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A propos Michelbenoît-mibe

Biologiste de formation, moine bénédictin pendant 20 ans, Michel Benoît a ''été quitté" par l'Église pour raisons idéologiques. Chercheur, historien, exégète, écrivain, il s'intéresse à tout ce qui touche au fait religieux en relation avec les questions de société.

« PRISONNIER DE DIEU » : réédition avec POSTFACE.



          En librairie le 3 novembre 2008
          Qu’est-ce qui pousse un jeune étudiant brillant, promis à une carrière de chercheur auprès de Jacques Monod, à tout quitter pour entrer dans un monastère catholique ?

          Comment y mène-t-il, pendant 22 ans, une quête éperdue de Dieu ?

          Pourquoi, et comment, est-il finalement « congédié » par son Église ?

          De qui était-il prisonnier ? « de Dieu », ou bien de lui-même et d’une idéologie totalitaire ?

          Avec lui nous découvrons (sans langue de bois) le monde mystérieux des abbayes, la façon dont les moines vivent la solitude, le silence et la sexualité.

          Les événements racontés ici se situent entre les années 60 et 80. Mais rétrospectivement, Prisonnier de Dieu se lit aujourd’hui comme un document historique – et à charge – sur la démarche sectaire universelle. « Ce qui s’est passé là (écrit l’auteur) aurait pu se produire, de la même façon, dans n’importe quelle secte, évangélique ou musulmane »

          Publié pour la première fois en 1992, Prisonnier de Dieu se terminait par une interrogation désabusée sur « Dieu ». Depuis, l’auteur a cheminé, ses ouvrages ultérieurs et ce blog en témoignent. Il pose maintenant les questions de fond : « Où en sommes-nous ? Qu’est devenue notre identité occidentale ? Pourquoi notre civilisation est-elle en crise si profonde ? »

          Une Postface, ajoutée au document originel, se fait l’écho de ces interrogations.

          La réponse (s’il y en a une) ne peut venir que par petites touches, lentement. Timides suggestions, et non affirmation brutale. Si j’en ai la force, je continuerai à m’y employer, en revenant inlassablement sur la personne et le message de Jésus, le prophète méconnu de l’Occident.
         
          Il n’est pas nécessaire de réussir pour espérer.
                                   M.B., 26 oct. 2008

Voir l’article dans « Le Parisien »

LA FIN DES ILLUSIONS : Postface à « Prisonnier de Dieu »

          Les éditions Albin Michel viennent de rééditer Prisonnier de Dieu. J’ai écrit à cette occasion une Postface (2008), dont voici un extrait.
                        
          « Au moment de mettre sous presse, nous n’avions toujours pas de titre. J’en avais proposé trente à l’éditeur, qui les avait rejetés l’un après l’autre. « Michel, ma-t-il dit alors que l’imprimeur s’impatientait, nous l’appellerons Prisonnier de Dieu : c’est un bon titre ».
          « Dieu n’a jamais fait de prisonnier : je m’insurgeais. C’est de moi que j’avais été prisonnier, de moi seul, de mes illusions et de celles d’une époque. Mais l’éditeur avait raison : ce fut un bon titre. Un mensonge efficace.
                             
          « Je suis devenu frère Irénée le 9 octobre 1962, trois jours avant que s’ouvre le concile de Vatican II. Alors, dans nos colonies à peine devenues indépendantes, les missions étaient toujours prospères. Alors les sectes étaient pratiquement inconnues en Amérique latine, en Afrique, aux Philippines, en Corée. Alors, et pour la première fois, le président des États-Unis était un catholique, John Kennedy.
         « D’Acapulco à Séoul, intouchée par les siècles, l’Église se voulait seule détentrice de Dieu et des aspirations humaines. Sa conception du monde, de la morale publique, des relations entre les hommes et les femmes, était largement partagée. Elle inspirait depuis l’antiquité nos lois civiles, nos coutumes, nos interdits, nos joies et nos peines.

          « Au moment où je me présente à la porte de l’abbaye, l’Église forme encore la charpente d’un vaste édifice, solide et triomphant : la civilisation occidentale. Vingt ans plus tard, lorsque je me retrouve à la rue, l’édifice et sa charpente chancellent, sans qu’on puisse savoir qui a entraîné l’autre dans cet imprévisible déclin.

          « Les événements rapportés ici se déroulent entre les années 1960 et 1980, dans un univers clos. Ils sont datés par l’époque et par le lieu, et pourtant, Prisonnier de Dieu dépasse largement l’horizon étriqué d’un monastère catholique.
          « Ce qui n’était que le récit d’une trajectoire individuelle apparaît maintenant comme une sorte de document historique, parce qu’il témoigne d’une période charnière : la fin du consensus tacite entre une religion, et la civilisation dont elle avait nourri, pendant des siècles, l’imaginaire.
          « Machinerie complexe, qui a explosé sous mes yeux.
                                      
         « Les racines de notre civilisation, qu’on le veuille ou non, sont chrétiennes : il semblerait que le grand arbre, qu’elles ont si longtemps alimenté de leur sève, ne tienne plus aujourd’hui que par son écorce.
                         
          « Les monastères ont toujours été le fer de lance de cette civilisation : l’Église y reconnaissait son idéal de perfection, mis en œuvre par la Règle de Saint Benoît (cliquez). 
          J’ai découvert que cette Règle était profondément stoïcienne : « Là où commence le plaisir, là commence la mort ». Cette obsession macabre n’est pas évangélique. Par ses paroles comme par ses actes, le rabbi Galiléen montre une absolue détestation de la mort.        
          « Cet homme n’a semé autour de lui que guérison et vie.
                           
         « Je sais maintenant que la chasteté du corps et de l’esprit ne peut être vécue qu’à travers l’exercice de la méditation, si bien décrit par le Bouddha. C’est pourquoi les monastères se vident : on va chercher ailleurs les voies de la sagesse et de la purification mentale. La méditation silencieuse, seule forme de prière pratiquée par le juif Jésus, c’est auprès des sages d’Orient qu’il faut en découvrir la théorie et la mise en œuvre. Pour continuer toujours de l’ignorer, l’Église occidentale voit se détourner d’elle les meilleurs de nos chercheurs d’absolu.
                           
          « On m’a reproché d’avoir appliqué à l’Église établie le terme de secte. Pourtant, c’est bien du mécanisme de l’enfermement sectaire qu’il s’agit. Libre de rentrer, j’étais libre de sortir à tout moment – et cependant, je ne l’ai pas fait.
          « Le sectaire s’enferme de lui-même dans la secte, et ne peut plus se déjuger sans reconnaître l’erreur que fut son choix, sa responsabilité dans les souffrances subies et causées par lui. Nul ne franchit ce pas décisif, si quelque force extérieure ne l’y oblige. 

          « Ce qui s’est passé au bord du Fleuve aurait pu se produire de la même façon dans une secte évangélique, musulmane, ou certains partis politiques.
                             
          « Il n’y a qu’une seule vérité, c’est la nôtre et tu dois la partager, sinon… » : voilà la secte. En bien des époques et en bien des lieux, « sinon… » a pu signifier les pires châtiments corporels, heureusement interrompus par la mort. Mais toujours et partout, « sinon… » signifie le châtiment dans l’au-delà, qui ne cessera jamais.
          « Au regard de l’Histoire, l’Église est une secte qui a réussi.
          « Il m’a fallu dix ans, ayant retrouvé ma liberté de mouvements, pour reconquérir ma liberté intérieure. Puis j’ai compris que le passé ne méritait pas d’être combattu : sur ces pierres éboulées, il fallait tracer un chemin. Dieu n’appartient à personne en particulier.
                            
          « Tant d’années pour comprendre que les Églises – toutes les Églises – sont des organismes de pouvoir, que leur ambition non-avouée est de le conquérir, puis de le conserver à tous prix. « Dieu premier servi » est le slogan affiché. Idéal que les fidèles cherchent, et parfois trouvent, dans l’institution. La générosité de leur quête leur permet de contourner ce malentendu. J’y vois maintenant une imposture, enfouie dans les replis de l’inconscient.
                  
          « L’Église m’avait enseigné le Christ : il m’a fallu la quitter pour découvrir le prophète de Nazareth. Extraordinairement féconde, cette découverte a donné un sens à l’échec du frère Irénée, elle éloigne définitivement les miasmes de la mort. Sous forme de romans ou d’essais, je ne cesse depuis d’approfondir et de partager les échos qu’elle suscite.
          « Dans le désert humain, moral et spirituel qu’est devenue notre civilisation, la redécouverte de l’homme Jésus est pour moi une vraie lueur d’espoir. Cet homme solitaire, et pourtant relié à tout, a voulu humaniser la planète en lui indiquant un chemin. Au cours des siècles, quelques grandes figures ont su l’emprunter, et quantité de merveilleux anonymes.
          « Pour nos sociétés, tout reste à faire.
                 
          « Une fois dépouillé de la mythologie chrétienne, le rabbi itinérant de Galilée apparaît totalement subversif. Il a rejeté l’Église de son temps, ses rites et son clergé. Il s’incline devant la domination de César, pour mieux s’en affranchir intérieurement. Il transgresse tous les tabous, franchit toutes les frontières de la coutume établie.
          « Pareille attitude ne peut prendre forme durablement dans aucune structure sociale, qu’elle soit civile ou religieuse. Jésus n’a pas fondé d’Église, et la chrétienté s’est construite en le trahissant.
          « Le jour où j’ai commencé à m’intéresser au juif Jésus, je me suis engagé sans le savoir dans un couloir qui ne pouvait mener qu’à la porte de sortie.
                             
          « La révolution Gutenberg a facilité l’expansion des différentes Églises chrétiennes nées en Occident. Objet fédérateur, le livre réunissait les communautés autour de ses commentateurs. Jusqu’au XIX° siècle, seuls les clercs pouvaient lire abondamment : le savoir venait d’en-haut. Sa diffusion correspondait à la structure pyramidale des hiérarchies, en même temps qu’elle la renforçait.
          « La télévision, puis la révolution Internet, bouleversent ce fonctionnement séculaire : la communication est désormais horizontale, sans médiation cléricale, sans intermédiaire, ni limitation ou censure.
          « Cela prendra-t-il la place des Églises ? Des communautés virtuelles s’esquissent déjà. On s’informe, on échange, on partage sur un clavier. Mais seule, la rencontre d’une personne peut bouleverser des vies, provoquer la métanoia – ce renouvellement intérieur profond, ce départ pour l’aventure, ce regain après la moisson des désespoirs.
          « Si Jésus s’était contenté de Google, aurait-il laissé comme il l’a fait sa marque sur la planète? La rencontre vivante et chaleureuse de cet homme ne passera jamais par la seule informatique.
                             
          « Les Églises ne disparaîtront pas : chrétiennes, musulmanes, juive ou hindouiste, l’histoire de l’humanité montre qu’elles ont toujours accompagné l’essor des civilisations. Lorsqu’une civilisation décline, meurt ou se transforme, il ne reste plus de son Église originelle que l’appareil extérieur.
                             
          « Le mot tradition vient du latin tradere, qui signifie à la fois « transmettre » et « trahir ». Peut-on transmettre sans trahir ?
          « Si j’ai pu connaître les Évangiles, si j’ai rencontré la figure du prophète Galiléen, c’est bien par l’entremise de l’Église catholique, et grâce à elle. Elle a été la structure, sociale autant que religieuse, qui m’a transmis une mémoire. C’est elle qui m’a fourni les outils avec lesquels j’ai pu, bien après, retrouver le visage de celui dont elle se réclame. 

          « Tu parviendras » : pour parvenir là où elle prétendait me mener, j’ai dû m’éloigner d’elle. Peut-être en va-t-il de même pour toutes les sectes ou Églises.
                             
          « Quand ma génération – celle qui a dû s’accommoder des transformations les plus rapides que la planète ait jamais connue, mais qui disposait encore de repères, de références, de trajectoires passées et d’horizons imaginables, bref, de tradition – quand cette génération aura disparu, qui transmettra (cliquez) ?

          « Dans un monde qui n’a plus d’autres valeurs que quantifiables, où les aspirations les plus secrètes vers la transcendance sont jetées sur le marché comme les autres, qui transmettra – et à qui ? »

                    © Michel Benoît, 21 mars 2008

Michel Benoit, Daniel Marguerat et Jésus : un article en Suisse.

          Lu dans Le Matin Dimanche, Genève, 21 Déc. 2008 :

                    Le Vatican dit-il la vérité ?

           Mode : Les églises se vident, sauf à Noël et à Pâques, et pourtant les libraires n’ont jamais autant vendu de livres sur le Christ. Pour la première fois depuis vingt siècles, cette figure a complètement échappé au contrôle des religieux et vit une nouvelle existence romanesque. Faut-il s’en réjouir ? Et quelles seront les conséquences de ce phénomène pour la chrétienté ?

                                     (par Jocelyn ROCHAT)

Après 17 siècles de contrôle féroce, le Christ a fini par échapper à la surveillance jalouse des Églises. Progressivement récupéré par les historiens dès 1778, Jésus est désormais tombé dans le domaine public. Le voici même, selon la formule de l’historien Michel Benoît, « devenu un people », comme Nicolas Sarkosy ou Paris Hilton.
          Grâce, ou à cause de Dan Brown et de son « Da Vinci Code« , on s’interroge sur la vie sexuelle de Jésus (a-t-il épousé Marie-Madeleine, lui a-t-il fait un enfant ?). Grâce, ou à cause de Mel Gibson, nous avons vu sur écran géant les détails les plus sanglants de sa Passion.

          La montre de Jésus

« Et si Jésus avait porté une montre comme notre président, on voudrait en connaître la marque », ironise le Français Michel Benoît. Pourtant l’historien est très loin de regretter cet intérêt pour le Jésus people. « Nous assistons à un phénomène nouveau. A travers des films et des romans à succès, un vaste public s’habitue à entendre parler de Jésus autrement, et il en redemande.

          A l’entendre, cette curiosité des foules pour un Jésus plus intime serait « une bonne nouvelle. Même si les réponses des romanciers ou des scénaristes sont souvent simplistes ou mensongères, ces nouveaux récits posent quand même la bonne question au grand public : qui était ce Jésus, sur lequel s’est construite l’identité culturelle de l’Occident ?Désormais, les gens se sentent autorisés à réclamer un droit d’inventaire, sans tabou. On peut s’interroger sur tout, et on ne se prive pas »

          « Enfin ! , s’exclame Daniel Marguerat, l’expert Lausannois du Jésus historique. Enfin le grand public se pose des questions sur Jésus et perd un peu de sa naïveté »
          Les deux chercheurs s’accordent cependant pour penser que cette nouvelle médiatisation est une arme à double tranchant. « Il faut se battre sur deux fronts : face à l’Église et face aux fausses pistes imaginées par des romanciers à succès mais peu sérieux », précise Michel Benoît. Question d’actualité, en cette période de Noël, la composition (contestée dans le camp catholique) de la Sainte Famille.

          Une histoire de fratrie

Jésus avait-il, oui ou non, des frères et soeurs ? « Si l’on consulte les évangiles, les données sont d’une évidence aveuglante : autant Marc que Matthieu, Luc et Jean mentionnent leur existence. Cette question a été contestée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’Histoire », assure Daniel Marguerat.
          D’accord sur le côté utile de ce Jésus people qui passionne les foules à une époque où les Églises se vident, les deus experts divergent, en revanche, sur les conséquences de cet intérêt pour l’homme Jésus.
          Pour Michel Benoît, « les populations européennes éduquées d’aujourd’hui n’acceptent plus aussi facilement de croire à des choses inimaginables, par exemple l’histoire d’une vierge qui a eu un enfant en restant vierge avant, pendant et après, et elles devraient prendre leurs distances avec les Églises »
          Pour le protestant Daniel Marguerat, en revanche, « chercher à connaître le Jésus de l’Histoire n’est pas hostile à la foi. Il est utile pour les croyants de découvrir qui fut cette personne humaine en laquelle Dieu s’est incarné »

          QUI ÉTAIT « LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT » ?

C’est l’une des grandes questions « people », chère aux romanciers, et qui ouvre des perspectives théologiques fascinantes. L’évangile de Jean nous parle à plusieurs reprises du « disciple préféré de Jésus », mais ne lui donne pas de nom. On apprend notamment que, sur la croix, Jésus lui aurait confié sa mère.
          Pendant longtemps, les théologiens ont pensé qu’il s’agissait de l’apôtre Jean. Une théorie contestée dans de nombreux romans à succès. Dan Brown imagine ainsi dans son « Da Vinci Code » que ce disciple préféré était Marie-Madeleine. Et il en profite pour souligner le rôle très inhabituel accordé aux femmes qui suivaient Jésus.

          Auteur d’un autre best-seller international traduit en 18 langues, Michel Benoît donne des traits masculins à ce « disciple préféré ». Mais pas ceux de Jean. Dans Le secret du treizième apôtre  il le décrit comme un riche notable juif, qui résidait dans un beau quartier de Jérusalem et qui possédait la maison où fut célébré le dernier repas de Jésus.
           Selon lui, ce « préféré » savait que Jésus n’était pas un dieu fait homme, mais un humain inspiré. Une révélation qui pourrait faire vaciller le Vatican.

          Ce roman, sorti cette année au Livre de Poche, a été écrit par un auteur totalement atypique. Ancien moine bénédictin, Michel Benoît est théologien et docteur en Biologie. Il a quitté les Ordres en 1984, l’Église désapprouvant ses recherches sur la vie et la personnalité du Christ.
          Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre sa quête. Michel Benoît a aussi passé 5 ans proche du Vatican, et cette expérience a largement nourri son roman.

          Enfin et surtout, « Le secret du 13° apôtre » s’inspire largement des recherches de l’auteur, qu’il a défendues dans deux livres savants, aussi faciles à lire que troublants : Dieu malgré lui (2001) et Jésus et ses héritiers (2008)

UN ARTICLE DANS « Le Parisien » sur PRISONNIER DE DIEU.

          Lu dans Le Parisien Dimanche du 15 Février 2009

     L’ouvrage bouleversant d’un ancien « Prisonnier de Dieu »


                               (par Marie Persidat)


          « Je suis un post-chrétien »

          Michel Benoît n’a pas peur des mots. Et même à une époque où l’Église est chaque jour remise en cause, son récit n’a rien perdu de sa causticité. Sa maison d’édition, Albin Michel, vient de rééditer Prisonnier de Dieu. Un ouvrage bouleversant au cours duquel il revient sur les vingt-deux ans durant lesquels il a été « frère Irénée ».

          Ce premier livre, paru en 1992, avait alors été vendu à plus de 80.000 exemplaires. Seize ans après, il sonne toujours aussi juste. « Dans les années 1990, c’était surtout un témoignage individuel, se souvient-il. Aujourd’hui, avec le recul, c’est devenu un témoignage historique Entre-temps, la parole a commencé à se libérer. De grandes figures de la chrétienté ont ébranlé l’Église en tant qu’institution en se livrant sur le seuil de la mort, ou plus récemment en offrant au public des confidences posthumes. « Maintenant, on parle », souffle Michel Benoît.
         
          « L’abbé Pierre ou soeur Emmanuelle ont choqué en évoquant notamment la sexualité. Moi, je suis allé beaucoup plus loin. J’ai voulu montrer, par exemple, comment des gens qui ne travaillent pas peuvent vivre confortablement. D’où vient l’argent ? »
          L’ancien moine se défend de tout propos déformé ou trop engagé. « Je ne critique rien, je décris, c’est tout, et c’est beaucoup plus ravageur. Ce n’est pas un pamphlet » En effet, celui qui n’hésite pas à parler de « démarche sectaire » de l’Église va beaucoup plus loin. C’est l’effondrement de toute une société qu’il essaie de comprendre.

          Aujourd’hui âgé de 68 ans, Michel Benoît continue de garder la tête dans les livres. « Je travaille exactement comme quand j’étais à l’université !  » Après Prisonnier de Dieu il a publié deux essais,Dieu malgré lui puis Jésus et ses héritiers, mensonges et vérités. Des ouvrages destinés aux « catholiques déçus, et il y en a beaucoup – mais aussi, au-delà, à tous ceux qui cherchent »

          Il est surtout l’auteur d’un best-seller, son unique roman pour l’instant. Le secret du treizième apôtre s’est vendu à plus de 30.000 exemplaires et a été traduit en 19 langues. Il est sorti en poche il y a quelques mois.
          Lorsque Michel Benoît n’est pas auteur, il se plonge parfois dans la méditation. Car sa dénonciation de l’Église ne l’a pas écarté de toute quête spirituelle. « Dieu n’a rien à voir avec tout ça », sourit-il en désignant le livre autobiographique dans lequel il a enfermé tous ses souvenirs.

PASSION ÉCRIVAIN : quelques réflexions sur un métier déraisonnable.

             (Conférence au Rotary-club)

          Vous m’avez demandé de vous entretenir du métier qui est maintenant le mien. Pour commencer, je ferai une distinction entre les écrivains, et ceux qui écrivent afin de gagner des sous ou de faire parler d’eux.

          Je ne m’intéresse qu’aux premiers.

           Pour comprendre ce qu’est un écrivain, j’emprunte ces quelques lignes aux Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke :

           « Vous me demandez si vos vers sont bons, vous l’avez déjà demandé à d’autres. Hé bien, je vous prie de renoncer à tout cela. Personne ne peut vous conseiller ni vous aider, personne. Il n’est qu’un seul moyen : rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d’écrire. Reconnaissez-le face à vous-même : vous faudrait-il mourir s’il vous était interdit d’écrire ?

          Ceci surtout : demandez-vous, à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? Et si cette réponse devait être affirmative, si c’est un fort et simple « je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité »

           Un écrivain (je ne parle pas des autres) mène un combat pour sa vérité intérieure. Il sait que ce n’est pas toute la vérité, mais c’est la sienne, et il pense qu’elle vient d’assez loin au profond de lui pour pouvoir – pour devoir – être communiquée.

           L’acte d’écrire naît donc d’abord d’une passion – et le mot passion, puis-je vous le rappeler, vient du verbe latin pati, qui signifie souffrir.

          Cette passion d’écrire peut être égotique, à la limite de la psychose : peu importe, si elle est forte, si elle commande la vie de l’écrivain. De son déséquilibre, Rimbaud a su tirer une œuvre qui traverse le temps et l’espace. Depuis sa folie, le marquis de Sade mène une exploration du Mal qui n’a jamais été surpassée.

           Pour écrire, il faut avoir lu. Il n’est pas nécessaire d’avoir tout lu, mais il faut avoir bien lu. Avoir été enchanté par d’autres vrais écrivains, avoir vibré à leur style, à leurs images, leurs silences, à la force qui émane de leurs écrits. Il faut avoir des souvenirs d’émotions littéraires, pour puiser en eux – souvent de façon inconsciente – le vocabulaire de ses propres émotions.

           Ayant beaucoup lu et pas mal oublié, ce qui demeure c’est la musique intérieure de ces maîtres du passé ou du présent, à l’aide de quoi on construit peu à peu sa propre musique.

          Car on ne transmet pas, à un vaste public, des idées. Les grands philosophes, les grands idéologues qui ont changé la face du monde en alignant des mots, ont toujours été de grands émotifs, ou bien ont été relayés par des tribuns : sans Lénine, Karl Marx serait resté un sociologue. Sans Danton et Robespierre, les Lumières seraient restées un mouvement philosophique.

          On ne transmet pas des idées, mais d’abord des émotions : une musique intérieure. Et les idées (quand il y en a) passent à travers les émotions. Elles ne passent même qu’à travers elles.

          Des émotions, c’est-à-dire des images et non pas des concepts.

           Ces images émotionnelles, l’écrivain les tire de sa propre expérience. Il doit avoir souffert, plongé au profond de sa nuit solitaire, lutté pour conquérir sa paix ou sa joie, émergé d’un noir océan. Alors seulement il peut nous parler, nous toucher, ajouter sa propre pierre à l’édifice de nos vies en construction.

           C’est ainsi que beaucoup écrivent, mais peu sont écrivains.

          Parmi tant d’autres, je pense à Blaise Pascal. Grand mathématicien, philosophe, polémiste contre les jésuites, de ses Pensées surnage une phrase, que tout français éduqué connaît : « Joie ! Pleurs de joie ! », au cours d’une nuit fameuse d’émotion portée à son paroxysme.

           C’est pourquoi le roman est la forme privilégiée de la littérature, et de loin la plus populaire. Un roman, ce n’est pas une idée ou une thèse à défendre. Un roman, ce sont d’abord des personnages, qui doivent prendre chair non pas sous la plume de l’auteur, mais de sa propre chair et de son cœur.

          Chaque personnage est enfanté dans une longue et parfois douloureuse gestation. Une fois qu’il est né, il mène sa vie. Un personnage est bon (et un roman est réussi) quand l’auteur ne peut plus lui faire faire n’importe quoi : quand il devient en quelque sorte autonome, et qu’il échappe – comme tout enfant – à celui qui l’a mis au monde.

           En écrivant Le secret du 13° apôtre (cliquez), pour corser l’intrigue j’ai pensé un moment faire de Rembert Leeland, le moine américain, un agent double du Vatican : vaine tentative, je n’y suis pas parvenu ! Il avait son passé à lui, c’était un homme profondément droit, un idéaliste qui ne pouvait pas trahir son camp. En lui prêtant finalement des pulsions homosexuelles, j’ai trouvé sa faille. Je me suis inspiré des déboires de l’Église catholique, où tant d’hommes généreux sont étouffés par l’interdit de l’amour : Leeland ne pouvait pas être un traître, mais il était la victime d’un système idéologique.

          Cette évidence qu’il m’a imposée lui a donné toute sa profondeur, conférant à l’intrigue une richesse supplémentaire et la rendant cohérente. La thèse que je défendais – « l’amour ne connaît aucune frontière, il est divin quelle que soit son expression » – venait alors d’elle-même. Elle n’était pas exposée par des considérations théoriques, mais à travers la lutte de cet homme pour la fidélité à ce qu’il y avait en lui de meilleur.

           Une fois les passions cernées, le roman naît des étincelles de leurs chocs. Pour les décrire, l’écrivain ne peut pas ne pas les ressentir comme si elles étaient siennes. Il doit s’identifier à chacun de ses personnages. Cheminement chaotique, car il lui faut aller chercher au plus profond de lui-même des pulsions contraires : il se découvre alors des noirceurs dont il ne se croyait pas capable, dont il ne se sent aucunement complice, qui l’étonnent ou le terrifient. Mais c’est le prix à payer.

          Dans toute écriture il y a donc une part de psychanalyse, de la souffrance et du dégoût de soi. Mais aussi un chemin de rédemption, puisqu’à travers ses personnages l’écrivain mène sa propre quête de lumière et de paix.

           L’intrigue d’un roman ! Aux yeux du lecteur elle semble couler de source, suivre sa course de rebondissements et de moments apaisés. Mais où donc, dans la conscience de l’écrivain, prend-elle naissance ? Une « bonne idée » de départ ? Cela ne suffit pas, nous l’avons vu. Il faut qu’il ait quelque chose à dire. Quelque chose d’encore informulé, mais qui va mobiliser toutes ses passions.

          Lorsqu’elle écrit Bonjour tristesse, Françoise Sagan est habitée par un immense mal-être. Son intrigue est affreusement banale, la même situation rabâchée à l’infini depuis La Princesse de Clèves : deux femmes, et un homme. Ce qui fait de son petit livre un chef d’œuvre (et peut-être le dernier roman d’une certaine tradition française), c’est la flamme ténébreuse qui le parcourt dès les premières lignes. Dans laquelle elle s’investit tout entière. « Le roman part d’un blanc, du blanc qu’on arrache au silence. » (1)

           Ce n’est donc pas l’auteur qui invente l’intrigue : c’est une histoire, qui trouve son écrivain.

           Tout ce travail d’approfondissement s’effectue dans le silence, dans une inaction apparente et très pénible. Je pense à cette phrase de Marguerite Yourcenar, alors qu’elle possédait déjà en elle les Mémoires d’Hadrien mais était (temporairement) incapable de les formuler : « Enfoncement dans le désespoir d’un écrivain qui n’écrit pas. »

          C’est que le fruit n’était pas mûr, le temps d’écrire n’était pas encore venu.

           Vous remarquez sans doute que je n’ai jamais encore employé le terme galvaudé d’inspiration. On dit d’un auteur qu’il est inspiré, ou bien qu’il a manqué d’inspiration – comme si « quelque chose » de divin devait tomber sur lui, à l’égal du Saint Esprit sur les apôtres !

          Je crois plus volontiers ceux qui disent que l’inspiration est faite de 90 % de transpiration. Les 10 % restant, c’est cette émotion passionnelle qui traîne quelque part dans l’inconscient de l’écrivain, et va le pousser un jour à élaborer un projet littéraire. En l’absence de cette passion, dit Milan Kundera, « Le roman n’est plus une envie, mais un geste d’actualité sans lendemain.»

           Quand s’achève enfin cette période de gestation – qui peut durer des années – l’œuvre vient au jour presque d’une seule traite. C’est alors que l’écrivain retrouve son équilibre, qui est celui d’un artisan devant l’établi. Il lui faut traduire les passions en mots et en phrases, scier, ajuster, raboter, poncer. Travail qui fait penser à celui de l’ébéniste, qui jointoye les pièces jusqu’à ce qu’elles s’assemblent pour devenir le meuble dont il a eu la prémonition avant de commencer.

           Écrire à la main, ou sur un ordinateur ? Mon premier livre, Prisonnier de Dieu (cliquez) , a été rédigé à la main, puis tapé à la machine. Pour les suivants je me suis procuré un de ces petits boitiers, odieux et indispensables, alimenté par l’électricité atomique et muni d’un traitement de texte. J’ai remarqué que cela avait transformé mon style.

          Avant d’être couchés à la main sur papier, la phrase ou le paragraphe doivent être entièrement formés dans la tête de l’écrivain, avec leurs mots justes, leur rythme et leur coloration verbale. Le contact de la plume sur le papier oblige à une certaine lenteur : écrire, c’est dessiner, et chaque mot possède son esthétique propre, visuelle.

          Tandis qu’avec le traitement de textes on peut commencer une phrase sans savoir comment elle se terminera, lancer une esquisse, la modeler comme une motte de terre glaise, ajouter, corriger, couper, faire appel au dictionnaire des synonymes pour éviter toute répétition. Le texte y gagne en nervosité et en sveltesse, mais risque de perdre l’ampleur, le tempo de l’expression et même de la pensée.

           La mise par écrit, c’est le temps du dialogue avec soi-même par l’intermédiaire des mots et des phrases.

          Exercice solitaire et quasi pathologique : car si j’écris, c’est avec l’ambition d’être lu. Mais mon public est insaisissable, je ne l’ai pas sous les yeux et j’ignore même s’il y aura jamais – pour ce livre en voie d’écriture – un quelconque public. Personne, pas même l’éditeur, ne peut prédire avec certitude si tel texte trouvera ses lecteurs. Le succès d’un livre ne garantit pas le succès du suivant, à chaque fois c’est le frisson de l’inconnu. Peut-être tout ce labeur aura-t-il été pour rien, peut-être ira-t-il finir dans un de ces tiroirs où les écrivains enfouissent leurs espoirs déçus ?

          Croire que ce qu’on tire de soi et qu’on s’efforce de dire avec justesse pourrait un jour intéresser d’autres que moi, des gens que je ne connais pas, dont j’ignore tout, c’est bien un acte pathologique : l’égo des écrivains doit nécessairement être massif et hypertrophié, s’ils veulent puiser en eux la force de poursuivre en aveugle leur labeur aléatoire.

           Vient ce moment redoutable où l’écrivain, estimant que le meuble qu’il façonne si amoureusement et depuis si longtemps, tient sur ses quatre pieds et ressemble à ce dont il rêvait en se mettant à l’établi. Il se résout enfin à envoyer son manuscrit à un éditeur. Il le jette dans une boîte aux lettres, qui pourrait bien se transformer pour lui en irrémédiable poubelle.

          La relation auteur/éditeur a été merveilleusement décrite par Mme Claire Delannoy, qui est mon éditrice chez Albin Michel (1). « Tout éditeur, écrit-elle, est à la recherche d’un absolu, du manuscrit dans lequel se repère immédiatement le génie. C’est-à-dire ce style particulier, cette évidence de point de vue, les sons et les couleurs d’un monde en soi, cette souveraineté-là. » Et tout auteur, poursuit-elle, se trouve devant son éditeur comme devant un confesseur, un médecin, un avocat : il a peur de celui ou celle qui possède le redoutable pouvoir de donner à son texte la vie, comme de la lui refuser.

           Pourtant, les éditeurs ont besoin des auteurs, sans lesquels ils fermeraient boutique ! Mais l’auteur, charbon de la locomotive éditoriale, se sent en position inférieure devant son mécano d’éditeur. D’autant plus que la grande époque, où la passion d’un éditeur (je pense à Gaston Gallimard) rencontrait celle de ses auteurs et passait avant les impératifs du marché, cette époque-là semble tirer vers sa fin. Voyez les tables de vos librairies : le livre est devenu un objet commercial comme un autre. Le Buzz (c’est-à-dire le boucan créé autour d’un livre) a remplacé la passion, et si passion il y a, elle doit être immédiatement rentable : rien de tel par exemple qu’un moment agité de la vie politique, un auteur pipol qui sait se mettre en valeur, un bon scandale sulfureux…

          Quand Mme Catherine Millet (2) décrit avec complaisance le bruit produit par le frottement des parties génitales dans un acte pourtant réputé intime, c’est l’indignation, le concert des protestations, le succès médiatique : on en vend 700.000 exemplaires. L’éditeur s’est enrichi comme l’auteur, mais je me demande ce que la planète des mots y a gagné.

           Il reste pourtant quelques éditeurs qui n’ont pas perdu le sens de l’œuvre en train de s’écrire dans le temps long de la création littéraire, et qui prennent encore le risque de gonfler leurs voiles ailleurs qu’à des courants d’air.

          Ils savent détecter les possibilités d’un texte dès ses premières lignes : « Tout est là, écrit Mme Delannoy. Dans la première phrase d’un roman, courte ou longue, directe ou sinueuse, le ton est donné.» (1) Elle voit dans son travail d’éditeur « La part de la sage-femme qui aide à la naissance » : alors s’établit, entre le parturient et son accoucheur, une merveilleuse collaboration faite de respect et d’ambition pour l’œuvre à naître. L’éditeur suggère, propose des corrections, du travail de réécriture : il est « le gardien secret du texte » (1) .

          Collaboration qui fait penser à ces corridas miraculeuses, où le taureau et son torero cessent de se faire face pour créer ensemble un moment d’art pur et magique. D’autant plus précieux qu’il est éphémère, celui-là. Tandis que l’écrit, quand il a atteint son point d’équilibre, peut ambitionner à une vie longue. La passion mise en mots traverse alors les modes et les temps. Elle finira par nourrir des inconnus, qui n’étaient même pas nés le jour où l’écrivain saisissait sa plume (ou allumait son ordinateur) pour lui donner naissance dans la succession, banale et immuable, d’un sujet, du verbe et de leurs compléments.

           Timeo Danaos et dona ferentes, disait Virgile : « Je crains les Danéens et leurs dons empoisonnés ». Je crains ceux qui croient qu’il suffit d’aligner des lignes pour avoir fait acte d’écriture. Qui confondent démangeaison et passion – ou plutôt, qui n’ont pas assez fait couler la lave de leurs passions enfouies pour la purifier ensuite au creuset de l’artisanat des mots.

                M.B.  30 mars 2011

 (1) Claire DELANNOY, Lettre à un jeune écrivain, Panama, 2005, 72 pages.

(2) Catherine MILLET, La vie sexuelle de Catherine M., Seuil 2001.

UN NOUVEAU LIVRE DE MICHEL BENOIT : « Dans le silence des oliviers » (I).

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    Dans la nuit de Pâque, au milieu d’un jardin d’oliviers, un jeune rabbi galiléen attend.    

   Il sait que les siens l’ont abandonné, qu’il va être arrêté. Seul face aux étoiles, il revit les événements qui ont bouleversé sa vie : la rencontre de Jean-Baptiste, le séjour au désert, puis ses deux années d’itinérance…

   Le surgissement progressif d’un message original et neuf, né de son expérience personnelle, incompris de ses proches et rejeté par les autorités juives.

   Les oppositions, les heurts, et pour finir la trahison de ses disciples – menés par Pierre. »

     Spécialiste des origines du christianisme, auteur du Secret du treizième apôtre, Michel Benoît évoque avec autant de limpidité que d’érudition la formidable présence d’un Jésus qui aurait pu faire naître un monde différent, s’il avait été entendu.

                En librairie le 5 avril 2011

Une série d’articles fait suite à cette annonce. L’auteur y fera part des étapes du making of, et des pistes ouvertes par ce nouveau roman (cliquez et cliquez).

Voir la recension de Pascal Jacquot

et la recension anglaise de ce livre ainsi que les réactions anglaises

DANS LE SILENCE DES OLIVIERS (II) : la fabrication d’un roman;

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          Pourquoi un nouveau roman sur Jésus ?

I. La préhistoire

          En 1975, je préparais ma thèse de doctorat en théologie : et je découvris, avec stupeur, que Jésus était juif. Un juif qui avait parlé à d’autres juifs : les Évangiles ne pouvaientêtre compris qu’à l’intérieur de la culture juive de leur époque. Je me fis donc juif, me plongeai dans le Talmud et les textes judéo-chrétiens alors disponibles.

          Lorsque je présentai mon projet de thèse en, il fut refusé par les autorités vaticanes : en ce temps-là, la judaïté de Jésus était un tabou. J’abandonnai le projet, mais non pas mon intérêt pour ce juif hors-normes.

          Au début des années 1990, je rouvris ce dossier. En quinze ans, on avait publié nombre de sources jusque là inaccessibles, et des ouvrages sortaient – en rafale – sur le juif Jésus, passionnant le public même non-croyant.

           Je disposais enfin de la documentation nécessaire.

          Entre 1995 et 2000, je me mis à écrire. Le résultat, ce fut un essai publié en 2001. Il dévoilait l’identité réelle de cet homme devenu Dieu malgré lui, titre de l’ouvrage . Pour le mettre à la portée du grand public, j’en fis ensuite un roman, Le secret du treizième apôtre, qui eût un certain succès. De la vie de Jésus, de son entourage, je disais ce qu’on pouvait savoir d’historiquement fiable, mais je laissais de côté son enseignement.

II. Les tâtonnements

          En même temps que je travaillais à Dieu malgré lui, je découvris – un peu par hasard – d’abord le bouddhisme tibétain, puis l’enseignement du Bouddha Siddharthâ lui-même.

          Ce fut un choc : des analogies apparaissaient, frappantes, entre ces deux maîtres du passé. Plusieurs auteurs avaient déjà tenté de comparer le bouddhisme au christianisme, et cette piste semblait mener à une impasse. Mais si l’on confrontait l’expérience vécue par chacun de ces deux hommes, on découvrait la lignée des Éveillés – et que Jésus était l’un d’entre eux, non des moindres.

          La deuxième partie de Dieu malgré lui, où je fais asseoir Jésus et Siddharthâ à la même table, fut donc intitulée Un Bouddha juif : mais je ne m’attardais toujours pas sur l’enseignement de l’Éveillé juif Jésus.

III. L’arrière plan

          C’est que les Églises chrétiennes (et surtout la catholique) avaient, dès leurs origines, détourné non seulement l’identité de l’homme Jésus mais aussi son enseignement, pour se constituer en puissances mondiales.

          Je devins alors sociologue, étudiant l’ampleur du déclin récent de ces Églises, institutions fondatrices de l’Occident. Il m’apparût que le christianisme en tant que système idéologique, conception de l’Homme et de sa destinée dans l’univers, était parvenu à une impasse. Simultanément, la crise de l’identité occidentale semblait accompagner le déclin de l’idéologie chrétienne, qui pendant dix-sept siècles lui avait fourni sa colonne vertébrale.

          Déclin du christianisme, perte de l’identité Occidentale : ces deux accidents majeurs de notre civilisation étaient liés, sans qu’on puisse savoir lequel avait précédé l’autre.

          Tel était désormais le décor de tous mes travaux.

IV. Le Coran et le 13° apôtre

          L’arrière-plan de la crise de l’Occident eût été incomplet, si je n’y avais pas inscrit ses relations avec l’islam.

          Il était hors de question d’explorer une culture et une littérature aussi considérable : je me cantonnais au texte du Coran, pour découvrir là aussi des vérités cachées – dont je tirai parti pour l’écriture du Secret du treizième apôtre.

          En même temps, j’approfondissais ma connaissance du IV° Évangile, dit selon saint Jean. Il m’apparût que la partie la plus ancienne de cet Évangile avait sans doute pour auteur ce treizième apôtre, volontairement ignoré des Églises mais indéniablement présent dans l’entourage de Jésus. Son témoignage visuel, de première main, était celui d’un personnage qui avait joué un rôle essentiel dans les derniers moments de la vie de son maître et ami, le rabbi de Galilée.

          Avec ce dernier travail de recherches, j’étais enfin parvenu au pied de l’Everest : retrouver, derrière tout ce que les Évangiles lui ont fait dire, l’enseignement de Jésus lui-même.

          Ce fut un éblouissement : enfin démaquillé de tout ce que le christianisme avait plaqué sur son visage et sa parole, cet homme apparaissait totalement moderne, ses questions étaient les nôtres, ses réponses parlaient à notre temps.

          Mais comment mettre en forme ces précieuses pépites ?

V. L’écriture du Silence des oliviers 

          Très vite, je décidai d’abandonner la forme « essai », peu appréciée par un grand public étouffant sous les contraintes du quotidien, et qui demande qu’on le prenne par la main en l’intéressant. Il fallait écrire un roman.

          Un roman, c’est-à-dire des personnages, qui prennent la parole dans une situation où leur vie est en jeu.

          Quelle situation était plus conflictuelle que celle du peuple juif au début du 1° siècle ? Je me plongeai dans les travaux des sociologues de l’antiquité juive, pour m’imprégner du climat d’extrême tension qu’avait rencontré toute sa vie le jeune rabbi galiléen.

          Et lui-même, ses disciples, son entourage, me fournissaient (sans que j’aie rien à inventer) les personnages d’un roman. Quelle situation plus romanesque que celle d’un opposant, qui se heurte à tous les pouvoirs en place, et finit par être trahi par ses plus proches compagnons ?

          Un roman, mais dont le moindre détail devait être conforme à ce que la recherche la plus exigeante nous fait connaître des gestes et des paroles authentiques de chacun des personnages. Je savais que je ne pourrais jamais restituer une voix éteinte depuis 2000 ans : ne pouvant pas faire entendre la voix de Jésus, je ferais le portrait de cette voix.

          Un portrait : mais sous quel angle ? Où planter mon chevalet ? J’ai choisi de saisir Jésus à cet instant où il se sait trahi, devine qu’il va être arrêté, et passe ses derniers moments de liberté dans la clarté lunaire d’un jardin d’Oliviers, seul devant les étoiles.

          Il laisse alors aller sa mémoire, se souvient des étapes marquantes de sa vie – mais surtout des circonstances grâce auxquelles il est devenu lui-même.

          Il raconte sa prise de conscience qu’un monde est en train de disparaître sous ses yeux – comme l’avait enseigné son maître Jean-Baptiste. Mais de toutes ses forces il refuse son catastrophisme, et se lance dans les voies risquées de la liberté.

          Apparaissent alors les grandes lignes de l’enseignement personnel d’un rabbi juif, s’adressant à d’autres juifs à l’aube d’une apocalypse sociale et religieuse annoncée.

          Confronté à ce monde fini, Jésus a connu une maturation intérieure, on le voit inventer, progressivement, son message à lui. Rejoindre ainsi les plus grandes voix de l’humanité, et jeter des semences dont bien peu (l’Histoire le prouve) ont pris racine dans une terre fertile.

          Chemin faisant j’ai repris, en l’affinant encore, mon hypothèse : l’apôtre Pierre a été l’instigateur de la trahison de son maître, Judas est innocenté.

          Le roman se termine au moment où Jésus, à travers les branches d’oliviers, voit s’avancer la troupe de ceux qui viennent l’arrêter.

          Ầ ma connaissance, c’est la première fois qu’un écrivain tente de pénétrer ainsi dans la conscience d’un homme aussi considérable que Jésus.

          Unique en son genre, ce roman trouvera-t-il son public ? Ce n’est plus mon problème…

                               M.B., 9 avril 2011

DEMAIN LA PAQUE JUIVE : « Dans le silence des oliviers (III).

          Les juifs célèbrent Pâque la veille au soir du 14° jour du mois de Nissan, qui tombe cette année le mardi 19 avril. Ce sera le mille neuf cent quatre-vingtième anniversaire du dernier repas pris par Jésus, à Jérusalem, dans la salle haute prêtée pour l’occasion par son ami le disciple bien-aimé.

           Dans le silence des oliviers j’ai raconté cette soirée en me plaçant du point de vue du petit rabbi provincial d’alors, obligé de se cacher depuis que les autorités juives avaient lancé un mandat d’arrêt contre lui.

           Ầ cette époque, les juifs se cotisaient pour acheter un agneau, qui était sacrifié au Temple (transformé pour l’occasion en immense abattoir) le jour de la Préparation. Ce n’était pas une question de richesse ou de pauvreté : un juif ne célèbre jamais Pâque seul, mais avec tout son peuple. On se partageait ensuite la viande entre voisins, avant de la manger en famille.

           Le rite de l’agneau a disparu avec la destruction du Temple en 70. Le cérémonial actuel de Pesha a été fixé au haut Moyen âge, mais il conserve quelques points communs avec la façon dont les juifs le pratiquaient à l’époque de Jésus.

 Le 6 avril 30 au soir : un repas pascal ?

           Il est admis par tous que la « sainte Cène » n’a pas été un repas pascal : notamment, parce que la clandestinité forcée des treize galiléens les empêchait d’accomplir le rite public et communautaire de l’agneau.

          Pourtant, cela n’a pas été un repas ordinaire.

          Les Évangiles en ont retenu le partage du pain et du vin avec leurs bénédictions, précédé d’un baptême effectué par Jésus, accompagné de deux homélies et suivi du chant des psaumes. Ces textes ont été scrutés à la loupe par des centaines de spécialistes : tout bien considéré, il semble que Jésus ait voulu suivre le rituel pratiqué par les esséniens à Qumrân. Et j’en donne les raisons dans Le silence des oliviers.

 Seder Pesha : la Pâque juive aujourd’hui

           C’est une liturgie familiale, dont je voudrais simplement évoquer trois phrases, codifiées par le rituel.

 I. « Pourquoi ce soir, ce repas, ne sont-ils pas comme les autres ? »

           Toujours, c’est un enfant qui doit poser cette question. Son père ne lui répond pas par un cours d’histoire : il lui rappelle à cette occasion des souvenirs collectifs, afin que l’enfant les fasse sien.

          Parce que pour un juif, l’Histoire n’est pas une chose figée, qu’on évoquerait comme une réalité d’autrefois, morte.

          L’Histoire se fait aujourd’hui. Le passé doit rester à l’état de souvenirs, pour ne pas être construit comme un édifice achevé, qu’on visiterait de l’extérieur. L’enfant (qui n’a pas de passé) pénètre dans les souvenirs de son peuple dispersé pour devenir, à son tour, l’un des acteurs de l’Histoire en train de se faire.

 II. « Quiconque a faim, qu’il vienne et mange. Quiconque est dans le besoin, qu’il vienne et célèbre Pesha avec nous. »

           C’est par cette déclaration solennelle que le père introduit les rites du pain, du vin, des herbes amères.

           « Quiconque » : en hébreu kôl, c’est-à-dire tous – et pas seulement les juifs. Repas qui manifeste l’unité et le particularisme du peuple juif, Pesha est explicitement ouvert à toute l’humanité.

           On retrouve cette caractéristique dans la parole prononcée par Jésus, « Ceci est mon sang, versé pour la multitude ». Et c’est pourquoi, dans Le silence…, j’ai conservé cette phrase. Elle confirme ce que tout le roman souligne, que Jésus s’est délibérément situé dans le prolongement du prophétisme d’Israël, qui a toujours été universaliste.

 III. « Cette année encore ici, l’an prochain hommes libres. »

           La liberté dont il s’agit ici n’est pas physique : il n’y a plus d’esclaves juifs. Elle est intérieure.

          Mais sur ce point précis, Jésus a fait éclater le judaïsme. Pour lui, la liberté intérieure – c’est-à-dire la fin de la danse du Mal dans nos vies -, ce n’est pas pour « l’an prochain » : c’est pour maintenant, tout de suite.

          Dans Le silence…, j’ai montré l’émergence progressive, dans sa conscience comme dans son enseignement, de cette affirmation centrale : c’est aujourd’hui, et non pas demain ou l’an prochain, que naît un monde nouveau.

          Aujourd’hui, la liberté.

           Rupture totale, nouveauté radicale qui aurait pu changer le monde si elle avait été comprise et entendue : parce qu’elle mettait fin à toutes les attentes messianiques qui sont à la racine profonde du judaïsme, comme du christianisme et de l’islam. Et qui justifient les guerres de ces religions, ainsi que l’acceptation et l’exploitation par leurs clergés des souffrances subies ici-bas par leurs croyants, au nom de lendemains qui chanteront un jour.

           Demain soir 18 avril-nissan, les juifs du monde entier se réuniront une nouvelle fois en famille autour de la table du Seder Pesha.

          Notre amitié les accompagne. Leur fête nous rappelle l’Histoire d’autrefois, ces treize galiléens traqués un soir identique à celui-là, sous la même pleine lune.

           Comme eux nous tenterons de nous souvenir, pour faire advenir l’Histoire. Non pas l’an prochain, mais aujourd’hui.

                                      M.B., 18 avril 2011

AVEUGLANTES CROYANCES : « Dans le silence des oliviers » (IV)

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          Réaction d’un lecteur :  « L’homme dont tu parles n’est pas le Christ de ma croyance. Il m’est inacceptable, je le rejette. » Une autre : « Tu prétends suivre les Évangiles à la lettre : la lettre tue, mais l’esprit vivifie ». Autrement dit, la lettre (le texte) ne pourrait rien nous apprendre, si elle n’était pas lue à travers les lunettes de la foi.

          Étonnant de voir des gens par ailleurs cultivés, avertis, ayant exercé d’importantes responsabilités, rejeter un siècle de recherche et choisir sans le savoir le fondamentalisme catholique !

          Comment comprendre que la foi puisse aveugler à ce point ?

 Puissance des mythes

           Quand ils ont émergé de l’animalité, les humains se sont trouvés confrontés à une angoisse, celle de la mort, et à un obstacle majeur, celui de la nature hostile.

          Pour faire face à la mort comme à la nature, nos ancêtres ont inventé des mythes (1). Ce furent d’abord des animaux, totems représentés sur les parois des cavernes. Puis des divinités à figure d’hommes, vivant dans un monde supérieur mais ayant les caractéristiques et les travers de l’humanité (Jupiter trompe Junon, tombe amoureux de Ganymède, etc.) Enfin, au 1° siècle, des humains divinisés comme l’empereur de Rome.

          Ces mythes permettaient de rêver, en échappant à la dure condition humaine. On se sentait opprimé par une puissance adverse invisible, à laquelle les civilisations ont donné des noms divers, Satan, Béelzébuth ou Mara. Cette puissance avait établi sa domination sur la nature opposée à l’Homme, et devenue le réceptacle de forces obscures qu’on tentait de domestiquer par des rites.

          Quant aux dieux, leur humanité nous permettait de négocier avec eux par des offrandes, qui atténuaient les souffrances. Enfin la mort ne mettait plus un point final à nos vies : elle devenait le passage vers un au-delà qu’on imaginait plus heureux que la vie actuelle, dans l’heureuse société des dieux.

          Un exemple : Mithra, très populaire à l’époque de Jésus, ressuscitait après avoir terrassé le taureau, force de la nature, et ses fidèles croyants reproduisaient le rite du taurobole, sacrifiant l’animal pour être baptisés dans son sang, le boire sous l’apparence du vin, et anticiper ainsi leur propre résurrection. Dans ses sacrements, le christianisme a repris à son compte la force de ce mythe.

           Les mythes enchantaient donc nos vies et l’univers, en leur donnant de la profondeur, un sens, et un débouché dans le bonheur de l’au-delà. Ils scintillaient, éblouissaient comme une rivière de diamants. Leur présence universelle, dans toutes les cultures et à toutes les époques, montre à quel point les humains ont toujours eu besoin de rêve pour échapper à leur réalité quotidienne.

           L’univers dans lequel a vécu Jésus était totalement imprégné de ces mythologies. A la fois diverses par leurs origines culturelles, leurs images, et identiques par la force (créatrice de rêve) qu’elles possédaient toutes en commun, les mythologies de l’antiquité assuraient son unité culturelle et sociale.

           Un seul petit peuple refusait obstinément de les adopter : le peuple juif, qui ne reconnaissait qu’un seul Dieu, rejetait tous les autres – ce qui lui a valu d’être taxé d’impiété par un historien romain comme Tacite. Mais le judaïsme se contentait de vivre dans une attitude d’opposition obstinée, de refus. Il rejetait les mythologies, s’arcboutait contre elles, sans pour autant proposer de rêve alternatif.

 Jésus, destructeur des mythes

           Dans Le silence des oliviers, je montre comment Jésus a voulu désenchanter le monde obscur et mythologique des puissances maléfiques, d’autant plus redoutables qu’elles se blotissent au milieu des forces de la nature.

          Pour lui, il n’y a plus de mystère caché dans des recoins d’ombre : Satan n’est plus le maître des ténèbres, toute lumière est faite sur l’Homme et son univers. Par son enseignement comme par ses guérisons, il soustrait les humains et le monde dans lequel ils vivent au pouvoir de Satan.

          Mais ce monde qu’il dépouille définitivement de la puissance des mythes, ce monde privé de rêve, totalement « objectif » (si j’ose dire), il le réenchante en réhabilitant par ses paraboles le pouvoir de l’imaginaire. La nature, qu’il y met constamment en scène, n’est plus pour lui l’obscur réceptacle des craintes religieuses. Il en a fait un objet poétique, qui chante les plus hautes vérités.

           L’imaginaire, au lieu qu’il nourrisse obscurément l’appétit des violences multiples, il en a fait la force motrice de son Royaume.

 Le christianisme, un mythe qui a réussi

           Le génie du christianisme, c’est d’avoir tourné le dos à l’enseignement de Jésus pour réintroduire tous les mythes des religions anciennes qu’il a ainsi supplantées, après les avoir combattues et anéanties. Les églises ont remplacé les temples égyptiens, grecs et romains. L’encens, au lieu de monter vers une statue, a été offert au vrai Dieu. Un Dieu humanisé par la divinisation d’un homme (cliquez), un au-delà promis par sa résurrection (cliquez) ,le salut par un baptême, la force du dieu communiquée en buvant le sang de son fils sacrifié sur un autel…

          Le tout dans une présentation théâtrale (la liturgie), musicale, architecturale, picturale, sculpturale, littéraire, qui a fait la splendeur de la civilisation chrétienne et a réussi à enchanter les peuples, jusqu’à aujourd’hui.

           C’est à la puissance du mythe qu’il a su organiser dans une présentation et une pensée cohérentes que le christianisme a dû, et doit toujours, son succès.

          Ce faisant, il a tourné le dos à Jésus, le destructeur des mythes.

 Une modernité privée de mythes

           Depuis le mouvement des Lumières, l’Occident s’est acharné à détruire non seulement les mythes fondateurs de la civilisation chrétienne, mais la pensée mythologique elle-même.

          Au XVIII° siècle, les maladies étaient encore attribuées au désordre des « humeurs » corporelles, volutes de fumées indiscernables mais mortifères qui obscurcissaient le regard des médecins. En inventant la bactériologie, Pasteur a désenchanté un mythe, son microscope a tué l’envoûtement de l’encens. En décrivant la structure atomique de la matière, les successeurs de Niels Bohr en ont détruit un autre. En allant dans l’espace, Gagarine a démontré qu’il n’était pas habité par Dieu.

           L’univers et le corps humains une fois démythifiés, restait à l’Occident le mythe chrétien : en un siècle, il a lui-même perdu toute force d’attraction. Pour croire, les chrétiens d’aujourd’hui  sont contraints à la schizophrénie : d’un côté un monde rationnel, de l’infini à la plus petite cellule, des galaxies aux particules subatomiques. Et de l’autre une mythologie dogmatique, à la fois inexplicable et intouchable, qui contredit en tous points ce qu’ils savent et constatent par ailleurs d’eux-mêmes et de leur environnement.

           Je me suis attaché à analyser ce grand écart entre deux piliers, tous deux immuables et qui s’éloignent inexorablement : l’un, parce que l’existence du christianisme dépend de ses dogmes, qui ne peuvent être remis en question. L’autre, parce que la réalité est têtue, et qu’elle s’impose à tous.

          Quand les piliers d’un pont s’écartent, le pont s’écroule. La crise actuelle de l’identité occidentale vient en grande partie de cet effondrement d’une passerelle millénaire, jetée entre nous et l’univers qui nous entoure, entre nous et nous-mêmes.

           En publiant Dans le silence des oliviers, qui achève un cycle commencé avec Dieu malgré lui (cliquez), j’espérais que mes amis attachés aux mythes de leurs enfances se laisseraient séduire par ce qui transparaît dans ce livre de la personne de Jésus : il semble que cela ne se puisse pas. Les mythes séduisent par leur beauté, tandis que Jésus tel qu’en lui-même sent trop la sueur et l’effort.

           Alors, des non-croyants, si ce livre leur tombe entre les mains, seront-ils touchés par le courage, la lucidité prophétique, l’exigence humaine du rabbi galiléen ?

           Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

                                                 M.B., 19 mai 2011

(1) Sur cette question, je renvoie à l’œuvre de l’écrivain francophone Mircea Éliade : son étude des mythes fait toujours autorité.

JÉSUS A-T-IL FAIT DES MIRACLES ? : « Dans le silence des oliviers (V).

 

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             Plusieurs lecteurs du Silence des oliviers ont la même réaction : « Au cours de ma première lecture, j’étais un peu étonné de voir Michel Benoît s’attarder si souvent aux miracles, notamment aux deux miracles de résurrection ».

 Une vie sans miracles

           Dictionnaire Robert : le miracle est « un acte contraire aux lois ordinaires de la nature, produit par une puissance surnaturelle. »

          On lit en effet dans les Évangiles quelques récits d’événements « contraires aux lois ordinaires de la nature ». Pour l’eau transformée en vin à Cana comme pour la multiplication des pains, une étude critique du texte suffit à dégonfler le miracle en non-événement tout à fait ordinaire. J’ai placé ces deux exemples au fil de la narration (pp. 56-58 et141-143), sans fournir les justificatifs techniques de mes interprétations (c’est un roman).

           Restent dans les Évangiles quatre mentions d’« actes contraires aux lois ordinaires de la nature » : car marcher sur l’eau, arrêter une tempête ou dessécher un figuier d’une seule parole, trouver surabondance de poisson là où il n’y en a pas, ce sont des événements que rien ne peut expliquer, sauf une intervention surnaturelle, divine.

           Vous remarquerez que ces récits de « miracles » sont dans les Évangiles le prétexte d’une reconnaissance émerveillée de Jésus ressuscité, ou d’une confession tonitruante de sa divinité. Le miracle semble alors venir à point pour justifier la théologie naissante de l’Église : « Jésus est Dieu ». Renforcée par notre connaissance des traditions de miracles dans l’Antiquité, puis par la critique interne, l’analyse conduit la plupart des spécialistes à mettre fortement en doute la réalité historique de ces miracles racontés par les Évangiles.

           J’ai voulu faire parler la mémoire de Jésus : il ne pouvait pas se souvenir de ces miracles, puisqu’ils n’ont jamais existé que dans la mythologie chrétienne en train de s’écrire à la fin du 1° siècle (cliquez). C’est pourquoi on n’en trouve pas trace dans ces Mémoires d’un juif ordinaire.

          « Les Évangiles, pour prouver la divinité de Jésus, ont recours… à deux arguments : la réalisation des prophéties et l’accomplissement de miracles »

          Les Évangiles avant remaniement, non (1).

          Les Évangiles remaniés dans une intention théologique, et le catéchisme jusqu’à nos jours, oui.

          Ce n’est pas la même chose.

Jésus guérisseur

          La guérison d’une maladie fait-elle partie du domaine des miracles ? Non, absolument pas. Notre médecine n’est pas une magie, elle analyse les symptômes, pose un diagnostic, propose un traitement. Si le malade est guéri, ce n’est pas un miracle, mais la preuve que le diagnostic était bon, le traitement approprié.

          Le problème de l’ouest occidental c’est que notre médecine est positiviste : le corps est un ensemble de petites machines, quand elles se dérèglent on les soigne à coup de médicaments, sans tenir compte du fait que la machine-cœur ou la machine-rein font partie d’un tout, l’individu malade.

          L’Antiquité ignorait cette conception mécaniste de l’être humain, sa médecine aurait pu s’appeler holistique.

          Les juifs y ajoutaient une particularité, que l’on retrouve dans tous les chamanismes : le désordre de la maladie était pour eux l’œuvre des puissances démoniaques. Une personne très malade, comme Marie de Magdala, était réputée habitée par sept démons, chiffre symbolisant la totalité du dérèglement de son corps.

          Quand les Évangiles disent que Jésus, en guérissant, « chasse les démons » du malade, c’est un langage codé. Ce n’est pas un exorcisme, comme le veut souvent l’interprétation catholique. Juif lui-même, Jésus parle aux juifs le langage qu’ils comprennent. D’abord, il pose un diagnostic : « Quel est ton nom ? », demande-t-il à un esprit impur (Mc 5,9). Attentivement, il écoute le récit du père d’un enfant dont « l’esprit s’empare » – et demande une précision médicale (« depuis quand ? ») : l’énumération des symptômes, étonnamment précise, nous permet de conclure sans hésiter à des crises d’épilepsie (Mc 9,17-20).

          Son diagnostic posé, il engage le processus de guérison, qui est toujours le même. Jamais il ne fait appel à la magie, comme c’était le cas des nombreux guérisseurs de l’époque (formules incantatoires, fumigations d’herbes, danse autour du malade, sacrifice d’animaux, etc.). Il s’assure du désir de guérison du malade, de sa confiance (pistis = équivalemment confiance, ou foi). Jamais il ne lui dit « Je te guéris », mais « ta confiance (ta foi) t’a guérie ».

1- Il faut le répéter : jamais Jésus n’attribue la guérison à son action personnelle. C’est sa confiance (sa foi) qui a guéri le malade, Jésus n’est là que pour l’attester face au malade et à la foule.

2- Confiance-foi… en qui ? : Toujours, Jésus utilise une formulation indirecte : « Tu es guéri », ou « tu as été guéri ». C’est ce qu’on appelle le passivum divinum, la façon qu’avaient les juifs de désigner Dieu sans le nommer. Autrement dit, Jésus met en présence la confiance-foi du malade, et la présence de Dieu. Tout se passe entre eux deux, Jésus n’intervient pas. Il se contente de vérifier-manifester la foi du malade, et de lui dire que son attente de guérison a abouti à un résultat, parce qu’elle a rencontré la présence de Dieu.

3- Modalités de la guérison : Est-ce donc Dieu qui guérit ? Et si oui, pourquoi a-t-il attendu si longtemps, pourquoi laisse-t-il des malades dans la souffrance ? Face à un aveugle-né, les disciples posent la question : « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » Jésus répond : « Ni lui, ni ses parents » (Jn 9,3). Autrement dit : Dieu n’est pas responsable de la maladie, ce n’est pas un pervers qui laisse ses enfants souffrir alors qu’il pourrait les guérir en masse. Quelque chose est cassé dans l’humain, auquel je donne une grande place dans Le silence des oliviers, que j’appelle Le Mal et que les juifs appelaient satan, traduit en grec diabolos, « celui qui divise ».

          La confrontation violente entre Jésus et Le Mal ouvre et conclut mon roman, parce qu’elle ouvre et conclut les quatre Évangiles.

          En acceptant la démarche de mise en présence du Dieu qui réunifie ce que Le Mal a désuni (la maladie), le malade est déjà guéri. C’est sa rencontre avec Jésus qui a provoqué ou facilité cette démarche, et il le lui dit.

4- Médecine positiviste et médecine globale : Je renvoie le lecteur à la redécouverte, récente et très lente sous nos cieux, des mécanismes holistiques de la guérison. Nous avons oublié que toute maladie est d’abord une affection de l’âme, ou (pour le dire en termes acceptables) un désordre à la fois du corps et de l’esprit, psychosomatique. Quand elles sont mises en œuvre, les forces mentales sont capables de réparer, en tout ou en partie, les déficiences de l’organisme. Si on refuse ce fait, le pouvoir de guérison des chamanes ou d’un Jésus ne trouve d’explication que dans le miracle, ou la supercherie.

5- Des guérisons solidement attestées : Autant les récits de « miracles » des Évangiles ne résistent pas à l’analyse, autant les guérisons opérées par Jésus sont solidement attestées. Par la convergence synoptique d’abord : des sources et des traditions éloignées les unes des autres concordent sans faille. Par la critique interne : la structure littéraire des récits est homogène, le mécanisme de guérison résumé plus haut est toujours le même, le plus souvent explicitement, parfois implicitement.

          Jésus n’a fait aucun miracle : mais il a guéri, le fait est indiscutable et ne pose ni problème textuel, ni difficulté de compréhension si l’on dépasse des dogmes pseudo-scientifiques solidement ancrés dans notre culture ouest-occidentale.

Résurrections ?

          Soyons clairs : il n’y a aucune résurrection dans les Évangiles, mais des récits de réanimation. Le cas le plus extrême est celui de Lazare. Relisez le chap. 44 du Silence : « Renaître de la corruption intérieure quand on est encore en vie, ou bien renaître quand le corps commence à se corrompre, où est la différence ? Tu crois que la vie ne finit pas ? Moi aussi »

          Nous sommes tellement conditionnés par notre conception de la mort, que nous avons du mal à admettre qu’elle puisse se dérouler autrement. Je signale simplement que notre médecine fait des progrès lents, mais constants, dans la compréhension « scientifique » de ce phénomène. Elle est (et restera) toujours à la traîne par rapport à l’expérience millénaire des cultures orientales, notamment bouddhiste. Mais nous n’admettons pas que l’autre moitié de l’humanité, orientale, ait depuis longtemps compris des choses que nous autres, occidentaux, croyons savoir et maîtriser.

          Indécrottable et imbécile arrogance occidentale.

          J’espère, tout au long du Silence des oliviers, avoir guidé le lecteur, par petites touches successives, vers cette autre compréhension de l’être humain, de ses maladies et de sa mort.

          C’était celle de Jésus. Il l’a affirmée tout simplement, par sa façon d’être et de réagir face à la souffrance humaine.

                                    M.B. 1° juillet 2001

(1) Tout comme l’Évangile de Thomas, qui ne mentionne aucun miracle