Archives pour la catégorie CRISE DE L’OCCIDENT

L’occident chrétien en crise.

INTERNET : La fin d’un monde ?

           Peut-on échapper à Internet ? Pas plus sans doute qu’aux avions qui introduisent en Europe des virus et des parasites tropicaux. Pas plus qu’à l’air du temps, qu’on est bien obligé de respirer même s’il est pollué.

            C’est ainsi qu’Over-Blog, sur lequel vous avez le privilège de me lire, vient de se mettre au goût du jour – et je n’ai pas pu y échapper.

            On m’avertit que la nouvelle version possède un nouveau design, et me permet de gagner de l’argent – comment donc ai-je pu vous éduquer jusqu’ici tout gratuitement ? On m’apprend que je peux bloguer depuis mon mobile, dont je ne me suis jamais servi que pour téléphoner, animal préhistorique que je suis. Que je dispose désormais d’un outil de migration depuis des plateformes tierces, mais surtout d’une fonction repost agrémentée d’un responsive design.

            Enfin, ô joie, on me dit que je peux bloguer sur Windows Live.

            Ma vie est transformée, et je voulais vous le dire sans plus tarder. Grâce au Social Hub intégré, je vais pouvoir être connected avec des inconnus, qui le resteront malgré ma mise en page intuitive.

            Comment ai-je pu vivre si longtemps sans l’acquis d’un tel progrès ?

                      Convaincu d’avoir franchi une étape décisive dans l’évolution de l’humanité, j’essaye de me connecter sur mon blog enfin modernisé. Je clique, et un message apparaît m’informant que The application is frozen. L’anglais n’ayant pour moi aucun secret, je comprends que la porte que j’ouvrais depuis 10 ans pour entrer chez moi, dans mon blog,  est bloquée par le givre – frozen. On n’entre plus, ô progrès ! Tu me laisses à la porte.

             Heureusement, on m’informe que je peux basculer en section HTLM, et que je peux désormais suivre mon blog grâce au reader. J’aimerais seulement pouvoir y écrire cet article dont vous avez tant besoin…

            Je parviens à  dégeler les gonds de la porte du blog et je tape le titre de cet article : il faut 1 minute 10 chrono pour qu’il s’inscrive dans la fenêtre. J’écris l’article :  il faut attendre 5 à 15 secondes pour que chaque frappe soit suivie d’effet. Vu mon âge, je ne suis pas sûr d’être encore en vie au moment de la conclusion.

             J’ouvre la page que vous avez le bonheur de contempler, pour découvrir que l’espace jusqu’ici dévolu à mes textes enchanteurs est désormais pollué par un tas d’icônes permettant la migration vers les plateformes tierces.

            C’est laid, ça encombre, mais c’est aussi inévitable qu’indispensable.

             Il y a plus grave, et j’ose vous en parler. Notre cerveau (en tout cas, le mien) est rempli de milliers de neurones qui possèdent chacun des dendrites partant dans tous les sens, un peu comme les épines d’un oursin. Chacun de ces dendrites est en contact avec ceux des neurones voisins : la communication circule en 3D.

              Elle s’effectue dans tous les sens, de façon multipolaire, ce qui explique la possibilité créatrice de notre cerveau (en tout cas, du mien).

            Tandis que les circuits de l’ordinateur fonctionnent en 2D, ils sont unipolaires, l’information circule dans un seul sens, de façon linéaire : une information suit l’autre, et uniquement quand la première a été validée.

            Vous devinez l’appauvrissement : on est passé du foisonnement d’un ciel étoilé, beauté perçue d’un seul coup d’œil,  aux rails d’un chemin de fer cahotant d’une traverse à l’autre.

            L’ennui, c’est que les moins de 40 ans ne savent plus ‘’penser’’ qu’en suivant ces rails. L’intuition, l’évocation poétique d’un vocabulaire qui appelle des connotations inédites, l’infinie créativité, la fantaisie, n’existent plus dans une communication linéaire. C’est la fin d’un monde, celui du langage humain. Les linguistes ont établi qu’un vocabulaire de 400 mots permet la communication de survie. Internet a réduit le vocabulaire des inernotes à quelques pulsions cognitives.  La pensée est devenue information :

            « Ch’te dis ça : et toi, tu dis quoi ? T’aime, ou t’aime pas ? – J’clique like – T’as cliqué ? Alors, t’es mon ami – Au fait, t’es qui, toi ? – K’ècek’ça peut’faire ? T’as cliqué j’aime, donc on est amis. »

             Il est vraisemblable qu’un formatage mondial des cerveaux est en train de s’accomplir à travers l’usage d’Internet et des résosocio. Une nouvelle façon de penser, ou plutôt de ne pas penser. De dire une seule chose à la fois, pour recevoir une réponse sans contenu : j’aime / j’aimepa.

            La planète communique massivement pour ne rien dire d’autre que « J’existe, puisque je communique. Et toi, t’existes ? Alors, clique. »

            Une nouvelle humanité va naître, dont la pensée sera limitée, comme le langage informatique, à une succession de 0 et de 1. « T’aimes ? Clique. T’aimes pas ? Clique pas. Si tu cliques pas, t’existes pas. »

            L’ennui, c’est que des religions politiques comme le communisme ou le nazisme fonctionnent exactement de cette façon. Et aussi les religions monothéistes comme l’islam coranique.

            Leurs adeptes divisent l’humanité en deux, 0 ou 1 :

            Ceux qui pensent comme nous, qui aiment comme nous, ceux-là ont le droit d’exister.

            Et ceux qui ne pensent pas comme nous, qui n’aiment pas comme nous ? Comme il n’y a pas de touche pour cliquer « j’aime pas », ils sont hors réseau. Si jamais ils trouvent un moyen de faire savoir qu’ils z’aiment pas, il faut les supprimer parce qu’ils sortent du seul langage admis, 0 ou 1.

             Allez ! Beau n’année, cliquez comme y faut.

                                 M.B., 31 déc. 2013

LA « QUESTION JÉSUS » DEVIENT PUBLIQUE : Un dossier de « L’Express » (II)

          Alors que dans son projet de Constitution de 2004, l’Europe avait (pour la première fois de son histoire) refusé de mentionner ses racines chrétiennes,

          Alors que son calendrier 2011, récemment publié et diffusé à des centaines de milliers d’exemplaires, mentionne bien les fêtes religieuses des juifs, musulmans, hindous et sikhs, mais… aucune des fêtes chrétiennes qui rythment pourtant la vie quotidienne des européens,

          Alors que la France doute de son identité et songe à ouvrir une « Maison de l’Histoire », L’Express, revue réputée « de gauche », publie un dossier de 100 pages (1) sur L’Histoire de la Chrétienté.

           L’Europe n’en a pas fini de tuer son père (ou plutôt, sa mère). Mais on n’éradique pas si facilement, de son patrimoine génétique, une hérédité vieille de seize siècles et demi. En se déracinant volontairement, le vieil arbre européen se condamne à sécher sur pied, étouffé par des cultures concurrentes qui n’ont, elles, aucune honte à s’affirmer.

           D’où, peut-être, le dossier de L’Express, dont la construction mérite analyse.

           Sans surprise, on trouve en son centre un vaste panorama historico-culturel : L’Église, puis Les Conciles, dans une section qui rappelle que la politique impériale fut co-fondatrice du christianisme. Les Moines, qui signale leur rôle dans la diffusion en Europe de la nouvelle religion. Une section sur Les Arts : architecture et musique – mais curieusement, rien sur la peinture ! Une sur La Pensée, qui s’intéresse plus aux contestataires (la Réforme, le jansénisme) qu’à l’apport considérable des penseurs médiévaux, Thomas d’Aquin en tête. Un Livre Noir (Inquisition, Savonarole, juifs) qui se termine curieusement sur Le péché du clergé polonais – comme s’il avait été le seul, en Europe, à être antisémite. Enfin un fourre-tout, Le monde chrétien, qui va d’Haïti à la Chine en passant par l’Irak et la Russie.

           Bien. Mais ce qui m’intéresse ici, ce sont les deux sections qui introduisent, et concluent, l’ensemble du dossier.

           Au Commencement…

                   J’ai déjà commenté le premier des quatre articles de cette section (cliquez) .

          Le second (2) vaut qu’on s’y arrête : l’auteur se penche sur l’entourage de Jésus, et d’abord sur Judas. Il signale que « malgré des siècles d’infamie, il est impossible de répondre à quatre questions essentielles. » :

           1- Quelles étaient les motivations de Judas ?

          2- Que signifie « livrer Jésus » ? Pourquoi sa retraite au Mont des Oliviers, et pourquoi Judas y conduit-il les soldats Juifs et Romains ?

          3- Pourquoi Jésus n’a-t-il rien fait pour empêcher sa trahison ? Alors que les quatre Évangiles s’accordent pour dire qu’il savait ce que Judas avait en tête ?

          4- Quel fut le destin ultérieur de Judas ? Est-il, selon Luc, mort d’une rupture des entrailles ? Ou bien, selon Matthieu, s’est-il pendu de remord ?

          Ces deux versions qui se contredisent l’une l’autre « posent une question sans réponse : comment expliquer qu’on ait pu oublier les circonstances de la mort d’un personnage aussi central dans l’histoire de Jésus » ?

           Question sans réponse ? Impossible de savoir ?

          Oui, impossible tant que l’on fait une lecture des textes orientée par le poids de la tradition, et qui ne tient pas compte des avancées récentes de l’exégèse historico-critique.

          Mais si l’on oublie le politiquement correct,

          si on lit les textes sans préjugés,

          si, pour les lire, on utilise les méthodes critiques patiemment mises au point par plus d’un siècle de recherche exégétique,

           alors ces questions – et quelques autres – trouvent, non pas une réponse mathématique (3), mais des hypothèses solides, qui resteront convaincantes tant qu’elles n’auront pas été infirmées par un travail contradictoire aussi sérieux que celui qui a permis de les établir.

           Entre 1995 et 2000, j’ai écrit un essai (cliquez) qui reprenait ces questions qui fâchent, à l’aide des travaux alors disponibles en France.

          Essai vulgarisé par un roman (cliquez) , et affiné en 2008 (cliquez) en fonction des recherches récentes, notamment américaines. En avril prochain, un nouveau roman (4) reprendra tout cela, vu sous un autre angle.

         Les réponses sont là.

          Mais elles bouleversent trop d’idées reçues, fondatrices d’une partie de notre culture, pour pouvoir être prises en compte dans une revue comme L’Express, qui s’adresse à un public traditionnel.

           Pourtant, le seul fait de les poser clairement, sans ambiguïté, en soulignant la contradiction flagrante qui existe entre des « paroles d’évangile », ce seul fait est un progrès.

          Car dire que ces questions sont « sans réponse », c’est admettre que les réponses officielles, connues de tous et véhiculées pendant les siècles passés, n’étaient pas les vraies réponses.

          Qu’on a toujours éludé les vraies réponses.

          Que des vérités restent à découvrir.

           Si ces réponses (encore) cachées avaient été reconnues et intégrées dans la première section du dossier de L’Express, les suivantes (notamment L’Église, La Pensée, Le Livre Noir) auraient pris une tout autre tonalité.

          Elles auraient situé à sa juste place la question centrale, qui traverse toute l’histoire religieuse de l’Occident, qui a profondément marqué sa culture et sa destinée : qui était Jésus ?

          S’il était bien juif à 100 % (cliquez) , alors le christianisme – qui n’a jamais voulu le reconnaître – est une magnifique construction culturelle, certes – mais qui n’a pas grand-chose à voir avec lui.

          Alors, nous devrions être des juifs réformés. Réformés par Jésus, fidèles à ses intuitions profondes, totalement novatrices – même pour aujourd’hui.

          Alors, le viscéral antisémitisme européen ne s’adresserait plus toujours aux mêmes.

          Et notre affrontement avec l’islam, incessant, irrémédiable, pourrait être revu sous un éclairage complètement nouveau.

           Ầ eux seuls, les titres des deux articles qui clôturent le dossier traduisent cette espèce d’impuissance, devant laquelle on se trouve tant qu’on ne s’affranchit pas du politiquement correct :

           1° titre : Le Christianisme encore

          Oui, il y a encore de beaux restes.

          Oui, à les feuilleter ainsi on est pris de vertige devant tant de splendeurs accumulées par les siècles.

          Oui, notre identité est là, dans ces monuments, cette musique, ces peintures, cette littérature, ces références morales et juridiques qui nous font ce que nous sommes, et proviennent de notre passé chrétien.

           Mais demain ? Affaiblie économiquement et politiquement, que va devenir l’Europe sans une force identitaire qui la projette dans l’avenir, aussi sûre d’elle-même qu’elle le fut quand elle était encore nourrie par ses racines ?

          2° titre : Les clercs ont trahi 

          Allons donc, nous le savions !

          A quoi bon le ressasser, s’en lamenter comme si l’avenir de l’Europe reposait toujours sur une cléricature désormais moribonde ?

           Laissons les morts enterrer leurs morts. La redécouverte, la remise en valeur de notre identité n’est plus entre les mains de clercs en voie de disparition : elle est entre les nôtres.

                                                               M.B., Noël 2010

 (1) L’Express du 22 décembre 2010

(2) Jésus et les siens, par Régis Burnet.

(3) Les certitudes historiques existent, mais elles sont d’une nature particulière : voir, dans ce blog, la rubrique L’ Histoire en question (plusieurs articles).

(4) Dans le silence des Oliviers, à paraître chez Albin Michel.

L’AGONIE DU CHRISTIANISME : BILAN ET PERSPECTIVE

(Conférence donnée à Paris le 20 janvier 2007)

I. BILAN

      Le 9 avril de l’an 30, un tombeau était trouvé, vide, aux portes de Jérusalem. Deux jours auparavant, on y avait déposé le corps supplicié d’un rabbi juif itinérant, qui s’était fait connaître dans la région comme guérisseur. Le cadavre avait disparu.

     Quelques mois plus tard, ses disciples vont imaginer une solution inédite au problème irritant du tombeau trouvé vide : la résurrection de cet homme, 72 heures après sa mort en croix. Apparemment, l’explication ne change rien à leur vie, puisqu’ils continueront longtemps encore à se comporter en juifs observants.

     Vers la fin du 1° siècle, on voit apparaître une mutation considérable : cet homme est devenu Jésus-Christ. On affirme qu’il est égal à Dieu, et comme lui créateur de l’univers. Sa résurrection est désormais invoquée comme preuve de sa divinité. Elle devient, pour les croyants, un gage et une assurance de leur propre survie.

         C’est un juif de culture grecque, Paul de Tarse, qui va mettre en place une religion nouvelle dont ce crucifié sera le pivot. Pour y parvenir, il puise dans les « religions à mystères », très populaires dans l’Empire romain et qu’il connaît bien. Il prétend les rejeter comme païennes, mais en fait il intègre leurs principales structures : la divinisation d’un héros, qui reste homme tout en étant dieu, et joue le rôle de passerelle entre la sphère d’en-haut et la sphère d’en-bas. Un rite d’initiation qui introduit l’initié dans une vie nouvelle, en l’identifiant à la mort et à la résurrection du héros, et en lui offrant la sécurité d’une promesse d’éternité. Enfin, un rite de communion avec la divinité grâce à un sacrifice, non plus sanglant, mais symbolique.

     Rapidement, apparaît un clergé stable, et un dogme, ensemble de vérités irrationnelles proposées par la hiérarchie, auxquelles le croyant se doit d’adhérer intégralement s’il ne veut pas être exclu.

          La popularité des religions à mystères dans l’Empire romain était immense : elle reposait sur deux éléments fondateurs, intégralement repris par le christianisme :

     1- Un éthos qu’on pourrait qualifier de « magique« , parce qu’il introduit dans le domaine du mystère en satisfaisant l’imaginaire, et le besoin de sensibilité.

     2- Une réponse au besoin sécuritaire des croyants : la promesse d’une survie apaise l’angoisse devant le trou noir de la mort.

     La nouvelle religion se constitue au cours d’assemblées, dont les Lettres de Paul et les Actes soulignent le caractère exalté, quasi incontrôlable. La part de rêve, d’irrationnel et de névrotique y est importante : on voit les nouveaux dirigeants utiliser ces délires de groupe pour consolider leur pouvoir, tout en essayant de les contrôler.

          La magie, l’offre sécuritaire et le pouvoir : nous avons là les trois composantes du béton, avec lequel on coule les murs épais d’une Église.

     Dans ce contexte, la commémoraison du juif Jésus va rapidement s’exprimer selon les schémas mentaux et les modalités cultuelles du paganisme ambiant : le caractère singulier, et singulièrement juif de cet homme inclassable disparaît, recouvert du somptueux manteau des utopies grecques et oriantales – à vrai dire, universelles.

     Ce paganisme, autrefois rejeté farouchement par le peuple juif, est désormais intégré dans le dogme comme dans la pratique de l’Église chrétienne : les peuples y trouvent la part de rêve et de sensibilité dont ils ont besoin, en même temps que la sécurité d’une promesse d’éternité. La fusion (remarquablement réussie) de ce paganisme avec la mémoire faussée de Ieshua, le rabbi juif, assur le succès et la diffusion planétaire de la nouvelle religion, que je qualifierais de judéo-païenne.

      Les 1° communautés chrétiennes, encore illicites et donc discrètes, vont pourtant consacrer une partie de leurs jeunes énergies à se déchirer entre elles autour d’un point central : l’identité de Jésus. Et tout d’abord, pour pouvoir devenir dieu il doit cesser d’être juif : très tôt, l’Église renie son enracinement dans le judaïsme. Ensuite, se pose une question lancinante : s’il est dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

     En 325, pour la première fois, la divinité de Jésus est officiellement proclamée au concile de Nicée, sans que soit pourtant tranchée la question du comment.

     C’est que l’Église ne possède pas encore l’envergure qui lui permettrait d’imposer, et de s’imposer. Elle y accède sous l’empereur Théodose : entre 381 et 392, il décrète ;e christianisme religion d’état. De persécutés, les chrétiens deviennent persécuteurs, et Rome peut enfin exiger la soumission de tous à l’édifice dogmatique en construction. L’Empire romain qui se délite rêve d’unité, et l’Église doit lui en fournir les moyens, en même temps que le modèle.

     Aboutissement de trois siècles de luttes féroces entre chrétiens, le concile de Chalcédoine (451) définit enfin le comment de la divinité de Jésus. Il l’appelle d’un seul mot, Trinité : comme celle de dieu, l’unité de l’Empire est proclamée, et comme celle de dieu, sa diversité est reconnue.

     Mais ce n’est q’au VII° siècle que les conséquences ultimes de la divinisation de Jésus seront définies, par la condamnation des agnoètes puis des monothélistes (III° concile de Constantinople, 681). Revêtu d’ornements divins parfaitement ajustés, Ieshua, devenu Christ, est désormais présentalbe au monde.

     Or c’est dans ces années, à partir de 650, que se développe, de façon foudroyante, un mouvement appelé à faire parler de lui : l’islam. Qui va chasser l’Église de sa terre d’origine, le Moyen Orient.

      Partout ailleurs, Rome tient le pouvoir : elle est en position de force ou de monopole dans tous les domaines de la vie civile et politique, et ce jusqu’à une époque toute récente.

     S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul ilôt stable, émergeant de cette mer démontée. L’Europe trouve d’abord en elle la force de sa survie, puis le creuset où va se forger son identité, son unité face à l’adversité : dès lors, et jusqu’au projet de constitution de 2004, l’Europe reconnaîtra toujours dans le christianisme son fondement identitaire.

     A peine sortie de ce chaos, elle voit réapparaître la remise en cause, non plus de la divinité de Jésus, mais de ses conséquences : le pouvoir de l’Église, terni par ses moeurs dissolues. Sous forme de réformes, de révoltes ou de révolutions, chacun des siècles qui suivra viendra ébranler au moins une fois l’ordre défendu par l’Église, en matière de dogme ou de discipline.

     Aucune de ces tentatives de réformes n’a jamais abouti : l’Église les a toutes surmontées par la violence. Parfois affaiblie par elles, elle ne s’est jamais remise elle-même en cause, ni l’édifice de ses dogmes – et son noyau fondateur, la divinité de Jésus.

     On l’a vu, c’est au moment où l’Église peaufinait cette divinisation d’un homme qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lançait au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette le paganisme en affirmant l’unicité de Dieu et en refusant la divinité de Jésus.

      Ceci n’est pas une simple coïncidence : d’inspiration entièrement judéo-chrétienne, le Coran répond à l’éternelle question : qui est Jésus ? Et s’il n’est pas Dieu, quelles sont les voies d’accès au divin ? Cette interrogation, née de la fabrication d’un dieu à partir d’un homme, l’Église n’a jamais su y répondre qu’en faisant appel à ce que j’ai qualifié (un peu rapidement) de magie. Le Coran rejette explicitement la « magie chrétienne », et attire à lui un quart de l’humanité.

     L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant par la violence à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à Dieu, c’est-à-dire païenne.

      Hors l’islam, la réforme de Luther est parvenue à entamer l’unité européenne cimentée autour de l’Église de Rome. Mais Luther et Calvin se sont contentés d’une réforme intra-ecclésiale, dont l’aspect le plus visible a été d’ordre disciplinaire et sacramentel : ils n’ont pas touché aux dogmes fondateurs du christianisme, et Michel Servet a été brûlé en terre calviniste pour y avoir prétendu.

     Pourtant, Luther a semé la graine d’une véritable réforme par sa traduction de la Bible en allemand. Pour la première fois, la lecture et l’interprétation du texte sacré n’étaient plus réservés au seul clergé ! Timidement d’abord, puis de façon fructueuse, l’exégèse critique de la Bible se développe en milieu protestant. Elle est violemment combattue et interdite par l’Église catholique, qui la considère comme démoniaque et veut se réserver le pouvoir d’interprétation. Mais les digues romaines, assiégées de partout, finiront par céder : en 1943, prenant le contre-pied de ses prédécesseurs, Pie XII autorise pour la première fois l’exégèse historico-critique de la Bible (Divino Afflante Spiritu).

     Dès lors les catholiques peuvent – enfin – se joindre à un mouvement initié un siècle plus tôt : la « recherche du Jésus historique« . En fait, ce n’est pas un mouvement structuré, mais un ensemble hétéroclite de chercheurs (juifs, protestants, catholiques) qui travaillent tous dans la même direction, et publient individuellement les résultats de leurs travaux.

     En 1974, dans la solitude de mon monastère, je me suis engagé sur cette piste : je puis vous assurer qu’on s’y sentait bien seul ! Mais depuis les années 1980 et jusqu’à maintenant la recherche s’est emballée. Dieu malgré lui, publié en 2001 chez Robert Laffont, s’inscrit dans ce mouvement. Si je l’écrivais aujourd’hui, le fond resterait le même, mais il y aurait bien des corrections à apporter, tant les choses avancent vite.

      A quelques exceptions près, ces chercheurs appartiennent à une Église : ils ne peuvent donc s’autoriser à tirer toutes les conclusions de leurs travaux. Le faire, ce serait s’exclure de leur communauté, ou être exclus par elle. Je n’ai pas ce souci, et me sens libre d’aller là où ils ne peuvent s’aventurer.

     C’est-à-dire dans une grande solitude.

     Car découvrir qui était Ieshua Ben-Joseph, cet électron libre éliminé parce qu’il touchait à la structure même des pouvoirs religieux, moraux et politiques établis, c’est aller à contre-courant du mouvement général des esprits, des sensibilités, des conformismes sociaux. Nous l’avons vu, le succès  et l’existence même d’une religion vient de ce qu’elle satisfait les besoins de rêve, de magie, d’évasion d’une humanité qui souffre. Mais aussi de ce qu’elle sait répondre à l’irrésistible besoin de sécurité, qui taraude les êtres humains d’où qu’ils viennent.

     Jésus, par sa façon de vivre comme par son enseignement, n’offre pas la sécurité. Il propose une remise en question permanente : l’entrée dans son « Royaume » n’est pas une promesse, mais le fruit d’un arrachement – ou plutôt d’une succession de déracinements, proche de l’anatta enseignée ailleurs par le Bouddha.

      La « recherche de Jésus », dans laquelle je me suis engagé, va exactement à l’encontre du besoin viscéral des peuples. Plus on s’approche de lui – tel qu’on l’entrevoit à travers les textes, tel qu’on peut le rencontrer dans la prière – plus on s’approche de Jésus, et moins on le rêve.

     Plus on s’approche du Dieu vers lequel Jésus guide ceux qui le suivent, et moins on l’imagine : à l’école du galiléen, la réalité tue les fantasmes religieux. Et les théologiens, maçons-architectes des Églises qui les prennent à leur service, se trouvent renvoyés par Jésus à leurs chères spéculations déconnectées du réel.

     La « recherche de Jésus », Prophète de l’insécurité, n’offre donc aucun des attraits qui en ferait un phénomène de masse.

  II. PERSPECTIVE

      Ceci nous ramène à aujourd’hui : où en sommes-nous ?

     Vous avez tous vu les images bouleversantes de Berlin, dévastée par les bombardements en mai 1945 : voilà où nous sommes. Dans un champ de ruines, celles d’un grand Reich dévasté.

     Seuls ceuX de ma génération peuvent mesurer l’étendue du désastre. Car nous avons encore connu, dans notre lointaine enfance, les dernières splendeurs d’une Église catholique sûre d’elle-même et triomphante : quand Pie XII, le dernier pape-roi, est mort en 1958, j’avais 18 ans.

     Les sociologues situent en 1942 (France, pays de mission de l’abbé Godin) le commencement de la fin. En fait, l’expansion missionnaire au XIX° siècle et la montée des fascismes au début du XX° ont masqué le déclin, qui était latent depuis plus longtemps. Ce déclin, il nous a explosé à la figure en à peine une génération – la nôtre : en 50 ans, tout a disparu de ce qui faisait la gloire de l’Église catholique. Partis politiques, syndicats, éducation, mouvements de jeunesse, organismes caritatifs (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale… Mais aussi : littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel…), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi-siècle, le catholicisme a disparu du champ de la créativité humaine.

     Mais il y a beaucoup plus grave : systématiquement détruite depuis 1978 par l’action conjointe du cardinal Ratzinger et de Jean-Paul II, la théologie catholique est morte. Les bouddhistes tibétains sont les seuls à s’intéresser aux deux domaines les plus actifs de la recherche depuis 30 ans, l’infiniment petit (biologie moléculaire) et l’infiniment grand (astrophysique). L’Église ne dit plus rien au monde, parce qu’elle n’a plus rien à dire.

     Elle répète, et elle se répète, à l’infini.

     Une société d’idéal comme l’Église qui n’a plus de pensée, d’où toute pensée est exclue ou pourchassée, cette société n’est plus vivante : elle n’est plus rien, qu’un musée du passé.

     Tout naturellement enfin, la spiritualité a également déserté la chrétienté. On compte environ cinq millions de français qui se disent actuellement proches du bouddhisme. Ce sont tous d’anciens chrétiens, déçus par le désert spirituel qu’est devenu pour eux leur Église.

     Et je ne parle pas des sectes, qui pullulent.

      En 1816, le fleuron de la marine française, La Méduse, coulait au large des côtes du Sénégal. Eh bien ! Les Églises, nouveau navire La Méduse, viennent de couler sous nos yeux. Nous sommes quelques rescapés du naufrage, abandonnés sur un radeau. D’où nous lançons des signaux désespérés, vers un horizon vide.

     Le Radeau de la Méduse, c’est nous.

     Le paradoxe dramatique de notre situation, c’est que nous avons tout reçu de ces Églises. Et d’abord, les textes fondateurs : la personnalité du juif Jésus était telle, qu’elle transperce les Évangiles, malgré les manipulations politiques dont ils ont été l’objet. Sans les Églises, je ne saurais rien de lui, et elles m’ont même donné les moyens de le découvrir derrière les maquillages dont elles l’ont recouvert.

     Le « meurtre de la mère » (l’Église) apparaît aujourd’hui comme une condition nécessaire à la redécouverte du Père, abba – comme l’appelait Jésus.

     Nous, qui sommes (sans l’avoir choisi) les derniers dépositaires d’une expérience unique, dont la possibilité nous a été offerte – alors qu’elle ne semble plus devoir être accessible aux jeunes générations,

     Nous, qui avons derrière nous toute une vie de recherche, par l’étude, d’une tradition recouverte aujourd’hui par le tintamarre des médias,

     Nous, pour qui Jésus n’est pas seulement un objet d’étude parmi d’autres, mais un être vivant, aimable et aimant,

     Que ferons-nous pour transmettre ce que nous avons reçu ? Allons-nous nous contenter d’autopsier un cadavre encore chaud ?

     Une nouvelle réforme est-elle possible ? Si l’Église catholique pouvait se réformer, cela se saurait. Elle ne l’a jamais pu, elle ne le pourra jamais. Quand le communisme a voulu se réformer, il a disparu. Une société d’idéologie ne peut pas remettre en cause les dogmes sur lesquels elle s’est construite : l’Église le sait, et c’est pourquoi elle maintient jusqu’au plus petit détail les aspects les plus in-croyables de son paganisme. Ce qui est nouveau, c’est que l’humanité n’adhère plus à la démarche magique du christianisme officiel : elle va chercher ailleurs le rêve dont elle a besoin. Ou bien – privée de rêve – elle s’enfonce dans la violence.

      Que faire ?

     Dans ce naufrage constaté du christianisme, je n’aperçois qu’une seule lueur d’espoir : le retour au Jésus de l’histoire. La recherche de Jésus tel qu’il fut, et non pas tel que l’Église l’a réinventé pour asseoir son pouvoir. Le retour vers Ieshua, fils de Joseph, m’apparaît comme la seule alternative au néant.

     Revenir vers Ieshua, c’est reconnaître que nous sommes parvenus à la fin d’un cycle de civilisation. L’Égypte, Sumer, Assur, les Incas, les Mayas, tant d’autres civilisations prestigieuses ont disparu… Eh bien ! Le christianisme vient de disparaître à son tour, sous nos yeux.

     C’est un peu comme si les gestes de Jésus n’avaient jamais encore été compris, ses paroles jamais encore entendues, son regard jamais encore croisé par un Occident qui se réclame non pas de lui, mais du Christ fabriqué pour figurer au fronton des cathédrales, signes et symboles


     Que faire ?

     Je dois maintenant parler en mon nom propre, et je le fais avec d’infinies réticences. Quitté par l’Église en 1984, je suis rentré depuis dans le silence. En sortir, pour quoi ? Proposer une nouvelle Église ? Ayant vécu de l’intérieur le naufrage du catholicisme, le désert m’a paru être le lieu de refuge le plus indiqué pour la rencontre personnelle avec le Dieu de Jésus.

     Que faire ? Pour quelle action sortir de ce désert où Jésus trouva l’Éveil autrefois, et où peut-être il appelle les rescapés de la défunte civilisation voulue par l’Église ?

     Je n’entrevois qu’une seule action à notre mesure : la formation. Transmettre à d’autres, si d’aventure il s’en trouve qui le souhaitent, ce que découvre cette communauté informelle et cachée des « chercheurs du Jésus de l’Histoire ». Transmettre, afin que Jésus ne meure pas avec l’Église.

     Après l’agonie du christianisme, tout est à reconstruire : il faut savoir où l’on va. Jésus disait : « Celui qui bâtit une tour, il commence par s’asseoir et réfléchir ». S’asseoir, à nouveau, aux pieds de Jésus. Et tenter de l’écouter, lui, enfin ! Toute action qui ne serait pas précédée par ce retour à l’école de Jésus lui-même me paraît illusoire.

     Revenir à l’école, humblement. C’est la proposition qui vous est faite, e,n trois étapes :

     1- Former d’abord à une lecture nouvelle des textes, à leur compréhension sous un regard neuf, non dogmatique : grâce à la « recherche sur Jésus » nous en avons aujourd’hui les moyens, qui manquaient à ceux qui nous ont précédés. Grâce à ces savants, à ces chercheurs acharnés qui, depuis environ cinquante ans, labourent un terrain qu’on croyait à jamais recouvert par le béton des dogmes.

     2- Une fois cernés les critères d’une lecture non-dogmatique des Évangiles, poser à nouveau la vieille question de l’identité de Jésus : qui était cet homme ? Comment expliquer les singularités de sa vie, depuis le séjour initial au désert où tout a basculé pour lui, jusqu’au tombeau trouvé vide ? Il a été transformé en Dieu : comment, quand, où, par qui, et surtout pourquoi ?

   3- Jésus enfin approché tel qu’il fut en lui-même, entamer avec lui un dialogue. Toutes les questions qui sont les nôtres aujourd’hui peuvent alors lui être posées, même celles auxquelles il semblerait que les Évangiles n’aient jamais pensé. Car Jésus, ce n’est pas seulement un maître à penser : celui d’une époque révolue, marqué par elle et catalogué dans les rayonnages de l’Histoire, comme tant d’autres pédagogues et philosophes du passé. Jésus, c’est un mouvement, une façon d’être, une façon de voir, une attitude face à la vie et aux questions qu’elle suscite. Il ne demande qu’une chose, dialoguer avec nous : encore faut-il que nous nous adressions à lui, et non pas à une icône, recouverte par la fumée des cierges d’une Église.

     Tel pourrait être le programme d’une formation, préalable indispensable à toute action. C’est un retour sérieux, exigeant, aux textes et à eux seuls. J’utilise pour cela les acquis de la recherche fondamentale de ces dernières années, mon propos est de les rendre accessibles à un public non-spécialisé.

     Une seule condition me paraît requise pour participer à cette formation : un intérêt, qui peut aller de la simple curiosité à la passion, pour cet homme hors du commun. Dès lors qu’on rencontre Ieshua Ben-Joseph, tout le reste – appartenance à une Église, foi ou non-foi, passe à l’arrière-plan. Puis disparaît.

      Le radeau de la Méduse va-t-il toucher terre quelque part ?

     La réponse à cette question ne m’appartient pas.

                            M.B., 22 janvier 2007

MONDIALISATION : FIN DU CATHOLICISME ?

       Dans Le Monde du 20.01.07, Jean-Marie Donegani analyse avec pertinence l’évolution du catholicisme en France, et son état actuel au vu d’un sondage récent.

     Le peuple, montre-t-il,  se détache de la religion institutionnelle et raisonne maintenant en termes d’adhésion à des valeurs, d’identification à un foyer de sens. C’est désormais à l’individu d’apprécier la valeur relative d’une religion : le vrai n’est plus ce que l’Église définit comme « vrai » pour tous, mais ce que je perçois comme vrai pour moi.

     Ce relativisme, le pape actuel en a fait l’ennemi absolu du catholicisme, et l’objet de son combat principal. A juste titre : une Église se définit par l’adhésion du peuple à un ensemble de dogmes fixés par la hiérarchie. Si la vérité, si l’adhésion au mystère de l’au-delà des apparences devient affaire d’appréciation personnelle, l’Église (toute Église) n’a plus qu’à plier bagages. La lutte contre le relativisme est, pour une Église, question de survie.

     J’aimerais rappeler à ce sujet l’enseignement du Bouddha Siddharta. L’une de ses dernières paroles (attestée par plusieurs sources, notamment le beau Parinibbanasutta) a été adressée à son disciple et secrétaire Ananda : « Ananda, dit le Bouddha avant de mourir, souviens-toi : il n’y a ni maîtres spirituels, ni rites, ni textes sacrés. Il n’y a que ce dont tu fais l’expérience par toi-même ». Et ailleurs, il donne une parabole : « Quand on t’offre une pièce d’or, la première chose que tu fais c’est de la mordre, pour t’assurer de la qualité du métal précieux. Ainsi en va-t-il de mon enseignement : soumets-le à l’épreuve de ton expérience. Ce qui se révèle confirmé par ton expérience, garde-le. Le reste, jette-le »

     En d’autres termes (et dans une culture différente), on trouve exactement la même attitude chez Jésus le nazôréen. Un jeune homme riche lui demande ce qu’il doit faire pour « être sauvé » (Siddartha aurait dit : pour « entrer dans l’Éveil »). Jésus lui répond : « Tu es juif ? Observe la Loi juive ». L’homme lui dit qu’il s’y conforme déjà – c’est-à-dire qu’il obéit déjà aux dogmes et aux comportements fixés par l’Église juive. Jésus le regarde avec affection, et lui dit doucement : « Alors, une seule chose te manque : laisse tout [cela], et suis-moi »

     C’est moi qui ajoute le mot [cela] : Jésus n’a pas dit à cet homme qu’il lui fallait abandonner le judaïsme pour aller plus loin, pas en ces termes brutaux. Mais sa réponse est claire : tout ce qu’il a vécu jusqu’à présent (y compris le dogme juif) doit être laissé derrière lui, pour vivre une expérience personnelle à sa suite. D’un côté les dogmes et les obligations fixées par une Église, de l’autre un homme à suivre. Un homme inclassable, imprévisible, comme l’est toute personne humaine.

     Avec ses mots à lui, dans sa situation locale et historique à lui, Jésus fait du « relativisme » le coeur même de son enseignement.

     Le pape martèle le contraire : ce n’est pas la première fois, et ce n’est hélas pas la dernière, qu’un pape prendra le contrepied du Jésus des évangiles. La nouveauté, les études sociologiques le montrent, c’est que « le peuple » ne suit plus. L’espoir, c’est que « le peuple » exerce pleinement aujourd’hui ce que les théologiens appelaient autrefois le sensus fidei : la perception juste des vérités invisibles.

     Pour la première fois, un match oppose ouvertement « le pape versus le peuple » : la limitation autoritaire d’une seule vérité, celle du dogme, contre la perception intuitive et juste des vérités invisibles. Les buts à venir seront marqués par « le peuple », dont il se trouve que je suis un supporter enthousiaste.

                                         M.B., 24 janvier 2007

PAQUES A-T-IL ENCORE UN SENS ?

          Message reçu sur Internet :
          Je lis avec toujours énormément d’intérêt vos articles sur votre blog.  
          Chaque année à cette époque, je cale sur Pâques,
           Puisque, si Jésus n’est pas Dieu, il n’est pas ressuscité, quel est pour vous le sens de cette fête ?

          Voilà les bons côtés d’Internet : je vais répondre à une inconnue.
          Non, Jésus n’est pas « ressuscité » le 9 avril 30 – qui était cette année-là le premier jour de la semaine juive, faisant suite à la fête de pâque. Je vous renvoie pour l’analyse des textes et des faits à Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus (cliquez)
          Ce jour-là, juste après le lever du soleil, des femmes se rendent furtivement au jardin qui fait face à la porte ouest de Jérusalem. Dans ce lieu situé hors de la ville, mais proche des murailles, de riches propriétaires faisaient construire leurs caveaux familiaux. C’est l’un d’eux, Joseph d’Arimathie, qui a prêté le sien au rabbi juif itinérant crucifié 72 heures plus tôt.
          Pourquoi a-t-il fait ce geste compromettant ? Parce que la mort du crucifié intervient juste au moment où s’ouvre la célébration liturgique de la pâque juive – qui durera jusqu’au lever de soleil du 9 avril, un dimanche pour nous.
          Pendant cette période, impossible de s’approcher d’un cadavre (et encore moins de le toucher) sous peine d’une impureté qui rendrait inapte à la célébration de la plus grande fête juive.
          Quand les femmes sont en face du tombeau (qu’elle s’attendaient à trouver tel qu’elles l’avaient laissé le vendredi, la lourde pierre tombale fermant l’entrée), elles sont stupéfaites de le trouver ouvert. Et de voir, à l’intérieur, deux hommes en blanc (un seul, selon certains évangiles) qui leur adressent la parole, comme s’ils les attendaient.
         A ce stade de la rédaction, personne ne dit encore que Jésus est ressuscité. Les témoins (d’après le meilleur d’entre eux pour cet épisode, le IV° évangile) disent seulement : « On a enlevé le Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis… Si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et je l’enlèverai ! » (Jn 20,13-15).
          Il n’y a aucun témoin de la résurrection : la résurrection est la réponse trouvée, après-coup, au problème posé par le tombeau vide.
          En revanche, les témoignages sur la découverte du tombeau vide sont remarquablement précis, et (si l’on sait lire), concordants.
          Sachant cela, que reste-t-il de Pâques, pour nous, aujourd’hui ?
          D’abord, l’occasion de revivre, en temps cosmique, les derniers moments de Jésus. Pâque avait – et a toujours lieu – au moment de la pleine lune de printemps. Le cosmos tout entier est ainsi associé, pour toujours, au don que fit de lui-même un homme exceptionnel.
          Inutile d’aller sur place, à Jérusalem : la lune, ma douce soeur, plante le décor qui convenait au départ de cette terre, dans la souffrance, de celui qui l’a tant aimée. Et (au moins pour l’hémisphère nord), la lune de printemps est visible de tous, partout.
          Ensuite, revivre cette nuit où (grâce à la lumière de la pleine lune) les hébreux puirent s’enfuir d’Égypte, conduits par Moïse. Ce jour-là, un peuple naissait, qui se dirait bientôt le « peuple de Dieu » – pour le meilleur et pour le pire.
          Jésus a-t-il explicitement voulu que sa mort (qu’il sentait venir) coïncide avec la pâque juive ? Et lui donne ainsi une signification insoupçonnée, celle de l’accomplissement définitif des promesses de Dieu à Israël ? Celle d’un sacrifice (le sien) qui rachèterait l’humanité ?
          Rien, dans ses paroles ni dans son attitude, ne permet de dire cela. Oui, il a eu conscience que sa mort permettrait une nouvelle alliance entre Dieu et la multitude. Mais il ne l’a pas conçue comme un sacrifice mettant un terme à ceux de l’ancienne alliance. Cette piste, ce sont les théologiens chrétiens qui vont s’y précipiter, très tôt (dès l’épître aux Hébreux) et pour des raisons qu’on peut appeler « politiques » : fonder le surclassement du judaïsme par le christianisme.
          Il n’en reste pas moins : la fuite des hébreux d’Égypte, le passage de la Mer Rouge, sont le début d’une humanité nouvelle.
          Regardez bien la pleine lune, chère M.P., dimanche prochain. Elle abolira pour vous les siècles et les distances. C’est sous cette même pleine lune que Jésus a été déposé, à la hâte, dans un tombeau provisoire devant le porte Ouest. Et elle était sans doute encore visible dans le ciel de Jérusalem quand quelques femmes juives, terrorisées, découvrirent que son cadavre n’était plus là.
          Le reste appartient aux théologiens de tous poils, et à l’ambition des Églises de tous crins qui les commanditaient.
          Donc  vendredi, samedi et dimanche soir prochains, soyez sur votre balcon : je serai sur le mien. Dans le ciel de votre Belgique, comme dans celui de ma Picardie, on verra peut-être la pleine lune.
          Laissez-vous entraîner par elle hors de ce siècle souffrant, loin de ces terres malgracieuses.
          Aux côtés des géants qui nous ont faits ce que nous sommes.
                                                          M.B., 7 mars 2007

LA FIN DU MONACHISME CATHOLIQUE

          Je viens de rencontrer un moine bénédictin français, qui fut mon confrère, et qui reste (le seul) ami très cher que j’aie dans ce milieu où j’ai vécu plus de vingt ans – au siècle dernier.

          Il m’a informé de l’état de délabrement dans lequel se trouvent les monastères de France – et c’est sans doute la même chose ailleurs. Plus aucune vocation, une moyenne d’âge qui dépasse les 75 ans et qui laisse prévoir la fermeture, à moyen-terme, de ces maisons qui furent le fer de lance de l’Église catholique comme de la culture occidentale.

          Il me posait la question angoissée : « Quel avenir ? »

          Historien, je ne sais pas prédire l’avenir, mais je l’ai invité à relire le passé.

I. UNE RÉGLE MARQUÉE AU FER ROUGE

          Les moines d’Occident suivent tous, à la lettre, la Règle de Saint Benoit. Ce texte, que j’ai étudié lorsque je m’efforçais d’en vivre, a été écrit en Italie au début du VI° siècle. L’Empire romain s’était effondré, mais sa culture restait vivante dans certains cercles protégés, comme les monastères.

          La culture, c’est un peu « ce qui reste quand on a tout oublié » : ce qui surnageait à la débâcle de l’Empire, c’était la seule philosophie qui fut proprement romaine (avec, peut-être, l’épicurisme) : le stoïcisme.

          Profondément matérialiste, le stoïcisme a fait la grandeur de Rome par sa conception austère de la vie humaine. Au VI° siècle, il avait sans doute été contaminé par le gnosticisme, mouvement multiforme qui rejetait la matière  comme intrinsèquement impure : et avec la matière, le corps ainsi que tous ses plaisirs. Il est possible que le stoïcisme, au moins dans son expression populaire, ait vu sa raideur potentialisée par la contagion gnostique.

          La Règle de saint Benoît est un texte profondément stoïcien. La contamination stoïque apparaît dans son mépris du corps, qui se traduit par l’organisation de la vie quotidienne des moines et repose sur l’adage mis en exergue par saint Benoît : « Là où commence le plaisir, là commence la mort« .

          Cette conception stoïque de l’existence humaine a rencontré, tout au long des siècle, le malaise de vivre de nombreux postulants à la vie monastique bénédictine. Non seulement elle ne parle plus aux humains du XXI° siècle, mais surtout elle est totalement étrangère à l’enseignement de Jésus dans les évangiles. Extrêmement exigeant sur le plan personnel et social, cet enseignement va beaucoup plus loin que celui des stoïques, sans jamais mépriser le corps.

          Il y a plus, hélas, pour expliquer le déclin actuel des monastères. Reproduisant une conception de la vie spirituelle héritée de certains textes des « Pères du Désert » qui lui étaient parvenus, l’auteur de la Règle enseigne qu’un moine sera « un bon moine » quand il aura récité, chaque jour, une certaine quantité de psaumes.

          La notion de quantité lui paraît essentielle : prise à la lettre, cette injonction a transformé les moines occidentaux en rabâcheurs de psaumes, enfilés à vive allure tout au long de la journée.

          Quand cette psalmodie avait lieu en latin, et s’inscrivait dans une vie simple, celle des paysans du moyen âge, la récitation de l’Office Divin permettait peut-être l’épanouissement d’une vie spirituelle méditative.

          Aujourd’hui, les psaumes sont récités en français, et l’exigence de quantité n’a pas disparue des monastères. Les moines modernes passent donc 4 à 5 heures par jour à mouliner indéfiniment ces psaumes, expressions d’un judaïsme qui n’est pas le leur.

          Alors qu’on voit des foules entières chercher – et trouver – dans la méditation silencieuse une discipline qui structure de l’intérieur leur spiritualité. Méditation pratiquée par Jésus, qui avait « l’habitude » (disent les évangiles) de se retirer dans un lieu désert pour s’y livrer.

          Ceux qui cherchent les voies de l’Invisible se tournent désormais vers le bouddhisme, ou les sectes. Dans le bouddhisme ils trouvent un enseignement et une pratique très solide de la méditation. Dans les sectes, ils trouvent de tout, et souvent des ersatz de méditation – parfois fort dangereux.

          Ce sont presque tous des déçus du catholicisme.

          Les monastères auraient pu, et ils auraient dû, offrir au peuple des chercheurs de Dieu l’enseignement, l’exemple et la pratique de la méditation. En l’ignorant pour rester fidèle à une Règle qui fait d’eux des ruminants de mots, ils signent eux-mêmes leur déclin.

                                                    M.B. 9 avril 2007.

CHRISTIANISME : LES CHOSES BOUGENT-ELLES ?

          En 1967 prenait fin à Rome un Concile oecuménique. Pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, un concile véritablement oecuménique, rassemblant non seulement tous les évêques catholiques d’Occident et d’Orient, mais aussi des représentants des Églises Orthodoxes et Protestantes séparées de Rome, et des laïcs.

          Un an plus tard, la « Révolution de Mai 68 » partait de France et secouait progressivement la planète : la jeunesse affirmait qu’on pouvait changer le monde tel qu’il va, et les moins jeunes se mirent à y croire sincèrement. Mouvement civique des noirs américains, paix, droits de la femme, relations Nord-Sud, éducation…  et religions : un nouvel ordre mondial était possible, le moment était venu de le faire advenir. Tous s’engouffrèrent dans cette brèche, avec enthousiasme : on allait voir ce qu’on allait voir.

          Dans l’Église catholique, on parla de liturgie en langues vivantes, de collégialité épiscopale, de retour aux sources, de nouvelle évangélisation, de nouvelle spiritualité. Le mouvement charismatique devint l’aile marchante du renouveau des Églises.

          Quarante ans après, des sociologues dissèquent et étudient ce phénomène et ses suites. Sans prétendre ajouter quoi que ce soit à leurs savantes études, voici une simple réflexion, qui est aussi le témoignage d’un acteur des événements de l’époque.

I. Christianisme : les choses peuvent-elles bouger ?

          Au point de départ du christianisme, il y a le coup de génie de quelques hommes (Paul de Tarse, les derniers rédacteurs des évangiles et surtout du IV°) : utiliser la mémoire d’un rabbi juif itinérant, thaumaturge et prophète, pour créer une nouvelle religion. Qui va utiliser – tout en prétendant s’en démarquer – le meilleur du judaïsme et des religions orientales de l’Empire romain. Un dieu unique (judaïsme) et l’espérance d’une religion (religions orientales) fondée sur la résurrection, affirmée contre toute vraisemblance, du rabbi Jésus devenu Dieu.

          Tout repose donc sur la résurrection de Jésus, preuve de sa divinité.

          Comme cet événement ne pouvait être ni prouvé, ni admis par les juifs chez qui il prit naissance, il va être établi, puis confirmé, par un ensemble de spéculations qui s’imposeront aux croyants comme « la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (Hb 11,1) : des dogmes.

          Ces dogmes vont progressivement s’emboîter l’un dans l’autre, chacun découlant nécessairement du précédent et annonçant le suivant. Chacun étant la conséquence inévitable du précédent, et appelant le suivant par la force contraignante de la logique interne d’un système clos.

          Dix-neuf siècles après, la proclamation de la résurrection de Jésus apparaît comme un coup de force, niant toute évidence historique, ne pouvant se réclamer ni de l’enseignement ni de ce qu’on sait de la vie de Jésus : c’était un mensonge d’État, indispensable à la réalisation d’une ambition – prendre le pouvoir religieux.

          Construit sur ce mensonge nécessaire, l’édifice des dogmes, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est un immense château de cartes : tout s’emboîte, retirer une seule carte c’est faire s’écrouler l’édifice entier par l’effet dominos.

          L’Église le sait : toucher à l’un quelconque des dogmes ou de leurs conséquences, c’est provoquer la fin du christianisme comme système idéologique cohérent. Son réflexe de préservation s’étend même à des aspects de sa vie qui ne reposent sur aucun dogme, comme le mariage des prêtres ou l’ordination sacerdotale des femmes.

          Rien ne peut donc bouger dans l’Église, et rien ne bougera jamais. Même des détails qui semblent secondaires, comme l’emploi des langues vivantes dans la liturgie, ne peuvent prendre durablement racine : ils apparaissent comme des fissures dans l’édifice, et une fissure, on ne sait jamais jusqu’où cela peut aller. Le retour à la messe en latin, pitoyable victoire d’arrière garde, est dans la logique de l’instinct de conservation.

II. Une espérance, les « chrétiens critiques » ?

          Après l’enlisement du mouvement charismatique, on a vu naître des groupes de « chrétiens critiques » qui se situent délibérément sur le Parvis de l’Église, c’est-à-dire un pied dedans, et un pied dehors.

          Contrairement aux charismatiques, ces groupes ne donnent pas la primauté à l’affectif mais à la réflexion. Pendant 28 ans, toute l’action de Jean-Paul II et de son bras droit (le cardinal Ratzinger) a consisté à décapiter les têtes pensantes de cette réflexion, théologiens d’Europe ou des Amériques, clercs ou laïcs. Les quelques groupes de chétiens ouvertement critiques, qui ne veulent pas quitter l’Église mais lui apporter une « critique constructive », voient leur réflexions (et leurs propositions) se limiter à ces aspects marginaux, qui frappent l’imagination mais laissent soigneusement de côté les fondements dogmatiques : mariage des prêtres, ordinations des femmes, statut des homosexuels, justice sociale… Marginaux, ces terrains de lutte ne le sont assurément pas puisqu’ils touchent à la vie réelle des gens réels. Mais ils ressemblent un peu à un vol de mouches au-dessus du miel de la réflexion fondamentale.

          Cette réflexion fondamentale progresse pourtant. Des spécialistes non-théologiens (historiens, exégètes), juifs, protestants, catholiques, travaillent avec acharnement, et leurs résultats vont tous dans le même sens : la redécouverte du Jésus de l’Histoire derrière le Christ de la foi (et de l’Église). Leurs travaux sont publiés à un rythme soutenu, accessibles à tous. Mais d’abord, ils sont d’un niveau technique élevé, comme il se doit : il faut, pour en prendre connaissance, fournir un effort dont tous n’ont pas la possibilité ou le temps.. Ensuite, les Églises font tout pour les marginaliser (1) : le « chrétien moyen » n’en entendra jamais parler dans sa paroisse, et encore moins les enfants dans les catéchismes.

          Pourtant, la personne de Jésus continue d’attirer ou de fasciner, bien au-delà des Églises institutionnelles ou des cercles de croyants. Fin 2006, une enquête La vie-CSA montrait que pour 95 % des français – et pas seulement des catholiques ! – la personne et la figure de Jésus restent une référence fondatrice de notre identité culturelle et de notre civilisation. Alors que pour 51 % des catholiques (et une large majorité des français) ce même Jésus n’est plus perçu comme un dieu ressuscité.

L’Église a donc perdu son monopole sur Jésus : il demeure une référence incontournable, mais on ne sait plus qui il est.

          L’illustre inconnu, l’inconnu indispensable.

III. Ce qui est en train de « bouger » 

          Il n’y a pas que le Da Vinci Code : des dizaines, des centaines de livres paraissent depuis 10 ou 15 ans, destinés au grand public, autour de la personne de Jésus. Et des films à succès, des télé-films, des télé-documentaires, des séries télévisées… Vous avez forcément vu l’une ou l’autre, lu l’un ou l’autre.

          Un raz de marée médiatique, un véritable « phénomène Jésus ».

          Qui confirme ce que nous disions plus haut : d’abord, la personne de Jésus – le Jésus réel, le Jésus de l’histoire – fascine les foules. Ce phénomène est absolument nouveau dans l’histoire de l’Occident. Pendant 18 siècles, tout l’effort des théologiens et des Églises pour lesquelles ils travaillaient a été d’imposer la figure mythique du Christ-Dieu. Initiée timidement par Reimarus au XVII° siècle, la quête du Jésus de l’Histoire – Jésus tel qu’en lui-même – est un phénomène totalement nouveau, par l’ampleur qu’il a pris.

          Ensuite (et c’est un corrollaire), ce phénomène met en lumière l’échec et la fin des vénérables Églises traditionnelles. Il montre bien que ce qu’il nous faut, ce n’est pas une avancée sur le mariage des prêtres, ou tel autre point mineur : c’est une refondation du christianisme, dont l’énormité de ce phénomène récent, mais planétaire, montre à la fois l’urgence, et la possibilité.

          Hélas, la grande majorité de ces romans, de ces films ou télé-films autour de Jésus n’ont rien à voir avec les travaux des véritables spécialistes. Ils exploitent des fantasmes commerciaux (Marie-Madeleine concubine de Jésus, Jésus terroriste ou doux rêveur…) qui sont extrêmement rentables. Mais fourvoient le grand public (qui gobe l’appât avec gourmandise) sur de fausses pistes, ou dans des impasses. L’argent n’a pas d’odeur, et le parfum de la vérité est fragile.

          Il n’empêche : des foules considérables (le « peuple ») s’habituent, à travers des romans de caniveau ou des films racoleurs, ils s’habituent à entendre parler de Jésus autrement. Si les réponses (quand il y en a !) sont misérables, les questions posées sont justes, et elles tournent autour d’une seule : mais enfin, qui était Jésus ? Posant les vraies questions sans pudeur, ou même avec impudeur, ces « coups » médiatiques auraient été impensables il y a 40 ans. Leur succès est une brèche dans l’édifice immuable des dogmes fondateurs de l’Occident.

          Cette brèche, il faut s’y glisser. J’ai tenté de le faire avec un roman d’action, Le secret du 13° apôtre : on y trouve toutes les ficelles du Thriller, et j’en demande pardon. Mais la base historique est vraie, fondée sur les travaux des exégètes. Ce roman est traduit en 16 langues pour 17 pays : ceux qui le liront ne seront pas emmenés dans le fossé. Le divertissement, j’ai tenté de le mettre au service de la vérité, ou du moins de sa recherche honnête.

          C’est donc en-dehors des Églises, en-dehors même des groupes de « chrétiens critiques », que les choses bougent. Et peuvent bouger dans le bon sens, s’ils sont plus nombreux ceux qui utilisent l’appétit du public sans jamais cesser d’aimer et de respecter la personne et la personnalité de Jésus, l’inconnu des temps modernes.

                                                M.B., juillet 2007

(1) John P. Meier, l’un des plus remarquable de ces exégètes vivants, a dû faire une conférence dans une université américaine pour se justifier des attaques de l’Église catholique contre sa méthode de travail et ses résultats.

ROME, LE PAPE ET LE NÉGATIONNISME

          J’avoue suivre de fort loin l’ « actualité » de l’Église romaine, dont je n’attends rien depuis longtemps : mais là, quand même…

          En 1963, le Concile Vatican II publiait la déclaration Lumen Gentium qui définissait l’Église. Alors que ce concile se voulait résolument pastoral (c’est-à-dire qu’il n’entendait définir aucun nouveau dogme), Lumen Gentium propose une définition dogmatique de l’Église, face notamment aux autres croyances. Le Concile affirmait que l’Église du Christ « subsiste » dans l’Église catholique.

          Subsiste : un peu d’éthymologie, car il s’agit bien d’une définition dogmatique et le vocabulaire est technique. En philosophie aristotélicienne, Subsistit signifie « est le fondement de », « est le substrat de », « est la réalité qui en sous-tend une autre ». Dire que Ecclesia Christi subsistit in Ecclesia Catholica signifiait que l’Église catholique repose entièrement sur un en-soi idéal, l’Église voulue par le Christ. Par cette définition, Vatican II ouvrait la porte à une reconnaissance possible d’autres Églises : en effet, elles aussi pouvaient trouver dans l’en-soi « Église du Christ » leur fondement, leur substance, leur substrat. Cette définition fondait l’oecuménisme, lui ouvrant une voie royale.

          Le pape vient de déclarer que Vatican II n’aurait pas dû dire subsistit, mais est. C’est-à-dire que son Église, celle de Rome, n’est pas fondée sur l’Église du Christ, mais qu’elle est cette Église.

          Donc : la seule Église, c’est celle de Rome. Il n’y en a pas d’autre, aucune autre Église ou communauté chrétienne ne peut se référer à l’Église (idéale) voulue par le Christ. Puisque la catholique, à elle seule, possède toutes les fondations posées par le Christ : elle les épuise toutes en elle, il n’y a aucun substrat, aucune subsistance en-dehors d’elle. Elle ne subsiste pas, elle est.

          Et en-dehors d’elle, rien n’est de ce qui est : Extra ecclesiam, nulla salus.

          Cette déclaration enterre définitivement l’oecuménisme. Toutes les autres Églises, toutes les autres religions, n’ont d’autre solution que de disparaître, en se fondant dans l’Église catholique. Qui leur tend la main, mais en agrippant la leur pour les attirer à elle.

          C’est la fin d’un siècle d’immense espoir, initié par le cardinal Newman au tournant du XX° siècle : le rapprochement de ceux qui confessent le même Dieu, le même Christ.

          C’est aussi la première fois qu’un pape nie explicitement les définitions de caractère dogmatique proclamées par un concile avant lui.   Négationisme nouveau dans l’Histoire de la chrétienté. Innovation, progrès.

          Ratzinger commence sa déclaration en affirmant que « le Concile Vatican II… n’a rien changé dans l’absolu [du dogme] ». On l’avait compris : il ne s’est rien passé entre 1962 et 1965. Circulez, il n’y a rien à voir.

          Ainsi se confirme publiquement, nettement, ce que nous savons depuis longtemps : l’Église catholique ne changera jamais. Comme une stalactite, elle est calcifiée : de temps en temps, une goutte vient juste ajouter un millimètre de calcaire supplémentaire.

          A vrai dire, la planète n’en a que faire : il y a longtemps, aussi, qu’elle cherche hors de l’Église sa respiration et sa vie. En même temps que le visage, de plus en plus lumineux, de Jésus le nazôréen.

                               M.B., juillet 2007

Y A-T-IL UN PAPE EN AUSTRALIE (ou ailleurs) ?

Ouvrant (trop) ma tévé, j’ai aperçu sur tous les écrans la silhouette d’un vieillard en habit de scène rouge et blanc, indiquant à grand’peine au pilote d’un paquebot, de sa main frêle, le tracé exact du chenal de la baie de Sydney, qu’il était en train de parcourir au risque de heurter les vedettes des médias internationaux. « Qui est cette vedette du chaud-biz, qui se faufile ainsi entre les vedettes chargées de caméras », me dis-je ? 
          Ce n’était pas Mickael Jackson enfin devenu vieux : trop naturellement blanc. Ni Sean Connery : pas assez viril. Ni Nelson Mandela (l’âge correspondrait) : trop passe-partout. Ni Valéry Giscard (bien qu’il fut aussi déteint que lui).
          Non, me dit le spiqueur de la tévé, c’est le pape, vous savez, l’homme qui parle au nom de l’Occident.
          Dont il est la Conscience et l’espoir.
          J’apprends donc qu’il y a un pape encore, et ma vie s’en trouve transformée.
          La vôtre aussi, à n’en pas douter : comme il se peut que vous ne le sachiez pas, je prends la peine de lancer ce message sur les autoroutes d’Internet. Vous voilà informé, votre vie meilleure et plus légère, tout comme la mienne.
          Heureux d’être heureux.

          Cette poupée de porcelaine blanche parle : je vais enfin entendre le message de la Conscience occidentale. De quoi s’agit-il, pour que je vive enfin d’espoir renouvelé ?
           Il s’agit d’avoir honte parce que des prêtres (ce sont, je crois, des permanents de son association) ont profité de leur délégation de pouvoir pour en abuser auprès de bambins australiens, qui n’étaient même pas des aborigènes. Le pape a honte, il nous fait partager sa honte, nous invite à avoir honte avec lui.
          Et le spiqueur, très au courant semble-t-il, répète par trois fois que c’est la première fois qu’un pape a honte, et surtout qu’il le dit à la tévé.

          C’est donc avec mes oreilles devenues honteuses que je continue d’écouter la suite du discours de la Conscience occidentale : enfin, on va savoir s’il y a encore un Dieu, et surtout quels sont les chemins qui mènent à lui ! Le crooner sur son paquebot n’est-il pas un expert des chenaux compliqués et hasardeux de l’Aventure Spirituelle ?
          J’entends alors un manifeste inspiré des Verts (tendance Voynet), enrichi par Die Grünnen tendance Münich et corrigé par la toute dernière version californienne de l’écologie de demain.
          « Tiens, me dis-je, j’ai déjà entendu ça près de 1000 fois, et depuis vingt ou trente ans déjà ? La vedette, sur son paquebot, l’aurait-elle découvert hier ? » Mon bonheur est d’apprendre que l’homme en rouge et blanc est enfin au courant : la planète va mal. Il le sait, il le dit : donc, tout va mieux.
          Ensuite, il conseille aux jeunes présents (zoom de la caméra sur une jeune) d’être « les Prophètes de ce monde nouveau ». Quel monde nouveau, me dis-je, toujours naïvement désireux de partager la Conscience de l’Occident ? Celui de la honte, ou du programme écologiste ?

          La tévé étant ce qu’elle est, on passe immédiatement à la dernière étape du Tour de France. Qui suscite toujours mon intérêt passionné.
          Et dont l’intolérable suspense m’évite de réaliser que je n’ai toujours pas entendu, de la bouche de La Conscience de l’Occident, s’il y a un Dieu et comment on peut le rencontrer.
          Mais, des chemins de Dieu, qui se soucie encore en Occident ?


                           M.B., 21 juillet 2008

CHRISTIANISME : SE RELEVER DE SES CENDRES ?

          Entendu hier le sociologue Boris Cyrulnik commenter son dernier livre, sur la résilience.

          Qu’est-ce que la « résilience » ? En physique, c’est la capacité des aciers à conserver leur intégrité après avoir subi des chocs. Analogiquement, c’est la capacité, pour un individu, à se relever d’un échec grave, à repartir après avoir frôlé la mort physique ou l’anéantissement psychologique ou mental. « Résilience » a la même racine que « résistance ».
          Cyrulnik donne comme exemple les rescapés des Camps de la mort, ou les génocides récents.
          On lui pose la question : « La résilience individuelle peut-elle s’appliquer de la même façon à des groupes humains, à des communautés, voire à des nations ? »
          Oui, répond-t-il : exemple certains peuples, récemment soummis à des guerres qui avaient pour but de les exterminer, et qui s’en sont sortis mieux que d’autres, lesquels avaient pourtant connu une épreuve comparable à la leur.

          On lui pose alors la question : « Dans le cas d’une communauté humaine, quelles sont les conditions de la résilience ? Que faut-il, pour qu’un peuple se relève de ses cendres ? »

Il faut deux choses, répond Cyrul :

 1) De la solidarité entre les individus. Qu’ils se tiennent les uns les autres, qu’ils se soutiennent (moralement, idéologiquement, matériellement), qu’ils agissent en responsabilité collective.

2) Du sens. Qu’ils comprennent ce qui leur est arrivé, et pourquoi, et comment c’est arrivé.      

          Qu’ils puissent prendre du recul et se donner de la perspective. Pour qu’une communauté entre en résilience, il faut qu’elle sache d’où elle vient, comment elle en est arrivée là, pourquoi elle est menacée de disparaître. Ayant une idée claire et juste de son passé, elle peut commencer à se demander où elle va, et en prendre le chemin.
          Pour une communauté, la claire connaissance de son histoire, son analyse honnête et sans concessions, est le préalable à toute renaissance.
          Plus on y verra clair sur le passé, mieux on l’analysera, moins on se mentira sur les raisons et les causes du déclin, et mieux – et plus vite -on y verra clair pour repartir : pour avoir un avenir.
          Une analyse lucide, courageuse, sans dérobade, du passé, est la condition nécessaire de la résilience – de la survie, de la renaissance, du redémarrage.

          J’applique cette analyse pertinente à l’Église catholique, et à la civilisation qu’elle a nourri de l’intérieur pendant 17 siècles.
          Si la communauté des catholiques (ou ce qui en reste !) demeure hypnotisée par son passé, ses références dogmatiques
          -a- Sans faire face à la réalité : l’effondrement récent qu’elle connaît
          -b- et en se contentant de répéter les slogans et les certitudes de ce passé évanoui…
Alors, il n’y aura pas pour elle de résilience : elle restera sous perfusion, alimentée par le goutte-à-goutte des certitudes figées.
          Morte, en fait, dans un monde qui vit.

          Mais si cette communauté  accepte de comprendre le sens de ce qui lui est arrivé depuis 50 ans. Remontant le temps, si elle analyse le sens des grands tournant de son histoire, c’est-à-dire la création puis la lente pétrification de ses dogmes fondateurs. Si, enfin, elle se tourne à nouveau vers Jésus pour entendre ce qu’il a dit (et non pas ce qu’elle lui a fait dire)…
          Bref, si elle cherche du sens non plus dans le retour aux certitudes qui ont prouvé leur faillite, mais dans l’analyse des événements passés, puis dans le message original du grand prophète dont elle se réclame, Jésus le nazôréen,
          Alors, elle remplit la première condition.
          Si, au lieu de condamner ou d’ignorer (ou d’étouffer) ceux qui sont à la recherche du sens, elle les écoute et répercute leurs voix, les diffusant pour qu’elles rencontrent d’autres voix, d’autres chercheurs de sens – bref, si la solidarité dans la quête de sens prend la place de l’autorité totalitaire, alors, elle remplit la deuxième condition.

          Sans recherche du sens, et sans solidarité dans son expression et sa diffusion, le catholicisme continuera d’être un mort-vivant. Et l’Occident d’être privé de référent identitaire.
          I have a dream…

                          M.B., octobre 2008