J’ai raconté ci-dessus la lente découverte de ‘’Dieu’’ par le peuple juif. Découverte de son identité ? Non, mieux que ça : découverte de la façon dont on pouvait entrer en relation avec lui. Il était le Père (Ab’ en hébreu) du roi-messie et de chaque Juif en particulier. Chacun était et se savait « fils de ‘’Dieu’’ ». Un père à la mode de l’Antiquité, certes, lointain et autoritaire, mais un père quand même.
Pourtant les prophètes juifs avaient laissé entrevoir une autre facette de l’identité de ce ‘’Dieu’’ : il était, disaient-ils avec les Psaumes, « tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour » (1). Lorsqu’il est né en Palestine peu avant le début du 1er siècle, Jésus a hérité de ce judaïsme où se mélangeaient l’éloignement d’un ‘’Dieu’’ dominateur en même temps qu’affectueux et proche.
Éduqué par les Pharisiens, Pharisien lui-même, Jésus a été un familier de sa Beth ah midrash, la synagogue qui résonnait jour et nuit de la récitation des Psaumes. Il les a intégrés à sa mémoire et à son inconscient au point qu’il les cite très peu – mais ils imprègnent son enseignement et sa vie tout entière.
Les Psaumes ! Fondations d’Israël, reflets de toute la Bible avec leurs 150 poèmes terriblement ‘’Juifs’’. Mais parmi eux, au fil des strophes, quelques perles fines lumineuses, universelles, insurpassables, où s’expriment à la fois la destinée humaine, le désir de ‘’Dieu’’ et le bonheur de sa rencontre. Chacun, croyant ou incroyant, s’il sait chercher trouvera dans le psautier des raisons de vivre et d’espérer. Ce sont ces psaumes-là qui ont le plus marqué le Juif Jésus, et surtout deux d’entre eux.
Pourquoi tant parler ?
Ȧ partir des Psaumes les Juifs de l’Antiquité avaient élaboré toutes sortes de prières, longues, fleuries, pétries de respect et de déférence envers un ‘’Dieu’’ monarque des monarques. On lui récitait la liste de ses besoins, on l’informait des infortunes du moment et en réponse à tous ces discours on exigeait de lui une aide immédiate. Bref, prier pour les Juifs c’était parler, et les synagogues retentissaient jour et nuit d’interminables monologues. Car la prière juive n’était jamais solitaire, toujours publique et toujours communautaire.
C’est pourquoi les évangiles témoignent de la surprise de ses disciples quand ils ont vu Jésus passer de longs moments – parfois la nuit entière – seul, pour prier dans des lieux isolés, désert ou montagne.
Que faisait-il, leur rabbi, pendant tout ce temps ? Aucune prière juive, même les plus longues, ne dure plus d’une heure (2). Mais en plein air, toute une nuit ! Et seul, en plus ! Sans qu’ils le sachent il mettait en pratique un autre Psaume, le 138 : « Dieu, avant qu’une parole ne parvienne à mes lèvres, déjà tu la sais tout entière. » Autrement dit, Jésus priait comme jamais, avant lui, aucun Juif ne l’avait fait. De longs, de très longs moments de silence au cœur du désert, sans l’abri d’une synagogue, sans l’entourage d’une communauté, sans le soutien d’un texte ou d’une liturgie. Cela ne s’était jamais vu.
Ce face-à-face solitaire, silencieux, avec une réalité qui le dépassait et l’envahissait tout entier, était-ce la méditation bouddhiste dont il a été question plus haut ? Certainement pas. Un artisan Galiléen du 1er siècle ignorait tout de l’Inde et de l’enseignement du Bouddha. Ȧ part deux brèves excursions hors de sa frontière nord et est, Jésus n’a jamais quitté sa Palestine natale. Sa culture était juive, exclusivement juive, son horizon mental et ses références étaient la Bible, et particulièrement les Psaumes.
C’est parmi eux qu’il faut chercher à percer le secret de sa prière.
Et l’identité de son ‘’Dieu’’.
La Voie d’enfance
Psaume 130 : « Dieu, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse. Elle est en moi comme un enfant, comme un petit enfant tout contre sa mère ».
Ȧ lui seul (car il a peu d’équivalents dans la Bible) ce Psaume a transformé la relation de Jésus avec son ‘’Dieu’’. C’est au cours de ses longues stations au désert que ce Juif qui s’inclinait jusque-là devant la majesté divine est devenu un fils bien-aimé. Il a appris à s’adresser à ‘’Dieu’’ avec l’abandon et la confiance d’un petit enfant « blotti contre le sein de sa mère ».
Car qui a dit que ‘’Dieu’’ était de sexe masculin ?
S’abandonner en toute confiance à un ‘’Dieu’’ tendrement maternel : cette Voie d’enfance est une nouveauté absolue dans l’évolution religieuse de l’Humanité. Nulle part ailleurs avant Jésus, en Orient comme en Occident, on n’en trouve l’équivalent. Certes, comme on l’a vu, il y avait quelques pierres d’attente, des esquisses furtives chez les Prophètes juifs. Mais aucun d’entre eux n’a fait de l’enfance spirituelle la Voie principale, la Voie royale, la Voie unique de la découverte de ‘’Dieu’’ et de la relation avec lui.
L’identité divine était donc enfin dévoilée : pas par un adjectif comme ‘’paternel’’, pas par des images ou des métaphores comme toutes les religions du monde en avaient inventées. Non, c’était un nom propre, Abba, le nom de ‘’Dieu’’.
Il y a dans Abba la nuance de tendresse et d’abandon d’un enfant envers son pappy ou sa mamie. Un mot intraduisible qui oriente l’âme vers une destination inconnue, une caravelle qui l’embarque pour un Nouveau Monde sans regrets ni déceptions, à travers des horizons toujours neufs.
Cette innovation apportée par Jésus au judaïsme de son enfance, il l’a déclinée de toutes manières pendant sa vie, notamment par des paraboles comme celle du fils fugueur (l’enfant prodigue). Il a effacé l’éloignement de »Dieu », il a mis fin aux longs discours. Et quand ses disciples, novices en prière, lui disent qu’ils ont encore besoin de formules, il leur donne sept courtes phrases à réciter, pas une de plus, qui commencent par « Notre Père », Abbinou.
Ab’ est devenu Abba, la distance est devenue confiance, la crainte est devenue intimité.
Nous n’avons pas fini d’explorer cette Voie nouvelle. Peut-être même n’avons-nous pas vraiment commencé ?
M.B., 8 mai 2023
Ȧ suivre : ET NOUS ? (Prier VII)
(1) Ps 102,8
(2) La plus commune de ces prières, les Sh’moné esré ou Dix-huit bénédictions, ne dure que trois quarts d’heure.
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Bonjour monsieur, merci .
Il me semble que l’on est là vraiment au coeur de la question : place fondamentale — ou non — du message d’Amour…
Oui, Michel, Dieu, Abba, petit papa, mais, comme vous le suggérez aussi, chère maman !
Sauf que notre monde est dans le patriarcat, dans la domination masculine, dans l’écrasement des petits et des faibles, dans l’extrême soumission des femmes et des jeunes filles, encore excisées dans de nombreux pays au nom de la religion…
Alors vous nous faites redécouvrir cet homme Jésus, Eveillé, qui a affronté le Mal, comme Mandela et bien d’autres, puis qui a prôné le pardon, l’amour des petits et des faibles.
C’est évidemment beaucoup plus réconfortant et exaltant que ce fils de dieu, né d’une vierge, qui a dominé le monde occidental, et ses multiples colonies, pendant de siècles.
Dis autrement, pourquoi rechercher la justification de notre existence terrestre par une volonté divine ?
Ne sommes-nous pas tout simplement des humains, vivants et mourants, dans une période infiniment courte et relative par rapport à l’infini de l’espace et du temps ?
En revanche, c’est bien notre qualité d’humain qui nous invite à cet altruisme, à cette attention et cet amour des autres. Nul besoin de dieu pour cela.
Nul besoin non plus du diable pour justifier nos égoïsmes et violences: bien et mal sont en nous.
A nous simplement de faire le bon choix, pour nous, nos proches et l’humanité.
P.K.
cependant, j’entends Jésus (fidèle en cela à la tradition juive) : « Pas un cheveu de votre tête ne tombe sans que »Dieu »… »
Quant au diable, on en cause, on en cause, jusqu’à ce qu’on le rencontre.
ce que je ne souhaite à personne. Hélas, ouvrez lez yeux…
M.B.
« Lente découverte de ‘’dieu’’ par le peuple juif » : ok Michel.
Mais le diable, qui l’a découvert, qui l’a rencontré comme vous le suggérez ?
Dieu et diable: deux entités indépendantes, ayant une existence éternelle,
ou deux faces cachées et opposées, au plus profond de nos êtres, justifiant de notre liberté ?
Vous trouverez qques articles dans ce blog sur le « diable » (Le Mal). Voyez aux mots-clés.
Mais après cette « série » sur la prière (et une pause !) il faudra revenir sur cet intéressant « personnage ». C’est d’acualité !
je reprendrai alors votre question. Merci
M.B.
« Il était le Père (…) de chaque Juif en particulier » : vous êtes sûr ?
il me semble que : les rois d’Israël, oui, sont fils de Dieu, les prophètes aussi, mais pour le reste du peuple non
par contre, je vous suis tout-à-fait sur la prière de Jésus, prière silencieuse d’abandon à une présence rassurante, régénérante, maternelle plus encore que paternelle
j’attends donc le prochain épisode de la série
En affirmant au roi-Messie « Tu es mon fils », les psaumes s’adressent à une personnalité collective, procédé fréquent dans la littérature antique et juive.
M.B.
oui, nous sommes donc d’accord, c’est le peuple collectivement qui est fils de Dieu, et non « chaque juif en particulier »…