LA SYRIE, CREUSET ET DÉPOTOIR DE L’OCCIDENT

Pourquoi la Syrie est-elle aujourd’hui ravagée par une guerre sans issue ? Parce que ce malheureux pays est, depuis plus de 2000 ans, l’un des creusets des trois religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam.

Leur creuset autrefois, leur dépotoir aujourd’hui.

La Syrie, creuset du judaïsme et du christianisme

Au retour de leur exil à Babylone (538 av. J.C.), des Juifs s’installèrent un peu partout dans le Proche et le Moyen-Orient. Notamment en Syrie, d’où ils participèrent à la mise par écrit du cœur de la Bible, la Torah. Plus tard, c’est encore en Syrie que des rabbins de haut vol contribueront à l’élaboration du Talmud, monument littéraire dont se nourrit toujours aujourd’hui le judaïsme. La Syrie a été l’un des creusets du judaïsme biblique et de sa tradition rabbinique postérieure.

C’est en Syrie qu’à partir des années 40 après J.C. un certain Paul de Tarse inventa le christianisme. En Syrie encore, qu’après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus (70 après J.C.) émigrèrent des Juifs, puis des chrétiens qui furent bien accueillis par les communautés de Damas et d’Antioche.

Fondées et formées par Paul, ces communautés avaient comme lui tourné le dos au judaïsme. Car pour devenir chrétien à la mode paulinienne, il fallait cesser de ‘’judaïser’’, il fallait cesser d’être Juif. L’antisémitisme chrétien trouve là ses racines. Les Juifs ? Soit ils se convertiront au christianisme, soit ils seront damnés, dans l’autre monde comme dans celui-ci. C’est ainsi, en s’opposant, que le christianisme émergea de sa gangue juive, en Syrie.

Ce qu’on sait moins, c’est que, mélangés à ceux qui fuyaient devant les armées de Titus, se trouvaient également des judéo-chrétiens qui tentaient de se fondre dans la masse, sans se faire remarquer. Car ces réfugiés-là, après avoir échappé aux Romains, avaient tout à craindre des Juifs – qui leur reprochaient de voir en Jésus le Messie d’Israël – comme des chrétiens – qui leur reprochaient de refuser sa transformation en Dieu.

Croyant en Jésus-Messie mais ne croyant pas en Jésus-Dieu, en Syrie les judéo-chrétiens furent rejetés à la fois par les Juifs et par les chrétiens. Pris en tenaille entre eux, ils tentèrent de se faire oublier mais ne disparurent pas.

Les nazôréens

 C’est à Chalcis, où il séjourna de 375 à 378 dans la région d’Alep, que saint Jérôme rencontra ces judéo-chrétiens. Ils s’appelaient, dit-il, nazôréens – le nom que portaient les tout premiers convertis à Jésus avant d’être baptisés « chrétiens » par Paul, à Antioche, en l’an 45. Dans sa lettre 112 à saint Augustin, Jérôme dit des nazôréens (avec mépris) qu’ils « prétendent être à la fois Juifs et chrétiens, mais en fait ils ne sont ni Juifs, ni chrétiens ».

Tout comme les chrétiens, ces nazôréens construisirent en Syrie des chapelles (dont quelques ruines subsistent) et fondèrent des communautés monastiques. Comme les chrétiens et comme les Juifs, ils cherchèrent à convertir leurs voisins arabes – mais eux, c’était à leur judéo-christianisme très particulier. En effet, au début du premier millénaire, le judaïsme traditionnel s’était radicalisé en Israël. Devenus messianistes fanatiques, nombre de Juifs attendaient le retour à Jérusalem d’un Messie qui les conduirait à la reconquête du Royaume de David, puis à la conquête du monde.

Ce messianisme était guerrier et totalitaire. Il divisait l’humanité en deux parties irréconciliables : ceux qui ne se convertiraient pas devaient être éliminés, physiquement.

La conversion de l’humanité au messianisme par la menace. Le salut par la guerre, le bonheur au terme d’une apocalypse mondiale.

Les arabo-nazôréens

 Chauffés à blanc par leurs maîtres à penser nazôréens, les Arabes de Syrie s’élancèrent en 614 vers Jérusalem – puisque c’est là que le Messie-Jésus devait revenir pour les conduire à la conquête-conversion du monde. Ils furent repoussés par des Juifs qui n’avaient pas envie de leur céder Jérusalem, et se replièrent en bon ordre chez eux, sur la côte syrienne de Lattaquié. Ces arabo-nazôréens (puisque c’ainsi qu’il convient de les appeler), après avoir attendu silencieusement pendant 4 ou 5 siècles, rongèrent encore leur frein pendant huit ans. Et c’est en 622 qu’ils repartirent à la conquête de Jérusalem. Prudemment, ils s’établirent d’abord plus au sud, à Médine, pour éviter les armées byzantines et perses qui s’affrontaient en Palestine. Attendant le moment propice pour foncer sur Jérusalem, la reconquérir et y attendre la venue de Jésus-Messie. Ce n’est qu’en 638 qu’ils entreront enfin, en vainqueurs, dans la ville sainte.

 Dans Naissance du Coran, documents et sources à l’appui, j’ai retracé en détail cette histoire complexe d’où est né l’islam. Ce travail scientifique, j’en ai fait la matière d’un thriller, La danse du Mal. Un polar situé aujourd’hui, au terme de cette longue saga où Juifs, chrétiens, judéo-chrétiens et Arabes se sont côtoyés sans jamais se mêler pendant la longue hibernation des nazôréens en Syrie.

C’est bien là qu’est né le christianisme après saint Paul. Là, que le messianisme radical est devenu incandescent dans les prédications nazôréennes aux Arabes. Là qu’est né le Coran, à partir de ces prédications. Là enfin qu’il a été corrigé, amplifié puis divinisé par les califes de Damas, avant ceux de Bagdad.

 La Syrie, creuset des trois monothéismes qui cherchent inlassablement à dominer l’Occident et ses satellites. Mais aussi la Syrie, dépotoir des ambitions, de la violence, de la furie dévastatrice d’une idéologie meurtrière, le messianisme. Propagé autrefois par certains Juifs et leurs bâtards judéo-chrétiens, puis par les chrétiens croisés et colonisateurs. Et enfin, aujourd’hui, par les musulmans djihadistes.

 Rien d’étonnant que la Syrie soit devenue un abattoir où s’égorgent les messianistes de tout poil : les Alaouites, descendants directs des nazôréens, convertis à l’islam. Les Sunnites et les Chiites, frères ennemis d’une même religion. Les Juifs – ou plutôt l’état sioniste (ce n’est pas la même chose) qui veulent reconquérir le Royaume de David. Enfin les chrétiens de l’extérieur, pour qui le parfum du pétrole arabe masque avantageusement l’odeur des cadavres de musulmans et de chrétiens qui pourrissent en Syrie.

 Au point de départ, un ramassis de réfugiés, contraints à l’exil pour fuir l’oppression politique ou religieuse. Emigrés juifs de l’Exil babylonien en -586, émigrés chrétiens des années 40, puis émigrés juifs, chrétiens et judéo-chrétiens des années 70. Émigration enfin des arabo-nazôréens partis de Syrie en 622 pour fournir au Messie sa piste d’atterrissage à Jérusalem reconquise.

622, date de l’Hégire dans la légende musulmane.

HégireHijr en arabe – veut dire « émigration ». Le mot qui en a été tiré, Muhâdjirûn,  « ceux qui ont émigré », servira pendant un siècle à désigner ceux qui ont quitté la Syrie à la suite de leur Prophète, pour accomplir un idéal messianique de guerre totale pour un état totalitaire.

  École du christianisme naissant, base de départ et de repli des arabo-nazôréens, dépotoir des idéologies religieuses et de leurs ambitions, accolée à un Israël « orgueilleux et dominateur », la Syrie n’en a pas fini de voir couler le sang.

            Et l’Occident d’y perdre son âme.

                                                                                              M.B., 11 avril 2017

 NAISSANCE CORAN 1COUVLA_DANSE_DU_MAL_P1 (2)

6 réflexions au sujet de « LA SYRIE, CREUSET ET DÉPOTOIR DE L’OCCIDENT »

  1. Roland Leblanc

    Bonjour,
    Je viens de terminer le livre : La Danse du Mal
    J’ai aimé; et je crois comprendre plus ce qui dans l’humain, l’hu=main est si difficile à maîtriser. Nous sommes tous si liés les uns les autres que nous sommes tous responsables de ce qui se vit. Je crois que les aspects que nous nommons Bien et Mal sont comme le + et le – dans le courant électrique. Les deux sont nécessaires pour alimenter un circuit électrique.
    Nous sommes tous concernés; mais , nous sommes souvent dépourvus devant de tels écarts de Bien et de Mal. La Vie serait=elle si bien organisée qu’elle s’auto=régulerait en quelque sorte.
    Les excès venant des déséquilibres. Pour mettre le tout en équilibre, il nous faudrait être très conscients des enjeux en nous=mèmes d’abord.
    Si nous pouvions cerner et voir nos 3 mauvais compagnons que j’ai cités plus haut et les transformer au point de les utiliser pour le Grand=Oeuvre qu’est la Vie… quelle différence celà EST.
    Bon chemin à nous tous
    Roland ♀

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  2. Jean

    bonjour Michel

    1. Je croyais que la divinité de Jésus s’était posée au 4ème siècle sous Constantin. Si la divinité de Jésus était discriminatoire dès le début, pourquoi un Concile n’y a pas remédié plus tôt ?

    2. Claude Hagège analyse dans son dernier livre le contenu de diverses religions sous plusieurs angles dont celui de la violence (je ne l’ai pas lu). J’ai pensé à votre livre sur la naissance de l’Islam. Je serais intéressé par avoir votre avis sur cette publication.

    Toujours lecteur intéressé, depuis le début, de vos commentaires.
    Cordialement
    Jean

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      La divinité de Jésus s’affirme dès la première génération chrétienne, avec les lettres des Églises fondées par Paul (Éphésiens, Philippiens, Colossiens) et surtout la dernière rédaction du 4e évangile, dit « selon s. Jean ». J’ai écrit plusieurs bouquins là-dessus. Et ferai une conférence de synthèse là-dessus le jeudi 27 avril prochain, à la brasserie « O Béret Basque » en face de la gare du Nord, à 17h. Vous y êtes bienvenu si ça vous tente.
      Titre de la conférence : « Pourquoi et comment Jésus est devenu Dieu. Conséquences jusqu’à aujourd’hui. »
      M.B.

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      1. Jean

        Hélas, je suis en Province, mais je compte bien lire le compte-rendu de votre conférence du 27 avril.
        Je dois être influencé, par tout un tas de commentaires qui situent la divinité de Jésus à partir du Concile de Nicée. Et dire que j’ai lu tous vos livres !
        Merci pour votre travail de rédaction et de synthèse.
        Cordialement
        Jean

        PS : le livre de Claude Hagège vous intéresse-t-il ? Je sais que les jours n’ont pas plus de 24h.

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Désespoir d’un auteur dont on a « lu tous les livres » sans rien en retenir !
          Vais-je me suicider ?
          M.B.

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  3. Roland Leblanc

    Merci pour ce beau partage; j’aime l’idée qui est énoncée ; elle rejoint le concept que j’ai découvert par le biais du tarot . En fait , il s’agit des 3 mauvais compagnons…
    Voici:
    je crois que nous sommes mis devant l’avertissement de se méfier des 3 mauvais compagnons qui sont:
    1. l’Ignorance.
    2. le Fanatisme.
    3. l’Ambition.  »
    «  Ignorance  : incapable de saisir l’esprit, matérialise l’enseignement et répand l’erreur qu’engendre toute vérité mal comprise.
    Fanatisme; qui réduit le Temple aux proportions d’une Maison-Dieu exclusive et fermée.
    Ambition  : qui ne sait se modérer dans l’érection de la Tour de Babel vouée à l’effondrement.  »

    La solution étant évidemment de convaincre ses compagnons qui sont partie de chacun de nous de collaborer au Grand=Oeuvre de la Vie dans le respect de la Vie.
    Nous sommes sur le chemin de la Vie avec ce défi d’unir , de cesser de diviser; et, tout se passe en chacun de nous. Du moins, c’est ce que je crois… Bon chemin de Vie à nous Tous , Unis…

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