoute et répercute leurs voix, les diffusant pour qu’elles rencontrent d’autres voix, d’autres chercheurs de sens – bref, si la solidarité dans la quête de sens prend la place de l’autorité totalitaire, alors, elle remplit la deuxième condition.

          Sans recherche du sens, et sans solidarité dans son expression et sa diffusion, le catholicisme continuera d’être un mort-vivant. Et l’Occident d’être privé de référent identitaire.
          I have a dream…

                          M.B., octobre 2008

LE DISCOURS DU PAPE AUX BERNARDINS : à l’Ouest rien de nouveau.

          Dans Le Figaro du 6 septembre dernier, M. André 23 annonce le discours que le pape s’apprête à tenir aux Bernardins devant une assemblée de politiques et d’intellectuels français. Il donnera « par ce discours, l’exemple de [sa] capacité … de dialogue« . « Ce rendez-vous offre une représentation symbolique du christianisme », car « l’Église … n’est pas morte, elle vit une transition ».
          Des observateurs malveillants penseraient-ils donc que l’Église est « morte« , au point que l’archevêque de Paris croie urgent de publier qu’il n’en est rien ?
          Non, dit M. 23, l’Église  » vit une transition ». En français, revenir vers le passé se dit « rétrograder ». « Transiter », c’est toujours aller de l’avant : voyons donc, en relisant le discours du pape, vers quel avenir transite l’Église, quelle est sa « capacité de dialogue » avec le XXI° siècle, quel « christianisme elle représente symboliquement ».

          Du début à la fin, la référence qui structure le discours du pape c’est le monachisme médiéval. Tel du moins que l’a décrit le bénédictin Dom Jean Leclercq, qui fut un historien délicieusement passéiste, romantique et idéaliste.
          On peut s’étonner que le pape présente l’avenir du christianisme comme un retour à ce Moyen âge-là, et non pas – par exemple – comme un retour à Jésus. Question de présentation ? Non. Dans son discours, l’ineffable Dom Jean Leclercq est cité quatre fois, la Règle de saint Benoît quatre fois, Grégoire le Grand une fois, saint Augustin deux … Mais Jésus n’est cité qu’une seule fois : une courte parole, et pour expliquer pourquoi les moines ne dédaignèrent pas autrefois le travail manuel.
          Il fallait choisir entre un Moyen âge d’enluminures, ou bien le rabbin itinérant juif. Le choix est clair, les moyens et le terme de la « transition que vit l’Église » aussi.

Comment Dieu parle-t-il ?

          Revenu au Moyen âge, le pape pose son diagnostic : comme autrefois, l’Occident semble patauger aujourd’hui « dans un désert sans chemin, une recherche dans l’obscurité absolue » : c’est « l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes », nous sommes « dans la confusion [d’un] temps où rien ne semble résister » : pouvons-nous vivre « les yeux tournés vers la fin du monde ou vers [notre] propre mort » ?
          Non. Comme les moines d’antan, pour survivre il nous faut, « derrière le provisoire, chercher le définitif »
          Chercher le définitif, c’est-à-dire chercher Dieu.

          Or « Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, il a aplani la voie », et « cette voie était sa parole ». Dans le chaos que nous connaissons, un seul point d’ancrage stable : ce que pense Dieu. Et ce que Dieu pense, il l’a dit dans des paroles.
          Ces paroles, les recevons-nous directement de la bouche de Dieu ? Non, dit le pape :  » Dieu parle seulement dans l’humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire« . 
          Paroles des hommes, parole divine ?
          Non : le pape distingue les paroles (humaines) et La Parole – « Parole » avec un P majuscule. Pour lui La Parole est une entité indépendante, elle existait avant que commence l’Histoire : « Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même » : et cette Parole, elle « crée l’histoire ».
          Donc les humains n’écrivent pas une Histoire, la leur : c’est La Parole qui crée l’Histoire. Autrement dit, les humains accouchent d’une Histoire dont ils n’ont pas la paternité, leurs histoires successives écrivent un texte dont ils ne sont pas les auteurs. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est chercher, dans l’illusion d’une Histoire dont ils croient être les acteurs, un sens et une direction fixés par-avance.
          L’homme n’a pas à se comprendre à travers son histoire, mais à comprendre le dessein de Dieu dans l’Histoire.

Le fondamentalisme chrétien

          « La Parole de Dieu nous parvient seulement à travers des paroles humaines : la Bible est un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur plus d’un millénaire… des tensions visibles existent entre eux »
          Prendre ces textes à la lettre, les lire comme si c’était Dieu qui parle directement en eux, c’est « ce qu’on appelle aujourd’hui le fondamentalisme« , et cela conduit au « fanatisme fondamentaliste ».
          Allusion au fondamentalisme musulman : pour l’islam en effet, le Coran existe en lui-même, « au ciel », dans la pensée de Dieu, et n’a fait que « descendre » dans l’oreille d’un Muhammad inculte, qui l’a écrit sous la dictée d’un ange.
          Pour se démarquer de l’ennemi héréditaire (l’islam), et du redoutable concurrent d’aujourd’hui (le fondamentalisme évangélique), le raisonnement du pape est formulé dans une langue de bois qui est un chef d’œuvre de noyade des idées : une carpe n’y retrouverait pas ses alevins. Tâchons d’aller à la pêche de ce qui est dit, dans une mare de mots.

          « L’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire d’une façon moderne (sic) : le caractère divin des paroles [de la Bible] n’est pas saisissable d’un point de vue purement historique »
          Autrement dit, la lecture historico-critique de la Bible, officialisée par Pie XII en 1943, à l’origine d’un immense renouveau des études, n’est pas condamnée : simplement, elle est nulle et non-avenue.
          Car pour le pape citant Augustin, « la lettre enseigne les faits ; l’allégorie, ce qu’il faut croire ». Autrement dit, les faits (la réalité) sont une chose, mais la foi en est une autre.
          Ce qu’il faut croire (car c’est une obligation) ce n’est pas la réalité des faits.
          Maintenant, suivez bien, j’extrais le poisson de la mare :

          « Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation »
          Et qui donc interprète ? C’est « La communauté où s’est formée [l’Écriture] et où elle est vécue. En elle seulement… se révèle le sens » des paroles humaines consignées dans la Bible. « Il existe des dimensions du sens des paroles, qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire »
          Ce que dit le pape, c’est

1- Que Dieu parle à travers les faits de l’Histoire humaine, qu’il s’exprime à travers les paroles humaines de ceux qui ont vécu cette Histoire.

2- Mais que ces faits n’ont pas de réalité signifiante.

3- Et que ces paroles humaines ne signifient pas ce qu’elles signifient.

4- La réalité des faits, et les paroles qui l’expriment, ne prennent leur sens que quand ils sont interprétés.

5- Et celle qui est seule habilitée à interpréter, c’est l’Église. Jamais le pape n’emploie ce terme : il parle de « communauté » ou de « communion ».

          La boucle est bouclée : c’est l’Église qui donne leur sens aux paroles et crée la vérité de l’Histoire.
          L’Église : c’est-à-dire son magistère, et le pape en premier lieu.

          Le « fanatisme fondamentaliste » qu’il dénonce, c’est de prendre les Écritures à la lettre. Le fondamentalisme chrétien qu’il officialise, c’est de rejeter la réalité historique des Écritures pour lui substituer l’interprétation humaine d’un magistère, qui possède seul le pouvoir d’interpréter.
          Mater et Magistra : l’Église est mère, elle enfante le sens et la vérité. Mère dominatrice (Magistra) : elle impose son sens et sa vérité.

          C’est dans une autre partie du discours qu’il faut pêcher la confirmation du magistère de l’Église sur la vérité : « La foi… relève du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes » (voir Qu’est-ce que la vérité ?).

          Saluons au passage cet art magique de la noyade du poisson : nos intellectuels, sagement assis devant le magicien dans la salle des Bernardins, n’y ont vu que du feu.

La création continue

          J’irai plus vite sur le deuxième point-clé abordé par le pape : il est en cohérence parfaite avec ce qui précède.
          « Dieu est le créateur, dit-il : il travaille, il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. La création n’est pas encore achevée ! »
          Cette conception de la création continue constitue le fond de commerce inaltérable des Églises : si Dieu continue d’être à l’œuvre dans chacun des événements de l’Histoire, depuis notre vie quotidienne jusqu’à l’évolution de la planète, il importe de se trouver du bon côté. De pouvoir influencer Dieu, d’avoir prise sur lui afin de l’inciter à ménager ceux qui savent le reconnaître, et qui peuvent l’invoquer. Il faut avoir le pouvoir de faire changer Dieu d’avis, ou de décisions, pour qu’il « œuvre » dans le bon sens, le nôtre.
          Et c’est l’Église qui a ce pouvoir, puisqu’elle est l’unique médiatrice entre Dieu et les hommes.

          Ainsi, non seulement l’Église recrée l’Histoire à sa guise (par son interprétation des paroles du passé), mais elle est co-créatrice de l’Histoire en train de se faire, par son pouvoir d’influencer le « travail de Dieu dans la création inachevée »

          Quand, comme Dieu lui-même, on crée l’Histoire et la Parole (le sens de l’Histoire et le sens des paroles), l’avenir vers lequel on est en transition s’annonce en effet aussi glorieux que le passé.

          Jésus, reviens, ils sont devenus fous…

                   © M.B., 28 oct. 2008

UNE ÉGLISE PEUT-ELLE SE RÉFORMER ? Robert Hue quitte le PCF

            En démissionnant avec fracas (Le Parisien, 29 nov.) du directoire du Parti communiste, Robert Hue projette sur le catholicisme une lumière inattendue.
          L’ancien dirigeant suprême du PCF confesse :  » j’ai tenté de conduire une mutation, dont j’espérais qu’elle permette à notre Parti de retrouver une réelle influence dans la vie politique française. Cette mutation a échoué… Je l’ai fait parce que j’y croyais, même si le doute m’habitait parfois… Désormais – en dépit de la richesse humaine et du dévouement des milliers de militants communistes – je ne crois pas que le Parti soit réformable« .

          Et il écrit à Marie-George Buffet : « A propos du communisme, plutôt que de s’enfermer dans le fétichisme d’un mot », il faut reconnaître « que ce mot a été malheureusement souillé, aux yeux des peuples, par les erreurs commises en son nom ».
          Son amer constat, c’est « l’impossibilité du Parti à s’auto-transformer : je serai communiste autrement ».

           Mutatis mutandis, cette analyse lucide s’applique à l’Église catholique.

          Elle aussi, c’est un grand « parti », avec des militants, des dogmes fondés sur une utopie. Après la Révolution, les lendemains qui chantent. Après la mort, le bonheur éternel : utopie vient du grec ù-topos, « nulle part », et de nù-topos, « lieu de bonheur ». La vie présente, dans le monde tel qu’il est, n’est qu’une somme de souffrances : vivons-la tant mal que bien, animés par l’espérance d’un lieu de bonheur futur – la société sans classes d’un côté, le paradis des Apocalypses de l’autre.

          Le Parti communiste était la structure, sociale et mystique, qui devait apporter ce bonheur ici et maintenant. Constatant qu’il ne menait nulle part – ù-topos – Robert Hue a « tenté de conduire une mutation » de cette structure, et « cette mutation a échoué ». Mais il va plus loin : « Je ne crois pas que le Parti soit réformable…, il est dans l’impossibilité de s’auto-transformer ».

           L’Église catholique a toujours faite sienne la fière devise de la Chartreuse : Numquam reformata, quia numquam reformanda. Elle n’a jamais été réformée, parce qu’elle affirme n’avoir jamais eu besoin de réforme.

          En 17 siècles, il y a bien eu trois tentatives de réforme : la réforme carolingienne, qui consacra l’adoption d’une théocratie durable (l’Église et l’État ne font qu’un). La contre-réforme, qui fut – comme l’indique son nom – une réaction à Luther par la réaffirmation des fondamentaux catholiques. Vatican II, enterré en quelques années par Jean-Paul II.

          L’Église ne peut être réformée en profondeur, sinon elle l’aurait fait depuis longtemps. Il faut le savoir, et ne rien espérer d’impossible : si elle n’est « nulle part », l’utopie n’est certainement pas dans une Église, ou un quelconque Parti.

           « En dépit de la richesse humaine et du dévouement des milliers de militants », se désole Robert Hue. Eux aussi ils sont là, les fidèles catholiques : généreux, idéalistes, désireux de croire. Que faire d’eux ? Ils ne sont pas aveugles, ils voient que la route est barrée, seulement ils se trompent d’obstacles.

          L’obstacle ce n’est pas le célibat des prêtres, mais l’existence d’un sacerdoce hiérarchique. Ce n’est pas le manque d’engagement aux côtés des exclus, mais la lourdeur d’une institution fondée (dès son origine) sur l’exclusion. Ce n’est pas l’ordination de femmes-prêtres, mais le mépris des femmes (dès l’origine). Ce n’est pas la foi mise en danger, mais l’accent mis (dès l’origine) sur la pratique des sacrements, au détriment d’une spiritualité qu’on ignore ou qu’on réserve à quelques mystiques – regardés de travers. Ce n’est pas telle ou telle politique, mais (dès l’origine) la fascination pour « César », quelle que soit la couleur de sa toge.

           Déçu, désabusé, Robert Hue refuse de « s’enfermer dans le fétichisme du mot communisme… souillé par les erreurs commises en son nom »
          Il y a un fétichisme des mots « christianisme », « chrétien », au nom desquels bien des erreurs ont été commises. Hélas – déjà Épiphane de Salamine le regrettait au IV° siècle – il n’existe pas de mot « Jésuisme«  pour qualifier ceux qui ne sont plus juifs, et ne veulent pas être chrétiens. Qui ne veulent que suivre Jésus.
         Les ruines du christianisme annoncent-elles la naissance du « Jésuisme » ? D’une religion conforme à ce que Jésus le nazôréen a été, a fait, a voulu faire ? Une chose me semble sûre en tout cas : ce que Jésus prêchait n’avait rien d’une utopie.

          Les humains étant ce qu’ils sont, peuvent-ils se passer de fétiches et d’utopie ? Suffit-il de dire qu’on sera « chrétien autrement » – ou « communiste autrement » ?

          Certes, quelques-uns ont toujours su rencontrer Jésus tel qu’il fut. Mais « le peuple » ? Il n’a ni le temps, ni les moyens, ni la force de se lancer dans une aventure solitaire.

          Je ne doute pas que Robert Hue saura être « communiste autrement », après avoir quitté le système qu’il a dirigé pendant dix ans. Mais les petites gens, les humbles, qui n’ont ni sa culture, ni son expérience, ni ses cicatrices ?

          « Voyant qu’ils étaient comme un troupeau sans berger, écrit Marc, Jésus fut bouleversé dans ses entrailles »

                                          M.B., 30 nov. 2008

INUTILE RÉSURRECTION

          Il y a 50 ans, le pape Jean XXIII décrétait l’ouverture d’un concile œcuménique. La nouvelle parût sensationnelle, et elle l’était : on sentait bien que l’Église catholique, encore triomphante, était déconnectée de la marche du monde.
          A l’ouverture de la 2° session, le tout nouveau pape Paul VI décréta que ce Concile serait exclusivement pastoral. C’est-à-dire qu’il laisserait de côté les questions dogmatiques fondamentales : la résurrection, l’incarnation.
          Depuis, il n’est plus question que de l’accessoire : mariage des prêtres, ordination des femmes, contraception, messe en latin, intégristes ou non, préservatif ou non… 
         
          Il faut aller au fond du malaise : la question de la résurrection. Lire la suite

ÉLECTION D’UN NOUVEAU PAPE : que faut-il en attendre ?

Un nouveau pape est appelé à régner : seule une minorité de catholiques convaincus devrait se sentir concernée par cette élection, et pourtant elle fait la Une des médias du monde entier. Ce qui montre à quel point le lobby catholique est encore puissant sur la planète.

J’ai montré ailleurs (1) combien cette puissance est fragilisée par l’évolution récente du monde.

Comme les précédentes, l’élection va se jouer autour du rôle de la Curie Romaine. Depuis mille ans, c’est elle qui détient le véritable pouvoir dans l’Église. Le pape Paul VI, qui en était issu, s’est montré capable de la contrôler – grâce à quoi il a pu mener à terme le Concile Vatican II, auquel elle était farouchement opposée.

Naïvement, son successeur Jean-Paul Ier a déclaré en montant sur le trône de Pierre qu’il avait l’intention de la réformer : quelques semaines plus tard, il mourait dans son lit de façon inexplicable, et jamais expliquée.

De même qu’un musulman qui s’attaque au Coran doit mourir, un pape qui s’attaque à la Curie ne peut pas survivre. On ne plaisante pas avec les assises d’un pouvoir planétaire.

Le nouveau pape va-t-il tenter de réformer la Curie ? C’est là-dessus que se jouera l’élection. Si c’est un italien, les curialistes pousseront un ouf de soulagement. Si c’est un ‘’étranger’’, pour pouvoir être élu il devra leur donner des gages de non-nocivité, et ensuite il sera étroitement surveillé par eux.

Réformer la Curie ? Ce serait transformer une monarchie aristocratique en démocratie. Le Concile Vatican II avait ouvert la porte, en instaurant des Synodes qui devaient prendre collégialement les grandes décisions. Avec brutalité, le pape Jean-Paul II a claqué cette porte. On trouvera dans ce blog (cliquez) la recension du livre bouleversant de Mgr Weakland, témoin de la ‘’reprise en mains’’ du pouvoir par la Curie à partir de 1980 sous l’autorité du pape polonais.

Une réforme en profondeur de la Curie est impossible. On ne réforme pas une monarchie absolue, il faut pour cela une Révolution qui détruise tout l’ordre ancien et coupe la tête du Roi. Au mieux, le nouveau pape fera un nettoyage de surface, repoussera la poussière sous les meubles. Des déclarations, quelques gestes symboliques. Il tentera d’assainir les finances vaticanes, répètera que le clergé doit être vertueux et respecter ses engagements de chasteté – que bien évidemment il ne remettra pas en cause, etc.

Suffirait-il d’ailleurs de réformer la Curie pour que l’Église catholique redevienne ce qu’elle prétend être, un ferment dans la pâte, une force alternative capable de contrebalancer la mondialisation avec son mépris des valeurs humaines, son règne absolu du plus fort et du plus riche ? Par cette réforme, le nouveau pape pourrait-il redonner vie à l’Église, pour qu’à nouveau elle entraîne derrière elle une humanité désorientée, en quête de sens ?

L’observateur qui prend du recul le sait : la vraie cause du déclin du catholicisme est ailleurs. Elle n’est ni dans la corruption du Vatican, ni dans le célibat des prêtres, la condamnation du préservatif et autres muletas qu’on agite sous le nez des gens pour détourner leur attention.

La vraie question, c’est que l’imposant édifice des dogmes catholiques n’est plus crédible. Il repose sur une physique et une métaphysique dont nous savons depuis longtemps qu’elles ne correspondent plus à la réalité.

La pensée catholique ne rend plus compte du réel, là est le drame profond de l’Église.

Dans tous les domaines qui commandent nos vies – physique, astrophysique, biologie, philosophie, sociologie, morale -, l’Église n’a plus rien à dire : elle répète, et elle se répète. Ses dogmes et leurs applications pratiques, les sacrements, lui viennent de l’antiquité et du Moyen âge. Elle n’a pas pu, elle ne peut pas, elle ne pourra jamais remplacer par un autre ce socle sur lequel repose son identité profonde.

Le résultat, ce sont des catholiques déboussolés, des ex-catholiques désabusés, et une grande majorité d’incroyants qui ne s’intéressent qu’à l’aspect people d’une institution dont ils n’attendent rien, depuis longtemps.

On dit parfois : « Mais, et l’Afrique, et l’Amérique latine ? Là, le catholicisme est encore vigoureux ! » C’est faux : dans ces pays, les évangélistes américains taillent des croupières à l’Église catholique, qui s’en inquiète. Et leur piété populaire, dont elle est si fière, est fortement imprégnée d’un paganisme religieux à travers lequel ces peuples, superficiellement évangélisés, expriment leur besoin de surnaturel. Dans la réalité vécue, on est bien loin de la pureté doctrinale dont se réclame l’identité catholique !

Qu’attendre d’un nouveau pape ? Pas grand-chose. Si par hasard il était conscient de la véritable nature du défi qu’affronte l’Église depuis plus d’un siècle, et de sa profondeur – défi auquel elle n’a jamais su répondre -, il lui serait impossible d’y faire face, et d’y répondre.

Car ce n’est pas de réformes qu’aurait besoin cette institution bimillénaire : c’est d’une refondation.

Ou plutôt, de se souvenir qu’elle n’a jamais été fondée par Jésus le nazôréen, mais par des hommes qui se sont servis de son image pour établir, sur terre, le pouvoir de Pierre.

                                                 M.B., 9 mars 2013

P.S. : Si dans quelques années il s’avérait que j’ai eu tort, je serai le tout premier à m’en réjouir !
(1) Cliquez et cliquez . Voir dans la colonne de droite de ce blog les têtes de chapitre « Crise de l’Occident »  et « Le christianisme en crise »