ORIGINE DE L’UNIVERS (II) : du Big Bang à « Dieu » ?

On l’a vu, l’univers ne résulte pas d’une combinaison de hasards, il a connu un commencement et une croissance parfaitement organisée. Le scientifique ne peut éviter cette conclusion qui l’irrite, mais qu’avalise le sens commun du profane. Alors se pose la question : qu’y avait-il avant le Big Bang ? Qu’est-ce qui a permis à l’univers de devenir ce qu’il est ? Est-ce le dieu des philosophes, des théologiens, poètes, esthètes et mystiques ?

L’approche technique

            Les scientifiques buttent sur le Big Bang comme sur le Nuage d’Inconnaissance de s. Jean de la Croix : personne ne peut mesurer ce qui s’est passé avant. Le satellite Planck a permis de visualiser l’état de l’univers 380 000 ans après le Big Bang, mais nous ne savons rien sur la façon dont cet événement s’est déroulé, et encore moins sur ce qui l’a précédé. Nous entrons là dans le domaine des hypothèses, à nous de choisir la plus probable de ces hypothèses, la plus conforme à l’état actuel de nos connaissances.

            Une structure de l’univers peut être prédite par le calcul mathématique : c’est ce que fit Einstein avec sa théorie de la relativité, annonçant en 1916 l’existence d’ondes gravitationnelles qui n’ont été mesurées pour la première fois qu’en février 2016. Première démarche scientifique, annoncer et décrire une réalité avant qu’on puisse confirmer son existence par une détection indiscutable. Démarche inductive.

            Seconde démarche : analyser un ensemble de phénomènes observables et déduire de leur existence qu’ils dépendent forcément d’un événement originel, impossible à mesurer – mais incontournable, puisque ces phénomènes sont là. C’est ce que font les déistes, qui déduisent des constantes de l’univers la nécessité d’un créateur de cet univers.

            Évitant l’approche déiste, la méthode déductive peut-elle fournir plus d’informations sur ce qui est à l’origine de l’univers ?

            La science s’est attachée à comprendre et à décrire sa structure avec le langage qui lui est propre : si un langage peut rendre compte de la structure de l’univers, n’est-ce pas parce qu’il est lui-même langage ? Un langage, c’est-à-dire une somme d’informations qu’étudie le savant..

            On sait que dans son état primitif l’univers était à l’état quantique : il pouvait se développer selon une multitude de possibles estimée à 10 puissance 500 – soit des milliards de milliards de possibilités. Or il n’en a ‘’choisi’’ qu’une seule : d’où l’idée d’un logiciel, choisissant, parmi toutes les informations possibles, celle qui a donné l’univers tel que nous le connaissons.

            Certains proposent donc cette hypothèse : la naissance et le développement de l’univers supposent à son origine quelque chose qui se comporte comme un logiciel informatique. Un algorithme, qui lui a imprimé une direction cohérente et unique parmi toutes les directions qu’il aurait pu prendre.

            En amont du Big Bang rien n’est observable pour nos instruments puisqu’il n’y a ni espace, ni temps ni matière. Ces éléments se comportaient alors comme un système complexe, réalité virtuelle existant à l’état de possibles, pouvant basculer dans n’importe quelle direction. L’instant du Big Bang serait celui où le temps, l’espace et la matière sont passés d’un système complexe à un système simple, le virtuel recevant une somme d’informations qui l’ont fait passer à l’état de réel observable par les astrophysiciens.

            Le Big Bang, un événement de nature informatique ? Séduisante et logique, l’hypothèse ne nous apprend rien sur l’informaticien à l’origine du logiciel. Mais elle rend compte des événements dans un cadre scientifique que nous connaissons de mieux en mieux, celui du langage et de son codage.

             Retenons cette hypothèse, le commencement et l’épanouissement de l’univers dépendant d’informations préexistantes. C’est-à-dire d’un langage, d’une parole organisée et organisante. Se repose alors la question : qui a élaboré ce logiciel, utilisé ce langage, prononcé cette parole ?

L’approche des Traditions, bouddhisme et judéo-christianisme

            Cette question, les scientifiques ne peuvent y répondre. Elle n’est pas de leur domaine, mais de celui des traditions philosophiques et théologiques. À l’origine de ces traditions, des Éveillés qui ont répondu aux grandes questions de l’humanité, non pas avec des instruments de mesure, mais avec une intuition qu’on qualifie de prophétique. Par exemple, dans le Tipitaka mis par écrit aux environs du 2e siècle avant J.C., Siddhârta parle de l’univers en expansion comme d’une chose évidente pour lui – alors qu’elle n’a été prouvée par Hubble qu’en 1929. L’intuition des traditions doit être prise en considération, à condition – pour nous qui avons la science – qu’elle s’inscrive (à sa façon, intuitive et poétique) dans les acquis de cette science.

            Siddhârta répond-il à notre question ? « Potthapâda, dit-il à son interlocuteur, tu es aveugle. Il y a des choses que j’ai découvertes et enseignées comme étant certaines, d’autres comme incertaines. Par exemple, que le monde soit éternel, je l’ai déclaré comme incertain […] Pourquoi ? Parce que la réponse à cette question ne conduit pas à l’Éveil. »(1) Attitude constante chez le Bouddha : il refuse d’aborder des questions qui ne sont pour lui que de la curiosité, il ne parle jamais que de l’Éveil et du chemin pratique qui y conduit. Désolé, on n’en saura pas plus sur ce qu’il pensait de la création.

            Et le judaïsme ? Écrit au 6e siècle avant J.C., le Livre de la Genèse commence ainsi : « Au commencement Dieu créa ». Et comment crée-t-il ? La Genèse poursuit : « Dieu dit, et cela fut. » Pour le judaïsme ancien, l’univers a été créé par de la parole, du langage.

            À la fin du 1er siècle, l’un des auteurs de l’évangile selon s. Jean reprend cette tradition, mais il va plus loin : « Au commencement était la parole, et la parole était devant Dieu, et Dieu était la parole ».

            Propre à l’espèce humaine, le langage a deux fonctions : une fonction passive par laquelle nous mettons de l’ordre dans les idées pour les hiérarchiser afin de décrire une réalité – ce que font, entre autres, les scientifiques. Mais aussi une fonction active par laquelle nous créons une réalité en la nommant de façon appropriée – ce que font, entre autres, les poètes. D’où la place éminente du langage dans l’évolution de l’espèce humaine.

            En faisant de Dieu le créateur de l’univers par sa parole, le judaïsme se montrait parfaitement consonnant avec l’hypothèse, évoquée plus haut, d’un logiciel à l’origine du Big Bang – sauf qu’il attribuait à son dieu l’initiative du langage (du logiciel) créateur. L’auteur de l’évangile selon s. Jean est allé plus loin en affirmant que « Dieu était la parole » – c’est-à-dire que la nature intime de « Dieu » était d’être parole. Par cette affirmation, il faisait entrer le christianisme dans l’ère de la théologie – dont le rôle est d’apprendre à « Dieu » comment il est fait.

            La boucle était bouclée : un logiciel permettant au temps, à l’espace et à la matière de passer de l’état de possibilité virtuelle à une réalité observable et mesurable. Ce logiciel, nommé « Dieu » par le judaïsme. Le christianisme allant plus loin, en affirmant que la nature intime de ce « Dieu » était d’être parole – ce qui ouvrait la voie à toutes les cogitations sur la nature de « Dieu ». Des dogmes enfin, obligeant les chrétiens à se reconnaître dans cette description de la nature divine, élaborée au fil des siècles par des générations de théologiens.

            Et nous, dans tout ça ? Et l’espèce humaine, dont on constate l’existence sur une petite planète de cet univers ? Ce sera l’objet du prochain article.

                                                                        M.B., 21 avril 2016
 (1) Digha Nikâya 9, Potthapâda Sutta 33.

6 réflexions au sujet de « ORIGINE DE L’UNIVERS (II) : du Big Bang à « Dieu » ? »

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  2. P.K.

    Ainsi que vous nous le rappelez dans vos deux premiers articles, la physique quantique, et son principe d’incertitude, pose question. Einstein lui-même n’a-t-il pas déclaré : « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito, car Dieu ne joue pas aux dés ! ».

    Par ailleurs, depuis Newton, nous pensions que la masse de l’univers était « matière ». La découverte du Boson de Higgs en 2012, nous apprend que la masse de l’univers n’est que « relation ».

    Et vous posez la question de savoir si, finalement, le fondement de l’univers n’est pas la Parole, le LOGOS.

    Déjà pour les prêtres de la vallée du Nil, toutes choses (animaux, êtres humains, végétaux, astres) furent crées par la parole divine. Les pierres taillées que nous appelons les « Hiéroglyphes », avaient pour nom « Paroles du Dieu ».

    Vous nous rappelez le Prologue de Jean : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu ».

    En complément de vos réflexions il peut être intéressant de rappeler les points de vue de trois grands scientifiques et philosophes qui ont considéré que la matière n’est pas l’élément premier, constitutif de l’univers :

    Teilhard de Chardin, Jésuite et théologien français, scientifique de renommée internationale, théoricien de l’évolution, a énoncé, dès 1946, dans son ouvrage de référence, « Le Phénomène Humain », que « le principe originel, antérieur à l’espace-temps, est un principe d’énergie et d’information »

    John Archibald Wheeler, physicien théoricien américain qui fut l’un des derniers collaborateurs d’Einstein, introduisit la réflexion sur les « univers multiples »,
    et popularisa la théorie des « trous noirs ».
    Au début des années 2000, Il a déclaré : « Je crois que ma vie en physique se divise en trois périodes : j’ai d’abord cru que tout était fait de particules, puis que tout était fait de champs, aujourd’hui mon impression est finalement que tout découle de l’information».

    Bernard d’Espagnat, membre de l’Institut a dirigé le Laboratoire de physique théorique et des particules élémentaires à l’université de Paris-Orsay et a enseigné la philosophie des sciences en Sorbonne. Il fut membre fondateur du CERN chargé de rechercher le Boson de Higgs. Il énonce actuellement, dans différents colloques scientifiques, que « L’assise ultime de l’univers, ce n’est pas la matière, l’atome, les particules, c’est une parole, c’est un logos ».

    Merci à vous, P.K.

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  3. NM

    Merci pour ce très bon article.
    La notion de « verbe » ou de « parole », largement utilisé dans le vocabulaire traditionnel, me semble signifié la notion plus contemporaine d’information.
    D’ailleurs une discipline à vue le jour depuis peu, »la physique de l’information » (introduite par Claude Elwood Shannon).
    Votre référence à un algorithme est intéressante,car l’Univers suit effectivement un algorithme d’optimisation, d’ailleurs, nombreux sont les scientifiques à comparer l’univers à un ordinateur,voir un cerveau:
    http://www.francois-roddier.fr/?p=199 (sur le site de l’astrophysicien François Roddier).

    Concernant l’avant « Big Bang »:
    Il existe plusieurs théories sur l’avant Big Bang,notamment celle,très prometteuse, de la gravité quantique(Carlo Rovelli):L’avant Big Bang serait un pré-univers en contraction qui se redéploierait en suivant de nombreux cycles(univers ekpyrotique)…cycles que l’on retrouve de façon fractale dans tout les niveaux d’organisation de l’Univers(climat,évolution des espèces,économie etc…).
    De ce point de vu là,nous serions en fait à l’intérieur… d’un trou noir….notre Univers générant lui même des trous noirs,il pourraient exister des Univers « gigognes »! (La tradition Hindouiste en fait d’ailleurs mention).
    Autre théorie (compatible avec la première cités) serait celle de notre Univers surgit du vide quantique,ce dernier générant sans cesse des bulles d’univers…
    La question de l’origine des origines est donc bien mystérieuse,mais la théories quantique semble montré le chemin d’autres réalités,a-temporelle,a-spatiale en dehors du raisonnement intellectuel,et là encore on ne peut s’empêcher de voir les parallèles issues des philosophies antérieur.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je ne suis pas assez pointu en astrophysique pour tout suivre, mais heureusement ce blog a des lecteurs intelligents & mieux informés que moi ! MERCI.
      Je tiendrai compte de votre apport dans le 3e et dernier article de la série, mis en ligne aujourd’hui Inch’Allah.
      M.B.

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    2. Nadab

      Une lecture plus attentive de la Torah montre bien qu’il ne nous est pas dit comment Dieu créa le ciel et la terre. il les créa, c’est tout. La parole divine n’intervient qu’ au troisième verset :  » Dieu dit: « Que la lumière soit! » Et la lumière fut. » Encore faut-il bien comprendre qu’il ne s’agit pas de la lumière des physiciens, celle-là est mentionné plus tard, avec la création des luminaires pour le jour et la nuit. Et les deux luminaires, Dieu les fit, on ne nous dit pas de quelle manière non plus (verset 16).
      Tout cela est riche d’enseignement pour un esprit attentif, l’analyse de la place ou non de la parole divine devant être poursuivie pour tout le récit de la création, avec les riches enseignements qui devraient en découler.

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  4. Jean-Marie

    Restons modestes et pas terrestro-centrés : nous ne sommes pas les seuls êtres pensants de ce vaste Univers (qui est un ethnonyme)

    Il y a quand même quelques scientifiques sérieux qui pensent que d’autres planètes sont habités et les OVNI font de moins en moins sourire des gens très sérieux, pas uniquement des pilotesr

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