« SOUMISSION » de Michel Houellebecq, l’islam à St Germain-des-Près

            Que se passerait-il si l’électorat français basculait vers un nouveau parti, la Fraternité Musulmane, portant à la tête du pays un Président musulman sorti de l’ENA ? L’idée romanesque est excitante : comment la France et le monde réagiraient-ils ? Mais Soumission, le roman que Michel Houellebecq vient de concocter sur cette idée, est navrant.

            Pourtant ça part bien : un universitaire, spécialiste de Huysmans, raconte comment il vit l’élection à la magistrature suprême du Président Mohammed Ben Abbes. Le narrateur ne croit pas en Dieu mais en parle beaucoup. Un de ses collègues d’université est au « front identitaire » (comprenez : le FN). Sa copine – ou plutôt, l’un des coups qu’il tire le plus souvent – est Juive et préfère s’exiler en Israël plutôt que de rester dans une France mahométane.

            Tous les ingrédients sont donc réunis pour un roman qui aborderait l’actualité la plus brûlante, l’islam de France ou plutôt l’islam en France, le FN, les Juifs, l’université, les Bobos, le peuple enfin, tous brutalement plongés dans un bain d’islam triomphant. Hélas l’horizon du narrateur se borne à un territoire qui va du carrefour Saint-Germain au Chinatown du 13e arrondissement. Il coule le plus clair de son temps – et son lecteur avec lui – à fumer et boire avec ses pairs dans des salons parisiens, avouant qu’il « se sent à l’aise dans cette ambiance éthérée, flottante, de conversation courtoise entre gens instruits. » Et s’il prend le métro, c’est pour « se donner l’illusion fugitive d’appartenir à la ‘’France qui se lève tôt’’, celle des ouvriers et des artisans. »   Mais il préfère déambuler ici et là entre des « façades délicieusement Belle Époque », effeuillant du bout des lèvres, sans s’y attarder, quelques noms de l’Olympe littéraire vénérés à la terrasse du Café de Flore. Bref, le narcissisme parisien dans toute son horreur. Il ne s’en éloigne que pour aller s’abîmer aux pieds de la Vierge noire de Rocamadour ou faire retraite à l’abbaye bénédictine de Ligugé. Là il fulmine contre son hôte, l’actuel père abbé, « l’extatique dom Jean-Pierre Longeat » qui « l’exaspère de plus en plus. T’es hors sujet Ducon, lui lance-t-il, mon désir c’est juste de me fumer une clope, tu vois j’en suis là Ducon. »

            (Il se trouve que je connais J.P. Longeat depuis quarante ans : un homme accueillant, ouvert, érudit mais simple, fin musicologue. Je sais qu’il ne portera pas plainte contre l’éditeur de Soumission pour ces insultes publiques – et Houellebecq le sait aussi. Mais passons.)

           Tandis qu’une question brûle les lunettes du lecteur : les ‘’gens instruits’’ et les autres, les ‘’vrais gens’’, comment se seraient-ils comportés dans une France musulmane ? Cette question, qui est celle du roman et aurait fait son intérêt, sous quels lambris dorés, dans quelle partouze, sur quel trottoir germanopratin l’auteur l’a-t-il égarée en chemin ?

L’obsession culomaniaque

            Quand sa copine Juive le quitte pour faire son Alya, ce dont il souffre le plus ce n’est pas de la voir partir mais d’être privé de l’inégalable qualité des pipes qu’elle lui prodiguait d’une bouche savante. Et quand ses étudiantes doivent un jour revêtir la tenue islamique dans les couloirs de la Sorbonne, c’est de ne plus pouvoir jauger leurs culs d’un regard gourmand.

            Car l’œil à travers lequel Houellebecq contemple l’humanité ne se situe pas à la racine du nez comme le nôtre, mais au milieu de sa raie des fesses. Passons encore.

            En cherchant bien, on trouve pourtant quelques pages sur le sujet qui nous passionnerait s’il était traité : Paris brusquement devenu La Mecque-sur-Seine. Ça part bien – « Le retour du religieux est une tendance profonde, qui traverse nos sociétés » -, mais ça arrive mal : « En vieillissant je me rapprochais de Nietzsche, comme c’est inévitable quand on a des problèmes de plomberie (1)… Jésus, le fondateur du christianisme, s’était plu dans la compagnie des femmes, et cela se sentait… Tandis que l’islam a des hommes pour condition première ».

           L’évidente suprématie de l’islam sur toute autre religion tient pour lui à la sélection naturelle : les mâles musulmans étant tous en compétition pour niquer des femmes offertes et soumises à leurs désirs, les meilleurs seuls l’emporteront. Ils répandront dans ces ventres anonymes une semence qui améliorera forcément la race. Ben voyons.

Soumission

            Son sujet, l’auteur le traite en deux pages (sur 300). Avez-vous lu Histoire d’O, ouvrage pornographique et sadomasochiste publié en 1954 chez Jean-Jacques Pauvert ? « Histoire d’O, confesse l’auteur, avait tout pour me déplaire : les fantasmes exposés me dégoûtaient… tout ça était complètement à chier. Il n’empêche que le livre était traversé… d’un souffle qui emportait tout ».

            Quel est ce souffle ? « C’est la soumission. L’idée renversante et simple… que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. Il y a pour moi un rapport entre l’absolue soumission de la femme à l’homme, telle que la décrit Histoire d’O, et la soumission de l’homme à Dieu, telle que l’envisage l’islam… Qu’est-ce que le Coran au fond, sinon un immense poème de louange au Créateur et de soumission à ses lois ? (2) »

            Comme dirait Houellebecq, j’en suis resté sur le cul. Trouver la source du Coran et de l’islam dans le délire érotico-sado-masochiste d’Histoire d’O, faut l’faire, j’y avais pas pensé. J’devrais quitter ma cambrousse pour fréquenter un peu plus les salons parisiens.

            Dans la dernière page, sans états d’âme et sans regrets, pour pouvoir continuer d’enseigner au sein d’une Sorbonne subventionnées par l’Arabie Saoudite le narrateur se convertit à l’islam. Fin d’un roman qui n’a jamais commencé.

Soumission : Jésus et le Coran

            Soumission : le titre était suggestif. Je pensais en l’ouvrant à quelques grands insoumis de l’histoire comme Socrate ou Jésus, qui ont préféré mourir plutôt que de se soumettre à la charia de leur temps. Jésus, le premier à définir la laïcité – « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à l’État ce qui est à l’État. » Qui traitait les femmes sur un pied d’égalité et sauva l’une d’elle de la lapidation – épisode que Houellebecq commente à sa façon : « ce n’était pourtant pas bien compliqué, il suffisait d’appeler un enfant de sept ans – il l’aurait lancée, lui, la première pierre, le putain de gosse. » Passons, passons vite.

            Je pensais à Jésus l’insoumis, et qu’en effet islam veut dire soumission : « En vérité la religion, aux yeux de Dieu, c’est la soumission (3) ».

            Voilà à quoi je pensais en ouvrant ce roman, et au boulevard qui s’ouvrait devant Houellebecq s’il l’empruntait. Mais il s’est contenté du boulevard Saint-Germain.

            En vérité, « tout ça est complètement à chier. » Le roman de la soumission et de l’insoumission reste à écrire.

                                                                        M.B., 3 février 2015.
 (1) « Plomberie » : substantif par lequel l’auteur désigne un tuyau dont il déplore l’absence de rigidité.
(2) Soumission, pages 260-261.
(3) En arabe, l’islam. Coran 3, 19.

15 réflexions au sujet de « « SOUMISSION » de Michel Houellebecq, l’islam à St Germain-des-Près »

  1. Jean Ratte

    Bonjour Michel

    Je ne fais pas de commentaires, j’aimerais seulement savoir ce que vous pensez de Tariq Ramadan.
    Est-ce qu’il est en accord avec l’idéologie des Frères Musulmans ?
    Quelle tendance il représente dans l’islam ?

    Vous le citez quelque part dans votre blog, mais je retrouve pas la page

    Merci

    Bonne continuation

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je connais mal T. Ramadan et les mouvances islamiques (ce n’est pas mon objet d’études). L’opinion que j’ai de lui : un FoQ de 1re !
      M.B.

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  2. Jean

    bonjour
    attention, le point de vue du narrateur n’est pas celui de l’auteur, Houellebecq l’a redit récemment. Vous ruinez vos commentaires.
    Mais vous avez parfaitement le droit de dire, en l’argumentant, qu’il n’a pas traité le sujet.
    Je suis au début du livre ; c’est vrai, je suis agacé des pipes qu’il laisse en chemin comme les pierres du petit Poucet. Il raconte « la désillusion » qu’il trouve dans le milieu universitaire. Peut-être est-ce cela le sujet du roman ? Pas la soumission.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      « le point de vue du narrateur n’est pas celui de l’auteur, Houellebecq l’a redit récemment » : cela prouve l’hypocrisie (et le manque de courage) de Houellebecq. Dans un roman, le narrateur à la 1° personne exprime toujours le point de vue de l’auteur. De même les déclarations prêtées aux protagonistes, sauf si l’auteur prend le soin que lui (ou le narrateur) désavoue ces déclarations.
      Un roman, c’est fait justement pour faire dire à des personnages fictifs ce qu’on pense ou ressent.
      M.B.

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      1. Jean Roche

        Je sais que c’est anecdotique, mais dans un des plus célèbres romans d’Agatha Christie le narrateur se révèle à la fin être l’assassin…
        Cela posé, j’ai essayé de lire Houellebecq et l’ai trouvé malsain. Mais je n’oublie pas pour autant qu’il a subi un procès pour islamophobie et s’en est sorti en arguant que « une religion n’est pas une race, on peut en changer… ».

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Mais le narrateur de « Dix petits nègres » ne désavoue pas l’assassin, il est de son côté.
          Si j’ai bien compris, Houellebecq est pantaphobe et exclusivement Houellebecqophile !
          M.B.

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  3. Jean-Baptiste F

    Cher Michel,

    J’hésitais encore ce début de semaine quant au fait de me délester ou non de quelques pièces sonnantes et trébuchantes, aux fins de prendre possession de cet ouvrage dont la lecture du synopsis m’avais laissé, comme vous sûrement, entrevoir le développement d’idées plus que prometteuses.

    Votre commentaire, sans appel, ne me surprend pourtant pas.

    En effet, l’homme qui, par son travail et avouons le par chance qu’il a su saisir, atteint son but (au cas d’espèce, être un écrivain aimé du grand public et reconnu par ses pères), a malheureusement tendance à se laisser aller, porté par une gloire bien confortable.

    Le seul nom de l’individu permet de vendre, alors pourquoi faire l’effort de creuser des sujets qui n’intéresseront de surcroît qu’une minorité d’entre nous?

    Notre société actuelle tente désespérément de combler l’absence de spiritualité qui la ronge de l’intérieur par l’absorption toujours plus importante d’émotions fortes, peu importe la qualité de ces dernières. A vous lire, Houellebecq semble avoir fort bien saisi cela.

    Je vous remercie encore pour ses quelques lignes qui me permettront d’économiser du temps et de l’argent. :-)

    Amicalement,

    Jean-Baptiste F.

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  4. Jean Roche

    Socrate n’est pas forcément un bon exemple. Il a surtout été condamné pour avoir inspiré les sanguinaires Trente Tyrans imposés par Sparte à Athènes après la Guerre du Péloponnèse. Dans la mal nommée « République » Platon lui fait préconiser un projet parfaitement totalitaire (c’est Karl Popper qui a relevé cela, ça doit pouvoir être « falsifiable »).

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Oui, il y a bien d’autres exemples. Mais sur le Bvd Saint-Germain, Socrate est invoqué (par des gens qui ne l’ont pas lu) comme apôtre de l’insoumission.
      M.B.

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      1. nadab

        Décidément, voilà un bon livre.
        Mais oui, les élites françaises sont ce que décrit l’écrivain. peut-êre pires encore…
        Comme je comprends aussi la déception du héros, qui est peut-être celle du romancier lui-même face à ce moine insignifiant, préoccupé de futilités comme la musique, et venu chercher dans le cloitre, comme l’écrivait Anatole France, une moindre vie et une moindre mort.

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      2. nadab

        Mais Socrate n’a pas laissé d’écrits. Ses disciples l’ont fait pour lui…
        La situation est la même que pour votre jésus à qui chacun fait dire n’importe quoi en fonction de la lecture (ou du charcutage) que l’on peut faire des témoignages plus ou moins indirects que l’on a sur lui.
        Merci, je me suis renseigné sur le moine Longeat, ce que j’ai trouvé est pire que ce que je pensais.

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