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L’occident chrétien en crise.

CRISE DE L’OCCIDENT ET CHOC DES FONDAMENTALISMES

          La crise de l’Occident, dont nous sommes les témoins inquiets, est un sujet qui nous touche profondément, parce que nous sentons qu’elle concerne notre civilisation. La plupart des analystes la décrivent sous  son aspect économique, démographique, environnemental, politique, moral ou social. Je voudrais porter sur cette crise un autre regard, afin d’en identifier – si c’est possible – la racine profonde. Ce regard, personnel, se situe dans le cadre de recherches historiques et sociologiques qui font l’objet d’un vaste débat.

I. Définitions

          Et d’abord, il faut définir 4 termes que nous emploierons.

 1) Civilisation

            J’emprunte ma définition à l’école américaine de sociologie : une civilisation, c’est une identité culturelle, associée par chaque individu à une partie de l’humanité à laquelle il peut s’identifier. Cette partie de l’humanité est un groupe plus étendu que la tribu, la région ou la nation.

          Mais j’emploierai aussi une image plus familière : je dirais qu’une civilisation, c’est un peu comme un grand et vieil arbre. Nous n’apercevons que les hautes branches, touffues, dans lesquelles nous avons fait notre nid. J’essayerai d’identifier aujourd’hui l’une des racines, devenue quasi invisible pour nous, mais à partir desquelles notre arbre occidental a acquis sa stature ancestrale.

 2) Référent

            L’identification des peuples à une civilisation s’effectue à travers ce que la linguistique appelle des référents : un référent, c’est un outil verbal qui désigne un élément du réel. Déjà, Thomas d’Aquin expliquait que le concept (notre « référent ») pointe vers une chose (une res) qui a sa réalité propre, en-dehors du langage. La question cruciale, nous le verrons, est alors de savoir comment fonctionne l’adéquation entre le référent, et la chose qu’il désigne.

            Ce réel, désigné par les mots à travers lesquels s’exprime une civilisation, il peut être du domaine des faits (par ex., la prise de la Bastille), mais aussi de l’imaginaire. C’est particulièrement vrai du fait religieux, dans lequel les sociologues identifient l’un des référents fondateurs de toute civilisation.

3) Crise

Restons-en provisoirement à notre image familière : il y a crise quand les racines d’une civilisation sont devenues tellement lointaines, que les hautes branches ne peuvent plus y puiser leur sève. Le vent, la pluie, les tempêtes soufflent : l’arbre résiste mal, parce qu’il est mal enraciné.

Il a trop oublié. Il ne sait plus ce qu’il fut, il ne sait plus ce qu’il est.

 4) Occident

Sa définition a d’abord été géographique : c’était la civilisation née de la Grèce, et qui se répandit autour du bassin méditerranéen. Son épicentre, situé à Rome, se déplace ensuite vers Constantinople. Mais jusqu’à la fin du VII° siècle, ce que nous appelons aujourd’hui le Proche et le Moyen Orient font encore partie intégrante de l’Occident et de sa civilisation, à laquelle ils apporteront des contributions inestimables.

Quand, en 1453, Constantinople tombe sous la coupe de l’Empire Ottoman, l’Occident se voit privé de toute sa partie orientale.

Rapidement (1620) il va compenser cette perte en déplaçant sa frontière vers l’Ouest : mais la conquête de l’Amérique par les européens s’est faite dans des conditions très particulières, qui expliquent que la civilisation américaine s’éloigne de plus en plus de sa matrice européenne. C’est pourquoi je vous parlerai surtout ici de l’Occident européen.

Et déjà, nous dégageons un résultat important : à cause de son Histoire, la civilisation occidentale n’est plus une entité géographique, mais une réalité conceptuelle, référentielle.

 II. Construction du référent fondateur de l’Occident

Tout commence avec Jules César. En 63 avant J.C., très jeune mais déjà animé d’une ambition dévorante, il reçoit la magistrature suprême. Il devient Souverain Pontife de la religion d’État. Quelques années plus tard, il impose à Rome sa dictature : pour la première fois en Occident, les pouvoirs civil et militaire se trouvent réunis, avec le pouvoir religieux, dans la main du même homme. Cette conjonction des deux pouvoirs en un seul s’imposera à tout l’Occident, et jouera un rôle essentiel dans la naissance de ses référents culturels.

Au début de notre ère, Rome traverse une crise d’identité. L’un des deux piliers du pouvoir, la religion de l’État romain, est agonisante. Et l’Empire est envahi par des religions venues d’Orient – dont la mieux connue et sans doute la plus répandue est le culte solaire de Mithra. Ces religions sont anciennes, mais une nouvelle venue va faire une entrée fracassante : le christianisme.

Cette religion est légalisée par Constantin en 313. L’un de ses successeurs, Julien dit l’Apostat, tentera en vain une restauration du culte romain : le premier, il avait compris l’importance des référents culturels dans la survie d’un Empire. Nous savons qu’il était convaincu que la civilisation romaine disparaîtrait, si sa religion ancestrale ne retrouvait pas, dans l’État, sa place traditionnelle.

Et c’est bien ce qui s’est produit. Fragilisé par la perte de son identité religieuse, l’Empire va disparaître, dégluti par les barbares. Ce fait historique illustre mon propos : c’est quand leur panthéon, et leur culte traditionnel, ont disparu de la vie des romains, qu’ils ont cessé d’être un grand peuple porteur de son identité culturelle.

Voilà donc quel sera mon fil conducteur : La perte des référents qui l’ont constituée, provoque la fin d’une civilisation donnée. La crise d’une civilisation, c’est la crise de ses référents.

Cette crise aurait pu être fatale à l’Occident, si le christianisme ne s’était pas immédiatement substitué à la civilisation romaine naufragée, en lui apportant ses référents propres. Mais l’accouchement d’une nouvelle identité culturelle en Occident va se faire dans la douleur, à cause de l’élaboration difficile du dogme, et donc de l’identité chrétienne.

En effet, les chrétiens à peine nés se déchirent autour d’un point central : l’identité de Jésus de Nazareth. L’image de cet homme va être progressivement transformée, au point que vers l’an 100, le rabbi juif itinérant est devenu Dieu.

Une question va dés lors se poser, lancinante : si Jésus est Dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également Dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

La réponse à cette question va susciter des affrontements, dont la violence nous étonne aujourd’hui. Je m’y arrête parce que les Empereurs – qui avaient réussi l’union, dans leur personne, du politique et du divin – ont pris une part active dans les luttes qui déchirent les chrétiens entre eux. C’est qu’ils étaient conscients qu’une nouvelle civilisation était en train de naître, et qu’elle avait besoin de référents indiscutables, et indiscutés.

Le dogme de l’incarnation, la définition de la divinité du Christ jusque dans ses plus petits détails, va donc être la question centrale autour de laquelle se construira, lentement, douloureusement, le nouveau référent, le socle identitaire de la civilisation occidentale.

Je vous passe les détails. Rappelons seulement que l’arianisme, né à la fin du II° siècle, et qui s’oppose à la transformation totale de Jésus en Dieu, a bien failli l’emporter.

En 392, l’Empereur Théodose décrète le christianisme religion d’État. Parfois par la force, le pouvoir impérial va contraindre la Grande Église à adopter une formulation acceptable de la divinité du Christ. Avec le concile de Chalcédoine, en 451, le christianisme disposera d’un référent suffisant pour s’imposer dans l’Empire. Mais ce n’est qu’en 681, à la fin du VII° siècle, que l’Église surmonte toutes les hérésies, et que les dernières conséquences de la divinisation du Christ sont tirées au clair[1].

S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul îlot stable, émergeant de cette mer démontée. Solidement campée sur le dogme de l’incarnation, désormais indiscuté, L’Europe trouve dans l’Église la force de sa survie, le référent de son identité et de son unité face à ses adversaires.

La période qui suit (VII° / VIII° siècle) apparaît comme une période charnière.

On voit en effet Alcuin, théologien de Charlemagne, élaborer la notion de monarque de droit divin. Je remarque que cette doctrine politique n’a pu prendre naissance qu’à partir du moment où la divinisation de Jésus était acquise en Occident. De même que le Christ est l’image terrestre du Dieu invisible, de même l’Empereur devient l’expression visible, sur terre, de la volonté divine – et ceci, jusqu’à la Révolution française.

A ce moment charnière de l’Histoire, l’Occident a donc trouvé dans la divinité du Christ la justification du pouvoir. Mais le dogme de l’incarnation, parce qu’il est devenu un référent compris et accepté par tous, marque de son emprise l’éthos – c’est-à-dire l’horizon éthique, culturel, social, esthétique – de la civilisation occidentale. Jusque dans les moindres détails leur vie quotidienne, les hommes et les femmes d’Occident seront formatés par les ramifications de ce dogme fondateur.

Dire que l’Occident s’est construit autour du christianisme, c’est une banalité. Je cherche à aller plus loin, et vous proposerais d’identifier, dans la lente et chaotique transformation de l’homme-Jésus en Dieu, la racine profonde, la matrice originelle de la civilisation occidentale.

 III. La fin d’une civilisation

J’ai parlé de moment-charnière : en effet, c’est à la fin du VII° siècle,  quand le dogme de l’incarnation n’est plus discuté en Occident, quand ce référent-là est devenu le socle de tous les autres, qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lance au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette explicitement l’incarnation de Dieu en Jésus, qui affirme l’unicité de Dieu, et accuse l’Occident d’avoir fabriqué, à côté du Dieu-très-Grand, un deuxième Dieu, incarné.

Au chercheur, Le Coran apparaît d’inspiration entièrement judéo-chrétienne. Il répond à l’éternelle question, qui a si longtemps agitée la chrétienté : qui est Jésus ? Et puisqu’il refuse sa divinité, quelles sont les voies d’accès au divin ? En rejetant ce qu’il appelle « la magie chrétienne », le Coran crée le référent d’une nouvelle civilisation, qui attire à lui le quart de l’humanité.

L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi, là où tous les hérétiques de la Grande Église avaient successivement échoué. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à l’unicité de Dieu, c’est-à-dire païenne.

Mais revenons à l’Occident. Solidement campé sur une identité qui trouve sa source dans le dogme de l’incarnation défendu par l’Église, il continue sa route. Et quand il étend sur la planète son modèle de civilisation, le christianisme  triomphe avec lui.

Vont alors se produire trois secousses majeures. La première, la Réforme protestante, va entamer l’unité européenne cimentée autour de Rome. Mais Luther et Calvin n’ont pas remis en cause le dogme de l’incarnation, ils n’ont pas touché à l’identité occidentale. Avec le recul de l’histoire, le moment le plus révolutionnaire de la Réforme apparaît comme celui où Luther traduit la Bible en langue allemande. A son insu peut-être, en mettant le texte sacré à la portée de tous, il a permis à l’Occident d’échapper au piège redoutable du fondamentalisme : nous allons y revenir.

La seconde secousse, c’est le mouvement des Lumières, le triomphe de la raison sur la foi considérée comme irrationnelle. Mais sa diffusion touche surtout les élites : au XIX° siècle, l’empreinte des Églises chrétiennes est encore très forte sur l’Occident. Grâce à la colonisation de la planète par les occidentaux, elles deviennent des puissances mondiales.

C’est dans ce XIX° siècle qu’on voit apparaître les premiers signes d’un déclin du christianisme, déjà en germe dans les secousses précédentes. Troisième secousse, la laïcité instaure la séparation des Églises et des États. Mais les référents des nouvelles nations européennes restent chrétiens. Les Églises, qui ont officiellement perdu leur emprise sur les sociétés, transfusent en elles l’essentiel de leurs valeurs. Le code Napoléon, qui servira de modèle aux législations européennes, puise dans saint Paul une bonne partie de sa morale individuelle et sociale, ainsi que l’inspiration de ses lois.

Cependant le déclin des Églises est là, inexorable. Il sera un temps masqué par l’expansion missionnaire du XIX° siècle, puis par la montée des fascismes au début du XX°, pour se transformer très rapidement en effondrement.

Ce sont des sociologues américains qui se sont penchés sur la notion d’effondrement des civilisations. Arnold Toynbee[2], Joseph Tainter[3], Samuel Huntington puis Jared Diamond[4] : tous reconnaissent, comme Christopher Dawson[5], que « les grandes religions sont les fondements des grandes civilisations ».  Mais dans leurs travaux, aucun ne donne au référent religieux la place centrale qui lui revient. Ils l’analysent de l’extérieur, à coup de statistiques, et finissent par attribuer l’effondrement des civilisations à des causes économiques, sociétales ou environnementales. Dans la lecture que je vous propose, au contraire, j’envisage la naissance et la mort d’une civilisation en suivant son marqueur principal, l’évolution du référent religieux. Je complète l’analyse trop factuelle des américains en intégrant les résultats de l’école française de sociologie, qui a étudié de près le déclin du catholicisme en France, et sa signification dans le déclin de notre civilisation.

Il n’est pas possible de résumer ici ses conclusions. Je préfère rappeler à ceux de ma génération des faits qu’ils ont vécus : revenons, par la mémoire, aux années d’après-guerre.

Jusqu’aux années précédant 1958, date symbolique[6], l’Église en tant qu’institution était partout présente. Souvenez-vous : partis politiques Xns, syndicats Xns, éducation Xenne, mouvements de jeunes Xns, organismes caritatifs Xns (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale…. Mais aussi littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi siècle, le catholicisme en tant que référence a disparu en France du champ de la créativité.

Certains affirment que ce qu’il a perdu en Occident, il l’a retrouvé dans les pays du Tiers-monde, notamment Afrique et Brésil. Mais le dynamisme catholique de ces pays n’est qu’apparent. D’abord, il est encore souvent lié à la promotion sociale. Ensuite, on y voit monter en puissance l’extraordinaire foisonnement de sectes très diverses, et du fondamentalisme évangélique américain : ils sont en train d’y supplanter les Églises.

Ceci, c’est l’aspect spectaculaire du phénomène. Mais reprenons notre fil conducteur :

1) Comme on pouvait s’y attendre, l’effondrement a été précédé par une perte de signification des référents, qui avaient permis la montée en puissance de la civilisation occidentale. Prenons un tout petit exemple, la Toussaint : ce jour férié a perdu toute signification, au point d’être un temps concurrencé par Halloween. On pourrait analyser ainsi tous les grands référents chrétiens : les concepts restent en vigueur dans la société, mais ils ne renvoient plus à leur res, à leur réalité d’origine (cf. enquête La Vie, Noël 2006).

2) Allons plus profond : à partir du XIX° siècle, des chercheurs (protestants, puis catholiques) commencent à étudier la Bible avec un outil nouveau, la méthode historico-critique. Utilisant la linguistique, l’archéologie, l’épigraphie, l’Histoire comparée, ils situent le texte sacré dans ses époques et ses lieux d’origine, dans sa culture de formation. Ils cherchent à dégager les faits, et les différents messages, de leurs contingences historiques. De plus en plus, ils vont se libérer, dans leur lecture, des lunettes contraignantes du dogme. Ils redécouvrent ainsi la personne, et la personnalité de Jésus, la façon dont il a été transformé en Dieu, et les motifs de cette transformation.

La vieille question de l’identité du Christ est donc remise sur le tapis : et ce n’est plus de façon polémique, comme par le passé, mais par l’étude sereine et objective. Le principal référent de la civilisation occidentale n’est plus remis en cause de l’extérieur, par ses ennemis, mais de l’intérieur, et par ses spécialistes les plus talentueux.

De même que j’ai identifié, dans la divinisation de Jésus, le référent fondateur de la civilisation occidentale, je vous propose d’identifier, dans cet effacement ou cette remise en cause de l’ensemble de ses référents religieux – et du principal d’entre eux, le dogme de l’incarnation – l’une des racines profondes de la crise de l’Occident. Cet effondrement, il a été en quelque sorte officialisé au moment de la discussion d’une constitution européenne : pour la première fois depuis ses origines, l’Europe a officiellement refusé en 2004 de reconnaître dans le christianisme la racine d’un vieil arbre, dont le rêve d’un nouveau surgeon bute sur l’absence de valeurs fédératrices.

Samuel Huntington écrit que « Les civilisations sont mortelles, mais elles ont la vie dure ». La crise de l’Occident, je ne la vois pas d’abord dans le « Choc des Civilisations » qu’il décrit. Mais bien plutôt dans la disparition des référents d’une civilisation – la nôtre.

Face à ce désastre, nous voyons naître un double péril, que j’ai appelé le choc des fondamentalismes.

 IV. Le choc des fondamentalismes

I. Le premier, nous le connaissons, il est présent à tous les esprits : c’est le fondamentalisme de l’islam radical.

J’emploie le terme d’islam avec réserve, car il recouvre une civilisation multiforme, extrêmement riche, et dont je ne suis pas un spécialiste. En revanche, j’ai pris le temps d’étudier le Coran : c’est de ce texte que je vous parlerai ici, et de lui seul.

Pour ceux qui s’en réclament, le Coran est en quelque sorte la parole matérialisée du Dieu qui se révèle grammaticalement, syntaxiquement, dans la construction verbale du texte arabe. Il n’y a donc plus ici de distance entre le référent et la réalité qu’il désigne : le texte fait référence à lui-même, il trouve en lui-même sa justification, et l’explication de ses obscurités.

Considéré comme l’expression matérielle de la pensée divine, le Coran est donc intouchable : Dieu ne peut pas être soumis au feu de la critique historique. L’origine divine du Coran est un dogme absolu, et les islamistes radicaux lancent des arrêts de mort contre tous ceux qui prétendent l’interpréter en-dehors d’une tradition, alimentée par le Coran lui-même. L’exemple le plus célèbre est celui de la Fatwa lancée contre Salman Rushdie.

Nous tenons ici la première définition du fondamentalisme : un texte, devenu l’équivalent d’une présence réelle de Dieu, est pris à la lettre. Sans tenir compte ni des circonstances culturelles, géographiques, religieuses et politiques de son écriture, ni de la façon dont il peut être reçu longtemps après, et en fonction de contextes socio-politiques nouveaux.

Ajoutons que l’islam est habité par une ambition messianique, qui l’a toujours fait rêver à la conquête du  monde : nous allons revenir sur ce point, crucial.

II. L’autre péril, nous l’évaluons moins bien, parce qu’il est plus récent : je crois pouvoir l’identifier dans le fondamentalisme évangélique. En fait, le mot fundamentalism a été employé pour la première fois aux Etats-Unis, à Niagara Lake en 1895, par un groupe de responsables d’Églises protestantes américaines. Ils s’étaient réunis pour s’opposer aux progrès de l’exégèse historico-critique, dont je vous parlais il y a un instant. En 1910, une espèce de Credo du fondamentalisme a été défini en cinq points : le premier affirme la divinité du Christ, le cinquième proclame que c’est Dieu lui-même qui parle dans la Bible, laquelle doit être prise à la lettre et ne peut jamais se tromper.

Il ne vous échappe pas que ce fondamentalisme évangélique ressemble à s’y méprendre au fondamentalisme islamique : même sacralisation d’un texte, même refus de le soumettre à l’épreuve de la critique historique. Et même affirmation sans nuances du référent fondateur – l’unicité de Dieu pour les uns, la divinité du Christ pour les autres.

Dès son origine, le fondamentalisme américain est lui aussi fortement messianique.

A partir des années 1970, ce mouvement qu’on appelle « évangélique » ou « néo-conservateur » a repris vigueur aux Etats-Unis, de façon foudroyante. Il dispose là-bas d’une audience populaire considérable, et de l’appui affiché du gouvernement actuel. Vous devez savoir que grâce à ses moyens financiers, il est en train d’envahir la planète.

En effet, le messianisme natif des fundamentalists a pris une tournure particulière. Pour eux, le Messie tant attendu est enfin arrivé : c’est la morale, le mode de vie et de consommation, la démocratie et le capitalisme à l’américaine. C’est l’Amérique sûre de ses valeurs, et prête à les imposer à toute la planète, fut-ce par la force.

L’effondrement de la civilisation occidentale semble avoir laissé, face à face, deux fondamentalismes, tous deux messianiques, identiques dans leur utilisation d’un texte devenu sacré, et qui s’opposent par leurs référents.

Ce qui me paraît rendre la situation extrêmement dangereuse, c’est :

1- La force et la solidité des référents religieux respectifs. Chacun connaît exactement sa vérité propre, chacun peut d’autant mieux s’identifier à elle qu’elle est simplifiée à l’extrême, sans nuances.

2- L’énergie motrice de chacun des messianismes, l’un tourné vers La Mecque, l’autre tourné vers le rêve américain. Deux référents devenus plus imaginaires que réels, mais qui fonctionnent parfaitement, et donnent à ces fondamentalismes leur coloration totalitaire.

J’aurais voulu terminer sur une note d’optimisme : mais les historiens sont rarement optimistes, confrontés qu’ils sont aux soubresauts de l’Histoire et aux souffrances de l’humanité au cours des siècles. Ils analysent, ils ne prédisent pas.

Pour l’instant, la nostalgie d’un grand arbre occidental, ayant retrouvé des racines, devra nous tenir lieu d’espérance.

                M.B., mai 2007.

(Texte de la conférence donnée à Tours le 28/04/07

L’ADN ET LA FIN DES LUMIÉRES

          Une polémique enfle chez nous, jusqu’à provoquer des manifestations de rue : le lien entre test ADN et immigration.

     La France est un pays d’immigration. Elle reconnaît le droit au regroupement familial : un(e) immigré(e) qui a trouvé(e) sa place dans notre société doit pouvoir faire venir ses enfants. Pas de problème.

     Si, il y a un problème : dans certains pays d’émigration, l’état-civil est inexistant ou insuffisant. Pour que les enfants d’immigrés puissent, comme les nôtres, bénéficier du droit à l’éducation, à la santé, au logement (?), notre administration demande aux immigrés une preuve de leur filiation. La même preuve est exigée des français de souche, ce n’est pas une discrimination.

     Que faire, si une maman demande à faire venir auprès d’elle son enfant resté « là-bas », sans pouvoir fournir les papiers nécessaires ici – parce que « là-bas » ce n’est pas comme ici, il n’y a pas une Mairie dans chaque village de brousse ?

     On propose alors à la maman, si elle le souhaite, d’établir la filiation de son enfant par un test génétique. Qui remplacera tous les papiers manquants.

     Solution raisonnée, raisonnable, qui vise à aider ceux de « là-bas » à pouvoir insérer leurs enfants ici. A combler le fossé qui sépare leur culture tribale, orale, traditionnelle, de la nôtre qui est fonctionnelle, administrative.

     La technique issue de la raison vient combler les fossés culturels.

      Or que voit-on, qu’entend-on ?

     On entend des penseurs, des philosophes, des scientifiques de notre intelligentia assembler un énorme soufflé à coup de grandes idées, de principes et de dogmes qui n’ont rien à voir avec le problème du regroupement familial, et la solution proposée en cas de manque d’état-civil.

     On les voit faire monter ce soufflé jusqu’à ce qu’il déborde du fourneau de leurs bureaux encombrés, pour s’étaler dans la rue. Invoquer la Déclaration des Droits de l’Homme, les idéaux de la Révolution, l’Éthique universelle et la Vocation particulière de la France…

     La « vocation » : terme religieux. Totalement déconnectée de la réalité, la discussion devient religieuse : dogmatique.

     Nées en France, les Lumières affirmaient la primauté de la raison sur le dogme, de la réalité humaine sur la foi abstraite. La polémique sur les test ADN montre que l’esprit des Lumières est mort chez nous. On comprend pourquoi la France a si longtemps été « la fille aînée de l’Église » : nous sommes le seul pays capable de transformer une solution en problème, et en problème dogmatique.

     Dés lors que Don Quichotte a transformé les moulins en dangereux guerriers, il peut partir en guerre : faute de vrais combats, il s’attaque à ceux qui moudront le grain dont il se nourrit.

     Pauvres immigrés, pauvres mamans privées de leurs enfants nés dans une autre culture que la nôtre. Pauvres indiens d’Amérique, qui furent le prétexte à une Controverse de Valladolid où l’Occident réglait sur leur dos ses problèmes dogmatiques.

     C’était avant le XVIII° siècle et ses Lumières.

                                                     M.B., 12 octobre 2007

L’OCCIDENT EN PÉRIL (I.) : crise économique et crise identitaire.

          Période des vœux de bonne année. Superposition d’images de foules qui ressassent, comme une incantation, leur foi dans le bonheur – et d’autres, chassées de leurs masures, massacrées, privées de tout espoir. Les unes, en Occident. Les autres, ailleurs.
       « Bonne année ! » : visibilité un an.

       Et après, quoi ? On évite d’y penser. 
       L’Histoire élargit un peu la visibilité. Au milieu du brouillard, je voudrais esquisser ici le brouillon d’une perspective. Un blog permet ces tâtonnements, que l’édition interdit.
       A aucun moment de cette esquisse je ne perdrai de vue notre situation actuelle. (1)

I.  DE L’EMPIRE ROMAIN A L’EMPIRE CHRÉTIEN


       Le long règne d’Octave-Auguste enjambe le début de notre ère chrétienne. Rome est alors solidement campée sur ses valeurs traditionnelles : travail, sérieux, austérité. Elle est au sommet de sa puissance :
       1- Puissance économique : L’Italie, la Sicile et le Maghreb sont les greniers à blé de l’Empire, qui produit lui-même les matières premières dont il a besoin. La sesterce s’impose comme monnaie internationale, l’Empire engrange les capitaux, sa puissance financière est illimitée.
       2- Force identitaire : La civilisation romaine se répand partout, cimentée par une religion héritée de la Grèce. Le citoyen romain sait qui il est, il n’a aucun doute ni sur son identité, ni sur la valeur universelle de cette identité qui s’impose aux civilisations conquises (Égypte, puis tout l’est du Bassin méditerranéen). La force de la religion romaine, c’est qu’elle est capable d’assimiler toutes les autres. Et quand elle ne les assimile pas dans sa mythologie traditionnelle, elle les tolère sans aucun mal : les religions des peuples conquis ne remettent pas en cause l’identité romaine.
       Puissance économique et identité forte autour d’une religion : ce sont là les deux piliers de la réussite de l’Empire.

       Qui va s’étendre, et entrer de plus en plus en contact avec les « barbares ».
Alors, l’économie de l’Empire se transforme : de productrice, Rome devient simple consommatrice. Ses colonies produisent pour elle, le luxe s’installe dans la capitale avec des biens venus de partout, qui ne lui ont coûté aucun effort.

       A la fin du I° siècle et sans s’en être rendue compte, Rome vit aux crochets de l’Empire : investissements et production se font ailleurs, l’Italie se paupérise mais ne s’en rend pas compte puisque ses rapines lui offrent un bien-être bon marché inégalé. A Rome même, les citoyens ne travaillent plus, ce sont des esclaves qui accomplissent toutes les tâches indispensables à une métropole.

       La diversité des peuples barbares et leur relative faiblesse ne leur permet pas d’imposer leurs propres religions, ce qui aurait remis en cause l’identité romaine. Mais la religion traditionnelle est désormais agonisante : les dieux romains ne sont plus que des références culturelles obligées, les romains se réfugient dans le culte des ancêtres, c’est-à-dire dans l’individualisme.

        Dans un sursaut, l’identité romaine va éviter sa disparition en transformant le culte rendu aux dieux par le culte de l’Empereur, c’est-à-dire du pouvoir. Autrement dit, le pouvoir de Rome se perpétue en s’adorant lui-même.
       Les peuples conquis ou barbares acceptent tous ce culte, qui ne porte pas atteinte à leurs propres religions. Tous, sauf un : le peuple juif. Vers l’an 130, nous avons des lettres de l’empereur Hadrien qui s’étonne de la résistance de cet unique et minuscule petit peuple : pourquoi refusent-ils l’assimilation, en rejetant tout autre culte que celui qu’ils réservent à leur Dieu unique ?
       Conséquence : le peuple juif est écrasé par les Légions romaines, en l’an 135 Jérusalem devient Aelia Capitolina. En éliminant la seule résistance identitaire qu’il rencontrait, L’empire a pu préserver, provisoirement, sa force identitaire.

       Mais pas pour longtemps : certains juifs sont devenus « chrétiens », et l’un d’entre eux, Paul de Tarse, a su intégrer dans le christianisme les éléments les plus forts du paganisme oriental : l’espérance d’une résurrection, incarnée dans un héros humain devenu Dieu et lui-même ressuscité.

       Au début du II° siècle, l’économie de l’Empire est sur le point de s’effondrer : créée ailleurs qu’à Rome, la richesse donne le pouvoir aux peuples conquis qui la produisent. Si la crise économique s’accompagnait d’une crise identitaire, les deux piliers de sa puissance disparaissant en même temps, c’en serait fini de l’Empire.
       Il va éviter la conjonction mortelle de ces deux crises en abandonnant définitivement son identité, traditionnelle depuis 6 siècles, pour devenir chrétien. Si le christianisme devient religion officielle de l’Empire en 381, c’est qu’au même moment l’empire a perdu toute maîtrise de sa puissance économique. Rome, qui n’est plus une place financière, devient une place religieuse, et l’unité qui se fait (difficilement) autour du christianisme permet à l’empire de surmonter, sans disparaître, la redistribution des cartes de la nouvelle économie.

       Le christianisme devient alors son seul rempart devant les barbares, dont les invasions finissent d’anéantir sa puissance économique. Le pape détient le seul pouvoir restant à l’empire, celui de l’identité : ancré autour de la papauté, l’empire va lentement s’adapter à la nouvelle économie. Définitivement appauvrie, l’Italie trouve dans une identité recomposée autour du christianisme la capacité de rester le centre du monde occidental.
       Il faudra 4 siècles à l’Occident pour retrouver une certaine puissance économique, en redevenant un espace de production agricole et minière. De nouvelles ressources sont exploitées, le commerce entre centre et ex-colonies s’équilibre. La force de l’identité chrétienne s’impose aux anciens barbares, un nouvel empire peut naître.

       A la fin du VII° siècle et autour de Charlemagne, il trouve son expression dans l’Empire Romain Germanique : les barbares (Germanique) se sont intégrés dans la nouvelle identité religieuse (Romain), comme autrefois les colonies de Rome s’intégraient dans la religion romaine traditionnelle. Une économie réelle (de production) est entre leurs mains : économie et identité sont à nouveau réconciliés, une ère de prospérité va pouvoir s’ouvrir pour l’Occident.
       Mais il va devoir faire face à une nouvelle menace identitaire, qui vient de la péninsule arabe…

                                      M.B., 2 janvier 2008

(à suivre)

(1) Par exemple, remplacez dans cet article « Rome » ou « empire » par USA…

L’OCCIDENT EN PÉRIL (II.) : L’âge d’or de l’Empire

          Le moment le plus « creux » de l’Occident si situe dans cette période où l’empire romain s’est effondré sous les coups des barbares, entre le IV° et le VII° siècle.
       L’économie impériale n’existe plus : Italie, Gaule, Europe centrale se replient sur une économie de subsistance, celle du village. Les métropoles voient leur population fondre, la famine s’installe comme une réalité quotidienne.
       L’identité chrétienne s’est constituée autour du dogme de la Trinité, défini à Chalcédoine en 451. Elle s’étend jusqu’au Portugal (mais l’Espagne reste wisigothe, c’est-à-dire arienne : négation de la nature divine du Christ). Difficilement, l’évêque de Rome réussit à faire admettre sa primauté. A Rome même et en Italie centrale, dévastées et paupérisées, le pape est l’unique autorité, à la fois chef religieux et préfet.
       C’est de la Gaule rhénane que vient le salut, avec l’accession au pouvoir de Charlemagne. Il va commencer à organiser la féodalité, et lui donne sa philosophie par un geste de portée considérable : le 25 décembre 800, il va se faire couronner à Rome par le pape Léon III.
       Notez la date : le 25 décembre, jour du sol invictus de la Rome ancienne devenu jour de la naissance du Christ. C’est la naissance du successeur des Césars à la tête d’un Occident en recomposition. Et s’il accepte l’onction papale, c’est pour marquer le retour de l’identité impériale (pouvoir civil et religion ne font qu’un) cimentée autour du christianisme.

       A sa mort, l’éclatement de l’empire marque le début de la féodalité. La société féodale est calquée sur la conception théocratique de l’Église catholique : de même qu’il y a un pape, puis des évêques soumis au pape et le représentant, puis des prêtres faisant circuler le sang de l’autorité apostolique jusque dans la moindre paroisse, de même il y a un empereur (ou roi) avec ses Grands Vassaux – qui lui sont soumis mais disposent de l’autorité locale, puis les petits vassaux qui relayent l’autorité impériale jusque dans le plus petit village.
       Identiques dans leur structure, ces deux sociétés (l’Église et la féodalité) cheminent côte à côte en s’affrontant sans cesse. Parfois c’est le pape qui l’emporte (Canossa), mais le plus souvent c’est l’empereur qui dicte sa loi aux papes (césaropapisme). Cette étreinte aurait pu être mortelle, mais chacun des deux pouvoirs a trop besoin de l’autre pour l’anéantir. Le résultat, c’est la « chrétienté« , un Occident unifié par un pouvoir théocratique. Alcuin, le théologien de Charlemagne, l’avait bien compris : le premier, il invente la notion de « roi de droit divin« . Le monarque, choisi par Dieu, oint par l’Église, est de nature quasi-divine. Sa personne est sacrée, et Damien, qui donna un coup de canif à l’abdomen de Louis XV, le paya par une mort abominable et très médiatisée.

       Rendue à la libre entreprise par la force d’une identité retrouvée, l’économie occidentale décolle. Entre le X° et le XIII° siècle, l’Occident produit sa propre richesse et se couvre de monuments à la fois énormes (Cluny) et raffinés.
       Cette réussite économique a été rendue possible par la préservation de l’identité, cimentée autour du christianisme. En retour, cette identité (chrétienne) s’installe, indiscutée et triomphante, pour dix siècles. Le binôme économie + identité se révèle donc bien comme la condition nécessaire et incontournable de la réussite d’une civilisation.

       Je m’interroge sur les raisons du succès foudroyant de l’islam à la fin du VII° siècle, au moment où l’Occident retrouve sa force autour d’une économie renaissante et d’une identité retrouvée. En deux générations (en 682 et 730 environ), une tribu arabe, les Qoraysh, va prendre le pouvoir dans tout le sud-est de ce qui fut le berceau de l’Occident.
       Avaient-ils le pouvoir économique ? Non, ils étaient plus que pauvres. Mais ils avaient une identité très forte, qui fait apparaître un paramètre nouveau (1) : le messianisme.

       L’auteur du Coran (appelons-le Muhammad), arabe converti au judaïsme rabbinique et fortement influencé par les nazôréens – des judéo-chrétiens exclus de l’Église dès son origine-, fait le rêve de reconquérir Jérusalem et d’y restaurer la « Maison Carrée », le sanctuaire du Temple détruit par Titus. Il tente deux raids depuis la Syrie, échoue, et va construire en plein désert, à La Mecque, une « maison carrée » qui deviendra la Ka’aba et le centre mythologique de l’islam.
       Par la force, il « convertit » la moitié sud de la chrétienté à sa religion, mélange de judaïsme messianique et de christianisme hérétique (nazôréen). Pourquoi des provinces où sont nées le christianisme et où il a élaboré son idéologie, comme l’Égypte, la Tunisie de saint Augustin, la Syrie puis bientôt l’Asie mineure de saint Paul, pourquoi ont-elles si rapidement abandonné le christianisme qu’elles avaient construit de toutes pièces ? Sans doute parce qu’elles étaient lasses des querelles d’idéologie et de pouvoir (les deux vont ensemble) qui ont déchiré l’Orient autour de l’identité de Jésus, dont on a fait si difficilement un Dieu.
       Pour ces populations agricoles, l’islam et sa simplicité rugueuse a dû sembler infiniment préférable aux querelles byzantines autour des deux natures du Christ, et aux luttes qui s’ensuivirent avec leurs exclusions, parfois sanglantes, de la communauté.

       En 732, la conquête islamique est stoppée à Poitiers : l’islam ne possédait qu’une identité forte. Il lui manquait l’autre pilier de la réussite, la puissance économique.
       Une civilisation musulmane va se développer autour de deux centres : Bagdad, à l’est, et l’Andalousie à l’ouest. Mais jamais cette civilisation, aimable et raffinée, ne donnera naissance à une véritable puissance économique : l’Occident, qui possède à cette époque à la fois identité claire et économie forte, résistera toujours à l’islam et le cantonnera dans ses déserts misérables.

       Avec cependant une alerte sérieuse, l’expansion turque. C’est que la Turquie n’est pas seulement musulmane, elle est riche ! Le 7 octobre 1571, le pape de Rome réussit à stopper l’expansion turque à la bataille de Lépante. Le dragon musulman retombe, provisoirement, dans son sommeil.

       La conjonction entre identité et richesse va permettre à l’Occident de se lancer dans l’aventure des Croisades, qui laissera dans l’inconscient collectif des musulmans une trace indélébile. Mais la puissance économique de l’Occident ne sera pas suffisante pour assurer le succès durable de cette première expansion coloniale : il devra se retirer – provisoirement.
       Il se lance alors à la conquête des Amériques, attiré par leurs matières premières, et leur imprime pour toujours son identité chrétienne.
       A la fin du XVIII° siècle, l’Occident semble triompher partout : son identité est solide comme du béton, sa puissance économique immense.


       Jamais (et encore aujourd’hui) il n’a compris le danger que représentait le messianisme musulman. Le messianisme chrétien a été centré sur la personne du Christ, incarnée dans ses dirigeants. Mais le messianisme de l’islam a repris dans son intégralité l’ancien messianisme juif : il est territorial, incarné dans un lieu, Jérusalem qui devient un mythe obsédant l’islam.

       Reconquérir Jérusalem était déjà le but de « Muhammad » : c’est toujours le but du Hamas et d’Al-Qayda.

       Dans un troisième article, nous verrons comment la perte conjointe de sa puissance économique et de son identité marque aujourd’hui, pour l’Occident, l’heure de tous les dangers.

                                                          M.B., 5 janvier 2008

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L’OCCIDENT EN PÉRIL : la fin d’une civilisation (III)

Les deux esquisses qui précèdent  rendent quasi-évidente leur conclusion.

A la fin du XVIII° siècle, la civilisation occidentale semblait inoxydable.
1- Identité

La révolte de Luther n’a pas touché aux dogmes fondateurs du christianisme : malgré les tensions qui la traversent, l’identité chrétienne n’est pas remise en cause.

Trois événements vont miner de l’intérieur cette identité : le mouvement des Lumières, l’expansion du socialisme puis du marxisme, et la vulgarisation des diverses branches de la psychologie. Révolution sociale et individuelle : les Églises traditionnelles sont incapables d’y faire face, elles s’effacent es disparaissent d’abord de la scène, puis peu à peu de l’inconscient collectif occidental.

Pour la première fois depuis ses origines, à partir de la deuxième moitié du XX° siècle l’Occident se trouve en fait privé d’identité. L’Europe reconnaît ce fait en refusant d’intégrer une référence chrétienne dans le projet de constitution de 2004.

2- Économie

La puissance économique de l’Occident a masqué un temps son vide identitaire. Cette puissance s’est constituée autour du pillage des ressources naturelles et humaines du reste de la planète. Situation semblable à celle que connaissait l’empire romain à son apogée : un centre métropolitain qui vivait dans le luxe, grâce au travail de ses esclaves (immigrés de force) à l’intérieur, de ses colonies à l’extérieur.

Mais comme ce fut autrefois le cas pour Rome, le pouvoir et en train de passer aux mains de ceux qui produisent. Ils « émergent », et la domination économique de l’Occident appartient déjà à son passé.

La conjonction de ces deux facteurs – crise identitaire et effacement économique – s’est produite simultanément, ce qui n’avait pas été le cas pour Rome : le résultat, c’est la fin de l’Occident comme civilisation.

Et l’islam ? Son identité reste très forte. Mais il a gardé de ses origines arabes une tradition de civilisation non-productive. La razzia – c’est-à-dire la rapine – était autrefois le moyen de subsistance des tribus nomades guerrières : dépouiller le voisin (sédentaire) de sa production, en le réduisant en esclavage.

L’or noir n’a pas changé cette tradition, puisqu’il est obtenu sans travail, et que son exploitation est confiée aux mains des occidentaux ou des travailleurs immigrés, traités avec le mépris qui sied aux esclaves. Un saoudien ou un koweitien ne se salit pas les mains.

La richesse pétrolière des pays musulmans n’a pas fait disparaître leur jalousie envers un occident laborieux, à qui il faut faire rendre gorge d’une façon ou d’une autre. Le sentiment obscur d’une revanche à prendre est profondément ancré dans certaines populations musulmanes. Il remonte aux croisades, et s’alimente d’un non-dit identitaire : le musulman est un seigneur, fait pour dominer et non pour subir, parce que son identité religieuse surpasse toutes les autres.

Choc des civilisations ? Nécessairement, puisqu’une civilisation est une vision du monde qui s’impose d’elle-même à ceux qui la vivent. Quand nos politiques ou intellectuels nient qu’il y ait choc des civilisations, c’est

1-     soit qu’ils ont peur de l’admettre

2-     soit qu’ils considèrent qu’il ne peut pas y avoir choc, puisque notre civilisation est la seule bonne

3-     soit les deux à la fois.

Ce qu’il faut, c’est affiner le concept de « choc des civilisations ». En fait, ce choc se produit entre chrétienté et islam depuis le VII° siècle – avec les longues périodes de silence dues aux fluctuations de l’équilibre identité / économie décrites plus haut.

L’apparition simultanée en Occident d’une perte d’identité et d’un affaiblissement économique change la donne : ce n’est plus à proprement parler un « choc des civilisations ». Mais la disparition d’une civilisation, la nôtre, privée à la fois d’identité et de pouvoir économique. Et la survie d’une autre, l’islam, qui pénètre dans le ventre mou de l’Occident grâce à la force de sa conscience identitaire.

Quand M. Sarkosy parle de « politique de civilisation« , que met-il sous cette formule ? A-t-il fait un diagnostic en profondeur ? Quels sont les moyens concrets dont nous disposons pour restaurer notre identité perdue ?

L’avenir dira si ce n’était qu’une formule. Elle a au moins le mérite d’aller au coeur du problème.

                                    M.B., 11 janvier 2008

CRISE DE L’AUTORITÉ (Michel Maffesoli)

          Assisté hier à une conférence du Pr. Michel Maffesoli à l’Université Pour Tous de Chantilly.

          Remarquable : il a su à la fois dégager clairement les racines d’une crise que nous vivons quotidiennement, et indiquer ce qui lui semble être sa seule issue possible : le ré-enchantement du monde (titre d’un de ses livres).

1) Le père, ou l’autorité verticale

            L’exercice le plus fréquent de l’autorité sur cette planète a été, et est toujours en bonne partie, vertical. L’autorité vient d’en-haut. C’est celle du Paterfamilias, qui détient le savoir et donc le pouvoir : « Je sais : parce que je suis plus ancien, parce que j’ai été bien formé, parce que je détiens les leviers … et, tout simplement, parce que c’est ainsi. Toi, tu ne sais pas : parce que tu es plus jeune, parce que tu as été moins bien formé que moi, parce que tu ne détiens rien… et, tout simplement, parce que c’est ainsi. Moi qui sais, je te dis à toi ce que tu dois penser, ressentir – et donc faire »

            Venant d’en-haut, le savoir source de pouvoir est reçu et diffusé dans la masse. Il la conduira nécessairement au progrès, qui est infini et source de bonheur.        

 2) Les frères, ou l’autorité horizontale

            A partir des années 1960 on voit naître et s’affirmer une autre dimension de l’autorité, horizontale. Ce n’est plus un père ou un chef qui détient les clefs du savoir/pouvoir, mais des frères qui les partagent. Ce qui n’était qu’une utopie va devenir une réalité grâce à l’explosion des nouvelles technologies de communications, Internet et ses dérivés.

            L’autorité fraternelle que l’interconnexion multiple rend possible est celle du groupe, ou plutôt d’une multitude de sous-groupes appelés « communautés ». Ce transfert d’autorité/savoir de la dimension verticale à la dimension horizontale suscite de vives inquiétudes au sein de nos sociétés : on entend ceux qui détiennent encore le pouvoir vertical parler de « communautarisme« , ce qui est une façon de stigmatiser le nouvel équilibre en train de se mettre en place, tout en exacerbant ses tensions.

              Et Jésus ?

(a) Juif, formé par les pharisiens et considéré par ses contemporains comme l’un d’entre eux, Jésus fait appel à l’autorité verticale. Dans toute une partie de son enseignement, il se réfère au Dieu de Moïse : il n’est pas venu « abolir la Loi » qui descend d’en-haut.

            Mais, à l’autorité reçue de sa tradition et de sa structure socio-politique natale, il substitue très vite sa propre autorité : « On vous a dit… eh bien, moi, je vous dis ! ». Cet « on » dont il prend la place, c’est toute la chaîne verticale de savoir/autorité qui va de l’autel du Temple aux obligations cultuelles quotidiennes imposées par les sadducéens, ou bien qui va de la Loi aux prescriptions légales minutieusement mises au point par les pharisiens.

            Cette chaîne dont les maillons viennent d’en-haut pour asservir le peuple, Jésus la brise (« On vous a dit »). Mais il semble la remplacer par une nouvelle chaîne dont il serait, lui, le premier maillon (« Et moi, je vous dis »).

            Jésus n’aurait-il fait que remplacer une autorité verticale (celle qui vient de « Dieu ») par une autre (celle qui vient de lui) ? Est-ce de sa part un coup d’État, dont il serait à la fois l’initiateur et le seul bénéficiaire ?

             (b) Non. Car en instaurant la « Loi du cœur » [1]  il fait de chacun le détenteur du savoir (celui du « cœur » pur) et du pouvoir (celui de se déterminer en fonction du coeur, quitte à enfreindre la loi verticale).

            Jésus ne se présente pas comme le premier maillon d’une nouvelle chaîne d’autorité, verticale, dont il serait le « père » fondateur. Il renvoie chacun à son « cœur ». Il me dit : « Purifie ton cœur, et tu n’auras désormais plus d’autre autorité normative que ce qui sort de ton cœur purifié ».

            Ceci, dans le judaïsme comme dans toute l’Antiquité, était une nouveauté absolue. Socrate, qui avait entrevu quelque chose de ce genre, a dû se donner la mort, rejeté par la société grecque de son temps. Et Jésus a été condamné par sa société juive pour avoir remplacé la loi paternelle, verticale, par sa « loi du cœur », totalement incomprise.

            Eût-elle d’ailleurs été comprise par ses contemporains, elle était irrecevable. Une société régie par la « loi du cœur » supposerait que tous les citoyens cherchent à purifier leur cœur, pour agir selon ce qu’un cœur pur leur dictera. Tous étant bons, le bien social serait assuré. Utopie sociale, totalement irréalisable.

            Jésus ne se situe donc pas au croisement entre l’autorité verticale et l’autorité horizontale : ce qu’il propose, c’est une troisième voie, originale, jamais enseignée avant lui. Et jamais mise en pratique par une société quelconque, qu’elle soit civile ou religieuse.

            Car son enseignement ne peut s’appliquer qu’au niveau individuel de la conscience et de l’action. Il ne substitue pas à l’autorité verticale une autorité horizontale, fraternelle : et l’Église primitive, quand elle tentera vaguement d’instaurer le « cœur purifié » comme règle normative sociale, connaîtra un échec immédiat si cuisant qu’elle deviendra, pour tous les siècles, la propagatrice d’une autorité verticale/paternelle poussée aux plus grands extrêmes.

             Jésus propose donc une voie individuelle, qui permet à chacun de s’accommoder de toute forme d’autorité. Es-tu dans un régime d’autorité verticale, paternelle, allant jusqu’à la dictature de l’esprit ou des corps ? Purifie ton cœur, et tu sauras comment naviguer dans ces eaux douloureuses.
Es-tu au contraire au sein d’un grenouillement de communautés éclatées, dans une société en pleine recomposition, qui semble ne plus avoir aucune ligne directrice, ne plus savoir où elle va parce qu’elle a oublié d’où elle vient ? Purifie ton cœur, et tu trouveras en lui un gouvernail sûr et solide pour tracer ton sillage dans ces temps incertains.

                        M.B., 3 février 2008

[1] Marc chap. 7 et parallèles

 

LE BÉBÉ ET L’EAU DU BAIN

          Il m’arrive de donner des sessions de formation où je rends compte, par une série de conférences, des résultats de la recherche sur le Jésus historique.
          Ceux qui m’en font la demande sont, par définition, désireux de progresser dans leur connaissance de l’homme Jésus tel qu’il fut, ou au moins curieux d’être informés. Ainsi j’ai donné l’an dernier en Savoie une session introduisant aux méthodes et aux outils de la recherche : Est-il possible de connaître véritablement un personnage comme Jésus ? Quels sont les critères de lecture des textes, permettant de trier les corrections successives apportées par les rédacteurs ? Comment ces textes du Nouveau Testament nous sont-ils parvenus ? Quelles furent les étapes de la transformation progressive d’un homme en Dieu ?
          Une seconde session vient de suivre : Qu’est-ce que Jésus disait de lui-même ? Qui était Dieu pour lui ? Qu’a-t-il apporté de nouveau au judaïsme ? Et enfin, que signifie le mot « résurrection » dans le Nouveau Testament ?

          Peu à peu s’esquisse ainsi la silhouette d’un homme, très différent de ce qu’en on fait les dogmes de la chrétienté mais profondément attachant, et bouleversant au sens propre du terme.

          1) Il bouleverse d’abord par ses actes, ses gestes, sa façon de se mouvoir dans l’espace palestinien de son époque. Ses attitudes, ses réactions face à des situations quotidiennes. Ce qu’il fait – mais aussi ce qu’il ne fait pas -, bref sa praxis constitue un message aussi parlant que ses paroles.
          Et sans doute plus parlant, puisqu’il est plus facile de travestir un mot, une phrase ou un discours qu’un geste rapporté dans son contexte.
          Mais le quêteur du Jésus réel doit examiner chacun de ces gestes qui lui sont attribués : certes ils sont rares à avoir été inventés de toutes pièces, mais leur signification est souvent transformée, de façon plus ou moins subtile, par les rédacteurs des évangiles. Le chercheur tente alors d’élaborer une sorte de « phénoménologie du Jésus historique » : quel était son comportement habituel ? Tel geste, ou telle interprétation d’un geste de Jésus, sont-ils consonants avec sa façon d’être habituelle ?
          Les deux critères complémentaires de non-contradiction et de convergence sont alors mis en œuvre : Jésus ne peut pas avoir eu, à quelques mois de distance, deux attitudes opposées face à une situation analogue. Et son comportement (comme chez tout adulte non-schizophrène) obéit aux mêmes règles, parfois inconscientes, qui permettent de délimiter les pourtours d’une personnalité.

          2) Il bouleverse ensuite par ses paroles, soit dans des dialogues rapportés comme spontanés, soit dans son enseignement plus « magistral », construit.
          D’autres critères d’authenticité viennent alors compléter les deux précédents : linguistique, littéraire, culturel… Jésus s’est exprimé en araméen, et le texte qui nous est parvenu dans sa version grecque permet parfois de remonter jusqu’au jaillissement originel de sa langue maternelle. Il enseignait selon certains schémas oraux de l’époque, notamment les paraboles. Il s’exprime en juif et pour des juifs éduqués à la juive, non pas en grec et pour des philosophes frottés d’hellénisme…

          Peu à peu, par petites touches, se dégage un enseignement à la fois parlé et vécu – là aussi, les critères de cohérence et de non-contradiction permettent de resserrer le champ le plus probable de ce qu’a voulu dire, de ce qu’a voulu faire, le Galiléen.
          Engagé dans cette quête depuis 1974, je puis témoigner qu’apparaît lentement un visage original, fascinant, attirant, infiniment aimable en même temps que totalement déroutant. Je ne me sens pas encore capable de vous offrir une synthèse – quelle personne humaine peut-elle être résumée en une synthèse définitive ? Dans ce blog je livrerai, par bribes, ce que j’aperçois du visage de mon ami.

          Pourquoi déroutant ?

          Parce que Jésus apparaît comme un transgresseur.
          Nous savons maintenant que les religions monothéistes se définissent par l’opposition à la transgression, puisqu’elles secrètent toutes une loi, sacralisée par l’interdit religieux et concrétisée de façon durable par les différents pouvoirs qui en ont fait le socle de leurs interdits civils.
          Or Jésus, c’est indéniable, transgresse toutes les normes établies de son milieu natal : il condamne le clergé, refuse la pratique religieuse (les sacrifices au Temple). Et sans l’avoir délibérément recherché, il est exclu des synagogues : Jésus apparaît comme le premier à avoir affiché l’anticléricalisme dans l’Histoire. Il rejette sa famille, après l’avoir quittée. Il viole ostensiblement des lois socioreligieuses comme l’observance du Shabbat. Il refuse de se plier aux lois morales, se faisant l’ami de marginaux et d’individus rejetés par sa société, prostituées, collecteurs d’impôts, étrangers, occupant romain.

          Jésus a-t-il voulu inverser la loi admise par sa société, pour magnifier son contraire ? Si c’était le cas, selon nos critères il serait (avec Socrate) le premier pervers de notre Histoire. La perversion consiste à inverser les valeurs reçues, le bien devenant le mal et inversement. Il semble que c’est ainsi qu’il a été perçu par les autorités juives de son pays : « C’est au nom du diable que tu enseignes ! », lui lancent les théologiens de Jérusalem. L’accusation entraîne une condamnation à mort : dans toutes les sociétés, le pervers doit être éliminé puisqu’il représente le danger public au niveau le plus élevé, celui des valeurs fondatrices.
          Les autorités juive n’avaient rien compris à la nature de la transgression de Jésus – qui était bien réelle. Il tente de leur expliquer qu’il n’est pas « venu pour abolir, mais pour accomplir »
          Abolir, c’était nier l’ordre existant, en rendre possible l’inversion : c’était effectivement l’enseignement d’un pervers. Mais accomplir, c’était se situer dans la lignée prophétique des bâtisseurs d’un monde nouveau.
          Jésus s’est gardé de l’accusation de perversion : il accomplit en proposant, non pas la fin de la Loi, mais une loi nouvelle, la Loi du cœur.

          Lorsque je l’explique à mes auditeurs, texte en mains, je note chez eux des réactions de surprise, et parfois de rejet.
          La surprise est bien naturelle : tout cela est si éloigné du catéchisme de leur enfance !
          Le rejet m’a d’abord étonné, puisque mes conclusions viennent toujours au terme d’une analyse serrée des textes. Il m’apparaît finalement comme un rejet du Jésus historique, lorsque sa (re)découverte contredit la version officielle de l’Église, ce qui est le plus souvent le cas. J’ai alors le sentiment d’assister à la manifestation d’une authentique perversion, dont le christianisme institutionnel serait l’auteur et mes auditeurs les victimes inconscientes.
          La réaction de rejet est exactement celle que manifestaient déjà les foules dès que Jésus commence à enseigner : « Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau ! » (Mc 1,27) « Car il ne les enseignait pas comme leurs autorités » (Mt 7,29). La perversion accomplie sur l’auditoire vient de ce que la version officielle du Jésus des Églises l’empêche de percevoir l’image qui se dégage de ses paroles et de ses gestes.
          C’est un Jésus inversé qui s’oppose au Jésus de l’Histoire, une perversion de ce qu’il fut.

          Depuis un siècle, la redécouverte de Jésus tel qu’il fut en lui-même s’est effectuée par étapes. Elle propose une approche, chaque jour un peu plus affinée mais jamais définitive. Par nature elle s’oppose au dogme, qui ne propose pas l’approche d’une personne et de son mystère personnel, mais qui impose une vérité close sur elle-même. Un point d’arrivée, et un point final.
          C’est pourquoi les quêteurs du Jésus historique sont si discrets, si peu écoutés et si facilement rejetés. Les suivre, c’est mettre à mal un édifice dogmatique si éloigné du prophète nazôréen, qu’il apparaît comme une perversion de ce qu’il fut. C’est siphonner l’eau du bain dogmatique qui nous a si longtemps abrités dans sa tiédeur.
          Il faut pourtant continuer cette approche, délicate, lente, respectueuse de son mystère, de Jésus tel qu’il fut. What else, quelle autre solution ?

          La question qui se pose à moi devant un auditoire : comment lui faire comprendre qu’on peut rejeter l’eau du bain sans pour autant jeter le précieux bébé, cet homme exceptionnel, inclassable mais incontournable que fut le juif Jésus, fils de Joseph et de Marie ?
          Il y faudra du temps, et une patience persévérante.
          Mais n’est-il pas déjà trop tard ?

                                          M.B., 27 juin 2008

WOODSTOCK, BERNARD BESRET, ET LE CATHOLICISME

          J’ai rencontré Bernard Besret en 1967, à Rome : il était alors Prieur de l’Abbaye de Boquen, fondée par Dom Alexis Presle. Depuis, je ne l’ai jamais perdu de vue, bien que nos contacts soient fort espacés.
          Il vient de publier dans sa Newsletter (b2@bernard-besret.com) un petit in memoriam dont voici l’essentiel.
                                      M.B.

                     Quarante ans déjà…


          Il y a quarante ans, le 20 août 1969, pour la fête de Saint Bernard, je prononçais à Boquen un discours qui devait marquer un tournant dans ma vie et dans celle de Boquen.

          C’était quelques jours après le grand rassemblement de Woodstock. Certes l’auditoire qui remplissait l’abbatiale, sagement assis sur les bancs de l’église, ne rappelait nullement le gigantesque désordre du concert américain. Et pourtant le discours prononcé n’était pas sans participer à ce « changement d’air du temps » que Michel Maffesoli se plaît à reconnaître dans cet événement, marquant pour l’évolution des mentalités dans la deuxième moitié du XXe siècle.

          Je m’étais retiré quelques jours chez des amis avec mes compagnons, Dominique Toquet et François Chagneau , pour préparer soigneusement le texte de mon discours. Mais ce n’est qu’en le prononçant, dans un silence à couper au couteau, que je pris conscience du caractère provocateur de mes propos qui disaient tout haut le fond de notre pensée, dans un décalage considérable avec le discours convenu de l’Église catholique romaine.

          Évoquant le célibat des prêtres, des religieux et des religieuses, je proposais l’instauration d’une année sabbatique au cours de laquelle chacun d’entre eux, compte tenu du changement de monde que nous vivions, pourrait remettre ou non en question son engagement par un choix délibéré et mieux éclairé. Pour l’anecdote, cette prise de position m’a valu d’apparaître comme réponse dans le jeu Trivial Pursuit à la question : « qui a remis l’année sabbatique à l’ordre du jour en France? »

          Puis, analysant le célibat comme « mariage avec Dieu », je constatais que, concrètement, sur le plan existentiel, « être marié avec Dieu c’est n’être marié avec personne ». A la sortie, un ami me prit à part et me dit : « C’est une catastrophe, en une phrase tu as fait plus de dix mille veuves ! »

          La réaction de Rome ne tarda pas à arriver. Dès le 10 Octobre, j’étais démis de toutes mes fonctions. Et cela devait entraîner Boquen dans une aventure dont la portée symbolique dépassait de loin les quelques personnes qui y vivaient de façon stable.

          En arrière fond de ce conflit, se décelait (comme l’avait bien remarqué le Cardinal Gouyon, Archevêque de Rennes), une distance prise avec l’ensemble des dogmes professés par le christianisme en général et par le catholicisme romain en particulier. Sur ce point aussi, je pense avoir anticipé sur la distance prise par tant de chrétiens dans les années suivantes, comme les statistiques récentes tendent à le montrer.

          Malheureusement, pour beaucoup de ces chrétiens en déshérence, aucune réflexion de fond n’est venue se substituer aux croyances abandonnées et ils sont restés sans repères dans un monde qui n’en propose pas beaucoup.
          Par bonheur, ce ne fut pas mon cas.

          Au cours de mes lectures et de mes études de philosophie et de théologie, je m’étais constitué une base solide de ce que je pourrais appeler une métaphysique spirituelle. J’avais puisé chez Aristote, Albert Le Grand ou Thomas d’Aquin (dans la partie métaphysique de leur œuvre), puis plus tard chez Maître Eckhart, des éléments qui venaient conforter mes convictions d’adolescent.
          Dans le même mouvement je me retournais vers les philosophies orientales qui avaient fortement contribué à m’éveiller au cours de mes années de lycée et je poursuivais ma quête d’un noyau commun, au delà des différences de modes de pensée, entre l’Orient et l’Occident, ma quête de ce que Aldous Huxley, reprenant une expression de Leibniz, appelait philosophia perennis et que l’on a traduit un peu maladroitement par « Philosophie éternelle ».

                       Bernard Besret (extraits)

RELIGIONS ET POLITIQUE : une conférence de Philippe Cappelle

          Doyen honoraire de la faculté de philosophie de l’Institut Catholique de Paris, écrivain fécond, Philippe Cappelle est l’un des rares philosophes français qui fasse encore entendre une voix signifiante dans notre société qui fut catholique, et a connu – autrefois – un dialogue / affrontement fructueux entre la réflexion issue de la foi, et une pensée qui se voulait farouchement autonome.

          Ce qui suit n’est ni un résumé, ni même un compte-rendu de sa conférence, brillante et accessible, donnée hier à l’Université Pour Tous de Chantilly. Mais un écho très personnel, et peut-être l’amorce d’un dialogue entre le prêtre catholique et le laïc sans port d’attache, navigant aux risques des eaux libres.

           Avec prudence, Ph. C. a choisi d’aborder son sujet (brûlant) sous forme de parcours historique. Notant dès l’abord que l’on parle toujours de « la religion » (opposée à la raison), alors qu’il n’existe en fait que des religions, aussi diverses que les cultures, et diversifiées parfois même à l’intérieur d’une culture réputée homogène.


          Le pouvoir et le sacré, poursuit-il, sont opératoires aussi bien en religion qu’en politique :

          -a- Aujourd’hui comme hier, le politique se révèle imprégné, pétri de sacralité. Quelle est donc l’autonomie de la décision politique ? Comment le politique peut-il s’affranchir de ses racines mythiques ?

          -b- Religion vient du latin relegere, « rendre aux dieux un culte scrupuleux ». Ce n’est qu’au IV° siècle qu’on l’a fait dériver de religare, relier l’humain au divin, être en conversation communautaire avec le divin.
          Comprise dès lors comme un lien inter-humain, la religion devenait un partenaire incontournable de la politique : elle se donnait vocation à l’espace publique, diffusait des règles sociales contraignantes.

           Reste donc la question douloureuse du partage de l’autorité : politique, ou religieuse ?

          Jamais tranchée, cette question n’a cessé de s’inviter au débat public, ouvrant les vannes d’une fontaine de sang qui coule encore aujourd’hui.

          Ph. C. rappelle le rôle décisif joué par La Cité de Dieu d’Augustin, il convoque à la barre Joachim de Flore, Thomas d’Aquin, Averroès, Hobbes… Mais c’est finalement un pape du V° siècle, Gélase, qui a le plus marqué le débat en distinguant la potestas de l’auctoritas :
                    aux souverains le pouvoir, à l’Église l’autorité.

          On sait que jamais l’Occident n’a su trouver un équilibre entre ces deux termes, balançant entre la théocratie (l’Église possède l’autorité et exerce aussi le pouvoir), le césaro-papisme (le prince possède le pouvoir, mais aussi l’autorité) pour s’installer dans une hypocrisie mutuellement consentie, parce que commode : l’Église a l’autorité, mais délègue le pouvoir au bras séculier. C’est le pape qui condamne, mais c’est le Prince qui craque l’allumette et met feu au bûcher (ou fait croisade militaire).
          Répartition des tâches qui fonctionna longtemps à la satisfaction générale, et dont il reste des traces non négligeables dans nos sociétés occidentales, officiellement (et pieusement) laïques – mais toujours aussi hypocrites.

          Après ces jalons, Ph. C. pose trois questions :

1) Comment comprendre notre présent occidental ?

          -a- Tous les concepts philosophiques modernes sont des traductions de concepts théologiques. Par exemple, l’eschatologie chrétienne (l’attente d’un monde meilleur dans l’au-delà) s’est traduite en course au progrès divinisé.
          Et l’on oublie que les Philosophes des Lumières étaient tous pour le moins déistes, sinon très-chrétiens.

          -b- Mais l’Histoire ne fait pas que se répéter : elle connaît des jaillissements nouveaux. Comment les comprendre ?


2) Comment faire apparaître les différenciations des religions, dans un espace public qui ne veut connaître que LA religion ?

         Corollaire : Quelle permanence dans l’identité changeante des religions, qui évoluent dans le temps autour d’un pivot stable ?


3) Finalement, comment faire cohabiter deux autorités irréductibles, politique et religieuse ?    
          Le grec ex-ousia dit bien que l’autorité fait exister ce qu’elle ne sort pourtant que d’elle-même. Peut-il y avoir une auctoritas, sans potestas ? Théocratie, ou oppression des religions par l’État ? Absorption du politique par le religieux, ou dissolution du religieux dans le politique ?

          Ph. C. a dessiné le champ de bataille et posé les questions avec une rigueur d’érudition, une justesse et une honnêteté de modestie qui firent hier mon bonheur.

          Mais les réponses ?

          Et plus précisément la réponse catholique ? Pendant des siècles, la chrétienté a fourni une réponse – ou plutôt, comme on l’a vu, des réponses fluctuantes – au problème des relations entre politique et religion. Aujourd’hui, qu’a-t-elle appris de son passé ? Quelle réponse donne-t-elle en 2009 ?

          En répondant que catholique signifie universel, que l’Église s’adapte à l’Afrique, aux continents américains, à l’Asie, Ph. C. a donné, sous forme d’esquive, la réplique politiquement correcte – et on ne peut lui en vouloir.
          Honnête homme, il a reconnu dans la foulée la réalité d’un double drame :

          1) D’abord, qu’il n’y a pas – il n’y a plus – dans la chrétienté de réflexion qui s’efforce de prendre, ou de reprendre à bras le corps ce douloureux problème.
          La faute peut-être aux médias, qui pipolisent tous les débats, les ramènent au détail croustillant, étouffent la réflexion de fond (quand il y en a) sous les paillettes de l’accessoire.    
          Confondent l’École et la rue des écoles.

          Je me permets d’ajouter : la faute aussi à un pape adoré des médias et les adorant, qui pendant 25 ans d’un long pontificat a condamné tout ce qui bougeait dans la pensée catholique (cliquez) . Servi par un lieutenant qui a pris sa place (l’actuel pape), il a stérilisé durablement la réflexion dans une Église où il n’y a plus de théologiens dignes de ce nom, mais des répétiteurs zélés.

          2) Ensuite un islam qui n’a pas encore accompli sa révolution herméneutique, comme l’ont fait les chrétiens depuis plus d’un siècle.
          En clair, cela veut dire que tant que le Coran restera considéré comme la parole matérielle de Dieu, dictée à un sténographe (Muhammad) qui n’a fait que la transcrire, son interprétation sera interdite sous peine de mort (sur ce sujet, plusieurs articles dans ce blog).

          D’un côté un Occident historiquement chrétien, devenu incapable de penser, ou de repenser la relation politique / religions. Incapable de proposer une reconfiguration symbolique de son monde.
          De l’autre un islam tétanisé par le dogme du Coran révélé.

          Nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

          Cherchant une issue, j’ose glisser une suggestion : pourquoi – oui, pourquoi – ne pas se préoccuper de ce qu’enseignait, vers l’an 27-30 de notre ère, le plus grand des prophètes juifs ?
          Non pas le Christ de la foi, à qui des autorités (pendant 20 siècles) ont fait dire ce qui convenait le mieux à la conquête et à la conservation de leurs pouvoirs successifs.
          Mais le Jésus de l’Histoire, cet homme qui paya de sa vie la proposition d’une utopie, peut-être irréalisable politiquement, mais qui a enchanté et enchante encore tous ceux qui savent l’entendre ?

                                         Discipulus magistro, M.B. 18 oct. 2009

AUX RACINES DU POUVOIR. Conférence aux Francs-Maçons

Notes succinctes d’une conférence donnée à des loges maçonniques, pour fournir un cadre à leur travaux.

 I. Les deux sortes de pouvoir

           Le pouvoir, c’est la capacité d’obtenir des individus qu’ils se comportent comme on le souhaite : il s’exerce donc toujours par la contrainte.

 1- Deux formes de pouvoir

           -a- Le pouvoir « corporel » ou extérieur à l’Homme : politique, policier, militaire, financier, social, scolaire, judiciaire, etc.

          Chacune de ces formes de contrainte contrôle l’Homme ou la société par l’extérieur d’eux-mêmes.

           -b- Le pouvoir « incorporel » ou spirituel / idéologique.

                Il contrôle l’Homme ou les sociétés par l’intérieur d’eux-mêmes : ce sont des idées, des idéologies, ou un ensemble de valeurs morales, esthétiques, religieuses.

 2- Nature de ces deux pouvoirs

           -a- Les contraintes « corporelles » ne contrôlent que quelques-unes des dimensions de l’existence humaine, à l’intérieur de portions de territoire limitées. Elles n’entraînent qu’une soumission extérieure : on peut se conformer à des lois ou à des coutumes sans pour autant être pleinement d’accord avec elles. On se soumet – parce qu’on ne peut pas faire autrement.

          Mais on n’en pense pas moins : on garde sa liberté intérieure.

          S’ils veulent s’installer et durer, ces pouvoirs extérieurs à l’homme doivent mettre en place et maintenir des moyens coûteux : forces armées, police, écoles, tribunaux, etc., dont la visibilité renforce le pouvoir.

          Malgré leurs apparences, ces structures sont fragiles puisqu’elles ne remplissent leur fonction que dans la mesure où elles demeurent fidèles aux autorités qui les ont instituées. Elles sont puissamment organisées.

           -b- Le pouvoir « incorporel » en revanche contrôle les individus dans leur globalité : il met la main sur leurs esprits, leur faculté de jugement, leur imagination et parfois leurs cœurs.

          On perd sa liberté intérieure.

          Son principal moteur est la crainte : crainte de se tromper en ne prenant pas la bonne voie ; crainte de se singulariser en ne faisant pas comme tout le monde ; crainte de n’être pas fidèle à une tradition familiale, ou sociale, ou à des engagements de jeunesse ; pour les religions, crainte de l’enfer, etc.

 II. Prendre le pouvoir « incorporel »

           Plus les idées sont sommaires, plus elles sont efficaces : à condition de s’adresser

          – aux archétypes mentaux (peur de la mort, œdipe, universaux, etc.)

          – et aux pulsions

                                     qui sommeillent en chacun de nous.

           Contrairement aux moyens mis en œuvre pour prendre le pouvoir « corporel », les idées ne sont ni coûteuses ni visibles, et on ne peut pas s’opposer physiquement à elles : il suffit d’avoir deux bras pour caillasser des CRS, en revanche pour s’opposer à une idéologie il faut des qualités intellectuelles et une capacité d’expression qui ne sont pas donnés à tout le monde.

          La seule résistance possible est d’ordre mental : elle demande analyse, réflexion, et une grande force morale (jusqu’à envisager froidement de mourir pour ses idées.)

                Deux conditions doivent être réunies pour prendre ce pouvoir :

           -a- Une situation de faiblesse

           – Faiblesse d’une société qui doute d’elle-même parce qu’elle a perdu ses valeurs, ou que celles-ci ne correspondent plus à l’évolution des esprits (Empire romain au IV° siècle). Ou encore dont les dirigeants ont perdu contact avec la réalité (Ancien Régime au XVIII° siècle).

          Il faut une « société en crise ».

          – Faiblesse d’individus qui ont perdu leurs repères, qui sont en perte de vitesse psychologique, affective, sexuelle ou sociale : il ne savent plus où ils en sont. Ils s’éloignent des idées ou des comportements « politiquement correct » (ou du « moralement », « socialement », « artistiquement », « religieusement correct »).

          C’est dans ce vivier d’individus en crise que les pouvoirs incorporels ont toujours recruté leurs premiers membres : par exemple l’Église chrétienne du I° siècle (des esclaves), les croisades (des chevaliers oisifs et en difficulté financière), les troupes de choc nazies (les SAS recrutés dans les bas-fonds de Berlin).

           -b- En face d’eux, ils doivent trouver une force idéologique ou spirituelle : doctrine religieuse, politique, morale ou sociale.

          A l’origine, on trouve toujours un génie charismatique qui invente un système idéologique nouveau. Il est suivi par des disciples, qui appliquent ses idées en les adaptant hors de leur lieu d’émergence, et en les durcissant. Par exemple :

          – Entre l’an 50 et 60 Paul de Tarse invente le christianisme en Syrie, mais il ne parvient à maturité qu’au IV° s. et en Asie Mineure.

          – Karl Marx réinvente à Londres le communisme qui s’adapte aux Antilles (Castro), en Asie, en Afrique, etc.

          – Lénine et Hitler inventent le totalitarisme moderne qui trouve des imitateurs sur toute la planète.

           Quatre constantes

           -a- La prise de pouvoir idéologique s’accompagne toujours d’une réécriture de l’Histoire : « Celui qui contrôle le passé, contrôle le présent » (G. Orwell).

          Pour les dictatures idéologiques, l’Histoire devient un enjeu politique majeur (cliquez).

           -b- La démarche idéologique est toujours la même : « Il n’y a qu’une seule Vérité, et c’est nous qui la possédons. Ou bien tu l’ignores, et on va te l’apprendre – pour ton bien. Ou bien tu la rejettes, et on va t’écraser – pour ton bien ».

          Le pouvoir idéologique prétend toujours faire le bien de ceux qu’il contraint.

           -c- Le pouvoir incorporel se conquiert par la force de l’entraînement. Plus les adeptes d’une idéologie sont nombreux, plus ils recrutent par l’effet de contagion des convictions (Cf. Rhinocéros de Ionesco).

           -d- Depuis 60 ans, le pouvoir médiatique est devenu la courroie de transmission de la prise de pouvoir idéologique. Il atteint les gens en masse, chez eux, dans leur intimité, et sait agir par le biais des images subliminales (images captées par l’inconscient, à l’insu du sujet) Il est donc d’une efficacité terrifiante,

          Dans Prisonnier de Dieu (cliquez), j’ai analysé la façon dont j’ai moi-même été capté par une secte, et contrôlé par elle pendant des années. Si j’en suis sorti indemne, c’est qu’ils ne sont jamais parvenu à abolir totalement ma liberté de jugement.

 III. Garder le pouvoir

           – Les idées ont un inconvénient : quand on ne les adapte pas régulièrement, elles rouillent. Car les individus et les sociétés évoluent au fil du temps. Si l’idée fondatrice reste figée, arrive un moment où elle n’obtient plus l’adhésion des masses : le système idéologique s’effondre.

          – En l’adaptant, on s’éloigne du charisme du fondateur : c’est le problème des « héritiers« , qui rapidement ne pensent plus qu’à conserver un pouvoir devenu personnel, et non plus idéologique (cliquez).

          – Quand l’idée a perdu de sa force entraînante, le pouvoir incorporel tente de garder ses adhérents par des moyens coercitifs : rappel des engagements initiaux, chantages affectifs, pressions, menaces, parfois violences physiques.

          – Plus les idées induisent un comportement totalitaire de masse, plus le lavage de cerveau doit être élaboré, collectif et répétitif (nazis, kamikazes).

 IV. Le désir de pouvoir

            Faute d’une étude psy- du désir de pouvoir idéologique, je crois pouvoir identifier au moins deux éléments qui sont toujours présents : je les soumets à votre réflexion.

 1) La pulsion sexuelle

          Les totalitarismes se méfient de la sexualité, ils la dissimulent ou l’interdisent : elle est un espace de liberté qu’ils tolèrent mal.

           En revanche, les libertaires sont volontiers libertins.

 2) Le cynisme

          « La fin justifie les moyens ». On veut faire le bonheur des gens malgré eux : « aujourd’hui vous souffrez, mais plus tard vous serez heureux ».

          Les totalitarismes sont tous messianiques (cliquez).

           En fait, seuls les dirigeants ont des datchas, et personne ne connaît l’adresse du Paradis promis aux croyants.

                                                                      M.B., 2 avril 2010