Archives pour la catégorie L’ISLAM EN QUESTIONS

Quelques-unes des questions que posent le Coran et l’islam à l’historien…

FEMMES, JE VOUS HAIS ! (le Coran et ces dames)

          Il y a sur cette terre, environ 1 milliard de musulmans – soit logiquement la moitié de femmes. Que dit le Coran de nos adorables moitiés ?

 Aux origines : le messianisme judéo-essénien

           Pour son époque l’Ancien Testament n’est pas particulièrement misogyne, il donne même parfois aux femmes une place qu’elles n’avaient pas chez les peuples voisins.

           Mais à partir de l’exil (- 586), on voit apparaître en Israël un messianisme de plus en plus exacerbé, combiné à partir du II° siècle avant J.C. avec un gnosticisme de plus en plus affirmé.

           Messianisme : c’est l’attente d’un Messie charismatique et belliqueux, qui prendra la tête d’une guerre d’extermination contre tous les ennemis d’Israël.

          Gnosticisme : c’est un courant philosophique qui sépare l’univers en deux sphères, celle du bien (les Fils de Lumière) et celle du mal (les Fils des Ténèbres).

           Les manuscrits trouvés sur les rives de la Mer Morte datent du tournant du 1° millénaire. On y lit des perles, comme : « La perversion du cœur des femmes éloigne les humbles de Dieu, égare les humains dans un fossé et les séduit par leurs flatteries. (1) Au roi elles enlèvent sa gloire, au brave sa force, au pauvre le soutien dans sa pauvreté. » (2)

          Ầ cette époque, était donc répandue en Israël une idéologie selon laquelle la femme, par nature, détourne l’homme de sa mission.

          Pourquoi ? Parce qu’ici-bas les Fils de Lumière (nous) sont engagés dans une guerre sans merci, totale, contre les Fils des Ténèbres (eux). Dans ce climat totalitaire, la séduction féminine empêche le fanatique d’être entièrement investi dans la seule chose qui compte, son combat pour le triomphe de la cause du Bien (nous).

          Séductrice, la femme représente pour l’homme (et donc pour la communauté des combattants) un danger mortel.

          Séduction (tentation), en arabe, se dit fîtna.

           On retrouve cette misogynie dans le Talmud, écrit juif rabbinique écrit cinq siècles plus tard. « Le Talmud est résolument misogyne… La femme n’est pas digne de témoigner (pas plus que le fou ou l’enfant). Le mariage est un acte d’achat, et la femme appartient à son mari sans pouvoir, contrairement à lui, dissoudre cette union. » (3)

           Retenons de cela qu’un fort courant juif, d’origine essénienne et qui s’épanouit dans le judaïsme rabbinique, voyait dans le monde la scène d’un combat apocalyptique entre le bien et le mal. Guerre totale : ne survivront que ceux dont les armes ne seront ni polluées, ni alourdies par une quelconque tentation.

          Prêt à se sacrifier pour le retour du Messie, le fanatique ne doit être retenu ou empêché par rien.

 Le Coran, un texte d’inspiration judéo-chrétienne

           La recherche contemporaine a mis en évidence un fait que les érudits musulmans peinent à reconnaître : le Coran est entièrement d’inspiration juive et nazôréenne. (4)

          Juive, et pas n’importe quel judaïsme : le judaïsme rabbinique du VII° siècle, c’est-à-dire talmudique.

          Nazôréenne : cette secte judéo-chrétienne, qui sort lentement de l’oubli, E.M. Gallez l’appelle à juste titre un judéonazôréisme (5). C’est-à-dire un judéo-christianisme particulier, à la fois messianique et fortement teinté de gnosticisme.

           On ne peut pas comprendre le Coran si l’on oublie qu’il part en guerre d’une part contre les musrikûn, ceux qui associent d’autres dieux au Dieu unique (les idolâtres et les chrétiens). Et d’autre part contre les kafirûn, ceux qui « recouvrent » Dieu par leurs infidélités à sa Loi (les juifs).

          Dans l’optique talmudique aussi bien que nazôréenne reprises par le Coran, le salut du monde est en jeu : il y a d’un côté le « parti d’Allah », hizb Llah, qui doit tout sacrifier au Chemin d’Allah, sabîl Llah. Et de l’autre le « parti de Satan », hizb saytân formé par les ennemis d’Allah.

          L’homme musulman est un mukallaf, un chargé de mission, réquisitionné par Allah : tout doit être sacrifié à cette cause.

 Les femmes, obstacles à la cause

          Dans cette optique totalitaire seule compte l’Umma, la communauté des croyants : l’individu ne compte pas.

          Or, à cause de leur maternité les femmes ont l’esprit tourné vers la vie qu’elles créent autour d’elles, d’où cette prescription du Coran : « Vos femmes et vos enfants sont pour vous des ennemis. Prenez-y garde ! Vos biens et vos enfants ne sont qu’une tentation – fîtna » (6).

          C’est aussi pourquoi « les hommes ont autorité sur les femmes, parce qu’Allah les préfère à elles » (7). Et si elles ne se soumettent pas, « celles de vos femmes dont vous craignez la désobéissance, reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais si elles vous supplient, cessez de peser sur elles » (8).

           Non pas que l’homme serait automatiquement du parti de Dieu, tandis que la femme serait automatiquement du parti de Satan. Mais seule une femme devenue mukallaf , militant(e) totalement engagée dans la cause, peut trouver grâce aux yeux de la communauté, l’ Umma.

          La femme n’est pas l’égale de l’homme, mais la croyante est l’égale du croyant. Ce qui peut expliquer le choix de certaines femmes du port du voile, qui les marque comme croyantes plutôt que comme femmes.

           On trouve déjà cette idée dans plusieurs évangiles apocryphes gnostiques comme l’évangile de Thomas, logion 114 :

          « Simon-Pierre dit : « Que Marie sorte du milieu de nous, car les femmes ne sont pas dignes de la Vie ». Jésus dit : « Je l’attirerai afin de la faire mâle… car toute femme qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux ».

 Le Coran, un progrès et un adoucissement

           On sait assez peu de choses sur la société arabe du Hîdjaz au VII° siècle. Mais ce qu’on constate, c’est que le Coran annule la lapidation de la femme adultère, prescrite – et pratiquée – dans le judaïsme à l’époque de Jésus.

          Si une femme est surprise en flagrant délit d’adultère (ou fortement soupçonnée), « le débauché et la débauchée recevront cent coups de fouets chacun, et un groupe de croyants sera témoin de leur châtiment. N’ayez aucune indulgence envers eux, c’est la religion d’Allah. » (9)

          De même, en cas d’héritage « Allah ordonne d’attribuer au garçon la part de deux filles » (10) : c’était sans doute plus qu’elles n’avaient jamais reçu.

          La législation coranique sur la dot, les enfants, le divorce, le témoignage en justice nous paraît médiévale et inacceptable : pour nous elle l’est , mais au VII° siècle elle représentait plutôt un progrès.

          Le problème, c’est que l’horloge historique de certains fanatiques musulmans s’est arrêtée à la fin du VII° siècle. En ce qui concerne l’accusation d’adultère notamment, ils oublient que les plaies de cent coups de fouets cicatrisent plus facilement qu’un corps écrasé à coups de pierres.

 Les hadîths

           D’autant plus qu’au texte du Coran se sont ajoutés, au cours des siècles, des hadîths ou paroles du Prophète recueillies par ses proches compagnons, et non consignées dans le texte du Coran dicté par Allah à son Prophète.

           Ainsi, ce délicieux proverbe qui lui est attribué :

          « La plus grande cause de misère que j’ai laissée à l’homme, ce sont les femmes. »

          Ou encore, cet autre attribué à ‘Ali, neveu de Mahomet :

          « La femme toute entière est un mal. Et ce qu’il y a de pire en elle, c’est que c’est un mal nécessaire » (11).

           Heureusement, il y a des versets du Coran (dictés par Dieu) comme celui-ci :

          « Vos femmes sont un champ à labourer : labourez-le comme il vous plaît. » (12). Tout récemment, je bavardais avec un musulman de milieu populaire, qui était fier de passer ses journées à étudier le texte du Coran. Il m’expliqua que ce verset de la sourate « La Vache », la 2° du Coran, signifiait en fait que les maris peuvent prendre leurs femmes par devant ou par derrière, « comme il leur plaît ». Ce sont les délices de l’exégèse coranique, adaptée à « un peuple qui ne se trompe pas » (13).

 L’héritage judéo-gnostique en christianisme

           Les chrétiens n’ont de leçons à donner à personne.

          Rappelons-nous ce que fut la condition de la femme en chrétienté triomphante : nous étions tout aussi messianistes, attendant le retour du Christ et prêts à le hâter par quelques bonnes croisades – comme celle des armées du pape contre les pieux albigeois.

          Tout aussi gnostiques, reléguant l’œuvre de chair aux confessionnaux, si d’aventure elle s’accompagnait de plaisir.

          Combien de siècles avons-nous mis à reconnaître aux femmes, après une âme semblable à celle des hommes, une dignité égale à la leur ?

           Et nous souvenons-nous que Jésus, qui fut nazôréen, parlait en public à une femme, étrangère de surcroît, acceptait dans son entourage des femmes qui se montrèrent à son égard d’un dévouement sans borne, jusqu’au bout. Relevait sans la juger une prostituée repentante, rendait la vie à une femme adultère sur le point d’être lapidée…

           Hélas, Jésus a été transformé en Christ, ce qui ne lui a pas réussi – et à nous non plus.

                                                M.B., 21 août 2011

 (1) Écrits Intertestamentaires, Pléiade 1987, Fragments divers : Pièges de la Femme, pp. 447-451.

(2) Testaments des XII Patriarches, Juda, id. p. 867.

(3) Raphaël Cohen, Ouvertures sur le Talmud, Paris, Granger, 1990, p. 125.

(4) Voyez, dans ce blog, les articles rassemblés sous la rubrique « L’islam en questions »

(5) Le Messie et son prophète, 2 tomes aux Éditions de Paris, 2005. Ouvrage remarquable, auquel j’emprunte une partie de cet article.

(6) Coran 64, 14-15.

(7) Coran 4,34 a.

(8) Coran 4,34 b. Traduction Denise Masson, corrigée par Berque.

(9) Coran 24,2.

(10) Coran 4,11.

(11) Deux hadîths cités par Gallez, Tome I page 508.

(12) Coran 2, 223.

(13) Coran 5, 51.

SUIS-JE (sommes-nous) ANTI-ISLAMISTE ?

          Une lectrice m’écrit :

 « Je dois avouer que votre obstination contre l’islam me bloque. Que vous apporte, dans vos recherches, votre dénigremet permanent de l’islam ? Vous aide-t-il à retrouver les traces des premiers chrétiens qui ont tenté de sauvegarder le message de Jésus ? »

           D’abord, merci  de votre interrogation. Elle mérite que j’y réponde point par point.

 Obstination contre l’islam

           Soyons clairs : autant je connais la tradition chrétienne dans sa formation et son évolution au cours des siècles, autant (par comparaison) je n’ai de l’immense tradition islamique qu’une connaissance approchée. Courte est la vie.

          Je ne porte donc jamais de jugement sur l’islam en tant que tradition intellectuelle & spirituelle.

          Mais j’ai passé beaucoup de temps à étudier le texte du Coran, avec les mêmes méthodes exégétiques & critiques qui se montrent si fructueuses pour la Bible.

          Pourquoi tant de travail ?

           Parce que j’en avais assez d’entendre dire que « l’islam est une religion de paix, d’amour et de tolérance. Ne confondons pas islam et islamistes« . J’ai donc voulu aller au texte fondateur de cette religion, le Coran dont tous, « bons musulmans » comme islamistes, semblent apparemment se réclamer.

           Conclusion : je ne sais pas si « l’islam est une religion de paix et de tolérance » (la réponse n’est pas de mon domaine de compétence). Mais je sais désormais que le Coran est un texte qui appelle à la violence, au meurtre et à l’intolérance.

          Tout le Coran ? Non. Et c’est là la difficulté, que seule une exégèse historico-critique permet de lever.

           Une partie du Coran seulement appelle à la violence et à l’intolérance. Ce que j’appelle dans mon roman (à venir) les « versets brûlants ». Ces versets éclairent de leur lumière incendiaire tout le Coran.

          Les identifier, comprendre d’où ils viennent et pourquoi, c’est se rapprocher des « bons musulmans » qui ne s’en réclament pas, et s’éloigner des islamistes qui en ont fait l’étendard de leurs violences.

 Les traces des premiers chrétiens

           On le dit rarement, mais toute une partie du Coran n’est rien d’autre que le reflet d’un judéo-christianisme primitif, le nazôréisme (parfois confondu à tort avec l’ébionisme). L’auteur du Coran a été assez proche des nazôréens – tels qu’ils survivaient encore en Syrie au VIII° siècle – pour inclure dans son texte de larges extraits de leur christianisme particulier. Et condamné comme hérétique par l’Église chrétienne.

           Or il se trouve que Jésus était nazôréen (voir Dieu malgré lui, et ma mise au point postérieure). Certes, le nazôréisme du Coran n’est pas celui de Jésus au 1° siècle (dont on sait peu de choses). Le Coran témoigne de l’évolution subie pendant 6 à 7 siècles par un nazôréisme devenu de plus en plus messianiste. Mais enfin il existe bien un lien matériel entre l’auteur du Coran, séduit par ce nazôréisme judéo-chrétien tel qu’il le rencontra au 8° siècle en Syrie, et Jésus qui fut nazôréen au 1° siècle en Palestine.

         Et les lecteurs du Secret du 13° apôtre comme de Jésus et ses héritiers et Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire savent le rôle joué dans la vie de Jésus par un homme, qui fut sans doute nazôréen lui-même (le « disciple que Jésus aimait »), dans la transmission du message de son maître.

          Comme dans l’évolution primitive du mouvement nazôréen.

           Certes, tout ceci ne repose que sur des hypothèses historiques. Criticables, par définition. Mais à une condition toutefois :  que la critique se situe (au moins) au même niveau d’élaboration et de travail sur les sources que l’hypothèse. Désirée, cette critique est alors toujours bienvenue.

           Islamophobe ? Pas sûr, en tout cas pas directement.

          Plus que réservé sur la nature pacifiste et tolérante du Coran ? Oui, et en connaissance de cause.

                                                   M.B., 26 sept 2011

CHARIA OR NOT CHARIA (Hebdo)

          Un hebdomadaire français satirique, Charlie Hebdo, a été incendié récemment. Il avait modifié son titre en Charia Hebdo, et affiché sur sa « Une » le portrait stylisé du Prophète.

          Pourquoi ce geste, fait pour détruire et peut-être pour tuer ?

          Selon l’habitude de ce blog, pour comprendre je vous invite à prendre du recul.

           Au début du VIII° siècle de notre ère apparût en Arabie un livre, écrit dans une langue d’une grande beauté : le Coran.

          Pareils chefs d’œuvre sont toujours l’aboutissement d’une lente maturation de la langue, des idées, de l’écriture elle-même. Or, fait unique dans l’histoire de la littérature, celui-là n’avait aucun antécédent arabe.

          Les musulmans considérèrent donc son apparition comme miraculeuse : « Le Coran… a été transmis au Prophète, instrument passif de la Révélation, tel qu’il est conservé au ciel, de toute éternité, sur la Table gardée. Selon la tradition la plus constante,… il constitue en lui-même un miracle. » (1)

          L’auteur de ce miracle ne pouvait être que Dieu lui-même. La légende se répandit qu’un arabe, prophète et illettré, avait fidèlement répété ce que Dieu lui dictait au cours de ses visions.

           Il manquait à l’islam le héros sans lequel aucun grand mythe ne peut voir le jour : une biographie, qui soit à la hauteur de son visionnaire.

          Il faudra attendre cent trente ans pour voir apparaître une « vie du fondateur de l’Islam qui se présente en une suite chronologiquement ordonnée » (2), celle d’Ibn Ishâq (704-768). L’auteur aurait puisé sa matière dans des compilations de traditions orales provenant des compagnons du prophète :

     – les Hadîths rapportant ses paroles

     – et la Sîra décrivant ses faits et gestes.

           Un siècle plus tard, Ibn Hichâm (mort en 834) prit connaissance du texte d’Ibn Ishâq avant qu’il ne disparaisse, et s’en inspira pour écrire la première biographie complète du fondateur de l’islam.

           Deux siècles séparent donc cette biographie des événements qu’elle raconte. Puis les Vies du Prophète s’enchaînent à un rythme soutenu, toutes calquées – jusqu’à nos jours – sur celle d’Ibn Hichâm.

           Hadîths et Sîra se développèrent au sein de la Sunna, qui devint après le texte sacré la seconde autorité législative de l’islam, donnant naissance à la Charia.

 Arrêtez de charrier !

           Il n’existe pas de texte de référence de la Charia, un code écrit comparable au Code Napoléon ou au Code de Droit Canonique de l’Église catholique.

          La Charia n’est consignée nulle part : c’est un ensemble de jurisprudences, qui se sont imposées au fil des siècles et sont considérées d’origine divine.

 Deux exemples :

 1- les juifs punissaient l’adultère par la lapidation publique (3). Le Coran abolit cette loi : en cas d’adultère, la femme sera punie de cent coups de fouets, ce qui cicatrise quand même plus facilement qu’un crâne écrasé sous les pierres.

 2- Le Coran ne dit nulle part que les femmes musulmanes doivent être voilées, mais seulement que les femmes du Prophète devront être couvertes jusqu’en bas. Ầ cette époque, les bédouines travaillaient vêtues d’un simple pagne : prescrire aux femmes du chef de l’État de ne pas montrer leurs cuisses en public était somme toute raisonnable.

           C’est la Charia qui a réintroduit la lapidation de la femme adultère, rendu obligatoire le port du voile intégral, et prescrit bien d’autres règles dont il n’y a pas trace dans le Coran.

          Quand, où, qui ? Ce n’est pas notre sujet.

           Empilées les unes sur les autres, les pratiques médiévales de la Charia sont mises en œuvre différemment selon les pays : il existe une application modérée de la Charia (« Je prends ceci, je laisse cela »), et des applications rigoureuses ou fondamentalistes (« Je choisis le plus sévère »).

           Chaque dictature islamiste est libre de charrier à sa guise.

 Le Prophète sans visage

           Mais ce n’est pas pour son titre que Charia Hebdo a été détruit : c’est pour avoir montré, d’un trait de plume incisif, le visage du Prophète à sa « Une », et donc visible dans tous les halls de gare.

           Rappelez-vous la querelle des iconoclastes dans l’empire Byzantin : le Christ, abstraction forgée à partir de s. Paul, est le socle du christianisme. Donc on ne devait pas montrer le visage de Jésus, dont l’humanité aurait pu remettre en question l’édifice dogmatique chrétien.

           Le Coran est matériellement la parole de Dieu. L’humanité de son Prophète, forgée tardivement comme on l’a vu, doit disparaître devant le message qu’il a reçu. Montrer le visage de Muhammad, c’est ramener les musulmans aux origines historiques de leur légende fondatrice et risquer de la voir se fissurer.

           L’incendie d’un hebdomadaire français rappelle à tous que le dogme musulman est intouchable. Symboliquement, il remplace les bûchers de l’Inquisition, flammes pour flammes.

                   On n’est pas sortis de l’auberge.

                                            M.B., 9 décembre 2011

 (1) Denise Masson, Le Coran, Introduction, Paris, Pléiade, 1967, p. XVII.

(2) Régis Blachère, Le problème de Mahomet. Essai de biographie critique du fondateur de l’Islam, Paris, P.U.F., 1952, p. 5.

(3) Voyez dans l’Évangile dit selon s. Jean l’épisode de la femme adultère, que Jésus sauve de la mort par lapidation.

HALALLI AU HALAL ?

          Dans le cirque que nos politiciens – toujours soucieux de nous distraire – nous offrent périodiquement , un nouvel acteur vient d’entrer en scène : le Halal.

          De quoi s’agit-il ?

 I. Casher : l’obsession juive de pureté

           La pratique du judaïsme est fondée sur la notion de pureté.

          Choisi par Dieu parmi tous les peuples, un juif se doit d’être pur tout comme Dieu est pur, pour rester digne de son élection. Rien ne doit pénétrer dans son corps du dehors, qui puisse le rendre impur.

          Dans le Lévitique, la liste des aliments impurs est longue et précise. Le principal est le sang : « Où que vous habitiez, vous ne mangerez pas de sang… Quiconque [mangera un animal] devra en répandre le sang par terre, car la vie de toute chair, c’est son sang. Quiconque mangera du sang, n’importe quel sang, je me tournerai contre lui et je le retrancherai du peuple » (1)

           Le sang était donc considéré comme le siège du principe vital : l’absorber, c’était en quelque sorte s’approprier la vie (aujourd’hui, on dirait l’âme) d’un vivant.

          C’était emprisonner et détruire l’âme d’un mort, fut-il un animal.

           L’animal ne pouvait être consommé que s’il était préalablement saigné. Pour qu’il se vide de son sang, il fallait l’égorger bien vivant, afin qu’il saigne à mort. La viande était alors casher, terme qui a signifié d’abord « convenable » avant d’être ritualisé.

          Au fil des siècles, le souci de pureté légale était devenu chez les juifs une obsession, portée à son paroxysme par les esséniens. Or Jésus commence par se montrer très désinvolte envers les commandements de pureté, pour finir par les condamner : « Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui pénètre du dehors dans le corps ne peut le souiller ? » (2)

          Ce faisant, il s’aliénait non seulement le petit peuple de Galilée tenu en main par les pharisiens locaux, mais surtout les esséniens avec lesquels il avait, par ailleurs, plusieurs points en commun.

          (Sur tout ceci, voyez Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (Dans le silence des oliviers)

 II. Halal : le judaïsme arabisé

           Certains commencent à dire (avec précaution, on les comprend !) ce qui est pourtant d’une évidence criante : pour une part importante de ses sourates, le texte du Coran n’est qu’un copié-collé du judaïsme rabbinique du VII° siècle.

          Ainsi, la quand sourate 5 prescrit : « Voici ce qui vous est interdit : la bête morte, le sang, la viande de porc. » (3), elle ne fait que reproduire le texte du Lévitique (1).

          Tout ce qui est halal (4) est pur, peut être consommé. Le reste (haram) doit être proscrit.

          Viande halal ou viande casher, c’est la même chose : l’animal en pleine forme doit être égorgé avec un couteau bien aiguisé par une rapide incision qui sectionne les artères carotides, la trachée et la veine jugulaire – mais laisse la moelle épinière intacte, afin qu’il reste conscient jusqu’à ce que son cœur ait cessé de battre, faute de sang.

          Pour se différencier des juifs, les musulmans prescrivent seulement que pendant toute son agonie, la tête de l’animal doit être tournée vers La Mecque. Et pour le consoler, son exécuteur (qui doit être un musulman) récitera pendant ce temps la Fatiha, « Bismillah allahou akbar », « au nom du Dieu très-grand ».

III. Manger de la viande halal ?

          L’abattage halal n’est pas incompatible avec nos règles sanitaires. Il faut seulement que l’animal ne soit ni assommé ni étourdi, qu’il souffre et se voie lentement mourir : alors, il est pur. Sans oublier de bien signaler dans l’abattoir la direction de La Mecque, sans quoi il est bon à jeter.

          Rien ne s’opposerait donc à ce que nos viandes deviennent toutes halal.

          Rien, sauf si le traitement imposé à l’animal venait à imprégner sa viande d’un âcre goût de souffrance. Et si l’image du boucher, tordant sa tête sanguinolente en direction de La Mecque tandis qu’il récite une prière, ne risquait pas de se superposer au bifteck dans l’assiette.

          Mais à quoi riment ces idées creuses ? Laissez-nous manger tranquilles.

          Pas d’hallali au halal.

                                                        M.B. , 7 mars 2012

(1) Livre du Lévitique, 7, 26 et17, 10-13. Question annexe : comment Jésus, juif pieux, aurait-il pu songer à donner son sang à boire à ses disciples, juifs pieux comme lui ?

(2) Marc 7, 18.

(3) Coran, sourate « la Table », V, 3.

(4) En arabe, comme vous pouvez le constater (حلال), le mot halal ne comporte qu’un seul l

Djihâdistes à l’oeuvre : la destruction des manuscrits de Tombouctou

          Tombouctou libérée hier de la présence des djihadistes, les premières informations nous parviennent de ce que les habitants appellent ‘’L’enfer’’ qu’ils ont vécu.

          Pendant 9 mois, ils ont subi la loi des fous d’Allah.

          Qu’on fouette les impudiques (100 coups, c’est dans le Coran), qu’on coupe la main et le pied des voleurs (c’est dans le Coran) sans aller jusqu’à les crucifier (c’est pourtant dans le Coran), qu’on oblige les femmes à se voiler (ce n’est pas dans le Coran), qu’on interdise la musique (on peut le déduire du Coran), c’est normal : il s’agit de terroriser une population, de la faire ramper devant ses nouveaux maîtres, de réduire les non-croyants en esclavage (c’est dans le Coran).

           Mais dans le flot des informations, j’en ai entendu une qui passerait inaperçue, si on ne la relevait pas. Oyez, oyez !

           On nous a montré les djihadistes en train de démolir à coup de pioches les vénérables mausolées de saints musulmans locaux : abattre les idoles païennes, c’est dans le Coran, Dieu est grand, on ne se prosterne que devant Lui (ou devant ses lieutenants armés).

           Mais des témoins disent aussi que dès leur arrivée, ils se sont mis à fouiller la ville pour détruire les manuscrits anciens du Coran, pieusement conservés et préservés à Tombouctou depuis dix, onze, douze siècles peut-être.

          Des parchemins très anciens, sur lesquels étaient tracés des signes que les musulmans respectent plus que tout : les mots du Coran.

           Détruire le Coran, est-ce dans le Coran ? Pas que je sache.

           Dynamiter les Bouddhas de Banyân, brûler si l’on pouvait la Joconde sous la pyramide du Louvre ou faire sauter Vézelay comme la cathédrale de Chartres, on comprendrait : ces œuvres d’art sont des reflets de la beauté divine, elles suscitent l’émotion des foules. Or rien ne peut refléter Dieu. Dieu est sans visage, il ne doit pas émouvoir – mais être craint et obéi.

          Le vandalisme des djihadistes obéit donc à leur logique imperturbable. Mais détruire de très anciens manuscrits du Coran… pourquoi ?

           Il y a eu, aux premiers temps de l’islam, une période trouble que les historiens musulmans appellent pudiquement la ‘’collecte’’ du Coran. Ils parlent de compilations, d’ajouts de certains passages, de suppressions d’autres, de variantes dans le texte…

          Ibn Ishâm, premier biographe du Prophète et référence universelle de l’islam, mettait déjà en doute l’authenticité de certains versets de son prédécesseur Ibn Ishâq, dont l’œuvre a disparu. D’ailleurs au 10e siècle un érudit arabe, Ibn al-Nadîm, accusait Ibn Ishâm d’avoir « introduit dans le Coran des versets apocryphes sur la suggestion de faussaires travailant pour lui ».

          Mais déjà, cent ans après la mort du Prophète, le grand philologue musulman Al-Kindi (1) écrivait : « La conclusion est évidente pour quiconque a lu le Coran et a vu de quelle façon, dans ce livre, les récits sont assemblés n’importe comment et entremêlés. Il est évident que plusieurs mains – et nombreuses – s’y sont mises et ont créé des incohérences, ajoutant ou enlevant ce qui leur plaisait ou leur déplaisait ».

           Le doute persista longtemps, puisqu’au 14e  siècle Al-Suyuti, l’un des plus grands théologiens musulmans, déclarait encore : « Abou Bakr [premier successeur du Prophète] est mort alors qu’il n’avait pas collecté le Coran. Omar est mort alors qu’il n’avait pas collecté le Coran… »

           Les versions du Coran se succédant, son sens fut rendu encore plus aléatoire par l’apparition des points diacritiques (3) situés au-dessus ou en-dessous du texte, afin de distinguer des consonnes à l’écriture identique. Leurs scribes officiels étant libres de placer ces points à leur guise, les Califes eurent beau jeu de faire dire au Coran ce qui leur convenait (4).

           Car à Jérusalem ou à Bagdad, dès le début ils n’ont eu qu’un seul objectif : fournir à l’islam naissant un texte sacré, qu’ils puissent invoquer pour mettre en œuvre leur politique de conquête mondiale.

          En même temps qu’ils ‘’collectaient’’ le texte du Coran, les Califes firent répandre la légende fondatrice de l’islam : ce texte aurait été révélé par Dieu lui-même à un chamelier illettré, courroie de transmission fidèle puisqu’il dictait à ses secrétaires les mots tels qu’il les recevait du ciel.

           Rien ne devait donc subsister des versions intermédiaires du Coran, qui auraient permis de retracer les étapes de sa longue formation, d’identifier les influences qu’il a subi avant de parvenir à sa version politiquement correcte, la ‘’recension d’Uthman’’ actuelle.

           Trouver ne serait-ce qu’un seul brouillon du Coran, daté de la fin du 7e siècle, écrit dans la langue archaïque d’une époque où l’arabe était encore en formation, c’était impensable : Dieu ne fait pas de brouillons. Dieu parle arabe, et l’arabe achevé du Coran.

           Les Califes détruisirent donc systématiquement les versions intermédiaires du texte, destruction commencée sous Uthman et poursuivie bien après lui. Soixante ans plus tard, l’Empereur de Byzance écrivait que « de cette destruction, seulement un petit nombre d’ouvrages… échappa (5) ».

           Ầ peine entrés à Tombouctou, les djihadistes se mirent à la recherche de ces versions intermédiaires, au cas où, par malheur, l’un ou l’autre brouillon du Coran aurait échappé au travail de ‘’collecte’’ des Califes. Pour protéger l’islam il valait mieux – par sécurité – jeter au feu tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à un manuscrit ancien.

           Préserver d’une possible souillure la légende fondatrice de l’islam : prodigieuse continuité d’un dessein de conquête idéologique entrepris il y a treize siècles, dont les dépositaires de l’ambition califale n’ont jamais dévié !

          Jusqu’à hier, au Mali.

           Croire que les djihadistes sont de vulgaires terroristes, c’est ne rien comprendre à leur idéologie séculaire, et c’est être mortellement aveugle.

           Ils savent parfaitement ce qu’ils font. Et, contrairement à nous, ils n’ont rien oublié de leur identité fondatrice.

           La recherche et la destruction des manuscrits de Tombouctou par les djihadistes est aussi inquiétante que les deux avions qui fonçaient sur le World Trade Center, par un beau matin de septembre 2001, pour nous rappeler qu’ils n’oublient rien.

                                            M.B., 29 janvier 2013

 (1) Philosophe aristotélicien, philologue, mathématicien, musicologue et grand traducteur du 8e siècle irakien.

 (2) Bon résumé de cette question complexe dans l’article de R. Brague (paru dans Critique en avril 2003), accessible sur www.revue-texto.net/Parutions/CR/Brague_CR.htm.

 (3) Voir François Deroche, Beauté et efficacité : l’écriture arabe au service de la révélation, in Results of contemporary research in the Qur’an, Orient-Institut Beirut/Wüzburg, Ergon, 2007.

 (4) Lettre de l’Empereur byzantin Léon III au Calife Omar II, datée de 719. Les quelques lignes qui précèdent sont extraites de mon essai à paraître (avec références précises), Naissance du Coran, aux origines de la violence.

LE CORAN : sortir de l’impasse ? (Sami aldeeb)

          Les musulmans lisent le Coran à travers une tradition devenue sacrée : Dieu aurait révélé ce texte à un Prophète inculte, d’abord à La Mecque avant 622, puis à Médine jusqu’à sa mort en 632.

          Quand on applique au Coran les méthodes de l’analyse historico-critique, on s’aperçoit que la réalité est tout autre. Comme la Bible, le Coran a été écrit sur une période longue, par une succession d’auteurs restés anonymes. Le milieu dans lequel vivaient ces écrivains était un judéo-christianisme particulier. Ce noyau idéologique a été complété ensuite par un ensemble de lois édictées par les califes de Jérusalem, de Damas et de Bagdad.

          La distinction entre un Coran Mecquois et un Coran Médinois est une création des premiers historiographes musulmans, mandatés par les califes pour offrir à l’islam naissant sa légende fondatrice, qui n’a pas changé depuis lors.

          En réalité il n’y a pas de Coran « Mecquois », écrit entre 612 et 622 à la Mecque : d’ailleurs, à cette époque, rien ne prouve que La Mecque existait telle que la légende nous la décrit.

          Pas non plus de Coran « Médinois », bien qu’on a sans doute commencé à écrire des lois à Médine, pour les amplifier et les compléter ensuite à Jérusalem, Damas et Bagdad.

          Ce qui ressort de l’analyse historico-critique c’est qu’il y a un Coran judéo-chrétien et califal, où les différentes périodes d’écriture, les auteurs, les sources, ont été assemblés – ou plutôt désassemblés – comme un puzzle dont les pièces auraient été éparpillées au hasard sur une table.

          Classer les 114 sourates (chapitres) du Coran par ordre chronologique est impossible : la même sourate peut contenir des versets d’origine et de datation très différente.

          C’est avec sympathie et tristesse qu’on lit l’essai tenté par  Sami Aldeeb, Directeur du centre de droit arabe et musulman.

          Tristesse, car il reste prisonnier de la légende fondatrice de l’islam : « Celui qui examine… le Coran y constate la présence de différentes phases… La différence entre le Coran révélé à la Mecque (avant 622) et le Coran révélé à Médine (après 622) est aussi grande que la différence entre le ciel et la terre, non seulement dans le style, mais aussi dans le contenu. Et il ne serait pas exagéré de dire que l’islam de la Mecque diffère totalement de l’islam de Médine».

          Sympathie, parce que l’auteur reconnaît (c’est rare !) la complexité du texte, et de son auteur – puisque pour lui il n’y en a qu’un seul : « la personnalité de Mahomet a complètement changé après avoir quitté la Mecque en 622 pour Médine, devenant ainsi chef militaire, coureur de femmes et sanguinaire ».

           Sa conclusion est un diagnostic lucide, enfermé dans la légende de l’islam :

          « Il y a des musulmans paisibles, des musulmans terroristes et des musulmans qui oscillent entre les deux. Chacune de ces catégories prétend représenter le vrai Islam, rejetant les autres. Je n’ai le droit de disqualifier aucune de ces catégories. Chacune de ces catégories a le droit se dire musulmane. Mais on peut dire que le musulman paisible suit l’islam de la Mecque, le musulman terroriste suit l’islam de Médine, et celui qui oscille doute entre les deux islams. Celui qui prétend que l’islam est une religion de paix a raison, et celui qui prétend que l’islam est une religion terroriste a aussi raison, mais vous devrez dire de quel islam il s’agit… Le problème des musulmans aujourd’hui est qu’ils confondent sans cesse entre l’islam pacifique de la Mecque et l’islam terroriste de Médine ».

          L’analyse historique et critique du Coran permettra seule aux musulmans de sortir de cette impasse. Hélas, elle leur est interdite, Sami Aldeeb le constate avec effroi :

          « Afin de sortir les musulmans de leur problème, le penseur soudanais Mahmoud Muhammad Taha (surnommé le Gandhi de l’Afrique)  leur a proposé dans son livre Le deuxième message de l’Islam… d’adopter le Coran de la Mecque et d’abandonner [celui] de Médine. Ceci conduirait à l’abandon de toutes les dispositions contraires aux droits de l’homme qui se trouvent dans le Coran de Médine…  Mais cet appel de Mahmoud Muhammad Taha a été catégoriquement rejeté par… les institutions religieuses musulmanes qui ont ameuté contre lui les autorités soudanaises. Celles-ci ont fini par le condamner à mort par pendaison le 15 janvier 1985 ».

          Il a fallu aux chrétiens deux siècles pour apprendre à lire la Bible de façon critique. Trouvant ainsi la paix intérieure, s’ouvrant à la modernité et à la tolérance.

          C’est ardemment que je souhaite aux musulmans d’entreprendre ce chemin qui leur permettra seul de sortir de l’impasse.

                       M.B., 1er Février 2014

 On trouvera l’original du texte de l’article cité ici dans http://www.blog.sami-aldeeb.com/2014/01/31/entre-lislam-de-la-mecque-et-lislam-de-medine/

DANS LE SILENCE DES OLIVIERS (II) : la fabrication d’un roman;

michel benoit silence oliviers 1couv

          Pourquoi un nouveau roman sur Jésus ?

I. La préhistoire

          En 1975, je préparais ma thèse de doctorat en théologie : et je découvris, avec stupeur, que Jésus était juif. Un juif qui avait parlé à d’autres juifs : les Évangiles ne pouvaientêtre compris qu’à l’intérieur de la culture juive de leur époque. Je me fis donc juif, me plongeai dans le Talmud et les textes judéo-chrétiens alors disponibles.

          Lorsque je présentai mon projet de thèse en, il fut refusé par les autorités vaticanes : en ce temps-là, la judaïté de Jésus était un tabou. J’abandonnai le projet, mais non pas mon intérêt pour ce juif hors-normes.

          Au début des années 1990, je rouvris ce dossier. En quinze ans, on avait publié nombre de sources jusque là inaccessibles, et des ouvrages sortaient – en rafale – sur le juif Jésus, passionnant le public même non-croyant.

           Je disposais enfin de la documentation nécessaire.

          Entre 1995 et 2000, je me mis à écrire. Le résultat, ce fut un essai publié en 2001. Il dévoilait l’identité réelle de cet homme devenu Dieu malgré lui, titre de l’ouvrage . Pour le mettre à la portée du grand public, j’en fis ensuite un roman, Le secret du treizième apôtre, qui eût un certain succès. De la vie de Jésus, de son entourage, je disais ce qu’on pouvait savoir d’historiquement fiable, mais je laissais de côté son enseignement.

II. Les tâtonnements

          En même temps que je travaillais à Dieu malgré lui, je découvris – un peu par hasard – d’abord le bouddhisme tibétain, puis l’enseignement du Bouddha Siddharthâ lui-même.

          Ce fut un choc : des analogies apparaissaient, frappantes, entre ces deux maîtres du passé. Plusieurs auteurs avaient déjà tenté de comparer le bouddhisme au christianisme, et cette piste semblait mener à une impasse. Mais si l’on confrontait l’expérience vécue par chacun de ces deux hommes, on découvrait la lignée des Éveillés – et que Jésus était l’un d’entre eux, non des moindres.

          La deuxième partie de Dieu malgré lui, où je fais asseoir Jésus et Siddharthâ à la même table, fut donc intitulée Un Bouddha juif : mais je ne m’attardais toujours pas sur l’enseignement de l’Éveillé juif Jésus.

III. L’arrière plan

          C’est que les Églises chrétiennes (et surtout la catholique) avaient, dès leurs origines, détourné non seulement l’identité de l’homme Jésus mais aussi son enseignement, pour se constituer en puissances mondiales.

          Je devins alors sociologue, étudiant l’ampleur du déclin récent de ces Églises, institutions fondatrices de l’Occident. Il m’apparût que le christianisme en tant que système idéologique, conception de l’Homme et de sa destinée dans l’univers, était parvenu à une impasse. Simultanément, la crise de l’identité occidentale semblait accompagner le déclin de l’idéologie chrétienne, qui pendant dix-sept siècles lui avait fourni sa colonne vertébrale.

          Déclin du christianisme, perte de l’identité Occidentale : ces deux accidents majeurs de notre civilisation étaient liés, sans qu’on puisse savoir lequel avait précédé l’autre.

          Tel était désormais le décor de tous mes travaux.

IV. Le Coran et le 13° apôtre

          L’arrière-plan de la crise de l’Occident eût été incomplet, si je n’y avais pas inscrit ses relations avec l’islam.

          Il était hors de question d’explorer une culture et une littérature aussi considérable : je me cantonnais au texte du Coran, pour découvrir là aussi des vérités cachées – dont je tirai parti pour l’écriture du Secret du treizième apôtre.

          En même temps, j’approfondissais ma connaissance du IV° Évangile, dit selon saint Jean. Il m’apparût que la partie la plus ancienne de cet Évangile avait sans doute pour auteur ce treizième apôtre, volontairement ignoré des Églises mais indéniablement présent dans l’entourage de Jésus. Son témoignage visuel, de première main, était celui d’un personnage qui avait joué un rôle essentiel dans les derniers moments de la vie de son maître et ami, le rabbi de Galilée.

          Avec ce dernier travail de recherches, j’étais enfin parvenu au pied de l’Everest : retrouver, derrière tout ce que les Évangiles lui ont fait dire, l’enseignement de Jésus lui-même.

          Ce fut un éblouissement : enfin démaquillé de tout ce que le christianisme avait plaqué sur son visage et sa parole, cet homme apparaissait totalement moderne, ses questions étaient les nôtres, ses réponses parlaient à notre temps.

          Mais comment mettre en forme ces précieuses pépites ?

V. L’écriture du Silence des oliviers 

          Très vite, je décidai d’abandonner la forme « essai », peu appréciée par un grand public étouffant sous les contraintes du quotidien, et qui demande qu’on le prenne par la main en l’intéressant. Il fallait écrire un roman.

          Un roman, c’est-à-dire des personnages, qui prennent la parole dans une situation où leur vie est en jeu.

          Quelle situation était plus conflictuelle que celle du peuple juif au début du 1° siècle ? Je me plongeai dans les travaux des sociologues de l’antiquité juive, pour m’imprégner du climat d’extrême tension qu’avait rencontré toute sa vie le jeune rabbi galiléen.

          Et lui-même, ses disciples, son entourage, me fournissaient (sans que j’aie rien à inventer) les personnages d’un roman. Quelle situation plus romanesque que celle d’un opposant, qui se heurte à tous les pouvoirs en place, et finit par être trahi par ses plus proches compagnons ?

          Un roman, mais dont le moindre détail devait être conforme à ce que la recherche la plus exigeante nous fait connaître des gestes et des paroles authentiques de chacun des personnages. Je savais que je ne pourrais jamais restituer une voix éteinte depuis 2000 ans : ne pouvant pas faire entendre la voix de Jésus, je ferais le portrait de cette voix.

          Un portrait : mais sous quel angle ? Où planter mon chevalet ? J’ai choisi de saisir Jésus à cet instant où il se sait trahi, devine qu’il va être arrêté, et passe ses derniers moments de liberté dans la clarté lunaire d’un jardin d’Oliviers, seul devant les étoiles.

          Il laisse alors aller sa mémoire, se souvient des étapes marquantes de sa vie – mais surtout des circonstances grâce auxquelles il est devenu lui-même.

          Il raconte sa prise de conscience qu’un monde est en train de disparaître sous ses yeux – comme l’avait enseigné son maître Jean-Baptiste. Mais de toutes ses forces il refuse son catastrophisme, et se lance dans les voies risquées de la liberté.

          Apparaissent alors les grandes lignes de l’enseignement personnel d’un rabbi juif, s’adressant à d’autres juifs à l’aube d’une apocalypse sociale et religieuse annoncée.

          Confronté à ce monde fini, Jésus a connu une maturation intérieure, on le voit inventer, progressivement, son message à lui. Rejoindre ainsi les plus grandes voix de l’humanité, et jeter des semences dont bien peu (l’Histoire le prouve) ont pris racine dans une terre fertile.

          Chemin faisant j’ai repris, en l’affinant encore, mon hypothèse : l’apôtre Pierre a été l’instigateur de la trahison de son maître, Judas est innocenté.

          Le roman se termine au moment où Jésus, à travers les branches d’oliviers, voit s’avancer la troupe de ceux qui viennent l’arrêter.

          Ầ ma connaissance, c’est la première fois qu’un écrivain tente de pénétrer ainsi dans la conscience d’un homme aussi considérable que Jésus.

          Unique en son genre, ce roman trouvera-t-il son public ? Ce n’est plus mon problème…

                               M.B., 9 avril 2011

LA CRISE DE L’OCCIDENT : fondamentalismes chrétien et musulman face-à-face.

          Depuis une cinquantaine d’années, l’Occident traverse une crise dont nous sommes les témoins muets, et inquiets. Les analystes la décrivent habituellement comme une crise économique, politique, morale ou sociale. Je voudrais vous proposer, non pas une nouvelle théorie, mais un autre regard sur cette crise. Ce regard est celui de l’historien et du sociologue, il n’est ni celui du théologien, ni celui de l’homme de foi.

             Tout commence avec Jules César. En 63 avant J.C., très jeune mais déjà animé d’une ambition dévorante, il reçoit la magistrature suprême de la religion d’État. Il devient Pontifex Maximus, Souverain Pontife de l’Empire romain. Quelques années plus tard, après avoir franchi le Rubicon, il impose à Rome sa dictature : pour la première fois en Occident, les pouvoirs civil et militaire se trouvent réunis, avec le pouvoir religieux, dans la main du même homme

            Cette conjonction des deux pouvoirs s’imposera à tout l’Occident jusqu’à une époque récente, elle dure toujours dans un pays comme l’Angleterre. Je vous propose d’en retracer – à vol d’oiseau – les péripéties.

             Au premier siècle de notre ère, Rome traverse une crise d’identité. L’un des deux piliers du pouvoir, la religion de l’État romain, est agonisante. Et l’Empire est envahi par des religions venues d’Orient – dont la mieux connue et sans doute la plus répandue est le culte solaire de Mithra. Ces religions sont anciennes, mais une nouvelle venue va faire une entrée fracassante : le christianisme.

            Le 9 avril de l’an 30, un tombeau était trouvé aux portes de Jérusalem, vide – alors qu’il aurait dû contenir le cadavre d’un rabbi itinérant juif, crucifié 72 heures plus tôt. Les disciples de cet homme vont mettre à profit la fragilité intérieure de l’Empire pour inventer, puis pour diffuser une nouvelle religion. A cette religion nouvelle, il fallait un dieu nouveau : vingt ans après sa mort, on voit apparaître dans les Églises créées par Paul de Tarse des tentatives de divinisation du juif Jésus. Mais c’est dans d’autres communautés, situés à l’est du bassin méditerranéen, que s’accomplit la transformation du prophète juif en dieu, égal à Dieu, créateur comme lui – et avec lui – de l’Univers.

          Nous sommes alors aux environs de l’an 90, ou un peu après.

           Mon hypothèse, fondée sur les travaux des scientifiques les plus récents, est que ces groupes sont en fait des branches dissidentes de la communauté du disciple bien-aimé, un 13° apôtre proche de Jésus, et qui a été sauvagement éliminé de la mémoire et de tous les textes du Nouveau Testament – sauf du IV° évangile, dit de Saint Jean, où il apparaît à huit reprises, furtivement mais très clairement (Voir mon livre L’Évangile du 13° apôtre – Aux sources de l’Évangile selon saint Jean, L’Harmattan, 2013)

          Ce disciple bien-aimé, c’est le Treizième Apôtre,. L’existence de cet homme aux côtés de Jésus est un fait historique. Lorsque j’en fais le détenteur d’un lourd secret, capable de détruire l’Occident, je prolonge ce que nous savons de lui avec la liberté du romancier.

          Peut-être en effet cet homme, dont nous ignorons jusqu’au nom mais qui fut un intime de Jésus, peut-être s’est-il opposé de toutes ses forces à la divinisation de son maître ? D’où l’éclatement de sa communauté, dont témoigne clairement le IV° évangile ?

          Toujours est-il que vers l’an 100, Jésus est devenu dieu, et le christianisme peut partir à la conquête du monde.

           Cela ne se fera pas sans mal. Dès la fin du II° siècle, l’arianisme va s’opposer aux partisans de la divinité de Jésus, et manquer de l’emporter. Mais le pouvoir romain, conscient de la diffusion extrêmement rapide du tout jeune christianisme, finit par reconnaître la légitimité de la nouvelle religion : l’empereur Constantin la légalise en 313. L’un de ses successeurs, Julien dit l’Apostat, tentera en vain une restauration de la religion traditionnelle : il était conscient que la civilisation romaine disparaîtrait, si son fondement identitaire ancestral était balayé par le christianisme.

          Et c’est bien ce qui s’est produit. Fragilisé par la perte de son identité, l’Empire va être envahi par les barbares, dont certains sont d’ailleurs ariens. Les Wisigoths vont longtemps camper sur leur refus de la divinisation de Jésus, et leur lointaine descendance se trouve peut-être chez les Cathares de l’Occitanie française.

           Les premières communautés chrétiennes vont consacrer une partie de leurs jeunes énergies à se déchirer entre elles autour d’un point central : l’identité de Jésus. Et tout d’abord, pour pouvoir devenir Dieu il doit cesser d’être juif : très tôt, l’Église renie son enracinement dans le judaïsme. Ensuite, se pose une question lancinante : s’il est Dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également Dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

          En 325, pour la première fois, la divinité de Jésus est officiellement proclamée au concile de Nicée, sans que soit pourtant tranchée la question du comment.

           C’est que l’Église ne possède pas encore l’envergure qui lui permettrait d’imposer, et de s’imposer. Elle y accède sous l’empereur Théodose : entre 381 et 392, il décrète le christianisme religion d’État. De persécutés, les chrétiens deviennent persécuteurs, et Rome peut enfin exiger la soumission de tous à l’édifice dogmatique en construction. L’Empire romain qui se délite rêve d’unité, et l’Église doit lui en fournir les moyens, en même temps que le modèle.

          Aboutissement de trois siècles de luttes féroces entre chrétiens, le concile de Chalcédoine (451) définit enfin le comment de la divinité de Jésus. Il l’appelle d’un seul mot, Trinité : comme celle de Dieu, l’unité de l’Empire est proclamée. Et comme celle de Dieu, sa diversité est reconnue.

          Mais ce n’est qu’au VII° siècle, en 681,  que les dernières conséquences de la divinisation de Jésus seront mises au point[1]. Revêtu d’ornements divins parfaitement ajustés, le juif Jésus, devenu Christ, est désormais présentable au monde.

          Or, c’est dans ces années-là, à partir de 650, que se développe, de façon foudroyante, un mouvement appelé à faire parler de lui : l’islam. Qui va chasser l’Église de sa terre d’origine, le Moyen Orient.

           Partout ailleurs, Rome tient le pouvoir : elle est en position de force ou de monopole dans tous les domaines de la vie civile et politique, et ce jusqu’à une époque toute récente.

          S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul îlot stable, émergeant de cette mer démontée. L’Europe trouve d’abord en elle la force de sa survie, puis le  creuset où va se forger son identité, son unité face à l’adversité : dès lors, et jusqu’au projet de Constitution de 2004, l’Europe reconnaîtra toujours dans le christianisme son fondement identitaire.

           A peine sortie de ce chaos, elle voit réapparaître la remise en cause, non plus de la divinité de Jésus, mais de ses conséquences : le pouvoir de l’Église, terni par ses mœurs dissolues.  Sous forme de réformes, de révoltes ou de révolutions, chacun des siècles qui suivent viendra ébranler au moins une fois l’ordre défendu par l’Église catholique, en matière de dogmes ou de discipline.

          Aucune de ces tentatives de réformes n’a jamais abouti : l’Église les a toutes surmontées par la violence. Parfois affaiblie par elles, elle ne s’est jamais remise elle-même en question, ni l’édifice de ses dogmes – et son noyau fondateur, la divinité de Jésus.

          On l’a vu, c’est au moment où l’Église peaufinait sa divinisation d’un homme qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lançait au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette le paganisme en affirmant l’unicité de Dieu et en refusant la divinité de Jésus.

          Ceci n’est pas une simple coïncidence : d’inspiration entièrement judéo-chrétienne, le Coran répond à l’éternelle question : qui est Jésus ? Et s’il n’est pas Dieu, quelles sont les voies d’accès au divin ? Le Coran rejette explicitement la « magie chrétienne », et va attirer à lui un quart de l’humanité.

L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant – par la violence – à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à Dieu, c’est-à-dire païenne.

           Fermement appuyé sur l’union en un seul des deux pouvoirs, le civil et le religieux, l’Occident continue sa route. Quand il étend sur la planète son modèle de civilisation, le christianisme – qui n’est encore que le catholicisme – triomphe avec lui.

          La Réforme de Luther parvient la première à entamer l’unité européenne cimentée autour de Rome. Pourtant, Luther et Calvin n’ont pas touché aux dogmes fondateurs du christianisme, et au principal d’entre eux, l’incarnation – la divinité de Jésus. Et Michel Servet a été brûlé en terre calviniste pour y avoir prétendu.

           Le deuxième coup porté au pouvoir religieux, fondement identitaire de l’Occident, va être le mouvement des Lumières, c’est-à-dire le triomphe de la raison sur la foi considérée comme irrationnelle. Mais sa diffusion touche surtout les élites : au tournant du XX° siècle, l’Église catholique apparaît comme une des premières puissances mondiales. Grâce à la colonisation de la planète par les occidentaux, elle est partout présente, parfois massivement.

           Les sociologues situent en 1942, au moins en France, le commencement de la fin. En fait, l’expansion missionnaire du XIX° siècle et la montée des fascismes au début du XX° ont masqué le déclin du catholicisme, qui était latent depuis plus longtemps. Ce déclin, il nous a explosé à la figure en à peine une génération – la mienne : en 50 ans, tout a disparu de ce qui faisait la gloire de l’Église catholique. Partis politiques, syndicats, éducation, mouvements de jeunes, organismes caritatifs (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale… Mais aussi littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi siècle, le catholicisme a disparu du champ de la créativité humaine.

          La crise de l’Occident, elle trouve là ses racines. Avec le christianisme, nous avons perdu ce qui faisait depuis 17 siècles notre identité profonde. Ce vide, il est apparu clairement au moment de la discussion d’une constitution européenne : pour la première fois depuis ses origines, l’Europe a officiellement refusé en 2004 de reconnaître dans le christianisme la racine d’un vieil arbre, dont le rêve d’un nouveau surgeon bute sur l’absence de valeurs fédératrices.

           Les civilisations, nous le savons, vivent et meurent. L’Égypte, Sumer, Assur, les Incas, les Mayas, tant d’autres civilisations prestigieuses ont disparu !  Eh bien, nous sommes parvenus à la fin d’un cycle de civilisation : en 50 ans le christianisme vient de disparaître à son tour, sous nos yeux. La crise de l’Occident, c’est la mort d’une civilisation.

          Et ce déclin foudroyant du christianisme, ne nous y trompons pas, sa cause lointaine c’est bien la transformation d’un homme en dieu (avec ses conséquences multiples, hiérarchiques et sacramentelles). Les enfants du XXI° siècles ne peuvent plus croire aveuglément, comme leurs parents, que Dieu est né d’une vierge, qu’il s’est fait homme, et que ce sont des hommes qui le représentent sur terre, parlant en son nom et exerçant en son nom un pouvoir totalitaire.

          C’est-à-dire le pouvoir sur chaque esprit, sur chaque cœur, de chacun des individus de la planète.

           Face à ce désastre, nous voyons naître un double péril.

 I. Le premier, nous le connaissons, il est présent à tous les esprits : c’est l‘islam radical. Le Coran est considéré par les musulmans comme la parole, physique, matérielle, grammaticale, de Dieu. Il est donc intouchable : on ne soumet pas la parole divine au feu de la critique historique, on ne l’interprète pas à la lumière de son histoire interne. Ce qu’ont fait avec la Bible les protestants d’abord, puis les catholiques, les musulmans l’interdisent sous peine de mort. L’origine divine du Coran est un dogme absolu. Il ne peut être compris qu’à travers une tradition, qui prétend puiser dans le texte sacré lui-même ses propres critères d’interprétation.

          Cette tradition, elle s’est élaborée longtemps après la mort de Muhammad, dans des sociétés médiévales arabes. Elle revêt trois formes :

– les Hadits, ou paroles attribuées au Prophète, et censées compléter la révélation coranique. Et l’on va « fabriquer » des Hadits pendant plusieurs siècles…

– La Sunna, ou tradition d’interprétation du Coran, qui s’appuie sur le texte lui-même pour décider de son interprétation reçue. On résout les obscurités du texte en faisant appel à ses obscurités : c’est le serpent qui se mord la queue !

– La Cha’aria, ou loi musulmane, qui fige pour toujours des règles qui étaient celles en vigueur dans les sociétés médiévales arabes, et qui sont sans rapport direct avec le Coran (comme le port du voile pour les femmes).

           L’exégèse historico-critique, qui a permis aux chrétiens de s’approprier la Bible en la débarrassant de ses contingences limitées, liées à des époques et à des lieux limités, mise par écrit dans une culture déterminée, cette exégèse est pour l’islam le blasphème majeur.

          C’est ce qu’on appelle le fondamentalisme : un texte, devenu intouchable, doit être pris à la lettre, en fonction d’objectifs socio-politiques qui sacralisent ses contradictions – et elles sont nombreuses – et ses outrances médiévales.

          Tant que l’islam refusera de lire le Coran comme n’importe quel autre texte ancien, marqué dans son écriture par une situation géopolitique précise, qu’il faut connaître pour pouvoir le comprendre. Tant qu’il refusera l’exégèse historico-critique du Coran, il sera un danger pour tous les non-musulmans comme pour les musulmans eux-mêmes.

 II. L’autre péril né de la disparition des grandes Églises historiques, nous l’évaluons  moins bien, parce qu’il est plus récent : c’est le fondamentalisme évangélique. Il est né aux Etats-Unis du renouveau pentecôtiste des années 1970. Il dispose là-bas d’une audience populaire considérable, et de l’appui affiché du gouvernement actuel. Vous devez savoir que grâce à ses moyens financiers, il est en train d’envahir la planète.

          Ce fondamentalisme évangélique ressemble à s’y méprendre au fondamentalisme musulman. Il prend le texte de la Bible à la lettre, donnant la préférence à des lois de l’Ancien Testament condamnées ou dépassées par Jésus (comme la loi du talion).  Il est surtout animé par un messianisme sans nuances, totalitaire. Le nouveau Messie, c’est l’Amérique sûre de ses valeurs, et prête à les imposer à toute la planète, par la force.

          Le Messie tant attendu est donc arrivé : c’est la morale, le mode de vie et de consommation, la démocratie et le capitalisme à l’américaine. Tout cela, au nom du Christ.

           Alors que nous savons aujourd’hui que jamais de son vivant, Jésus n’a accepté de laisser croire qu’il pouvait être le Messie : ce qu’il apportait était tout autre chose qu’une espérance messianique réalisée en une personne, ou dans un système politico-religieux.

           La fin de la civilisation occidentale, comme une vague qui reflue, a déposé sur la grève deux blocs solidement campés sur des dogmes similaires, et qui s’opposent. L’islam fondamentaliste, qui proclame que « Dieu est Un », et que quiconque invente un autre Dieu à côté de l’Unique est un blasphémateur qui ne mérite que la mort.

            Et en face, un fondamentalisme chrétien. Qui n’imagine même pas de remettre en cause l’existence d’un deuxième dieu, incarné, alibi commode pour l’incarnation de sa domination planétaire.

       Dans le vide laissé par l’effondrement du christianisme fondateur de l’Occident, et dans le chaos qui s’en est suivi, je n’entrevois qu’une issue possible : le retour à la personne du juif Jésus. Tel qu’il fut, et non tel qu’il a été manipulé par des disciples, certes fascinés par lui, mais surtout par le pouvoir qu’ils ont pris en son nom.

          Depuis une vingtaine d’années, la « recherche du Jésus historique » se développe. Ce n’est pas un mouvement structuré : des chercheurs isolés (dont je fais partie) publient leurs travaux, qui vont tous dans le même sens – la redécouverte de l’homme Jésus derrière le Christ des Églises. Ce mouvement est prometteur, mais il ne semble pas destiné à atteindre les masses.

             Peut-être le treizième apôtre avait-il perçu, le premier, qu’en divinisant cet homme, ses disciples infidèles introduisaient sur terre les germes mortels qui nous conduiraient à l’impasse que nous constatons aujourd’hui.

            Dans Le secret du treizième apôtre (cliquez), j’imagine qu’il s’est réfugié au désert et qu’il y est mort.

            Le désert, où Jésus se révéla autrefois à lui-même. Le désert, seule patrie peut-être de ceux qui veulent se remettre à son écoute.

                                               M.B.

 (Conférence donnée à Villefranche s/ Saône, le 17 mars 2007)

ÉGYPTE : une première dans le monde musulman ?

On se souvient qu’à la suite de la « révolution égyptienne », les Frères Musulmans avaient remporté les élections et qu’un Président issu de leurs rangs, Mohammed Morsi, a été élu après un scrutin conforme en apparence aux critères de la démocratie à l’occidentale.

Qu’est-ce que les Frères Musulmans ?

C’est une confrérie religieuse, fondée en Égypte par Hassan El-Banna en 1928. Officiellement non-violente, elle a pourtant donné naissance au Jamma’a al-islamiya et au Hamas, qui sont deux organisations aux méthodes terroristes sanguinaires. En France, Tariq Ramadan est le petit-fils d’El-Banna. Son double langage, son hypocrisie, sont typiques d’une organisation qui avance masquée et souhaite un « renouveau islamique » – il faut savoir lire entre les lignes.

Arrivés au pouvoir en Égypte, les Frères Musulmans se sont présentés comme des « musulmans modérés ».

Soyons clairs : il n’y a pas d’islam modéré. Il y a un islam coranique, c’est-à-dire qui adopte la théologie, la philosophie politique, la législation du Coran et veut instaurer la Charia. Ou bien un islam non-coranique, qui prend ses distances vis-à-vis du texte du Coran.

Mais cet animal hybride (un islam non-coranique, « modéré ») est une fiction.

In fine, tous les musulmans se réclament bien évidemment du Coran, point à la ligne.

Or le Coran est un texte messianique, c’est-à-dire

1- Théocratique : le pouvoir est aux mains des religieux.

2- La notion de laïcité, lentement élaborée par l’Occident à partir du XVIII° siècle, est incompatible avec le Coran. C’est Allah qui exerce le pouvoir, par califes ou imams interposés (1) .

3- Le messianisme est une idéologie intrinsèquement violente, parce qu’elle sépare la société en deux : « eux« , qui ne pensent pas comme nous, et qu’il faut éliminer physiquement. Et « nous« , qui sommes dans la droite ligne de la volonté d’Allah, et qui devons éliminer ceux qui ne se convertissent pas à la Troisième Révélation, l’islam coranique.

De fait, une fois au pouvoir les Frères Musulmans se sont rapprochés des Salafistes (coranistes pur et durs). Par petites touches, ils ont commencé à instaurer en Égypte des règles de vie qui tendent vers l’appication de la Charia, loi coranique qui est la seule acceptable à leurs yeux.

Obnubilés par leurs objectifs religieux, ils ont montré leur incapacité à mener une politique économique adaptée à la situation de crise mondiale. La rue égyptienne les accuse  d’être « des incapables ». Il ne sont pas « incapables » : seulement, leur objectif réel (caché) n’est pas de sortir d’Égypte de la crise. C’est d’aller progressivement, insidieusement, vers une société islamisée par la Charia. L’économie passe après.

Il est difficile de savoir ce qui a jeté dans la rue les foules qui ont amené la destitution par l’armée du président Morsi. Difficile, pour nous, de savoir quel est exactement la volonté de cette armée, ses motivations réelles.

Mais, pour autant qu’on puisse en juger, une partie au moins des manifestants anti-Morsi se sont révoltés contre l’islamisation forcée de la société égyptienne.

Si c’est bien le cas, est-ce le sentiment de l’ensemble de la société égyptienne ? Sans doute pas, et les Frères Musulmans le savent, ils jouent là-dessus. Mais l’existence de ces contestataires, et le fait qu’ils se fassent (discrètement) entendre dans la foule, est une lueur d’espoir.

S’il s’avérait que la seconde révolution égyptienne est une « révolution laïque » (ce qui reste à prouver), ce serait la première fois dans l’Histoire moderne qu’une population musulmane choisirait librement et volontairement la laïcité, en refusant l’application stricte du Coran.

Hélas, les choses ne semblent pas aussi claires….

Et l’embarras des démocraties occidentales, USA en tête, devant ces événements, montre leur incapacité à comprendre ce que c’est qu’une théocratie messianiste. Dont l’échelle de temps n’est pas la prochaine élection, mais les siècles.

Messianiques, les islamistes ont le temps pour eux. Ils voient loin, et visent loin. Ils savent agir sur la religiosité profonde, les peurs, les frustrations, la haine de populations fanatisées, qu’ils ont gagnées par des services sociaux bien implantés et efficaces.

Mon étude sur le Coran finira bien par être publiée. A ce jour, ce texte a été refusé par 6 grands éditeurs. Motif : « Politiquement incorrect », « inclassable ». Quand vous l’aurez en mains, vous comprendrez mieux ce que c’est que le messianisme, poison violent qui a infecté le judaïsme d’abord, puis le christianisme, l’islam, le communisme et le nazisme.

                                             M.B., 4 juillet 2013
 (1) « Tout parti qui s’éloigne des préceptes d’Allah et du Coran représente le parti du Diable. Quant à la question de la démocratie, je maintiens que, dans une nation musulmane, le pouvoir suprême ne saurait être ailleurs que dans les mains d’Allah. Nous ne croyons pas au pouvoir du peuple sur le peule, mais au pouvoir d’Allah sur le peuple ».

(Ali Benhadj, F.I.S algérien, Jeune Afrique du 1° avril 1992.)