Archives pour la catégorie LA PLANÉTE EN CRISE (Et nous, alors ?)

Quelques-unes des petites impasses dans lesquelles se débat notre planète, et nous avec.

PEUT-ON ENCORE ESPÉRER ?

Depuis sa naissance, l’humanité s’est trouvée de bonnes raisons d’espérer.

1. La mort, espoir d’une vie

Le premier, Paul de Tarse a marqué le christianisme en enseignant que la vie ne vaut que par la mort, que le bonheur n’est pas ici-bas mais dans l’au-delà. La mort cessait d’être crainte pour être désirée : « Pour moi dit-il, mourir est un gain ». (1)

Il avait sans doute reçu cette philosophie d’abord de son éducation grecque. En milieu juif, elle s’était radicalisée dans les écrits esséniens qui associent la mort à un messianisme échevelé : mourir, pour les Fils de Lumière, c’est anticiper le retour du Messie et aller au paradis. J’ai montré que ces écrits étaient à l’origine de la mystique du chahid, le martyre pour Allah, inscrite en lettres de feu dans des versets du Coran qu’invoquent les islamistes. (2)

2. Heureuse souffrance Lire la suite

LES MUSULMANS DANS L’IMPASSE ? Pour une autre lecture du Coran.

En publiant Naissance du Coran au mois de mai dernier, je n’imaginais pas que ce petit livre serait à ce point rejoint par l’actualité. Ni que je vous résumerais aujourd’hui ces 140 pages qui synthétisent un siècle de recherche.

            L’islam est une religion sans autorité centrale, sans clergé hiérarchisé. Pas de pape ou de Dalaï-lama, pas de Conférence épiscopale, de Consistoire. Seulement des imams, autoproclamés ou désignés par une communauté qui peut les désavouer à tout instant.

            La seule autorité qui s’impose à tous les musulmans, pacifiques comme djihadistes, c’est le Coran et son Prophète. Il suffit de confesser le Prophète et de se soumettre au Coran pour devenir musulman.

            C’est pourquoi j’ai commencé, il y a dix ans, à étudier ce texte. Lire la suite

VOUS AVEZ DIT ‘’ ISLAMO-FASCISME’’ ?

J’entends des politiques & journalistes employer avec gourmandise un nouveau gargarisme, le mot composé « islamo-fascisme ». Ils s’en rincent les dents avec des mines effarouchées, à savoir qui fut le premier à oser l’employer…

            Aucun d’entre eux n’a lu Naissance du Coran, ni les études savantes d’où j’ai tiré ce savoureux petit essai. Comme ils n’ont pas besoin de savoir de quoi ils parlent pour parler, je répète ici (et je prends les noms de ceux qui n’écoutent pas).

            L’islam est né du Coran, et le Coran, quoiqu’en dise la légende musulmane, n’est pas né de rien.

           Tout est là. Lire la suite

Les musulmans dans l’impasse (IV) : LE MYTHE DES ORIGINES

            Parmi les réactions aux événements de janvier, plusieurs voix musulmanes, et non des moindres (le Président égyptien Al-Sissi, Dalil Boubakeur, des intellectuels) se désolidarisent des djihadistes : leur islam n’est pas le vrai islam !, clament-ils avec une unanimité assourdissante. Mais alors, où trouve-t-on le ‘’vrai islam’’ ?

            L’une des réponses à cette question est que l’islam a été perverti par la tradition (les hadîths). Il faut donc revenir aux origines de l’islam, faire retour à sa source, le Prophète et son enseignement à lui. Lire la suite

UTOPIE NAZIE, CHRÉTIENNE, ISLAMIQUE : la fin du monde

L’utopie mène l’humanité depuis ses origines, et elle la mène au chaos.

Ce qui la caractérise, c’est la volonté d’établir une société parfaite. Elle balance entre le rêve et le projet, l’imaginaire et le programme, entre u-topia (le lieu qui n’est pas) et eu-topia (le lieu du bien).

Au 6e siècle avant J.C., elle a pris en milieu juif une forme religieuse qui a marqué définitivement le destin de la planète : le messianisme (1). J’en ai retracé le parcours dans Naissance du Coran, mais nous partirons ici de son expression la plus récente, le nazisme (2). Lire la suite

ALLAH OU’AKBAR !

            Allah ou’Akbar, Dieu est grand ! D’où vient ce cri de ralliement des musulmans ?

            Il faut remonter très haut, jusqu’aux Esséniens – une secte juive dont les textes, écrits au tournant du 1er millénaire, ont été retrouvés dans les grottes de Qumrân. Lire la suite

PENSÉE UNIQUE, NOVLANGUE, FIN D’UN MONDE (II.)

Une enquête chiffrée publiée par Le Parisien (1) me permet de compléter l’article d’hier.

J’y reprenais des passages du roman 1984 de George Orwell, dans lequel il décrit la mainmise d’un Parti totalitaire sur la planète. C’est ce qui nous arrive aujourd’hui, sauf que le Parti n’a ni capitale, ni siège social, ni structures visibles.

Il a des militants : entre autres des géants de l’informatique (Microsoft, Facebook, Twitter…), des politiciens, des enseignants et leurs lobbys, des éducateurs, des médias.

Et des dizaines de millions d’adeptes répandus sur tous les continents : blancs ou colorés, éduqués ou non, riches ou pauvres… Ces adeptes n’ont en commun que deux points :

– ils ont moins de 30 ans, ou à peu près,

– et parlent la même langue (la novlangue). Pour l’instant ils sont encore bilingues, peuvent comprendre leur langue natale mais la parlent de moins en moins bien. On en voit qui ne connaissent plus que la novlangue, et ont l’air tout surpris si on leur parle « comme dans les livres » – qu’ils ne lisent pas, puisqu’ils sont écrits dans une langue qu’ils ne comprennent plus.

« Lire une conversation entre deux ados sur un réseau social, c’est un peu comme regarder une chaîne cryptée sans décodeur… un épais brouillard d’incompréhension vous empêche de bien capter… Ce n’est pas seulement le langage des ados, mais aussi celui des enfants de 9 à 12 ans que les plus grands ne parviennent plus à déchiffrer. » (1)

La novlangue est la nouvelle patrie des adeptes, c’est là qu’ils habitent et ils se sentent à l’étranger dès qu’ils en sortent. Cette patrie – leur habitat réel – est virtuelle : 91 % des 6-8 ans et 99% des 9-12 ans sont des accros du Web, ordinateur ou téléphone portable. Il arrive que des groupes de jeunes se trouvent réunis dans un même lieu, sans se regarder ni se parler : les yeux rivés sur l’écran, ils communiquent avec leur voisin qui se trouve à quelques mètres d’eux.

De la novlangue, 72 % des parents disent qu’ils comprennent moins de la moitié des mots. C’est un savant mélange d’abréviations, de smileys et d’expressions forgées par les adeptes.

Par exemple, 9% seulement des parents savent que « chiler » signifie « prendre du bon temps, que « gb » veut dire « gros Bill », terme péjoratif pour désigner quelqu’un de trop arrogant. Que « tfk » sert à demander « tu fais quoi ? », que « mdr » c’est « mort de rire ».

La langue traditionnelle d’origine est souvent l’anglais.Ainsi « yolo » veut dire « profites-en », mais il faut savoir que cela vient de you only live once, « on ne vit qu’une fois ». Quand à « bitcher », qui signifie « dire du mal de… », il vient de l’injure anglo-américaine son of a bitch, « fils de p… »

Et pourtant, très peu d’adeptes comprennent l’anglais…

Le Parisien donne un exemple de conversation novlangue :

« Wsh koi 2 9 ? – Ma besta ma traité de fdp – Épic ! Ma mer ma clashé osi + de sortie ! – Omg ! – Mdr ! Je vi1 qd mm 2m1. »

Traduit en français : « Bonjour. Quoi de neuf ? – ma meilleure amie m’a traité de fils de p… – Incroyable ! J’ai aussi eu une dispute avec ma mère. Je suis privée de sortie ! – Oh my god ! – Mort de rire ! Je viens quand même demain. »

Ceci, c’est la novlangue basique qu’on apprend vite, parce qu’elle est issue d’une langue traditionnelle connue.

Mais le domaine de prédilection de la novlangue, c’est la technique (2). Piqué au hasard du ouèb : « J’voulais customiser ma page, j’l’ai pimpée avec un plugin, mais faut qu’je change de portfolio. Y s’ra disponible en podcast, etc. » Tous les utilisateurs d’Internet (blogs, sites) ont dû d’abord consulter un dictionnaire pour comprendre ce langage.

Quelques conclusions (3) :

1) La novlangue n’est pas un langage à double sens. Au contraire, elle conduit l’esprit dans un sens unique. Rien de plus précis, de plus encadré, de moins équivoque.

2) Elle ne peut exprimer qu’une seule vérité à la fois : celle de la Pensée Unique.

3) Hors de la Pensée Unique, il n’y a pas de vérité exprimable.

4) Pour un adepte, ce sont les langues traditionnelles  qui l’induisent en erreur, puisqu’elles peuvent exprimer des sentiments ou une pensée à la fois complexe, nuancée et élaborée.

5) La novlangue n’est créée par personne en particulier, et c’est ce qui fait sa force. Ce sont les adeptes qui la créent, en inventant des termes ou des expressions qui deviennent à la mode. L’adepte est totalement soumis au diktat de la mode verbale, il ne peut plus penser autrement.

Je salue ceux qui sont restés comme moi échoués sur l’îlot isolé, abandonné, des langues natales traditionnelles dans lesquelles s’est exprimée une culture que j’ai aimée.

Avant de disparaître, des touropérators organiseront des visites pour savoir « comment c’était… avant ».

P.S. : Vous trouverez des liens avec le même thème dans le premier article, Pensée unique, novlangue, fin d’un monde (G. Orwell)

                                                   M.B., 11 février 2014

(1) Parlez-vous le Web des jeunes ?, dans Le Parisien du 11 février, p. 14. Résultats d’une enquête réalisée par l’Institut des mamans le 26 décembre 2013.

(2) Relisez l’article d’hier.

(3) extraites des commentaires au premier article.

PENSÉE UNIQUE, NOVLANGUE ET FIN D’UN MONDE : G. Orwell (I.)

Peut-on encore communiquer ?

Chaque jour désormais, plusieurs milliards d’individus sont interconnectés en permanence par Internet. Ầ quoi mène cette hyper-communication ?

Ầ la création d’un nouveau langage qui remplacera bientôt nos langues traditionnelles, celles que nous ont légué vingt siècles de civilisation.

Une langue nouvelle, une novlangue.

Son inventeur, George Orwell, décrit la novlangue comme le moyen utilisé par un système totalitaire pour atteindre son objectif, la soumission totale et consentie d’une vaste population aux non-valeurs d’un Parti unique, à la fois partout présent et insaisissable. 1984 met en scène la fin d’un monde et le début d’un autre, celui qui impose lentement mais sûrement sa Pensée Unique par l’usage d’une langue universelle.

Voici quelques extraits de ce roman prophétique (1) qui fait froid dans le dos.

« Bientôt la novlangue sera adoptée par tous : dans la mesure où la pensée dépend des mots qui l’expriment, toute idée contraire à la Pensée Unique sera littéralement impensable.

« Le but de la novlangue est de fournir un moyen d’expression aux habitudes mentales des membres du Parti invisible, mais surtout de rendre impossible toute autre forme de pensée que la leur.»

La création de la novlangue commence par un appauvrissement à la fois méthodique et radical du vocabulaire :

« Le vocabulaire de la novlangue exclut toute autre idée que la Pensée Unique, et même la possibilité de chercher à la formuler. L’appauvrissement du vocabulaire est une fin en soi, aucun mot ne doit subsister dont on pourrait se passer. La novlangue n’est pas destinée à étendre le domaine de la pensée, mais au contraire à le restreindre. Pour atteindre ce but, la quantité de mots offerts à la nouvelle communication sera réduite au plus strict minimum.

« La novlangue tire son origine de la langue que nous parlions autrefois. Pourtant, beaucoup de phrases novlangues sont à peine compréhensibles pour ceux qui ne la connaissent pas et ne la pratiquent pas. Son vocabulaire est composé de mots que nous croyions connaître, mais leur sens est limité de façon à la fois imprécise et rigide, parce qu’on les a débarrassés de toutes les nuances qui permettaient autrefois l’expression d’une pensée riche et fine. Un mot novlangue n’est qu’un son exprimant un seul concept, destiné à formuler une seule pensée, simple, objective, se rapportant à des objets concrets ou à des actes matériels.

« Ce vocabulaire est inutilisable dans une discussion sur des sujets politiques, philosophiques, religieux ou littéraires.

« La novlangue est née du besoin d’un parler rapide et facile.

«  Rapide : la novlangue est une sténographie verbale qui entasse en quelques syllabes un ensemble d’idées successives. Elle  atteint son objectif avec plus de justesse et de force que les langues héritées du passé.

«  Facile : s’il est difficile à articuler, un mot sera modifié pour couler avec plus de fluidité. La grammaire est toujours sacrifiée à l’euphonie, puisque ce qu’on veut obtenir ce sont des mots courts, faciles à prononcer et qui éveillent le minimum d’échos dans l’esprit de celui qui parle.

« Leur emploi entraîne une élocution volubile, martelée et monotone : le discours doit devenir indépendant de la conscience. Chaque Nouveau Citoyen doit pouvoir émettre un jugement aussi automatiquement qu’une mitraillette : la texture des mots, avec leur son rauque et leur laideur, contribue à l’automatisme de la pensée. Le but de la novlangue n’est pas d’exprimer des idées, mais d’en détruire.

« Chaque mot rendra le sens d’une série d’autres mots, dont il supprime l’existence puisqu’ils sont devenus inutiles.

« Comparé au vocabulaire des langues traditionnelles, celui de la novlangue, extrêmement réduit, doit s’appauvrir d’année en année. Chaque diminution du nombre de mots employés est un gain pour la Pensée Unique. Puisque moins le choix des mots disponibles est étendu, moins on est tenté de réfléchir.

« Notre but, c’est de faire sortir du larynx un langage articulé qui ne mette jamais en jeu les centres plus élevés du cerveau.

« La novlangue est truffée de mots scientifiques et techniques, définis avec précision mais qui ne peuvent être compris que par les spécialistes de cette science ou de cette technique. Chaque science et chaque technique prise une à une sera séparée des autres, cloisonnée dans les esprits par son vocabulaire propre, en sorte qu’aucune pensée globale ne soit jamais possible.

« En novlangue, une pensée autre que la Pensée Unique est impossible : il faudrait lui opposer une argumentation raisonnée, ce qui est exclu puisque les mots nécessaires à l’exprimer manquent.

« Le souvenir des anciennes langues aura disparu avant deux générations. Une personne dont l’éducation a été faite en novlangue n’aura plus accès à l’ancienne littérature, qu’elle ne comprendra pas puisqu’on n’aura pas la possibilité de la lui traduire en novlangue. Seule la littérature technique, ou qui décrit des actions très simples de tous les jours, pourra être traduite en novlangue et comprise par les élèves. Pour eux, la civilisation véhiculée par les littératures traditionnelles sera perdue à tout jamais.

«  Pour ces jeunes éduqués en novlangue, la littérature du passé n’existe plus. Donc le passé n’existe plus, l’Histoire commence avec eux. »

« Celui qui contrôle le présent, contrôle le passé.

                        Celui qui contrôle le passé, contrôle l’avenir. »

Je laisse à mes lecteurs le soin de faire le lien avec ce qu’ils voient tous les jours. Les réseaux sociaux – le plus efficace, Twitter, oblige à exprimer sa ‘’pensée’’ en 140 signes. Les SMS, qui s’écrivent de plus en plus en novlangue. Le Rap, ou tout simplement certaines conversations entre moins de 30 ans entendues dans le métro.

Adolescent, j’ai eu la chance d’être obligé de lire Montaigne, Victor Hugo et Baudelaire. Jamais je ne remercierai assez les maîtres qui m’y ont contraint, tandis que j’étais plus intéressé alors par le vol des mouches contre les vitres du collège, puis du lycée.

L’école de cette époque a fait de moi un individu libre, capable d’une pensée autonome, membre d’une communauté de mœurs et d’idées qu’elle appelait la France.

Je crains fort que cette époque ne soit révolue.

Et tremble à l’idée que déjà, il semble que les novlandais soient parvenus au pouvoir.

                                               M.B., 9 février 2014
à suivre : cliquez

(1) Tirés de l’Appendice à 1984 de George Orwell, Gallimard Folio n° 822, 1950. Je corrige et résume par endroits la traduction de l’original anglais.

Quelques articles autour de ce thème : Rire, pour ne pas pleurer ; Qu’est-ce que la Vérité ? ; L’histoire, un enjeu politique ; Les chrétiens, les musulmans et l’Histoire ; et la catégorie « Crise de l’Occident »

« TU DOMINERAS LE MONDE » : le christianisme adversaire de l’écologie ? (N. Hulot)

Le christianisme est-il incompatible avec l’écologie ?

I. Le constat

1- Nicolas Hulot

Il vient de publier dans Le Monde (1)  un article sur le changement climatique : « Nous sommes passés en vingt-cinq ans de l’indifférence à l’impuissance … Une alliance entre l’écologie scientifique, humaine, et la théologie en tant que réflexion métaphysique, n’est pas inutile pour appréhender en profondeur la crise de civilisation que nous vivons. Il est fondamental que les Églises … clarifient la responsabilité de l’Homme vis-à-vis de la « Création », pour reprendre le langage des croyants. L’Homme est-il là pour dominer la nature, comme l’affirment certains textes ? Les Églises peuvent-elles rester aussi peu audibles alors que l’œuvre de la Création est en train de se déliter sous leurs yeux ? »

2- Jean-Claude Lacaze

Il vient de publier un essai (2) où il dit lui aussi que « face à la crise écologique, le silence du christianisme est étonnant. Plombé par ses dogmes… il tourne le dos aux sciences de la nature, aux réalités écologiques. Le constat est accablant : pour l’Église catholique, la cause de l’environnement paraît marginale alors qu’elle se manifeste, au contraire, comme le lieu où se posent aujourd’hui les questions de Dieu, de l’expérience spirituelle et de l’engagement éthique.»

II. Aux origines du christianisme : un divorce

D’où vient la « construction chrétienne ? … On attribue l’origine de la tyrannie exercée par l’Homme sur la nature à la fameuse phrase de la Genèse (1,28) : ‘’Remplissez la terre et soumettez-la. Dominez [le règne animal]’’… La Bible n’incite pas l’homme à maltraiter la nature. Mais… comme la nature est faite pour lui… elle engendre une vision étroite et anthropomorphique (3) de l’univers qui conduit à une coupure » entre l’Homme et la nature. (4)

Contrairement à ce que dit Nicolas Hulot, la théologie n’est pas « une réflexion métaphysique », c’est-à-dire basée sur l’usage de la raison. C’est un ensemble d’affirmations dogmatiques tirées de l’interprétation des textes sacrés. Pour la Bible, l’Homme est bien là « pour dominer la nature », et la théologie n’a fait que suivre et développer ce présupposé dogmatique. Jamais le christianisme ne s’est écarté de sa source biblique, pour laquelle l’Homme est distinct de la nature qu’il a pour mission d’asservir et de dominer. « Le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait jamais connue… Non seulement… il instaure un dualisme entre l’Homme et la nature, mais il insiste sur le fait que l’exploitation de la nature par l’Homme… résulte de la volonté de Dieu. » (5)

Lacaze parcourt rapidement l’histoire de la pensée chrétienne, jusqu’au pape Jean-Paul II qui n’a pas compris que « les activités humaines ne peuvent être fiables que si, en amont, les réalités écologiques sont rigoureusement prises en compte. » (6)

Donc, rien à attendre du christianisme officiel pour qui l’exploitation de la planète est nécessaire au bien-être et  au développement de l’homme. Certes, cette exploitation doit se faire dans la justice et le partage, mais elle ne connaît pas de limites.

Le christianisme n’est pas ennemi de l’écologie : simplement il l’ignore, et en l’ignorant il condamne les efforts de ceux qui s’en soucient parce qu’ils en ont pris conscience. Suicidaire d’épuiser indéfiniment les ressources non-renouvelables de la planète ? Ce n’est pas le problème de l’Église catholique. Pour elle, il est écrit que l’humanité doit croître sans limites, que chaque humain doit avoir de quoi vivre et se reproduire. Et si ce dogme aboutit à l’extinction de l’humanité par épuisement des ressources de la planète, c’est la volonté de Dieu – puisque Dieu a dit « Croissez, multipliez-vous, dominez. »

Lacaze suit la trace des quelques théologiens chrétiens dont la pensée s’est ouverte au problème écologique, mais montre que le poids du magistère et du dogme écrasent ces timides ouvertures. Et il donne raison à Nicolas Hulot : « [Dans ses textes] l’Église catholique n’évoque pas le changement climatique. Or les choses mal nommées n’existent pas. » (6)

III. Jésus écologiste ?

1- Jésus et la nature

Lacaze cite mon article publié dans ce blog, L’écologie, Jésus et nous (Jésus à Copenhague ?). J’y montrais pourquoi Jésus n’a pas pu se préoccuper de développement durable et d’écologie : il vivait dans un monde où la question ne se posait pas encore. Mais j’écrivais :

« Jésus apparaît comme un homme en harmonie totale avec la nature qui l’entoure, dont il goûte et décrit la beauté avec un plaisir évident. Pour lui il n’y a pas de rupture entre l’écosystème, les humains qui en vivent et la dimension spirituelle du monde. Non seulement il vit en harmonie avec la nature, mais – comme tous les Juifs – il voit en elle un langage qui parle de Dieu.

« Un temple dans lequel Dieu réside, plus et mieux que dans celui de Jérusalem.

« … C’est cela que nous pouvons retenir de lui : la nature n’est pas seulement une ressource inépuisable, elle est l’une des façons dont nous percevons la présence et la réalité de Dieu.

« Et ceci, en-dehors de tout cadre proprement ‘’religieux’’.

« La nature : pas seulement une richesse à gérer avec parcimonie, de façon équitable. Mais aussi le langage universel par lequel Dieu parle aux humains. » (7)

2- Prolonger la pensée des Éveillés

Mais il faut aller plus loin que cet article, plus loin que Lacaze.

Quelques grands Éveillés ont marqué l’humanité de leur passage sur terre et de leur enseignement (8). Ils vivaient à leur époque, et ne pouvaient donc pas répondre à des questions qui se posent aujourd’hui à nous dans des termes qui leur étaient étrangers.

Mais leur enseignement, comme leur façon de vivre, sont comme des rails que nous pouvons prolonger jusqu’à nous.

C’est le cas de Jésus : si l’on prolonge son enseignement en actes et en parole, il a des choses à nous dire sur la façon dont il aurait traité des questions qu’il ne se posait pas – notamment la question écologique.

D’abord, il a contesté l’ordre établi – social, politique, économique – jusqu’à se faire tuer pour cette contestation. Contrairement aux Églises qui se réclament de lui, il n’enseigne aucun dogme nouveau. Mais il a totalement transformé le judaïsme de sa culture natale, en enseignant et en pratiquant une relation nouvelle avec autrui, avec Dieu, et avec la nature.

Avec la nature : voyez l’article L’écologie, Jésus et nous.

Avec autrui et avec Dieu : voyez mon essai Mémoires d’un Juif ordinaire.

Je vous renvoie à ces deux textes, qui décrivent la façon dont un Éveillé du passé peut parler à notre présent.

Cette ouverture totale aux autres et au monde extérieur,

ce respect absolu des uns comme de l’autre,

cette façon de les accueillir sans les exploiter,

de vivre avec eux sans les dominer,

par son choix de vie, ce choix de la décroissance,

cette opposition jusqu’à en mourir aux forces conservatrices et exploitatrices

pourraient faire de Jésus le guide et l’inspirateur du mouvement écologique.

Et conduire ce mouvement vers une spiritualité écologiste qui lui manque encore.

                                   M.B., 5 février 2014

(1) Le Monde du 5 février 2014

(2) Le christianisme à l’ère écologique – Tu aimeras la planète comme toi-même, Paris, L’Harmattan, 2014.

(3) C’est-à-dire centrée sur l’Homme.

(4) Lacaze, op. cit. pp. 11 et 12.

(5) Lynn White, cité par Lacaze, op. cit. p. 12

(6) Art. cité dans Le Monde.

(7) L’écologie, Jésus et nous… Art. cité dans ce blog.

(8) Voyez dans ce blog les catégories L’enseignement du Bouddha Siddharta, La question Jésus, les mots-clés écologie, pouvoir, crise

ISRAEL : COMBIEN DE TEMPS ENCORE ?

          Problème palestinien ?

          Problème juif ?

           Prendre du recul.

          Relire des extraits de la plus ancienne presse du monde – la Bible.

           Vers l’an 1200 avant J.C., on peut lire dans le Livre de Josué : « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais Josué est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivis jusqu’au Liban » (1) .

                   Après cette première version d’une Guerre des Six Jours qui permit l’implantation en Palestine des envahisseurs israéliens, la Bible décrit le début d’un premier génocide palestinien : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant. » (2)

                   S’ensuivit une main-basse systématique sur la Palestine : « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, de la vallée du Liban au Mont Hermon, du Négueb au Bas-Pays. Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. Quand il n’est plus resté aucun Palestinien, Josué a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives. » (3)

           Après quoi le général Josué fit une déclaration officielle : « Prenez possession de leurs terres : des terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des villes bâties par d’autres dans lesquelles vous allez vous installer, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées – et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (4)

           Puis ce fut la création des premiers camps palestiniens : « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants. » (5)

           Déjà, c’était « eux ou nous » – impossible coexistence : « Nous devons savoir, déclare un responsable juif de l’époque, que les populations autochtones que nous n’avons pas réussi à chasser vont constituer pour nous une menace permanente, une épine dans notre flanc et un chardon dans nos yeux. Et ceci, jusqu’à ce qu’ils nous aient rayés du sol ! » (6)

           Premières protestations de l’autorité palestinienne, vers 1100 avant J.C. : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays. Rendez-nous ces terres, maintenant ! » (7)

           Début des colonisations illégales et sauvages : On ne compte plus les exemples où, après affrontements avec les Palestiniens, « des juifs reviennent dans les terres spoliées, rebâtissent les villages et s’y établissent. » (8)

           Et l’inexorable engrenage de la violence : « Samson déclara : nous ne serons quitte envers les Palestiniens qu’en leur faisant du mal ! » (9)

           La première Intifada, la guerre des pierres ? Elle fut juive : L’adolescent « David choisit dans un torrent cinq pierres bien lisses. La fronde à la main, il courut vers le palestinien Goliath, et tira une pierre qui l’atteignit au front. Elle s’enfonça dans son crâne, et il tomba face contre terre. » (10)

           Le premier terroriste kamikaze ? Un juif, arrêté après avoir incendié les récoltes des palestiniens : « Tous les responsables palestiniens se trouvaient dans un édifice, avec une foule de 3000 civils. Samson cria : « Dieu, donne-moi la force de me venger des palestiniens d’un seul coup ! » Il s’arc-bouta contre les colonnes en hurlant « Que je meure avec les palestiniens ! », puis il poussa de toutes ses forces. L’édifice s’écroula sur lui et sur la foule : les morts furent très nombreux. » (11)

          En parcourant le Livre de Josué et des Juges qui relatent la chronique des XI° et X° siècles avant J.C., on croirait entendre les informations de la semaine dernière.

          Rien n’a changé.

          En 3000 ans, rien n’a été appris.

           Cette situation sans issue, et qui perdure identique depuis trente siècles, semble provenir d’une dramatique confusion. Peut-on la résumer d’un mot ?

           Est juif celui qui est habité par la Loi, est juif celui qui habite la Loi.

           Sitôt créé par David, le premier État juif s’est effondré dans les querelles domestiques, puis par la déportation. Et c’est dans la diaspora où ils ont passé le plus clair de leur histoire, que les juifs ont pris conscience de leur identité, qui n’est pas territoriale mais spirituelle.

           Pour avoir confondu patrie spirituelle et patrie terrestre, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes à la haine, au sang, à la guerre, à la souffrance sans fin ?

           Comme me le faisait remarquer un journaliste de L’Express, « les réalités actuelles sont moins simples » que cette mise en perspective du passé et du présent.

                   Il faudra donc revenir, ici, sur cette question : qu’est-ce qu’être juif ?

                         M.B., Fév. 2011

(1) La Bible, Livre de Josué, chap. 9 et 11.

(2) Livre de Josué, chap. 10

(3) Livre de Josué, chap. 11. J’appelle « Palestiniens » les premiers habitants du pays, qui ne prendront ce nom (les phalestim) qu’à l’arrivée des Philistins, quelques années plus tard.

(4) Livre de Josué, chap. 24

(5) Livre de Josué, chap. 6. J’appelle « camps » les villages dans lesquels les Palestiniens de l’époque furent contraints de se retrancher.

(6) Livre de Josué, chap. 23

(7) Livre des Juges, chap. 11

(8) Entre autres : Livre des Juges, chap. 21

(9) Livre des Juges, chap. 15

(10) I° Livre de Samuel, chap. 17 (vers 1040 avant J.C.)

(11) Livre des Juges, chap. 16