LE RETOUR DES GUERRES DE RELIGION : comment en est-on arrivé là ? Quel avenir pour l’Occident ?

Dans l’Antiquité, plusieurs religions sont nées autour du bassin méditerranéen – d’abord en Égypte et à Babylone, puis en Grèce et dans l’Empire romain. Ces religions étaient polythéistes, et donc naturellement tolérantes : elles acceptaient sans mal de nouveaux dieux dans leur panthéon. Chez ces anciens empires, la religion ne jouait pas un rôle moteur. Certes, elle était garante de l’identité nationale, mais son emprise sur le déroulement de la vie politique était relativement secondaire.

Tout change avec l’apparition du monothéisme. Certains ont vu en lui l’origine de la sacralisation de la violence : je vous propose d’affiner cette analyse, en commençant par le peuple au sein duquel est né le monothéisme, le peuple hébreu.

I. Les Hébreux et le premier messianisme

Le monothéisme apparaît avec Moïse au 12e siècle avant J.C., mais il n’est devenu exclusif que six siècles plus tard. En 587 avant J.C. Nabuchodonosor, roi de Babylone, investit Jérusalem, détruisit son Temple et déporta la population au bord de l’Euphrate. Transplantés dans un monde qui leur était étranger, les Juifs se trouvèrent face à un grand danger : être assimilés. Disparaître, par dilution, dans la prestigieuse culture et la religion d’une civilisation qui était bien supérieure à la leur.

Subissant ainsi la première solution finale d’un peuple juif à peine né

Pour continuer d’exister, ils reprirent des traditions orales qui circulaient depuis longtemps de bouche à oreille dans le désert, et ils les mirent en forme : ce fut la Torah, récit légendaire qui couvre la période allant de la Création du monde au roi David (1000 av. J.C.). De ce David, ils firent le fondateur d’un royaume mythique qui s’étendait du sud de la Syrie au Sinaï : la Terre du Grand Israël ou Héretz Israël.

Il faut se mettre à la place de ces exilés, qui ne rêvaient que de revenir à Jérusalem et d’y reconstruire leur Temple, le seul lieu où ils pouvaient rencontrer Dieu pour être lavés de leurs péchés. Dans leur imaginaire, David devint le prototype du héros national juif, guerrier royal et conquérant. Dans un psaume de la Bible, Dieu lui dit : « Tu es mon fils, je te donnerai les nations en héritage. » Et dans un autre : « Oui, ceux que Dieu bénit possèderont la terre. » Notez bien qu’ici, « les nations » désigne seulement les voisins d’Israël et « la terre », seulement le territoire d’Héretz Israël.

Fils adoptif de Dieu, David devint l’étendard mythique d’un peuple humilié par l’exil. Les Juifs se persuadèrent qu’un jour, un nouveau David, oint par Dieu comme lui, viendrait prendre leur tête pour reconquérir Héretz Israël par les armes, et rebâtir le Temple de Jérusalem

David était donc l’oint du Seigneur. En hébreu, « oint » se dit Massiah – Messie. Le messianisme, idéologie de reconquête territoriale par la guerre faite au nom de Dieu, pénétra profondément dans la conscience et la culture juive. Mais en ces débuts, l’horizon messianique juif se limitait au territoire de Héretz Israël. Son ambition de reconquête était locale, non pas universelle. L’ennemi était les nations voisines, non pas le monde entier.

II. Le messianisme radical

Du temps passe, les Juifs retournent en Israël. Au 2e siècle avant J.C., le danger pour eux ne venait plus de Babylone mais des descendants d’Alexandre, qui contrôlaient la Palestine où leurs mœurs et leur culture s’imposaient de plus en plus. Les Juifs ne risquaient plus cette fois d’être exilés à l’étranger, mais de disparaître, sans avoir quitté leur terre, digérés par un vigoureux mouvement de mondialisation culturelle : l’hellénisme.

Devenir Grecs, pour les Juifs, c’était subir l’exil d’eux-mêmes, à l’intérieur d’eux-mêmes.

En 175 avant J.C., Jérusalem fut transformée en ville grecque, ce qui déclencha une guerre civile atroce entre Juifs attachés aux traditions, et Juifs hellénisés favorables au mélange des cultures. Cette guerre ruina le pays, jusqu’à ce que Pompée s’empare de Jérusalem en -63 : la Judée perdit alors son indépendance et passa sous administration romaine. Un siècle plus tard, en 66 après J.C., les Juifs se soulevèrent contre l’occupant romain : Titus, fils de l’empereur Vespasien, détruisit Jérusalem et incendia son Temple en l’an 70.

Cette fois-ci, les Juifs comprirent que l’exil qui s’ensuivrait serait sans retour.

C’est pendant cette période troublée qu’a été écrite une littérature qu’on appelle intertestamentaire, parce qu’elle ne figure ni dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament. De nombreux exemplaires de ces textes ont été retrouvés au bord de la Mer morte, dans la bibliothèque des Esséniens de Qumrân. Ils témoignent d’une évolution radicale du messianisme juif traditionnel. Leurs auteurs pensaient vraiment « être entrés dans l’ère du Mal, l’empire de Bélial et de son hostilité, le temps de l’impiété. » « Séparez-vous des hommes pervers, disaient-ils, car la guerre est déclarée à tous ces impies, quand les Fils de Lumière exilés reviendront du désert des nations hostiles pour reprendre Jérusalem » et reconstruire son Temple. Alors, « toute ténèbre sera supprimée de sous le ciel, et la paix règnera sur l’étendue de la terre».

Pour eux Bélial, l’incarnation du Mal, était une puissance maléfique, un ennemi non plus local, mais universel. On ne négocie pas avec Bélial, on ne traite pas avec lui. Il faut lui faire la guerre, l’éliminer jusqu’à la racine – et qu’il n’en reste plus rien. Au nom de Dieu, ces messianistes-là entraient en guerre contre le reste de l’humanité : « Rassemblez vos forces pour le combat de Dieu, disaient-ils ! Car c’est aujourd’hui l’heure du combat contre toute la multitude de Bélial, la colère de Dieu sur toute chair ! » Et encore : « Ce sera l’heure de la domination pour le peuple des croyants, et de l’extermination pour les fils de Bélial. Tu poursuivras l’ennemi pour le détruire dans le combat de Dieu, jusqu’à son extermination définitive. Car l’extermination de toute nation est décidée ». (1)

Chaque mot ici compte, et chaque mot est ravageur. Les messianistes doivent se séparer physiquement du reste du monde, les « nations hostiles », et leur déclarer la guerre – une guerre totale. L’humanité se trouve à jamais divisée en deux portions irréconciliables : nous, les Fils de Lumière qui attendons le retour d’un Messie qui prendra notre tête pour purifier l’humanité, et les autres, les fils des ténèbres, qui doivent soit se convertir, soit disparaître dans un déluge de feu et de sang.

Enfin : « Sur les trompettes de la tuerie on inscrira : ‘’Main puissante de Dieu dans le combat, pour faire tomber tous les infidèles’’. Sur leurs étendards on écrira : ‘’Moment de Dieu, tuerie de Dieu’’. Et après le combat on écrira ‘’Dieu est grand’’, avec les noms des vrais croyants ». (2)

« Dieu est grand », en arabe Allah ou’Akbar. Plus tard, les musulmans puiseront dans cette littérature jusqu’à leur cri de guerre.

À ce stade, rappelez-vous les trois piliers sur lesquels repose ce messianisme radical des débuts du 1er millénaire. Un, le retour dans un passé idéalisé, fantasmé, un paradis perdu. Deux, la séparation du monde entre bons et mauvais. Trois, un Messie viendra prendre la tête des bons pour une guerre totale, génocidaire, afin de purifier l’humanité.

 III. Jésus était-il messianiste ?

Les Esséniens étaient très respectés par le peuple. Ils recopiaient et diffusaient ces textes qui étaient lus et commentés dans les milieux juifs. Leur messianisme radical alimenta le nationalisme fanatique de ceux qu’on appellera plus tard les Zélotes, des djihadistes avant l’heure, qui lutteront jusqu’au dernier contre les légions romaines dans la Guerre des Juifs (66-73) racontée par Flavius Josèphe. Les Zélotes opéraient depuis la Galilée, au point que « Galiléen », comme on le voit dans les évangiles, était devenu synonyme de terroriste. Leur cause était nationaliste – chasser les Romains -, mais aussi sociale – mettre fin à la corruption du haut-clergé et des collecteurs d’impôts qui collaboraient avec l’ennemi.

C’est dans ce climat de révolte nationaliste et sociale que Jésus le Galiléen est né et a grandi. Vous savez qu’il commence sa vie publique, vers l’âge de trente ans, par un séjour auprès de Jean-Baptiste suivi d’une longue retraite au désert. Or, les seuls habitants permanents du désert étaient les Esséniens, regroupés en communautés non loin de l’endroit où Jean-Baptiste prêchait et  baptisait.

Faut-il en conclure que Jésus a été Essénien ? Il est certain que non. Il les critique à mots couverts, mais sans jamais les nommer – ce qui montre une certaine retenue de sa part à leur égard. Car il était proche d’eux par son choix de vie, son rejet des sacrifices du Temple, sa prédication sur la pauvreté et le partage. Au point que ses disciples, émerveillés par son succès populaire et ses guérisons, se posaient la question : ne serait-ce pas lui, enfin, le Messie attendu par Israël ? Déjà, en l’an 12, un certain Simon-le-Galiléen avait conduit une révolte avortée dans un bain de sang, et ce Simon s’était proclamé « Messie de Dieu. » Pourquoi pas Jésus ?

Dans l’évangile de Marc (3), on lit qu’il refuse absolument de se voir attribuer le titre de Messie. Il ordonne à ses disciples de ne jamais dire une chose pareille à son sujet. Non, le Galiléen ne s’est pas réclamé du messianisme. Il n’a pas voulu accomplir son utopie radicale, prendre les armes pour rétablir la souveraineté juive sur Héretz Israël. Ce qu’il voulait, c’était gagner les cœurs à une conversion, radicale certes, mais intime, intérieure.

Quant aux délires apocalyptiques des messianistes radicaux, ils lui sont totalement étrangers. C’est un pacifiste, qui refuse toute violence – même face à ceux qui sont venus l’arrêter au jardin des Oliviers.

Et c’est pour son rejet de la violence, parce qu’il refuse de s’allier aux Zélotes, que Jésus va être trahi par ses disciples. Car dans la tête de certains d’entre eux, le messianisme avait profondément pris racine.

IV. Jésus devient « le Christ », puis Dieu

En effet, cinq parmi les douze disciples de Jésus avaient fait un stage chez les Zélotes (4), dont Pierre qui va prendre à sa mort la tête de la communauté de Jérusalem. Rapidement, cette communauté va oublier l’interdiction de Jésus et le présenter aux foules comme le Messie de Dieu. Messie, en grec, se dit Christos : c’est sous ce nom de « Christ » que Paul de Tarse, qui n’a pas connu Jésus, va l’appeler dans ses épîtres. Pour lui, Le Christ est un homme d’exception dont la résurrection est fondatrice d’une nouvelle religion, le christianisme. Mais Paul n’a rien d’un messianiste radical : non seulement il ne prêche pas la violence, mais il invite ses disciples à se soumettre aux pouvoirs en place, fussent-ils païens et injustes.

C’est dans la deuxième génération chrétienne, autour de l’an 100, que le messianisme radical des Esséniens va reprendre vigueur dans le bassin méditerranéen. En témoigne l’Apocalypse dite de St Jean, un texte d’une extrême violence (totalement étrangère à l’enseignement de Jésus), qui annonce la fin du monde ancien et la venue du Nouveau monde, dans une exaltation proche de la littérature intertestamentaire évoquée plus haut. Ce texte, il va profondément marquer le christianisme naissant, et inspirer pendant mille ans toute une littérature apocalyptique, tourmentée et messianiste.

Et c’est au même moment, entre 90 et 100, que Jésus a été explicitement transformé en personne divine. En témoigne le Prologue de l’évangile dit Selon s. Jean, qui fait de Jésus un Logos (terme de la philosophie grecque) et affirme que « ce Logos était Dieu ».

Comprenez que cette double évolution – Jésus devenu d’abord Messie, puis transformé en Dieu – s’effectue presque simultanément, dans des communautés juives d’abord, puis grecques, éloignées géographiquement mais qui communiquent entre elles.

La réaction des convertis Juifs ne va pas tarder.

V. Réaction des judéo-chrétiens

Certains Juifs en effet acceptèrent volontiers l’idée que Jésus était bien le Messie, mais refusèrent absolument sa transformation en Dieu. Ce sont les judéo-chrétiens, et ils furent pourchassés d’abord par les Juifs, puis par les chrétiens. Un de leurs groupes s’appelait les nazôréens. Au 5e siècle, saint Jérôme – qui les a rencontrés en Syrie où ils s’étaient réfugiés -, dit d’eux avec mépris qu’ils « veulent être à la fois Juifs et chrétiens, mais qu’en fait, ils ne sont ni Juifs, ni chrétiens ».

Réfugiés en Syrie, ces nazôréens avaient emporté dans leurs bagages le messianisme radical des textes Esséniens. Comme leurs prédécesseurs ils ne rêvaient que d’une chose : reconquérir Jérusalem pour reconstruire son Temple. Alors, pensaient-ils, le Messie descendrait du ciel pour se mettre à leur tête. Il conduirait la guerre totale à la conquête du monde, pour le purifier de l’impiété en exterminant les nations hostiles.

Cette idéologie génocidaire, les nazôréens vont l’enseigner à leurs voisins Arabes de Syrie. Et leurs catéchèses, notées au vol et sans ordre, vont constituer le noyau initial de ce qui deviendra, au 8e siècle, le Coran.

 VI. Naissance du Coran : le Djihad

Tel qu’il se présente à nous aujourd’hui, le Coran est un fourre-tout sans queue ni tête. Les maîtres nazôréens des Arabes étant à la fois Juifs et chrétiens, on y trouve pêle-mêle des textes bibliques, quelques échos de la grande mystique juive traditionnelle et l’expression d’un christianisme hétérodoxe condamné par l’Église. Mais aussi des ajouts successifs insérés par les premiers califes de l’islam, qui ont voulu à partir de là créer une société théocratique – c’est-à-dire dans laquelle pouvoir politique et pouvoir religieux ne faisaient plus qu’un. J’ai décrit les étapes de cette naissance dans un essai, paru en 2014, Naissance du Coran, aux origines de la violence. J’y montre comment le messianisme radical né en Israël au tournant du 1er millénaire est devenu en Syrie la matrice de ce texte fondateur de l’islam.

Un mot nouveau apparaît dans le Coran, Djihad, qui veut dire lutte, combat. Combat contre qui ? Contre ceux qui ne croient pas à Allah-et-son-Prophète. « Quand vous les rencontrez, dit le Coran (5), frappez-les à la nuque, jusqu’à ce que vous les ayez terrassés ! » L’horizon du Djihad c’est l’apocalypse, la guerre messianique des derniers jours. Car pour lui  comme pour les Esséniens, « les Hommes se séparent en deux groupes : d’une part l’aveugle et le sourd et de l’autre, le voyant et l’entendant ». Le premier groupe doit se soumettre au second, ou bien disparaître.

Soumis, en arabe, se dit mouslim, d’où vient le mot « musulman ».

Non seulement le Djihad est « prescrit par Allah », mais c’est un droit qu’il possède sur les croyants : « Combattez pour Allah, dit le Coran, car il a droit au Djihad que vous mènerez pour lui ». Entre Allah et les moudjahidin, s’instaure un véritable troc à l’orientale : « Allah a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens, en échange de quoi il leur donne le paradis. Ils combattent dans le chemin d’Allah, ils tuent et ils sont tués. Qu’ils soient tués ou victorieux, pour eux ce sera la récompense éternelle. C’est un devoir pour Allah, réjouissez-vous de cet échange ! »

Combattre sur le chemin d’Allah, tuer, massacrer en son nom, ne serait-ce pas un péché contraire à la loi divine ? Hé bien, non. Car : « Ce n’est pas vous qui avez tué les ennemis, c’est Allah qui les tués. Quand tu lançais tes flèches, ce n’est pas toi qui les lançais, mais c’est Allah qui les lançait ».

Cette conception de la guerre sainte, la violence sacralisée, nous allons la retrouver telle quelle chez les djihadistes chrétiens du Moyen âge.

 VII. Évolution parallèle du messianisme chrétien et coranique

On l’a vu, la toute première communauté chrétienne était messianiste. Mais sa dérive radicale, dont témoigne l’Apocalypse de s. Jean, devint marginale dès lors que l’Église romaine prit le pouvoir en 481.  Désormais, chez les Pères de l’Église, le combat pour Dieu serait celui de la conversion des païens par la persuasion – du moins, en théorie.

N’étant plus persécutée, régnant sur l’Occident à l’égal des empereurs, la chrétienté, dans les faits, renonça à l’attente d’un Messie venu du ciel. N’était-elle pas elle-même la Jérusalem céleste descendue sur terre ? N’était-elle pas l’unique lieu du salut pour les Hommes ? Le Messie était venu, il était là, et ce Messie c’était l’Église, la communauté parfaite des Saints. Ce transfert de l’attente d’un Messie providentiel à une institution visible, détentrice du salut pour l’humanité, il s’effectua sans bruit : c’est la Cité de Dieu de saint Augustin.

 Fait capital : dès sa naissance, l’islam connut au 8e siècle une évolution similaire dont témoigne le Coran. Je vous ai dit que ce texte était composite, on y trouve, sur le même plan, le judéo-christianisme des nazôréens et sa dérive radicale. Ainsi, une sourate affirme que « Dieu vous annonce une bonne nouvelle… son nom est le Messie-Jésus, fils de Marie, illustre en ce monde et dans la vie future. » (6) Mais c’est pour se corriger aussitôt : « Ce Messie n’était qu’un prophète de Dieu », comparable à d’autres avant lui, et comme eux il est mort. Après lui est venu Muhammad, « le sceau des prophètes. ». Lui aussi, il est mort ? Qu’importe, sur terre il reste l’Umma, la communauté arabe et musulmane.

Désormais, c’est elle qui sera pour l’islam le Messie en action.

Le Coran dit d’elle : « Vous êtes la meilleurs Umma suscitée [par Dieu] pour les Hommes », devise actuelle de la Ligue Arabe basée au Caire. Et la profession de foi musulmane, « il n’y a de Dieu qu’Allah et Muhammad est le prophète d’Allah » ne mentionne aucun Messie à venir.

Dans un premier temps, le mot Umma avait désigné la coalition arabo-nazôréenne de Syrie partie à la reconquête de Jérusalem. Parvenus à leurs fins, le Messie n’étant pas descendu pour prendre leur tête à la conquête du monde, les musulmans n’attendirent plus son retour : le Messie était là, et ce Messie c’était eux. Ou plutôt, c’était l’impersonnelle communauté des croyants, « la meilleure Umma suscitée par Dieu pour les Hommes ».

Vous voyez que dans le christianisme comme dans l’islam, on assiste à la même transformation du messianisme de leurs origines communes. Désormais, ce n’est plus quelqu’un qui conduira l’humanité vers la Jérusalem d’en-haut ou sur les « chemins d’Allah » : ce sont deux communautés rivales, qui prennent forme institutionnelle en s’attribuant la même mission de salut universel.

Deux puissances qui vont s’affronter jusqu’à aujourd’hui, pour s’approprier le pouvoir spirituel qui vient de Dieu. Avec la domination militaire et politique qui l’accompagne.

 VIII. Le messianisme se mondialise

Lorsque l’islam devint conquérant à partir du 8e siècle, sa progression fulgurante provoqua chez les chrétiens un réveil du messianisme radical. Mise sur la défensive, la chrétienté lança des croisades contre les musulmans et créa un nouvel ordre religieux de moines-soldats, les Templiers. Leur Règle a été écrite par saint Bernard : on y trouve des expressions qui semblent copiées sur les versets du Coran cités plus haut : « Soldat du Christ, écrit saint Bernard, ne crains pas d’offenser Dieu en tuant [les musulmans]. Si tu les tue, c’est pour Dieu. Et si tu es tué, Dieu t’accueillera dans son paradis. » Et encore : « Les soldats du Christ ne courent aucun risque s’ils sont tués, puisque c’est pour Jésus-Christ qu’ils donnent ou reçoivent le coup de la mort. Non seulement ils n’offensent pas Dieu, mais encore ils acquièrent une grande gloire. S’ils succombent on ne dira pas qu’ils ont péri, mais au contraire qu’ils sont sauvés ». (7)

  Les croisades infléchirent profondément la politique de conversion des païens, qui avait été jusque-là celle de l’Église. À partir de la Renaissance du XVe siècle, les puissances européennes s’engagèrent dans une colonisation du monde qui correspondait parfaitement au vieux rêve messianique de domination planétaire. Sans hésiter, l’Église les accompagna avec un nouveau slogan : « Compelle intrare », obligez les peuples colonisés à se convertir. Le goupillon, comme on dit, suivait de près le sabre du colonisateur. Le résultat, inévitable, ce fut le réveil arabe et musulman du 19e siècle, favorisé par la découverte du pétrole au Moyen Orient. Un réveil très vite pris en mains par le Wahhabisme, le salafisme puis par les Frères musulmans, qui utilisent encore aujourd’hui le messianisme radical du Coran pour enflammer les croyants sur la planète entière.

Mais l’emprise idéologique du messianisme ne s’est pas limitée à la chrétienté et à l’Umma. Au 20e siècle, il a échappé à la sphère religieuse pour inspirer en Europe deux totalitarismes laïcs.

Le communisme, d’abord. Son Messie c’est le prolétariat mondial, qui devra anéantir la classe possédante pour faire advenir le « grand soir » du paradis socialiste, dans un univers débarrassé de la domination capitaliste. Le nazisme ensuite, dont le Messie est le Herrenvolk, le peuple des Seigneurs qui débarrassera l’humanité des races inférieures pour établir le paradis aryen. L’une et l’autre de ces deux idéologies messianistes laïques ont déclaré la guerre au reste du monde.

 IX. Le choc des messianismes

Revenons au 19e siècle. À cette époque, le messianisme religieux a repris vie là où on ne l’attendait pas, aux États-Unis d’Amérique.  Alors qu’au même moment, en Europe, la chrétienté entamait son lent déclin sous les coups de boutoir des Lumières puis de la laïcité, l’émigration européenne outre-Atlantique prit dès le début une coloration messianique de plus en plus accentuée. Là aussi, ce n’est pas un homme providentiel qui devint le sauveur du monde, mais un peuple, le peuple américain, « One people under God » devenu maître du monde en 1945.

Après la Shoah, ce messianisme américain s’engagea dans une direction nouvelle : il se transforma en un sionisme chrétien assumé comme tel. Les partisans de cette nouvelle dérive messianique, intimement associés à la reconquête de Héretz Israël par les sionistes israéliens, sont les néo-conservateurs au pouvoir depuis Reagan et George W. Bush. On connaît la suite, jusqu’à Trump et sa reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.

Vous le voyez, en transférant partout l’attente d’un Messie providentiel sur un peuple chargés de purifier l’humanité, le messianisme s’est adapté au cours des siècles. Il s’est répandu sur la planète, provoquant en Occident et au Moyen Orient non pas le « Choc des cultures » dont parlait Samuel Huntington, mais un choc des messianismes, frontal, brutal et beaucoup plus dangereux.

 X. Quelles perspectives ?

  Devant ce panorama un peu sombre, l’historien se pose des questions. Quel avenir pour l’Occident et sa vieille chrétienté ? Permettez-moi de quitter un instant l’objectivité historique pour vous donner mon sentiment, tout personnel et subjectif.

  Au XXe siècle, en parallèle au sionisme chrétien, est né USA, un Jesus mouvement axé sur le retour à la personne de Jésus, un Jésus d’avant le Christ du dogme. Ce mouvement s’est répandu en Europe à partir des années 1970, sous la forme de communautés charismatiques. Parti de la base, il a fini par atteindre la hiérarchie catholique et a profondément influencé l’Église romaine.

  Est-il permis de rêver ? Au moment où, en réaction contre l’islam, l’Europe connaît le réveil d’un néo-fascisme à prétentions parfois chrétiennes, j’aimerais voir dans ce retour à la personne de Jésus, à son enseignement et à son exemple, une voie de salut pour notre civilisation occidentale à bout de souffle, à la fois culturellement, socialement et spirituellement. Un Occident façonné pendant 15 siècles par le christianisme, mais qui doute aujourd’hui de son identité.

Nous savons que le combat contre Bélial, les forces du Mal, durera jusqu’à la fin des temps. Avec quelles armes l’Occident va-t-il désormais l’affronter ? L’avenir le dira.

               M.B., Conférence aux anciens élèves de l’École Centrale et Supélec, Paris, 28 mars 2018
(1) Les citations qui précèdent sont tirée de textes esséniens : le Règlement de la guerre, L’écrit de Damas, La Règle de la communauté, le Testament de Lévi. Références dans Naissance du Coran, chapitre 2.
 (2) Règlement de la guerre, III, 8 et IV, 7-8.
(3) Mc 8, 30.
(4) Sur ce point, comme sur le rôle joué par Pierre dans la trahison de Jésus, voyez mon essai Dieu malgré lui  (2001), repris sous forme de romans dans Le secret du treizième apôtre et Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.
(5) Les références au texte du Coran entre guillemets se trouvent dans Naissance du Coran, aux chapitres 19 et 20.
(6) Références dans Naissance du Coran, chapitre 14.
(7) Saint Bernard, De laude novae militiae, référence dans Naissance du Coran chapitre 21.

18 réflexions au sujet de « LE RETOUR DES GUERRES DE RELIGION : comment en est-on arrivé là ? Quel avenir pour l’Occident ? »

  1. NM

    Bonjour,
    Votre article est tout simplement excellent!
    Concernant le dernier paragraphe et votre souhait de voir renaitre un christianisme véritable axé sur le personnage de Jésus,je pense qu’il est permis de rêver.
    L’évolution des systèmes de croyances est directement corrélé à la dissipation d’énergie d’une société.
    Ainsi l’humanité est passé par différente phases: le cas échéant animisme,polythéisme,monolatrie puis monothéisme et enfin athéisme structurel(c’est à dire résultant des déterminismes et non d’une révélation, et que l’on nomme en France « laïcité »).
    Dans la mesure ou le Peak all oil (littéralement pic tout pétrole) devrait être atteint d’ici 2025(voir les travaux de J-M Jancovici) et compte tenu de la fragilité de nos économies entièrement fondé sur l’endettement exponentiel,il est fort à parier que les décennies à venir iront de mise avec une forte récession dans les pays industrialisés.
    Hors une telle déplétion ne devrait pas être sans effet sur les systèmes de croyances,et il est fort possible que les mécanismes à l’œuvre favorise le retour à un christianisme authentique dans un contexte ou le dieu argent ne sera plus omniprésent et ou le catholicisme rebute plus qu’il ne recrute.
    Un tel christianisme pourrait parfaitement se développer au sein de communautés rurales décroissantes proche de la Nature et donc logiquement plus apte à saisir le réel.
    L’avenir nous le dira.
    Cordialement!

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  2. Annick D.

    Bonjour Monsieur Benoit,

    Votre article a au moins le mérite de resituer les guerre de religions dans une perspective historique claire, et ce n’est pas le moindre de ses mérites !
    Bien que soignante, j’ai également enseigné longtemps à l’université où une guerre de religion larvée a lieu.
    Je m’explique. A partir des années 80, des jeunes femmes voilées, de plus en plus nombreuses, ont commencé à venir en cours accoutrées de cette tenue particulièrement choquante dans l’Ecole d’une République laïque ! Malgré quelques protestations d’universitaires, venues de la France entière, les « socialio-démagos » alors au pouvoir ont tout fait pour noyer le problème. De ce fait, il est toujours présent et devenu habituel dans toutes les universités françaises. La plupart des enseignants-chercheurs désapprouvent cette tenue mais sont placés devant le fait accompli. Mais de plus, si l’un d’eux refuse de faire cours, il est généralement rappelé à l’ordre ou sanctionné… Ce n’est pas tout !
    En effet, puisqu’il n’y a pas de sélection à l’entrée du supérieur, des cohortes d’étudiants incapables d’écrire correctement en français, et surtout de réfléchir rigoureusement, peuplent les bancs des facs. Aussi, si vous avez le malheur d’attribuer une note en-dessous de la moyenne a un étudiant de couleur ou issu de l’immigration, vous vous exposez directement à des protestations en terme de « racisme ». Oui, si vous « sous-notez » (alors que c’est mérité !), cette catégorie d’étudiants c’est que vous êtes soit raciste ou encore islamophobe !
    Aujourd’hui, beaucoup d’universitaires continuent à dénoncer le problème, mais rien n’y fait. La démagogie des gouvernements successifs a renforcé cette situation. Et Monsieur Macron tout comme sa ministre de l’enseignement supérieur, semblent bien partis pour ne rien faire, hélas !
    Mais il y a pire. Compte-tenu de ce que je viens d’expliquer, vous pouvez faire par vous-même la déduction qui suit.
    Pour avoir la paix, parfois des universitaires notent a minima l’ensemble des copies qu’ils ont à traiter : ainsi, d’emblée ils attribuent 10 sur 20. Ce faisant, les étudiants concernés passent régulièrement dans l’année supérieure. Alors que leurs vraies performances intellectuelles auraient dû les en empêcher depuis longtemps.
    On arrive ainsi à observer dans le 3e cycle, des étudiants décrochant un diplôme important alors qu’ils n’en ont pas la moindre compétence !
    Voilà à quoi conduisent aussi aujourd’hui les guerres de religion sur le territoire français.
    Oui ! les étudiantes voilées sont bien (parfois malgré elles…), dans une démarche prosélyte de défiance, quand ce n’est pas de haine vis à vis de notre chère République laïque ! Les évènements sociaux récents n’en sont au fond qu’une illustration supplémentaire…

    Cordialement,

    Annick D.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Le témoignage de votre expérience vécue est terrifiant. L’idéologie dominante aveugle s’est accompagnée de lâcheté. Que faire, sinon pleurer ? J’étais étudiant en 3e cycle (doctorat) en 1961-62 : un autre monde, où l’on était noté en fonction de ses savoirs. C’est une conséquence de la « guerre des religions » : la religion de la lâcheté + aveuglement + démission.
      « Pleure, ô mon pays bien-aimé » !
      M.B.

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  3. Emile Hesta

    Bonjour,
    Comme toujours vos articles sont particulièrement intéressants à plus d’un point de vue,vous avez l’art de poser les bonnes questions et d’y bien répondre,même si d’aucuns pensent autrement.
    C’est un lieu commun de dire qu’au sujet de Jésus tout et son contraire ont été dit,le résultat de l’opération est un « nul »,selon moi…mais ceci est personnel et subjectif par essence.
    Reste la question de la foi,au sens stricte,qui dépasse toutes les catégories rationnelles et logiques…L’analyse de la personne des grands fondateurs de religions(qui, souvent d’ailleurs,ne le sont qu’après leur mort…),retient depuis longtemps mon attention,l’approche psychologique et psychiatrique surtout,est très dérangeante,elle part souvent de l’analyse des textes fondateurs,ce qui n’arrange rien.
    La sacralisation de la violence trouve ses origines,à mon humble avis,dans la sacralisation des textes,les exemples sont multiples,des textes de l’ancien testament sont aussi ignobles que ceux dont se servent certains à l’heure actuelle.
    Mes pérégrinations m’ont amené à avoir des contacts aves les polythéismes,l’islam divers lui aussi,les
    bouddhismes,le chamanisme de le steppe mongole.
    Si l’on peut conclure que les polythéismes sont tolérants par nature,j’ai quand même remarqué que c’est loin d’être le cas partout et toujours,particulièrement en Inde,souvent ressenti comme exemple,pays d’une violence et d’un sectarisme qu’on a tendance à oublier ou a imaginer.
    Les tensions entre la spiritualité et son institutionalisation,sont de tous les temps et de toutes les religions,le polythéisme romain c’est lui aussi institutionalisé avec les conséquences que l’on sait.
    Le monachisme chrétien était contestaire à ses débuts,on l’ouble souvent…
    La vérité a tous ses droits…la connaîtra-t-on ,jamais?Poser la question c’est y répondre un peu…
    Bien à vous.
    Emile.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      L’Inde est violente parce que les conditions de vie des indiens sont effroyables, et que les dieux hindous sont violents, sensuels, guerriers.
      Merci, M.B.

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      1. Emile Hesta

        Les dieux hindous sont donc parfaitement païens!!!
        Ceci dit,j’ai eu l’occasion d’assister à des sacrifices d’animaux dans des lieux de pélérinage au Népal,majoritairement hindouiste(et non pas bouddhiste comme on le pense parfois ici,
        répugnant!
        J’avais d’ailleurs déjà remarqué les stèles aux taches de sang coagulé…Il faudrait mettre Brigitte au courant…lors de la visite de Lumbini,notre guide et ami, c’était plaint des petites méchancetés du personnel hindouiste des lieux…lui-même étant un méwari,se considérant comme un « vrai népalais »,hindouiste,passé au bouddhisme,qu’il continuait à étudier,comme il se doit.
        Une autre rencontre,celle d’un chrétien,de même origine,évangélique,complètement rejeté par sa famille,et même menacé.Je précise que les »evangelicals »ne sont vraiment pas mon « truc »,en plus,pour les avoir vus à l’oeuvre sur place.
        En ce qui concerne la tolérance attribuée comme inhérente aux polythéismes elle est avant tout
        affaire personnelle et fruit de l’éducation,aucun groupe religieux ne la possède de façon intrinsèque.
        Le système des castes est le vrai responsable des injustices sociales,la religion ne fait que les avaliser,comme souvent,aux Indes,comme ailleurs.Le souci de l’autre est,lui,bien propre à la tradition judéo-chrétienne et muslumane,aux sources communes,comme vous l’expliquez.
        Rien de tout ça dans les Védas et autres textes fondateurs.
        Je me suis toujours senti plus à l’aise et plus proche d’eux,dans un environnement moghol,musulman,et sikh,monothéistes,que dans un de ces temples,admirables par le savoir faire,mais étrangers à notre sensibilité religieuse,à la mienne de toute façon.
        Les contacts avec le monde polythéiste permet de se faire une idée de ce que fut sans doute le monde gréco-romain de l’antiquité,avant la mort du gran Pan…

        Répondre
  4. Luc BOSSUS

    Cher Michel,

    Votre article « Le retour des guerres de religion : comment en est-on arrivé là ? Quel avenir pour l’Occident ? » m’a fort intéressé. Grâce à vous, j’ai enfin compris l’évolution historique de ces guerres. Je vous en remercie de tout cœur !
    Je vous souhaite un agréable week-end pascal et une belle fête de la vie.
    Soyez heureux !

    Luc BOSSUS

    Répondre
  5. Jojo

    Cher M. B.,
    On ne répètera jamais assez l’évidence que vous rappelez sur la naissance de l’islam, à savoir que c’est un surgeon du judéo-christianisme. Harnack l’avait déjà compris il y a un un siècle et demi (il suffit d’avoir lu les Ps.Clémentines pour le voir immédiatement), et, plus près de nous et même actuellement, des chercheurs comme J. Bertuel ou Luxenberg ont été obligés de publier sous pseudonymes pour pouvoir montrer la profondeur de la filiation. On ne peut donc que vous remercier et vous féliciter d’insister sur ce point capital, et déplorer que ni les historiens ni les pouvoirs publics n’acceptent l’idée de diffuser et de faire figurer dans les programmes d’histoire ce qui relève de la science historique et textuelle.
    Sinon, votre généralisation sur l’intolérance des monothéismes, par essence porteurs de violence, relève quand même de la tarte à la crème anticléricale, tellement resservie que je ne sais même pas si M. Onfray oserait encore s’en réclamer. Vous devriez quand même savoir que, dans l’Antiquité, quand on prenait une ville, normalement on tuait tout le monde. Si on savait se maîtriser et soigner ses intérêts, on ne tuait que les hommes, on violait les femmes et on les vendait comme esclaves, avec les enfants. Rappelez-vous le sort des Méliens, tous exterminés par le successeur de Périclès. Et si on était très clément, on vendait aussi les hommes comme esclaves, César était réputé pour sa clémence. Les religions n’ont rien inventé de ce côté-là.
    D’autre part, votre présentation du monothéisme juif s’articule sur des poncifs réfutés par l’archéologie et la simple lecture des textes. D’abord les archéologues et les historiens savent aujourd’hui qu’il n’y a pas eu de sortie d’Égypte. Moïse et les quarante ans dans le désert relèvent tout simplement du mythe. Or Moïse, qui, donc, n’a pas existé, était le fondateur du monothéisme. Comme le dit « Rois II », avec la réforme de Josias, le Temple de Salomon était un temple polythéiste, où on adorait notamment Achéra (Ishtar/Astarté), parèdre du vieux dieu sémitique Yahou, recyclé en Yahweh). Le récit de la Loi découverte fortuitement à l’occasion de travaux n’a évidemment aucune crédibilité: c’est l’invention d’une prétendue Loi par le clergé yahwiste désireux d’éliminer ses confrères et d’obtenir l’exclusivité du Temple. L’archéologie montre d’ailleurs que la Palestine reste polythéiste au moins jusqu’au cinquième siècle. C’est l’exil qui fait du yahwisme la principale marque d’identité autour de laquelle va se constituer un peuple judéen, c’est-à-dire juif (et non plus hébreu). L’exil va ainsi devenir la marque de naissance identitaire du peuple juif. On peut se demander si les quarante ans d’exil entre 587 et le retour ne sont pas la source du mythe des quarante ans de Moïse et des Hébreux dans le désert. Et c’est ce mythe de l’exil, consubstantiel au judaïsme, qui va récupérer la diaspora hellénistico-romaine. Tous les antiquisants savent que la diaspora méditerranéenne des juifs n’a rien d’un exil, mais qu’il s’agit d’une émigration économique. L’Égypte et tout le pourtour méditerranéen ont accueilli un nombre considérable de juifs que leur terre, bien peu fertile, ne pouvait plus nourrir, en particulier au premier siècle avant notre ère. Et après 70, les Romains n’ont procédé à aucune expulsion des juifs de Palestine (les seules expulsions de juifs ont été celle des juifs de Rome à la fin du premier siècle de notre ère). Lier la diaspora à une expulsion est un mensonge historique.
    Enfin, vous semblez ignorer que le judaïsme a été profondément marqué par l’hellénisme. Philon d’Alexandrie fonde l’allégorisme juif sur la philosophie grecque, les Pharisiens sont décrits par Flavius Josèphe comme « quasiment identiques » aux stoïciens en matière philosophique, et les Esséniens eux-mêmes adoptaient des doctrines grecques. On ne peut rien comprendre à la matrice théologique du christianisme, qui se met en place dans le quatrième évangile, mais aussi chez saint Paul, si on ne connaît pas le judaïsme hellénistique.
    Quant à votre présentation de l’histoire juive à partir de l’intégration de la Judée au royaume séleucide, elle n’est pas très sérieuse, et votre simplisme fausse largement les données.
    Bref, vos positions sont souvent originales, toujours intéressantes, généralement provocatrices, mais vous n’évitez pas certains poncifs.
    Bien cordialement.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Quand on survole 25 siècles d’histoire en 50 minutes devant 80 personnes non-spécialistes, on ne peut pas tout dire, tout détailler et tout préciser. Heureusement vous êtres là pour le faire !
      Merci
      M.B.

      Répondre
      1. Jojo

        Merci, cher M.B., pour cette réponse prophétique. Effectivement, le livre que j’ai écrit sur la question sort dans un mois. Il apporte une approche totalement nouvelle de la question, et je pense qu’il devrait vous intéresser. En outre, en moins de 150 pages, et sans aucune érudition, il est d’accès facile. S’il vous intéresse, je peux soit vous envoyer dès maintenant la version électronique, soit vous faire parvenir le livre par voie postale quand il sera sorti. Dans l’une ou l’autre de ces deux hypothèses, il me faut simplement une adresse, électronique ou postale. Si vous voulez savoir qui je suis, vous avez mon nom dans mon adresse électronique, et vous pouvez aller jeter un coup d’œil sur un moteur de recherche.

        Répondre
    2. Emile Hesta

      Jojo,
      Vous avez parfaitement raison,l’idéalisation des polythéismes relève en partie des tendances que vous citez,Onfray ne s’en n’est pas privé,mais aussi du néo-paganisme, de la nouvelle droite,comme chez Alain de Benoist,qui a au moins le mérite de nous faire réfléchir,contrairement à Onfray qui assomme ses lecteurs à coup de clichés usés jusqu’à la moelle.
      Effectivement,Harnac,en bon protestant,était très porté sur les sources sémitiques du christianisme,ce qui explique aussi sa critique du christianisme orthodoxe qu’il considérait comme gravement contaminé par l’hellénisme,et par conséquent très éloigné des sources juives.
      En comparant la sourate Al Fatiha et le premier psaume,il nest pas très difficile de ressentir une certaine parenté.De même,Allah et Yaweh,me semblent cousins germains…
      Cette filiation est par conséquent évidente et logique,comme le démontre parfaitement MB.

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      1. Jojo

        Émile Hesta,
        Ce que vous dites du polythéisme est tout à fait pertinent. Le monothéisme n’est pas plus violent en lui-même que le polythéisme ne serait tolérant, et ce que vous dites de l’Inde est parfaitement juste. La violence monothéiste commence dans les années 630, sous Josias, quand le clergé yahwiste élimine ses concurrents au sein du Temple. Ce n’est qu’une question de pouvoir. On oublie toujours que le christianisme a commencé par deux siècles et demi de persécutions, on est bien loin du pouvoir. Et quand la situation s’inverse, c’est, là encore, une question de pouvoir, ce sont des décisions impériales. Pouvoir religieux et pouvoir temporel. Et, comme vous dites très justement, les conflits naissent des textes, et non du fait qu’il n’y ait qu’un dieu au lieu de plusieurs. Quand on fait parler Dieu ou qu’on le met en texte, les problèmes naissent. Nicée a été mis en place par Constantin. On ne badine pas avec la parole de Dieu, mais il faudrait préalablement se demander si Dieu parle. Les Grecs savaient que quand il parle, il n’est jamais clair (d’où l’ambiguïté des oracles), et les néoplatoniciens (du moins ceux qui professaient la théologie négative, qui sera à l’origine des grands courants mystiques médiévaux, flamands et rhénans) savaient que Dieu transcende tout texte et même tout concept, y compris l’être et l’existence (moyennant quoi un certain nombre de ces mystiques ont fini au bûcher).
        Bien cordialement.

        Répondre
  6. olivier

    Bonjour,

    Je viens de terminer plusieurs livres sur le Zoroastre ou plutôt ZARATHOUSTRA .
    Selon les dernières recherches de différents exégètes il vécut vers 1700 av JC.
    Au travers les Gathas (chants) il exprimait sa philosophie . En instituteur des Mantras il apprenait à se connaitre sois même afin d’ouvrir son cœur à Ahura Mazda (sa représentativité du tout).
    Une entité de sensibilité masculine et féminine qui fait 1.
    C’’est la première forme de monothéisme.
    Il a lutté contre le polythéisme et a permis au peuple Indo-Iraniens d’en sortir avec un message de justesse ,de sagesse qui mène vers la Sérénité.
    La croyance ancienne dépassée, il a insufflé une nouvelle Ere, le monothéisme.
    En disant « Dieu est mort « Nietzsche y fait allusion … Mort pour mieux renaitre !
    Ce courant de pensée est devenu majoritaire dans l’Empire Perse jusqu’au 7 ième siècle AP JC.
    Pendant deux siècles l’Islam a exterminé les croyants de ce courant devenu religion et effacé toutes traces des Gathas …
    Zarathoustra a influencé Le Mazdéisme le Bouddhisme, le Judaïsme, le Christianisme et L’islam etc…
    Je ne comprends pas pourquoi vous n’en parlez jamais !
    Ses chants sont magnifiques !!!

    Cordialement
    Olivier

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Parce que la vie est courte, et qu’on ne peut pas tout explorer en si peu de temps. D’où l’utilité du pluridisciplinaire : vous complétez, merci
      M.B.

      Répondre
  7. Jorge PEREIRA DA COSTA

    Cher Michel,
    Abreuvé depuis quelques années à ce miel distillé par vos soins, conforté par la possession de presque tous vos livres (dont celui sur l’Inde n’est pas encore présent), je me dois de saluer humblement l’apport fondamental qu’aura été le vôtre dans la compréhension de la vie et oeuvre de Jésus.
    Initié au sein de l’Eglise Catholique Apostolique Romaine depuis ma naissance (1945), c’est seulement après m’être éloigné de mon pays d’origine (Portugal) à l’aube de mes 17 ans (pour des raisons d’incompatibilité générationnelle) que j’ai été en mesure de me pencher sur le besoin de spiritualité, concomitant au rejet profond du catholicisme.
    Ayant depuis début 2000 intégré une démarche maçonnique, beaucoup des références puisées dans vos ouvrages auront conforté de façon significative l’élaboration de certaines de mes « planches ».
    Merci encore cher Michel pour votre généreuse contribution à faire émerger la vérité concernant l’histoire de Jésus en dehors de tous ces dogmes responsables de tant de pollution intellectuelle.
    Fraternellement vôtre
    Jorge

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Merci. Heureux d’avoir pu un tout petit peu ensemencer votre jardin.
      Hélas, il reste des millions d’hectares en friche de par le monde. Comment y jeter une graine ? L’accepteront-ils ? Poussera-t-elle ?
      M.B., « Vox clamantis in deserto »

      Répondre

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