Le christianisme est-il incompatible avec l’écologie ?
I. Le constat
1- Nicolas Hulot
Il vient de publier dans Le Monde (1) un article sur le changement climatique : « Nous sommes passés en vingt-cinq ans de l’indifférence à l’impuissance … Une alliance entre l’écologie scientifique, humaine, et la théologie en tant que réflexion métaphysique, n’est pas inutile pour appréhender en profondeur la crise de civilisation que nous vivons. Il est fondamental que les Églises … clarifient la responsabilité de l’Homme vis-à-vis de la « Création », pour reprendre le langage des croyants. L’Homme est-il là pour dominer la nature, comme l’affirment certains textes ? Les Églises peuvent-elles rester aussi peu audibles alors que l’œuvre de la Création est en train de se déliter sous leurs yeux ? »
2- Jean-Claude Lacaze
Il vient de publier un essai (2) où il dit lui aussi que « face à la crise écologique, le silence du christianisme est étonnant. Plombé par ses dogmes… il tourne le dos aux sciences de la nature, aux réalités écologiques. Le constat est accablant : pour l’Église catholique, la cause de l’environnement paraît marginale alors qu’elle se manifeste, au contraire, comme le lieu où se posent aujourd’hui les questions de Dieu, de l’expérience spirituelle et de l’engagement éthique.»
II. Aux origines du christianisme : un divorce
D’où vient la « construction chrétienne ? … On attribue l’origine de la tyrannie exercée par l’Homme sur la nature à la fameuse phrase de la Genèse (1,28) : ‘’Remplissez la terre et soumettez-la. Dominez [le règne animal]’’… La Bible n’incite pas l’homme à maltraiter la nature. Mais… comme la nature est faite pour lui… elle engendre une vision étroite et anthropomorphique (3) de l’univers qui conduit à une coupure » entre l’Homme et la nature. (4)
Contrairement à ce que dit Nicolas Hulot, la théologie n’est pas « une réflexion métaphysique », c’est-à-dire basée sur l’usage de la raison. C’est un ensemble d’affirmations dogmatiques tirées de l’interprétation des textes sacrés. Pour la Bible, l’Homme est bien là « pour dominer la nature », et la théologie n’a fait que suivre et développer ce présupposé dogmatique. Jamais le christianisme ne s’est écarté de sa source biblique, pour laquelle l’Homme est distinct de la nature qu’il a pour mission d’asservir et de dominer. « Le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait jamais connue… Non seulement… il instaure un dualisme entre l’Homme et la nature, mais il insiste sur le fait que l’exploitation de la nature par l’Homme… résulte de la volonté de Dieu. » (5)
Lacaze parcourt rapidement l’histoire de la pensée chrétienne, jusqu’au pape Jean-Paul II qui n’a pas compris que « les activités humaines ne peuvent être fiables que si, en amont, les réalités écologiques sont rigoureusement prises en compte. » (6)
Donc, rien à attendre du christianisme officiel pour qui l’exploitation de la planète est nécessaire au bien-être et au développement de l’homme. Certes, cette exploitation doit se faire dans la justice et le partage, mais elle ne connaît pas de limites.
Le christianisme n’est pas ennemi de l’écologie : simplement il l’ignore, et en l’ignorant il condamne les efforts de ceux qui s’en soucient parce qu’ils en ont pris conscience. Suicidaire d’épuiser indéfiniment les ressources non-renouvelables de la planète ? Ce n’est pas le problème de l’Église catholique. Pour elle, il est écrit que l’humanité doit croître sans limites, que chaque humain doit avoir de quoi vivre et se reproduire. Et si ce dogme aboutit à l’extinction de l’humanité par épuisement des ressources de la planète, c’est la volonté de Dieu – puisque Dieu a dit « Croissez, multipliez-vous, dominez. »
Lacaze suit la trace des quelques théologiens chrétiens dont la pensée s’est ouverte au problème écologique, mais montre que le poids du magistère et du dogme écrasent ces timides ouvertures. Et il donne raison à Nicolas Hulot : « [Dans ses textes] l’Église catholique n’évoque pas le changement climatique. Or les choses mal nommées n’existent pas. » (6)
III. Jésus écologiste ?
1- Jésus et la nature
Lacaze cite mon article publié dans ce blog, L’écologie, Jésus et nous (Jésus à Copenhague ?). J’y montrais pourquoi Jésus n’a pas pu se préoccuper de développement durable et d’écologie : il vivait dans un monde où la question ne se posait pas encore. Mais j’écrivais :
« Jésus apparaît comme un homme en harmonie totale avec la nature qui l’entoure, dont il goûte et décrit la beauté avec un plaisir évident. Pour lui il n’y a pas de rupture entre l’écosystème, les humains qui en vivent et la dimension spirituelle du monde. Non seulement il vit en harmonie avec la nature, mais – comme tous les Juifs – il voit en elle un langage qui parle de Dieu.
« Un temple dans lequel Dieu réside, plus et mieux que dans celui de Jérusalem.
« … C’est cela que nous pouvons retenir de lui : la nature n’est pas seulement une ressource inépuisable, elle est l’une des façons dont nous percevons la présence et la réalité de Dieu.
« Et ceci, en-dehors de tout cadre proprement ‘’religieux’’.
« La nature : pas seulement une richesse à gérer avec parcimonie, de façon équitable. Mais aussi le langage universel par lequel Dieu parle aux humains. » (7)
2- Prolonger la pensée des Éveillés
Mais il faut aller plus loin que cet article, plus loin que Lacaze.
Quelques grands Éveillés ont marqué l’humanité de leur passage sur terre et de leur enseignement (8). Ils vivaient à leur époque, et ne pouvaient donc pas répondre à des questions qui se posent aujourd’hui à nous dans des termes qui leur étaient étrangers.
Mais leur enseignement, comme leur façon de vivre, sont comme des rails que nous pouvons prolonger jusqu’à nous.
C’est le cas de Jésus : si l’on prolonge son enseignement en actes et en parole, il a des choses à nous dire sur la façon dont il aurait traité des questions qu’il ne se posait pas – notamment la question écologique.
D’abord, il a contesté l’ordre établi – social, politique, économique – jusqu’à se faire tuer pour cette contestation. Contrairement aux Églises qui se réclament de lui, il n’enseigne aucun dogme nouveau. Mais il a totalement transformé le judaïsme de sa culture natale, en enseignant et en pratiquant une relation nouvelle avec autrui, avec Dieu, et avec la nature.
Avec la nature : voyez l’article L’écologie, Jésus et nous.
Avec autrui et avec Dieu : voyez mon essai Mémoires d’un Juif ordinaire.
Je vous renvoie à ces deux textes, qui décrivent la façon dont un Éveillé du passé peut parler à notre présent.
Cette ouverture totale aux autres et au monde extérieur,
ce respect absolu des uns comme de l’autre,
cette façon de les accueillir sans les exploiter,
de vivre avec eux sans les dominer,
par son choix de vie, ce choix de la décroissance,
cette opposition jusqu’à en mourir aux forces conservatrices et exploitatrices
pourraient faire de Jésus le guide et l’inspirateur du mouvement écologique.
Et conduire ce mouvement vers une spiritualité écologiste qui lui manque encore.
M.B., 5 février 2014
(1) Le Monde du 5 février 2014
(2) Le christianisme à l’ère écologique – Tu aimeras la planète comme toi-même, Paris, L’Harmattan, 2014.
(3) C’est-à-dire centrée sur l’Homme.
(4) Lacaze, op. cit. pp. 11 et 12.
(5) Lynn White, cité par Lacaze, op. cit. p. 12
(6) Art. cité dans Le Monde.
(7) L’écologie, Jésus et nous… Art. cité dans ce blog.
(8) Voyez dans ce blog les catégories L’enseignement du Bouddha Siddharta, La question Jésus, les mots-clés écologie, pouvoir, crise…