L’ISLAM EST-IL PENSABLE ? (Michel Onfray)

« Dire qu’il y a dans le Coran des sourates qui invitent à la guerre, au massacre des infidèles, à l’égorgement… [n’est pas] islamophobe, sauf à refuser que le Coran soit le Coran… Un grand nombre de sourates légitiment les actions violentes au nom de l’islam. D’autres… invitent à l’amour, à la miséricorde, au refus de la contrainte ». (1)

Bien que n’arrivant pas à la malléole (2) de M. Onfray, je me permets de pointer une lacune fondamentale de sa pensée qui vient de ce qu’il n’a pas intégré les travaux des exégètes récents du Coran. Sinon, il saurait que ce texte a été écrit à partir de catéchèses judéo-chrétiennes considérablement amplifiées aux 7e et 8e siècles par les premiers califes de l’islam (3).

Intimement mélangés en un désordre inextricable, on trouve donc dans le texte final du Coran :

1- Des citations de la Bible et des évangiles issues de milieux ésotériques qui les ont fait rejeter par l’Église chrétienne à la fin du 2e siècle.

2- Des passages inspirés du Talmud (4), ou parfois des citations textuelles comme le fameux « Quiconque sauve un homme sauve l’humanité, et quiconque tue un homme tue l’humanité. » Tout ce qui, dans le Coran « invite à l’amour, à la miséricorde, au refus de la contrainte » vient de la grande tradition juive postexilique, profondément humaniste.

3- Des passages qui reprennent la violence extrême d’un messianisme radicalisé au tournant du 1er millénaire par les Esséniens, transmise aux rédacteurs du Coran par des judéo-chrétiens nazôréens et amplifiée ensuite par des califes guerriers et conquérants.

4- Un corpus de lois civiles et morales concoctées par ces mêmes califes, pour asseoir et justifier leur pouvoir sur les Soumis (5)

M. Onfray écrit qu’il faudrait préférer « l’islam qui prélève les sourates pacifiques à celui qui met en avant les sourates guerrières » (1).

L’idée n’est pas nouvelle, elle méconnaît le dogme fondateur de l’islam pour qui le Coran est matériellement, grammaticalement, la parole d’Allah. Au nom de quoi un croyant musulman pourrait-il décréter que tel passage doit être écarté, tel autre conservé et mis en avant ? Y aurait-il tout un pan du Coran qui ne serait pas parole d’Allah ? Blasphème impensable, mort assurée pour le blasphémateur. Tout le Coran est parole d’Allah, la moindre de ses consonnes doit être vénérée comme une incarnation du divin.

Tant que l’Oumma musulmane sera empêchée de se livrer à l’exégèse historico-critique du texte qui unit tous ses croyants, il sera impossible de penser l’islam. Comment en effet penser une religion dont le texte sacré affirme dans le même élan que les non-musulmans doivent être convertis par la violence ou exterminés au nom de Dieu, mais que ce Dieu est quand même un Dieu de tolérance, de miséricorde et de pardon ? Huile et vinaigre, le messianisme radical et la mystique judéo-chrétienne inscrits dans le Coran ne peuvent se mélanger. Et les musulmans n’ont d’autre choix que de se référer à un texte qui dit tout, et son contraire, à quelques versets de distance. Un texte incréé, transmission directe de la pensée divine au Prophète Muhammad.

Parce qu’il n’a pour seule autorité que le Coran, l’islam est impensable. Ou plutôt il ne l’est plus, depuis que la première Ijtihad (6) a été fermée et remplacée au 10e siècle  par une interprétation du texte conforme aux dogmes de l’islam, et seule autorisée.

Mais il y a une autre lacune à la pensée de M. Onfray : il ignore que le messianisme imprègne le texte du Coran du début à la fin. Annoncé dans la Bible, radicalisé en milieu judéo-chrétien comme dans l’Apocalypse chrétienne de s. Jean, le messianisme divise l’humanité en deux : d’un côté les Fils de Lumière – les messianistes. En face d’eux les autres, tous les autres, les fils des ténèbres. Qui n’ont pas d’autre choix que de se convertir ou d’être exterminés, afin de purifier l’humanité.

On reconnaît là l’obsession de pureté des Esséniens qui ont les premiers formulés ce messianisme génocidaire. Ce ne sont pas quelques sourates qu’il faudrait écarter, mais la Weltanschaaung, la vision du monde qui imprègne le Coran dont les musulmans devront s’extirper. Une vision du monde théocratique qui ne tolère qu’elle-même, n’accepte ni contradiction ni atténuation, où la religion domine la société civile, l’homme la femme, etc.

Penser l’islam, dit M. Onfray ? Et le penser comme pouvant s’intégrer, se fondre dans la pensée républicaine ? Seuls ceux qui ne savent pas lire le Coran peuvent en rêver, ou y prétendre.

                                                                                              M.B., 10 mars 2016
P.S. Nombreux article sur ce sujet au mot-clé ‘’Islam’’
(1) Michel Onfray, Penser l’islam, Hachette, 2016.
(2) Malléole : os du talon, qui n’arrive pas à la cheville.
(3) Processus que j’ai détaillé, avec ses sources, dans Naissance du Coran.
(4) Compilation de la tradition rabbinique du 2e au 5e siècle.
(5) Dans l’arabe du Coran, soumis se dit mouslim.
(6) Effort d’interprétation/compréhension du texte du Coran dans la tradition musulmane.

NAISSANCE CORAN 1COUV

13 réflexions au sujet de « L’ISLAM EST-IL PENSABLE ? (Michel Onfray) »

  1. Lucien Martin

    Je n’ai pas lu ce livre d’Orfraie et j’ai donc quelque hésitation à entrer dans sa critique.

    Simplement, pour avoir lu – à grand efforts, je dois dire car cette lecture est surprenante – le Coran, j’ai pu constater, comme tout un chacun, qu’il contient des sourates apparemment peut compatibles, en fait plutôt contradictoires. Les unes me semblent relever d’une inspiration quasi-évangélique, les autres, au contraire, relèvent d’une barbarie furieuse. Il peut ainsi apparaître que les « radicaux » ont délibérément choisi ces dernières et veulent ignorer les premières.

    Alors, question : comment peut-on comprendre que, même rédigé par plusieurs hommes sous la dictée de califes, comme vous l’expliquez fort bien, les rédacteurs du Coran n’aient pas eu conscience d’une patente contradiction ?

    J’en viens alors à tenter de la résoudre, en tout cas de comprendre : ne serait-ce pas que les dispositions « évangéliques » ne sont conçues que pour les croyants, tandis que les autres sont destinées aux « mécréants », au premier rang desquels les « associateurs ». Après tout, nos « inquisiteurs », impitoyables à tout hérétique, tout apostat, tout relaps, ne refusaient pas la bonté et la miséricorde du « Père » aux fidèles soumis à la doctrine de l’Église. Au fond, qu’est-ce qui est le plus détestable : brûler vive une personne ou la décapiter, dans les deux cas avec la plus grande publicité ? Dans une certaine logique, la contradiction se dissout.

    Vous aurez évidemment compris que je n’entends pas là excuser les bourreaux de Daech en considération des horreurs commises par l’Inquisition, mais que je suis enclin à penser « nihil sub sole » quand il s’agit de messianisme et des horreurs dont il est potentiellement porteur.

    Amicalement

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      C’est le même mécanisme pour les textes qui deviennent « sacrés » : on conserve religieusement les diverses strates de leur écriture dans le temps. Même chose pour le N.T. (Voyez « Jésus et ses héritiers »). On a conservé l’enseignement de Jésus lui-même, les malédictions aux pharisiens, la violence de l’Apocalypse. « Touche pas à mon texte », et débrouille-toi avec !
      M.B.

      Répondre
        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Bien sûr, je l’ai montré dans l’un ou l’autre de mes bouquins. Jésus était pharisien (de province), s’il avait attaqué les pharisiens (de Jérusalem) il les aurait appelés d’un autre mot, un synonyme les distinguant de ses amis pharisiens galiléens. En revanche, l’Église primitive était en lutte contre les pharisiens – sans distinction. Pour Paul, tiraillé entre son éducation pharisienne et son ambition de se démarquer du judaïsme, c’est plus complexe.
          M.B.

          Répondre
  2. JR

    Bonsoir,
    Ce qui revient le plus dans le Coran, des dizaines de fois, ce sont les menaces de supplices tous plus effroyables et éternels les uns que les autres pour ceux qui DOUTENT de ce qu’il affirme. Exemples http://daruc.pagesperso-orange.fr/divers/coranf.htm

    Si je considère, avec Carl-Gustav Jung que le fanatisme vient de la « surcompensation du doute », je n’ai pas besoin de chercher plus loin les explications de ce que la religion fondée sur le Coran, même si elle ne produit pas que des fanatiques et même si elle n’est pas seule à en produire, en produit plus que toutes les autres réunies.

    Répondre
  3. J

    « Quiconque sauve un homme sauve l’humanité, et quiconque tue un homme tue l’humanité. » Dans le Coran (5:32) cette interdiction de l’homicide est assortie de deux exceptions : les fauteurs de « nafs » ou de « fasad » (« nafsin aw fasadin », les deux au génitif). « Nafs » signifie » meurtre », il est donc légitime de tuer les meurtriers. « Fasad » est traduit par « désordre » (Kasimirski), « corruption » (Hamidullah), « sédition » etc., et est encore plus vague. Selon le sens plus ou moins large qu’on lui donne, on peut tuer n’importe qui ou strictement que les meurtriers.

    On ne peut rien faire avec le seul Coran, en tout cas pas organiser une communauté, ça n’a jamais marché et ce n’est pas faute d’essayer. Il faut un complément et le seul qui recueille l’adhésion d’un nombre conséquent de musulmans (je n’ai pas dit tous) s’appelle Sunna, et sa partie normative Charia.

    Répondre
  4. ALAIN MINMEISTER

    Merci ,
    Il n’y a pas d’autres choix que d’inviter les gens a lire le Coran !
    Pour comprendre , structurer , élaborer, une pensée personnelle !
    Je suis effaré par l’irresponsabilité des intellectuels Français .
     »il n y pas d’autorité supérieure au Coran  » alors la République !!!!!!!
     »le Coran n’est pas interprétable »
    J ‘en passe et des meilleurs ! Vous êtes meilleur spécialiste que moi ! Dite les choses plus simplement et plus fort bordel ! Vous avez cette chance et cette responsabilité !
    Alain Minmeister

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Simplifier, c’est ce que font les « intellectuels » qui ne savent pas de quoi ils parlent. Dire plus fort serait se lancer dans l’invective, heurter, insulter. Je préfère rester à ma place d’humble chercheur. Inaudible ? C’est le cas de tous les chercheurs. Comme disait Jésus, « celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » Et encore : « Nul n’est prophète en son pays ».
      Je vais publier un roman qui reprend quelques éléments de la recherche. On verra.
      Merci, M.B.

      Répondre
      1. Debanne

        Cher Michel Benoit,

        J’ai beaucoup ri en lisant votre introduction ! Ou vous faites oeuvre de modestie, ce qui est tout à votre honneur, ou alors vous prêtez des compétences élevées à un personnage pour le moins sujet à interrogations intellectuelles.
        Il serait trop long d’en développer ici tous les aspects mais quand même. Si l’on prend seulement la discipline dont il se réclame, on sait tous que la philosophie n’a jamais rien démontré, sauf la pensée de son auteur. Et la prétention à l’universel de cette discipline a depuis longtemps été prise en défaut : la « Petite poucette » de Michel Serres qui n’est rien d’autre qu’une fable ne reposant sur aucune validation par l’enquête ; un peu plus loin Jean-Paul Sartre et son fameux « Garçon de café » à qui il faisait imaginer qu’il était libre alors qu’il était déterminé socialement de la tête aux pieds ; Martin Heidegger et ses sympathies pour le nazisme ! Bref, on n’en finirait pas d’énumérer les travers négatifs de la philosophie…
        Quant en plus, on sait qu’Onfray renonce à publier son bouquin sur l’Islam, on est envahi d’interrogations supplémentaires. Il a tellement reçu de critiques argumentées et documentées sur ses précédents ouvrages qu’on peut imaginer, enfin, qu’il ne veut plus montrer ses faiblesses argumentatives et documentaires. Ou qu’éventuellement il ne veut pas se mettre à dos les musulmans… C’est moins risqué de cracher sur la droite ou sur la gauche ou Sigmund Freud…

        Non, cher Michel Benoit, vous dépassez largement la hauteur de ce personnage médiatisé à l’excès pour des raisons strictement commerciales et rien d’autre. Oui, Onfray avec ses outrances et son agressivité (il sait tout sur tout !), fait vendre des heures d’antenne…

        Les vrais penseurs-chercheurs travaillent dans le silence exigeant de leur bureau et réclament des conditions pour passer parfois à la télévision : notamment du temps pour expliquer une pensée complexe. Lui, pas du tout. Il est de toutes les émissions à grand spectacle, entre-coupées de pubs… C’est dire le niveau d’exigence intellectuelle ! Et hélas il n’est pas le seul…

        Comparaison n’est pas raison comme dit le proverbe. Continuez à nous livrer vos profondes réflexions intellectuelles. Elles nous aident à comprendre ce que nous n’avons pas le temps d’étudier.
        Au moins, vous laisserez (le plus tard possible bien entendu !) une oeuvre à la postérité…
        Tous ces zigotos du Paf, ces doxosophes, n’en feront pas autant. C’est absolument certain !

        Amicalement,
        H de D.

        P.S. Je n’ai rien contre la Philosophie, la vraie…

        Répondre
        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Ouf ! Enfin quelqu’une qui m’estime à ma juste valeur ! Vous êtes la seule, puisque moi-même…
          Merci. Oui, on va continuer, puisqu’on ne sait faire que ça.
          Amicalement, M.B.

          Répondre
          1. Debanne

            Cher Michel Benoit,

            Je ne résiste pas au plaisir de vous envoyer cette citation de Pierre Bourdieu (introduction au cours au Collège de France du 2 novembre 1982), à propos de ceux qui imaginent (vaine illusion) qu’ils peuvent proférer des « vérités premières » sur le monde social. Je pense bien sûr aux doxosophes, ou zigotos du Paf dont il était question…
            Et là c’est un sociologue qui fait la Leçon pour notre plus grand bonheur intellectuel. Il est sans aucun doute le plus grand penseur parmi nos contemporains !
            Belle leçon de science sociale et de modestie donnée aux philosophes, ou prétendus tels, de tout poil !…

            « La science du rapport savant à la pratique ne conduit-elle pas à une nouvelle forme de l’ambition hégélienne (…) ? J’indique tout de suite deux différences qui me paraissent importantes (et je crois qu’il y en a d’autres). En premier lieu, une fois qu’elle est constituée comme telle, la distinction entre le sujet savant et l’agent pratique (dans son comportement ordinaire non savant) (…), rappelle au savant qu’en tant qu’agent pratique il reste nécessairement situé dans le monde social qu’il décrit et, donc, qu’il n’a pas de position absolue, et qu’il est même vain de rechercher une position absolue. Je le précise parce que je pense que c’est une tentation permanente de la science sociale, dont Hegel a été sans doute l’initiateur (…) ».

            Vous aurez aussi facilement reconnu à travers cette citation la critique de Leibniz et de son fameux « géométral » !…

            Bien amicalement,
            H de D.

            Répondre

Répondre à Lucien Martin Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>