« UN SEUL DIEU TU ADORERAS
ET SES ENFANTS MASSACRERAS »
Le 16 décembre, cent trente deux enfants ont été massacrés par les Talibans dans une école militaire de Peshawar. Certains de ces enfants, qui se cachaient sous des tables, en ont été extirpés pour être froidement exécutés en masse.
« Taliban », en arabe comme en pachtoun, désigne un étudiant dans une université musulmane. C’est donc au nom d’une idéologie religieuse que les Talibans ont massacré ces enfants.
Comment est-ce possible ? Quel « Dieu » peut-il inspirer, ou exiger, pareille horreur ?
I. Le sacrifice humain
Dans toutes les civilisations depuis le néolithique, il a été pratiqué afin de s’attirer les faveurs des dieux. On a récemment proposé une interprétation intéressante : ces sacrifices auraient eu pour but de canaliser la violence d’un groupe humain en la déchargeant sur l’individu sacrifié. Le sacrifice humain assurait la cohésion de ce groupe, qui se protégeait de toute « violence intérieure » en l’évacuant dans un rite sacré.
Pendant leur exil à Babylone, les Hébreux ont condamné avec horreur les sacrifices d’enfants. On lit dans la Torah, écrite à cette époque : « [les Babyloniens] vont même jusqu’à brûler au feu leurs fils et leurs filles pour leurs dieux ! Tu ne livreras pas tes enfants au feu de Moloch, Yahvé a tout cela en abomination. » (1)
Ils ont inscrit ce rejet du sacrifice d’enfants dans un épisode bien connu du Livre de la Genèse. Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac, et Abraham est prêt à s’exécuter. Mais au dernier moment, Dieu substitue un bélier à l’enfant. Dés lors, pour se concilier les faveurs de leur Dieu, les Juifs ne sacrifieront plus que des animaux.
II. Le martyre pour Dieu
On lit pourtant dans le Livre des Juges le récit du meurtre de la fille de Jephté par son père (2). Mais d’abord cette fille n’est pas une enfant, elle est en âge d’être mariée. Et puis ce meurtre est l’accomplissement d’un vœu prononcé par Jephté avant une bataille : s’il est victorieux, il sacrifiera la première personne qui viendra à lui – et c’est sa fille.
Plus tard, la Bible raconte l’histoire de ces sept enfants Juifs qui préfèrent mourir sous la torture plutôt que de manger du porc. Avant d’aller au supplice, chacun tient le même discours : « Dieu nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois. » (3) Ce n’est pas un meurtre – ils étaient libres d’apostasier. Ce n’est pas un suicide – comme Samson ils préfèrent mourir que de se soumettre. C’est le premier témoignage dans l’Histoire d’un martyre pour Dieu, et cet épisode devenu fameux aura des répercussions inattendues.
D’abord sur les Esséniens et Zélotes réfugiés à Massada : ils préfèreront s’entretuer, femmes et enfants y compris, plutôt que de se livrer aux Romains.
Ensuite sur le Coran, qui fait une large place au martyre pour Dieu (4). « Ceux qui ont combattu dans le Chemin d’Allah et qui ont été tués, je les ferai entrer dans les jardins [du Paradis]. Ne croyez pas que ceux qui sont tués dans le Chemin d’Allah sont morts : ils sont vivants, comblés de biens auprès de leur Seigneur, heureux de la grâce qu’Allah leur a faite [de mourir pour lui] » (5)
Mais dans un de ses versets, le Coran reprend l’interdiction de la Torah : « Ceux qui, dans leur folie et leur ignorance, tuent leurs propres enfants, voilà ceux qui sont perdus. » (6)
Explicite dans le Coran, l’interdiction du meurtre d’enfants ne concerne que les enfants des croyants. Ceux des militaires de Peshawar n’étant pas les leurs, les Talibans ont considéré qu’ils ne violaient pas le Coran en les massacrant.
Mais suivaient-ils ses préceptes ?
III. L’humanité coupée en deux
Je l’ai montré dans Naissance du Coran, l’idéologie qui sous-tend ce texte a pris naissance dans le judaïsme, elle s’est radicalisée au tournant du premier millénaire : c’est le messianisme, qui a imprégné le christianisme avant l’islam et inspirera bien plus tard le communisme et le nazisme.
Les messianistes séparent l’humanité en deux : « D’un côté l’aveugle et le sourd, de l’autre le voyant et l’entendant. » (7)
D’un côté nous, de l’autre tous les autres.
D’un côté les bons croyants (les prolétaires, le Herrenvolk), de l’autre les mal-croyants (les capitalistes, les Untermenschen).
Nous et les autres, nous contre tous les autres.
Pour un messianiste, ces « autres » ne méritent pas de vivre, ce ne sont pas des êtres humains. Les supprimer est une action agréable à Dieu, puisqu’elle purifie l’humanité de leur race maudite par Dieu.
En se disant seul choisi par Dieu, le peuple Juif a inventé la notion de pureté raciale et il l’a transmise aux messianistes. Elle a contaminé le Coran qui en fait l’ossature de sa conception de la femme (8), et le nazisme l’a explicitée en décrétant qu’il irait jusqu’à tuer les enfants des races inférieures pour les éteindre à leur source.
Les Talibans étaient donc parfaitement cohérents avec leur messianisme. Ils respectaient le Coran : « ce ne sont pas nos enfants que nous tuons. Ce sont les enfants de ceux qui s’opposent à nous, c’est-à-dire au Chemin d’Allah. »
Ils ont évacué leur violence en s’en déchargeant sur des petits, ils ont assuré leur cohésion en supprimant les plus faibles. Dans leur esprit, était-ce un acte rituel, à caractère sacré ? Je ne sais. Mais Allah, béni soit son nom, ne peut qu’approuver ce massacre de 132 innocents qui ne méritaient pas de vivre puisqu’ils n’étaient pas nés du bon côté – le leur.
Des enfants qui avaient devant eux toute une vie, des promesses divines éteintes avant même d’avoir pu commencer à se réaliser.
M.B., 21 décembre 2014.
(1) Deutéronome 12,31 ; Lévitique 18, 21.
(2) Livre des Juges chap. 11.
(3) 2e Livre des Maccabées, chap. 7
(5) Coran 2, 218 et 9,20. Coran 3, 169.
(6) Coran 6, 140.
(7) Coran 11, 24.