Archives mensuelles : janvier 2014

L’URGENCE

          Le monde est en feu, ô moines !, s’exclamait un jour le Bouddha Siddhartha. Cinq siècles après lui, et dans un tout autre contexte, le Bouddha Jésus soupire : Je suis venu allumer un feu sur la terre, et comme je suis impatient de le voir prendre !
L’impatience dont font preuve les Éveillés est une constante : ils ont vu, ou ils voient. Ils souffrent des pesanteurs de ceux qui ne « voient » pas, qui ne veulent pas « voir ». Parfois, ils se taisent : le plus souvent, ils meurent d’impatience.

          Notre situation est particulière.
Nous avons créé un tintamarre médiatique qui accentue notre surdité. Depuis les faux-plafonds dorés, sur les tapis rouges, des paillettes tombent en pluie sur les pipol et ensevelissent les prophètes. Comme un taureau dans l’arène, nous sommes étourdis par les muletas des faiseurs de spectacle. Et nous ne savons plus où donner de la tête.

          Quelques uns prennent la peine de s’asseoir. Nul ne sait si ce sont des Éveillés, mais ils vivent à contre-courant. Au milieu d’informations qui n’ont jamais aussi été aussi abondantes, d’idéologies aussi réaffirmées, ils tentent de faire le tri. D’apercevoir quelques grands axes directeurs. Ils creusent, patiemment, l’une ou l’autre question centrale. Ce sont des économistes, des défenseurs de l’environnement, des chercheurs en sociologie, en politique, en biologie, en physique, en histoire, en exégèse.
Le plus souvent et sans le savoir, ils se rejoignent dans le souci de la beauté et de la dignité de l’humain.
Lorsqu’ils font entendre leur voix, c’est au milieu de l’immense vacarme des nouvelles vraies ou fausses, des dogmes anciens ou nouveaux, et des crispations qu’ils suscitent.

Car tout va très vite, de plus en plus vite. Un monde a disparu sous nos yeux. Nous n’avons plus le temps des nuances, de la réflexion apaisée : il faut crier pour se faire entendre. Nous sommes soumis à des chocs permanents : pour être écouté, il faut choquer.
Nous vivons dans l’urgence des temps en train de s’accomplir.

Quelques grands Éveillés du passé ont vécu en des périodes semblables aux nôtres : un monde était en train de mourir sous leurs yeux. Siddhartha, Jésus, Gandhi ou Martin Luther King, ils ont choqué : devant l’urgence qu’ils percevaient, le temps des précautions verbales leur a semblé révolu.
Le monde est en feu ! Malheur à vous, pharisiens ! Quit India now ! I have a dream ! : ils n’ont pas pris de gants.

Qu’ils soient grands ou petits, on reproche aux bousculeurs de l’ordre établi leur véhémence, ce côté un peu abrupt, leur manque de « rondeur », leurs impatiences.

J’envie Socrate, dont la légende dit qu’il a longtemps partagé sa méditation tranquille à l’ombre d’un pin parasol, entouré de quelques auditeurs avertis dont les questions mesurées l’aidaient à formuler sa pensée, tout en l’enrichissant au rythme paisible des jours.
Par la profondeur irénique de sa recherche, il voulait échapper à l’urgence : il a quand même dû se suicider.

                                      M.B., 16 mars 2008

LE MONDE DE SAINT-JOHN PERSE

Diplomate, rebelle et rêveur d’infinis, qui était cet homme énigmatique ?

             Un petit îlot de trois hectares appartenant à sa famille, en rade de Pointe-à-Pitre. Une vaste demeure coloniale remplie d’ombres, recouverte de plantes grimpantes. Quantité de serviteurs noirs, un chien, des chevaux, des animaux rares importés de Guyane. Devant, derrière, partout alentour, la mer nourricière. Des oiseaux habillant de couleurs chatoyantes les navires échoués : toute une féérie d’enfance que le petit Alexis Saint-Léger Léger (c’est son nom), né ici en 1887 d’une lignée coloniale, ne cessera de poursuivre durant de son existence.

Formé très tôt à l’équitation, à la vie sur mer, à la botanique, à la géologie et à l’ornithologie, à douze ans l’enfant rentre en France. Étudiant en droit à Pau, il fait la connaissance de Francis Jammes et, chez ce dernier, de Paul Claudel puis de Jacques Rivière. En 1910, la NRF à peine fondée par André Gide publie un petit volume de poèmes au tirage insignifiant, intitulé Éloges. Voici les toutes premières lignes de cette toute première œuvre d’un poète de vingt ans :

J’ai une peau de tabac rouge ou de mulet,

j’ai un chapeau en moelle de sureau couvert de toile blanche.

Mon orgueil est que ma fille soit très-belle quand elle commande aux femmes noires,

ma joie, qu’elle n’ait point honte de ma joue rude sous le poil, quand je rentre boueux.

Et d’abord je lui donne mon fouet, ma gourde et mon chapeau.

En souriant elle m’acquitte de ma face ruisselante ; et porte à son visage mes mains   

              grasses d’avoir éprouvé l’amande de kako, la graine de café.

Et puis elle m’apporte un mouchoir de tête bruissant, et de l’eau pure

            pour rincer mes dents de silencieux.

Qu’elle se tienne toujours

à mon retour sur la plus haute marche de la maison blanche

et faisant grâce à mon cheval de l’étreinte des genoux,

j’oublierai la fièvre qui tire toute la peau du visage en dedans.

             Cette enfance tropicale, il trouve pour l’invoquer des images flamboyantes :

                     Palmes !

Alors on te baignait dans l’eau-de-feuilles-vertes ; et l’eau encore était du soleil vert ; et les servantes de ta mère, grandes filles luisantes, remuaient leurs jambes chaudes près de toi qui tremblais…

(Je parle d’une haute condition, alors, entre les robes, au règne de tournantes clartés)

                        Palmes !

Et la douceur d’une vieillesse des racines… ! La terre

alors souhaita d’être plus sourde, et le ciel plus profond, où des arbres trop grands, las d’un obscur dessein, nouaient un pacte inextricable…

Et les hautes racines courbes célébraient

l’en allée des voies prodigieuses, l’invention des voûtes et des nefs.

Alors, de se nourrir comme nous de racines, de grandes bêtes taciturnes s’ennoblissaient                et plus longues sur plus d’ombre se levaient les paupières.

Vous l’avez compris : en ces débuts, le jeune homme est encore sous le charme de ses aînés, Rimbaud et Verlaine.  Mais il a entendu le conseil de ce dernier :

De la musique avant toute chose !

                        Prends l’éloquence et tords-lui le cou.

                        O qui dira les torts de la Rime 

                        Qui sonne creux et faux sous la lime ?

                        Que ton vers soit la chose envolée

                        Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée.

                        De la musique encore et toujours !

                        Qui va fleurant la menthe et le thym…

                        Et tout le reste n’est que littérature.

           Fuyant donc le vers et la rime, il écrira une prose poétique qui « va fleurant » les tropiques, où l’éloquence cède le pas au souffle de l’épopée. Ne cherchez jamais le sens du poème dans l’énoncé : le sens est dans la musique des images, ou plutôt les cascades d’images qui se suivent en rafales comme autant de feux d’artifice colorés :

            Mes yeux tâchaient à peindre  un monde balancé entre les eaux brillantes, connaissaient  le mât lisse des fûts, la hune sous les feuilles, et les guis et les vergues, les haubans de lianes,

            où, trop longues, les fleurs

            s’achevaient en des cris de perruches.

            Éloges : car toujours, il s’agira pour lui de glorifier l’homme, sa destinée, la nature multiforme dont il surgit. Il échappe ainsi à l’influence de Nietzche et des surréalistes qui triomphaient alors, tandis qu’il va se lier d’amitié avec Paul Valéry, André Gide, Valéry Larbaud et bien sûr Claudel, dont l’influence sur sa forme poétique sera déterminante.

Pendant un tiers de siècle, ceux-là seront ses seuls lecteurs.

Car la poésie n’est pas encore, et de loin, sa seule vocation. Elle reste enfouie dans le secret, l’estime que lui portent ses amis de qualité lui suffit. L’aristocratie de l’âme sera toujours sa marque. Elle le conduira à la solitude intérieure la plus complète, finissant par l’opposer à tous pour se trouver lui-même.

Ầ la veille de la guerre, il est reçu au concours des Affaires Étrangères, et envoyé à Pékin en 1916. Il y restera cinq ans, s’initiant à la diplomatie sur les traces encore chaudes de Claudel. Mais surtout, il y rencontre un monde aux antipodes de la luxuriance heureuse de son île natale : le désert de Gobi, qu’il parcourt et qui va le transformer. Là, il découvre la réflexion méditative ; l’exigence de l’intériorité ; au contact des guerriers mongols, le souffle de l’épopée ; entre ciel et sable, le vent ; enfin, l’amer de ce qui est déjà une solitude d’exil.

Toute son œuvre à venir naîtra de cette semence, qui va s’épanouir dans une transformation radicale du langage, du rythme et de la pensée. En témoignent les titres de ses grands poèmes narratifs, Exil, Vents, Neiges, Amers. Et le tout premier, Anabase, dans lequel l’épopée fait irruption pour la première fois. Sur le modèle de Xénophon auquel il emprunte ce titre, c’est l’histoire imaginaire d’une expédition lointaine dans quelque continent indéterminé, de victoires coûteuses suivies d’un retour par mer.

Encore incertain de lui-même, il accède à un territoire inconnu, un monde intérieur non-élucidé, « un grand pays plus chaste que la mort ».

            Aux pays fréquentés sont les plus grands silences, aux pays fréquentés de criquets à midi.

            Je marche, vous marchez dans un pays de hautes pentes à mélisses, où l’on met à sécher la lessive des Grands.

            Or je hantais la ville de vos songes et j’arrêtais sur les marchés déserts ce pur commerce de mon âme, invisible et fréquente ainsi qu’un feu d’épines en plein vent.

                 Inutile dans son œuvre de chercher des clés : aiguillonné par les forces de la nature, poussé en quelque sorte par les nécessités telluriques, il se réfugie dans une volonté de survie à la fois physique, mentale et irraisonnée. Anabase rompt définitivement avec la tradition poétique française, avec les symbolistes de son temps, avec Valéry et Claudel. Pionnier d’un nouveau langage évocateur et ésotérique, il s’engage sur un chemin qu’il sera désormais le seul à arpenter.

Seul, et incompris.

            Anabase paraît en 1924, mais pendant dix-huit ans l’auteur va interdire toute diffusion de ses œuvres. Ce n’est qu’à partir de 1947 qu’il autorisera l’édition de poèmes longuement médités, Exil, Vents, Neiges, Amers, Pluies et Oiseaux. Pour comprendre chacun de ces titres, en même temps que le long silence éditorial qu’il s’est imposé, il faut revenir sur le parcours de sa vie.

Rentré de Chine en 1921, il intègre le personnel du Quai d’Orsay où Aristide Briand le choisit en 1926 comme son directeur de cabinet. Ầ deux reprises, en 1930 et 31, il l’accompagnera à Berlin déjà sous la menace nazie, et restera son proche collaborateur pendant sept ans. Anabase avait assuré sa réputation partout ailleurs qu’en France, où les échos avaient été rares et timorés. Est-ce le premier signe de la rage d’un éternel incompris ? Diplomate, il adopte le nom d’Alexis Léger. Mais poète, il se dissimulera sous un pseudonyme saugrenu, Saint-John Perse. Ầ l’époque de Dada et des surréalistes, un poète sérieux et grave camoufle sa paternité en jouant, lui aussi, au farceur.

En tout cas, à choisir entre les destinées du monde et l’œuvre qu’il porte en lui, sa décision est prise : un haut fonctionnaire ne peut pas avoir deux vies publiques. Désormais, la politique au plus haut niveau accapare Alexis Léger.

Diplomate livré à l’actualité mais poète masqué, il s’installe pour toujours dans une double vie.

Ses missions seront nombreuses, il devient un personnage important de la III° République. Ầ la Société Des Nations, c’est lui qui négocie le pacte franco-soviétique, élabore un Traité de renonciation générale à la guerre. En 1930 il travaille à « La nécessité d’organiser l’union européenne », titre d’un rapport qu’Aristide Briand présente à la SDN sous forme d’un Mémorandum sur l’organisation d’une union fédérale européenne. Travail prémonitoire, toujours d’actualité, qui montre ce que Léger avait compris avant Jean Monnet, qui s’en inspirera pour fonder l’Europe en 1950.

Devenu Secrétaire Général du Quai d’Orsay, en 1938 il joue un rôle déterminant dans les accords de Munich, où Hitler lui aurait dit « je sais que vous faites de belles poésies. » Deux photos le montrent aux côtés des dictateurs, puis de Goering et  Ribbentrop : ceux qui l’accuseront de sympathies nazies auraient dû scruter, sur ces images, le visage torturé du diplomate français, le regard dramatique qu’il jette sur Hitler et Mussolini. Ầ la défaite de 1939, il rejette la paix de l’armistice et se voit révoqué par Paul Reynaud pour bellicisme. Alors il fuit, se réfugie aux États-Unis, pour apprendre qu’il a été déchu par le gouvernement de Vichy de sa nationalité française, ses biens confisqués, ses manuscrits détruits.

A-t-il été limogé à cause de Munich comme défaitiste, ou pour son refus de la défaite – ou pour l’un et l’autre ? Est-il pacifiste, ou belliciste ? Sympathisant allemand ? Mais alors, pourquoi Pétain le condamne-t-il en même temps que De Gaulle, et comme lui ?

          Qui donc était Alexis Léger ? Européen, ou nationaliste ? Pro-allemand, mais refusant de capituler devant Hitler ? Opportuniste, ou clairvoyant ? Lâche et fuyard, ou courageux et résistant ?

Toujours, brouiller les pistes sera sa marque de fabrique. C’est qu’il veut n’être rien d’autre qu’un serviteur de l’État légitime, obstinément, viscéralement attaché aux formes de la légitimité. Plus tard, il dira : « Pendant la guerre, je n’avais pas à choisir entre un traître, et un usurpateur. »

Des millions de français, pris comme lui dans la tourmente, ont connu ce  même déchirement entre légitimité et aventure. C’est son triomphe final qui fera de l’aventurier De Gaulle un sauveteur acclamé par les français. Son succès arraché de haute lutte l’a rendu légitime, un échec eût confirmé son statut d’usurpateur.

Alexis Léger était-il, lui-même, de ceux qui mangent au râtelier ? A-t-il fui par lâcheté ? Quand De Gaulle lui écrit en 1942 pour lui demander de rejoindre le mouvement de la France Libre, il lui répond depuis Washington :

« Mon Général, je vous remercie de la confiance que vous voulez bien me témoigner : elle m’assure de la franchise avec laquelle je puis vous répondre. Si j’étais militaire, je serais depuis longtemps avec vous dans l’action que vous menez pour la libération de la France. Mais je suis diplomate de métier et je ne saurais m’associer à votre activité… Ce serait inopportun pour votre mouvement de la « France Libre », et ce serait contraire à la conception que je me fais de moi-même. Nul ne garde plus que moi le souci de ménager le prestige et l’autorité morale de ce mouvement qui a suscité déjà tant d’héroïques sacrifices, et dont j’espère qu’il donnera à la France des titres, à l’heure du règlement final. » Et d’assurer De Gaulle « de sa haute considération et de ses vœux sincères. »

Aucune connivence avec ces français qu’il méprise déjà pour s’être couchés devant l’ennemi. Une indéniable sympathie pour la Résistance, mais l’impossible compromission avec des voies qu’il juge illégitimes. Cette solitude hautaine sur une crête étroite, il se l’imposera jusqu’au bout. Il sait que le poète n’a pas à expliquer son poème, que seule la contradiction est fructueuse en ses mouvements mystérieux. En politique comme en poésie, il n’explique rien. Il s’établit durablement dans une distance, qui est celle du visionnaire. Désormais, son masque ne le ne quittera plus :

             Et l’homme au masque d’or

            Se dévêt de son or en l’honneur de la mer.

Pendant ses 17 années d’exil aux USA, il sera l’absent par excellence. Il s’y fait pourtant de puissants amis : le poète Archibald MacLeish qui lui obtient un poste alimentaire à la Library of Congress de  Washington. Francis Biddle, Ministre fédéral de la Justice, qui le reçoit occasionnellement dans sa propriété du Maine. Il entreprend une immense correspondance : littéraire avec Gide, Claudel, Caillois, Paulhan, Max-Pol Fouchet, T.S. Eliot, Supervielle. Mais aussi politique avec son ami Léon Blum, Herriot, Churchill à qui il écrit : « J’ai été heureux de vous revoir ici ; heureux de vous retrouver, humainement, le même, au sommet de ce drame universel dont vous portez si hautement honneur et charge. » Avec Roosevelt, à qui il écrit avant les accords de Yalta : « Le dépôt est entre vos mains ; c’est le dépôt même de la confiance française, sur lequel est gagé, pour longtemps, le véritable rapport moral, de peuple à peuple, qui lie démocratiquement la France à l’Amérique. »

Soigneusement sélectionnée par lui, parfois un peu trafiquée, cette correspondance occupe mille pages de l’édition de La Pléiade.

Mais pendant l’exil il va aussi voyager aux États-Unis, et naviguer longuement sur la côte est. La mer, le vent, les étendues sauvages achèvent en lui ce que le désert de Gobi avait commencé : il retourne à la botanique, à la géologie, à la minéralogie, toutes sciences qui trouvent un écho dans sa poésie, accentuant encore son caractère ésotérique. Il écrit Exil, qui porte la marque du désespoir :

             Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l’exil,

            l’été de gypse aiguise ses fers de lance dans nos plaies

            et, sur toutes grèves de ce monde,         

            l’esprit du dieu déserte sa couche d’amiante, et les poèmes de la nuit avant l’aurore répudiée, l’aile fossile prise au piège de l’ambre jaune.

Curieusement, il n’entretient alors aucune relation avec deux autres français exilés comme lui et comme lui visionnaires, Saint-Exupéry qui vit entre 1939 et 44 à New York où il écrit Le Petit Prince, Lettre à un otage et l’esquisse de Citadelle, et Marguerite Yourcenar qui vit également à New York où elle mûrit les Mémoires d’Hadrien, avant de s’installer sur la côte est, dans le Maine, en 1950.

Après Exil, il écrit Vents :

            C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,

            de très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,

            qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,

            en l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toute la face des vivants !

            Flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,

            et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,

            c’étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,

            sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses.

Prodigieux poème cosmique, dont l’insupportable Roger Peyrefitte, ivre de jalousie à son égard, dira un jour : « Quand Perse allait mal, il lâchait des vents. » Ce qui semble prouver que l’auteur des Amitiés Particulières et des Ambassades n’avait jamais dépassé le niveau affectif du CM2.

Il consacre plusieurs années à l’écriture de Amers, sans doute son œuvre la plus monumentale, torrent impétueux et prolixe, déroutant et fascinant, dominé par la présence de l’océan :

             Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous un soir aux rostres de la Ville, parmi la pierre publique et les pampres de bronze ?

            La Mer en fêtes sur ses marches comme une ode de pierre : vigile et fête à nos frontières, murmure et fête à hauteur d’hommes – la Mer elle-même notre veille, comme une promulgation divine…

            La mer, en nous, portant son bruit soyeux du large.

           La publication de Amers coïncide avec son retour en France, en 1957. Réhabilité, rétabli dans sa citoyenneté française, pourquoi est-il venu assister à l’agonie d’une IV° République qui l’écœure ? Vivre au milieu de ces français, dont je soupçonne qu’il les méprise à nouveau pour avoir consenti au putsch de De Gaulle en 1958 ? De Gaulle, dont il dira alors qu’il « appartient à la paléontologie » ?

Marié à une riche américaine, où donc ce Robinson Crusoé moderne va-t-il échouer sa barque ? Il finira par s’établir sur la presqu’île de Giens, en face de Porquerolles, à cause de l’éloignement et de la solitude qu’il y trouve. Car il dira à qui veut l’entendre qu’il « hait la Méditerranée », berceau d’une rationalité à laquelle il échappe par toute son œuvre poétique.

Pour le volume de La Pléiade paru en 1972 et entièrement composé par lui, il rédige lui-même sa biographie, parlant de soi à la troisième personne comme Jules César dans la Guerre des Gaules. Recomposant avec complaisance les racines anciennes (et plus que douteuses) de sa famille coloniale, donnant sa version toute personnelle d’une carrière politique où, comme Tintin, il est toujours du côté des bons. Énumérant avec gourmandise ses hautes relations – écrivains, musiciens, hommes politiques -, et les distinctions littéraires dont il fut l’objet pendant son exil, mais jamais de la part de ses compatriotes.

La reconnaissance et la gloire lui viennent enfin avec le prix Nobel de poésie qui lui est attribué en 1960. Personne au monde n’est surpris, sauf l’entourage du général De Gaulle, Malraux qui le déteste, et le public français. Après Gide, Mauriac ou Camus qui l’ont reçue, c’est la première fois que cette récompense mondiale est conférée à un poète qui n’est ni compris ni reconnu dans son propre pays. Quatorze gouvernements le féliciteront officiellement : le gouvernement français ne figure pas parmi eux.

La première phrase de son discours de réception devant l’Académie Nobel mérite d’être citée, car elle finit peut-être d’éclairer l’homme qui la prononce :

J’ai accepté pour la poésie l’hommage qui lui est ici rendu, et que j’ai hâte de lui restituer.

Accepte-t-il l’hommage ici rendu à la poésie… ou bien l’hommage enfin rendu à sa personne ? Cet hommage, a-t-il hâte de le restituer à la poésie… ou ne le retient-il pas au passage pour lui, le savourant avec délectation ? Amoureux de l’œuvre, je ne partage pas l’avis de ceux qui voient en elle des « chants gonflés à l’hélium du mot rare. » (1) Mais je pose la question sur l’homme : jusqu’où allait la paranoïa de Saint-John Perse ?

Vous savez qu’une certaine dose de paranoïa permet seule à chacun d’entre nous de faire face aux agressions de la vie. Devenue pathologique, elle s’exprime par un sentiment de persécution universelle, et l’exaltation consécutive de l’Égo. Condamné, exclu et banni, Saint-John Perse l’a été plus qu’un autre. Ayant une « haute conception de lui-même », farouchement conscient d’être unique dans sa propre valeur, son Égo est indéniablement massif : ne laisse-t-il pas entendre à De Gaulle que s’il ne le rejoint pas, c’est pour ne pas lui faire de l’ombre ?

Mais… quand la paranoïa donne naissance aux chefs d’œuvres de l’esprit et de l’âme. Quand, du sein de son enfermement, s’ouvre une fenêtre d’où jaillit la création, je dis qu’elle est heureuse, bienvenue, et peut-être même nécessaire à celui qui s’installe devant une page blanche pour faire advenir un monde nouveau de l’imaginaire, de la pensée, du sentiment humain. Saint-John Perse d’ailleurs l’avoue à mi-mot dans la suite de son discours du Nobel :

          La dissociation semble s’accroître entre l’œuvre poétique, et l’activité d’une société soumise aux servitudes matérielles. Écart accepté, non recherché par le poète… Poète est celui-là qui rompt pour nous l’accoutumance. Au poète indivis d’attester parmi nous la double vocation de l’homme [à la fois matérielle et spirituelle]. Et c’est assez, pour lui, d’être la mauvaise conscience de son temps.

Dissociation, en chacun de nous, entre l’humain collé à la glaise, embourbé dans le matériel, et une possible ouverture au mystère qui nous transcende. Poète indivis, Saint-John Perse échappe à cette dissociation par l’acte poétique qui est recherche d’unité, et unité réalisée. Jamais il ne dira, comme De Gaulle, que « les français sont des veaux » : son mépris pour ses compatriotes qui l’ignorent, il le manifeste en s’installant dans sa posture d’homme seul, de résistant contre l’épicerie démocratique, la poésie du tract, le lyrisme de boulevard, la littérature dégoulinante de sentiments, la philosophie des kiosques à journaux.

Voici comment, dans Vents,  il se décrit face à la débâcle et à l’effondrement français :

             Ha ! oui, toutes choses descellées, toutes choses lacérées ! Et l’An qui passe, l’aile haute !… C’est un envol de pailles et de plumes !

            L’impatience encore est de toutes parts. Et l’homme étrange [c’est lui], de tous côtés, lève la tête à tout cela : l’homme au brabant sur la terre noire, le cavalier en pays haut dans les polypes du ciel bas, et l’homme de mer en vue des passes. Tête nue devant sa porte, il voit la Ville, par trois fois, frappée du signe de l’éclair – un golgotha d’ordures et de ferrailles, sous le grand arbre vénéneux du ciel !

            Tout à reprendre. Tout à redire. Et la faux du regard sur tout l’avoir menée !

            Il est témoin de la fin d’un monde : Tout à reprendre !, de son impuissance d’homme, mais du pouvoir de la poésie : Tout à redire !

Pendant les quinze dernières années de son existence il ne se mêlera pas à la vie de la cité, prolongeant en France cet exil qui l’a construit, et par lequel il se définit.

Il n’avait pas tort de se considérer comme le dernier des poètes français, car il l’est, et des plus grands. Mais il n’a pas compris qu’après le temps des cataclysmes mondiaux, la poésie avait quitté le cercle du petit nombre de ceux qui pouvaient seuls la goûter, pour s’exprimer et s’installer ailleurs, dans la chanson qu’on entend dans sa cuisine en épluchant les légumes. La chanson, qui rassemble les foules et, de là, court de rue en rue, de théâtre en barricade sanglante. Car :

            Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes aient disparu,

            leur chanson, court toujours, dans les rues.

Après lui, le flambeau de la poésie française ce sont les Trenet, Léo Ferré, Brassens, Jean Ferrat, Jacques Brel, Alain Souchon, Laurent Voulzy, qui l’ont repris. Et dans la veine non-figurative qui fut la sienne, Gainsbourg et (peut-être ?) quelques rappeurs de talent.

Vieil homme désabusé, après le prix Nobel il ne publiera plus de grande œuvre, sauf Chronique, pour laquelle j’ai une affection particulière :

             Grand âge, nous voici. Fraîcheur du soir sur les hauteurs, souffle du large sur tous les seuils, et nos fronts mis à nus pour de plus vastes cirques…

            Si haut que soit le site, une autre mer au loin s’élève, et qui nous suit, à hauteur du front d’homme.

            Lève la tête, homme du soir. La grande rose des ans tourne à ton front serein. Le grand arbre du ciel, comme un nopal, se vêt en Ouest de cochenilles rouges.

           Si ce grand narcissique qui disait que « la personne de l’auteur n’appartient pas au lecteur », s’il suscite un malaise indéfinissable, c’est qu’en se masquant obstinément, il s’est voulu au-dessus de toute définition. Au crépuscule de sa vie, Chronique laisse enfin percer la tendresse, tendresse du poète envers lui-même, tendresse pour ses compagnons de route si volontairement et durement tenus à l‘écart. C’est peut-être parce qu’il consent enfin à entrevoir, derrière les forces telluriques et cosmiques devant lesquelles il se tient depuis son enfance, un au-delà. Une transcendance, qu’il ne nomme pas : ce païen absolu, qui se refusait à diviniser même la Nature, semble contraint de reconnaître en elle une Présence qui la dépasse – et qui le dépasse, lui.

             Grand âge, vous mentiez : route de braise et non de cendres. Le temps que l’an mesure n’est point mesure de nos jours.

            Grand âge, nous voici. Rendez-vous pris, et de longtemps, avec cette heure de grand sens. Le soir descend, et nous ramène, avec nos prises de haute mer. Il est temps de brûler nos vieilles coques chargées d’algues.

            Grand âge, vois nos prises : vaines sont-elles, et nos mains libres. La course est faite et n’est point faite. La chose est dite et n’est point dite. Et nous rentrons chargés de nuit, sachant de naissance et de mort plus que n’enseigne le songe d’homme.

            Et ceci est à dire : nous vivons d’outre-mort, et de mort même vivrons-nous. Et Dieu l’aveugle luit dans le sel et dans la pierre noire, obsidienne ou granit.

                    Je vous remercie de votre héroïque attention.

© Michel Benoît, novembre 2013
 (1) Jean-Paul Enthoven dans Le Point du 3 octobre 2013. Je n’ai pas lu la toute récente biographie critique de Saint-John Perse par Henriette Levillain, Fayard, 2013.

« LOUIS XVI » DE J.C. PETITFILS

Échaudé par le Jésus de Jean-Christian Petitfils (cliquez), j’hésitais avant d’ouvrir son Louis XVI (Perrin, 2005). Allais-je me trouver devant un plaidoyer mettant la mauvaise foi au service d’une cause quelconque, néo-royaliste, que sais-je ?

Eh bien, j’avais tort, et j’ai dévoré ces mille trente-cinq pages d’une traite, prenant sur mon sommeil.

J’ai toujours été fasciné par les dix-huit années (1774 – 1789) qui virent la fin d’un monde, celui de la monarchie de droit divin, et la naissance d’un autre dans des convulsions effroyables.

Au centre de cette tornade, un homme : Louis XVI. Tragique, son règne débuta sous les ors de la Galerie des Glaces pour se terminer dans la détresse de la tour crasseuse du Temple.

Comment en est-on venu là ? Aurait-on pu  éviter une Révolution qui détruisit tout sur son passage ? Et finalement, peut-on changer le monde (cliquez) ?

Pour répondre à ces interrogations, j’avais lu les récits des témoins du règne, Mémoires, Souvenirs et Journaux, et les biographies déjà parues de Louis XVI : m’apercevant ainsi qu’elles n’étaient pas nombreuses, et laissaient en suspens la grande question : pourquoi un homme intelligent, cultivé, travailleur, vertueux, aimé de son peuple jusqu’au bout, s’est-il montré incapable de réformer la France alors que c’était son intention, affichée dès le choix de son premier ministère ?

Cette question, J.C. Petitfils se la pose tout du long, même s’il ne la formule clairement ici ou là que dans sa deuxième partie. Pour y répondre, il s’écarte parfois du canevas chronologique classique : après chaque grande étape du règne (chaque tentative, échec ou convulsion) il prend du recul pour situer l’événement dans son contexte administratif, social, économique, financier, politique du moment.

Ce faisant, il permet enfin de comprendre l’extraordinaire difficulté de la tâche à laquelle Louis XVI, âgé d’à peine 20 ans, se trouva brutalement confronté. Ầ ma connaissance il est le seul à le faire avec autant de pédagogie, puisant dans une documentation immense qu’il maîtrise bien, laissant de côté l’anecdotique pour chercher toujours à cerner l’essentiel.

Il met ainsi en lumière la complexité du caractère de Louis XVI, qui fut certainement l’une des causes (mais pas la seule) de son échec et déroute tous ses biographes.

Faible, incapable de prendre une décision, le gros Louis ? Mené en laisse comme un caniche par sa femme Marie-Antoinette ? Ne comprenant rien aux aspirations d’une France fatiguée de ses rois ?

Pour tout dire : apathique, ne songeant qu’à bouffer, à limer des serrures et à chasser. Un crétin velléitaire. De plus – un crime chez nous – insensible au charme des femmes, impuissant.

Bref, un benêt plutôt gentil mais qui n’a eu que ce qu’il méritait.

J.C. Petitfils permet au contraire de découvrir un homme de caractère, tenant sa femme à distance par prudence politique, ayant compris très tôt la nécessité d’une transformation en profondeur de la France.

Adolescent tourné vers l’avenir, c’était la jeunesse au milieu d’une Cour de vieillards crispés sur leurs souvenirs du passé. Totalement seul devant le mur des égoïsmes conjugués. Bourré de scrupules moraux qui le rendaient incapable de violence – une violence qu’il déchaînera contre lui-même pour n’avoir pas su l’exercer contre les autres quand il le fallait.

On suit pas à pas ses tentatives courageuses pour surmonter de terribles handicaps (l’inexpérience politique, les pressions de son entourage…). Fièrement, dans un isolement pathétique, il a tenu tête jusqu’au moment où, soudainement, il a « craqué », s’enfonçant dans une dépression nerveuse dont il ne sortira plus. C’était peut-être déjà en 1787, après l’échec de l’Assemblée des Notables.

Alors, il ne tiendra que par ses automatismes. Ayant perdu toute illusion, il n’agira plus que par réflexes. Ce qui surnage dans ce naufrage c’est le meilleur de l’homme, ce secret si longtemps caché sous des silences obstinés : une force intérieure prodigieuse, exceptionnelle, qualifiée de « surhumaine » par les témoins de sa fin.

Hélas, une force jamais soulignée ni donnée en exemple aux français, qui ignorent quel homme ils eurent alors pour roi.

Très bien resituée par l’auteur dans ses contextes successifs, l’évolution psychologique de Louis XVI – depuis ses débuts de Dauphin jusqu’à sa fin tragique – permet de répondre à la première question : aurait-on pu éviter l’horreur destructrice d’une Révolution anarchique ?

Peut-être. Mais pour cela il eût fallu que Louis XVI fût éduqué en plein vent, ailleurs que dans la bulle dorée de Versailles. Devenu roi, qu’il s’entoure de collaborateurs choisis pour leur mérite, sans considération de leur naissance (1). Qu’il fasse très tôt l’expérience réelle de la vie militaire et de ses camps, pour connaître l’armée, savoir lui parler, être connu et aimé d’elle. Afin de prendre sa tête pour qu’elle le suive, au lieu de commencer à l’abandonner dès le début de 1789.

Il lui aurait fallu un cœur moins tendre. Moins de tolérance, moins de bonté, plus de cynisme. L’indifférence pour le sang versé, quand c’est celui des opposants. Envers eux, ni égards, ni droiture, ni pitié.

Et pour guider sa vie, un seul principe : donner satisfaction à un ego surdimensionné.

Bref, il aurait fallu que Louis XVI soit Bonaparte.

Mais sans Louis XVI, aurait-il pu y avoir un Bonaparte ?

Deuxième question : peut-on changer le monde ?

J .C. Petitfils montre avec clarté que Louis XVI réussit une 1° Révolution quand sa volonté réformatrice finit (tant bien que mal) par rejoindre celle d’une majorité des députés et du peuple de France. Bref moment d’équilibre, immédiatement suivi par une 2° Révolution qui ne voulait plus seulement réformer l’État, mais changer le monde en changeant l’Homme. La suite, ce fut une dictature totalitaire, menée dans le sang et l’anarchie, par une extrême-gauche livrée à ses seules passions (cliquez) .

Un désastre absolu.

J’en reviens à Jésus. Contrairement à Jean-Baptiste et aux agitateurs néo-zélotes, Il n’a jamais prétendu réformer la société dans laquelle il vivait. Par ses paraboles comme dans son attitude et ses gestes symboliques, il a affirmé avec force que ce monde-là était fini, terminé, dépassé. Et qu’il en proposait un autre (cliquez, et aussi cliquez).

Comment voulait-il le faire naître ?

Par une transformation en profondeur des individus, pris un à un. Il n’a pas eu de programme politique ou social, pas de slogan mobilisateur des masses. Un altermondialisme individualiste (cliquez) , basé sur la contagion par l’exemple des vertus (« Comme j’ai fait pour vous, faites aussi vous-mêmes les uns envers les autres »).

Au plus fort de la tempête, Louis XVI n’a cessé de répéter que son « amour pour son peuple » finirait bien par faire tache d’huile. Que l’exemple de sa bonté, de sa modération, de sa droiture, finirait de par l’emporter sur l’extrémisme.

Comme Jésus, il a cru pouvoir changer le monde par la contagion de l’exemple, et comme Jésus il a échoué.

Politiquement, l’un et l’autre ont eu tort : le monde ne change que dans la violence.

C’est-à-dire qu’il ne change pas, puisque le seul changement qui pourrait répondre aux aspirations humaines serait la fin de la violence.

Certains reprocheront à J.C. Petitfils de retracer les événements avec un a priori favorable à son malheureux héros, Louis XVI.

Reproche non-fondé : il ne masque aucune des failles du personnage. Et s’il témoigne d’une sympathie évidente  pour ce « roi malgré lui », c’est que Louis, quel que soit le point de vue auquel on se place, suscite chez ceux qui l’approchent plus que de la sympathie : de l’affection et du respect.

Dans ses Mémoires l’ignoble Fouché, régicide, a écrit qu’en votant la mort du roi il ne s’en prenait pas à l’homme « qui était juste et bon » (sic), mais à son diadème.

Ite, missa est.

 M.B., 4 mars 2012

 

 

LE FILM AVATAR, CAMERON, AMÉNABAR ET LES MYTHES AMÉRICAINS

          Avatar, le dernier film de James Cameron, est en train de pulvériser le box-office. Dans sa version 3D, ce film est salué comme une nouveauté absolue. Est-ce le cas ?

I. Un chef-d’œuvre pictural

Pour la première fois dans l’Histoire du cinéma, un film en relief dispose de salles équipées en nombre suffisant pour toucher le grand public. Et Cameron a utilisé les techniques actuellement les plus en pointe du 3D pour nous offrir une incroyable fête du regard.
On ne trouve plus ses mots : les scènes où l’avatar rencontre sa compagne dans la forêt, les chevauchées dans les montagnes volantes, tout cela est d’une beauté stupéfiante, servi par une imagination en pleine créativité.
Le choc est le même que celui des premiers Walt Disney (Blanche-Neige dans sa version 1937, Bambi), qui utilisaient les couleurs pastel du premier Technicolor – réalisant des œuvres à la beauté formelle comparable aux grands peintres de la fin du XIX° siècle.        On retrouve dans la forêt de Cameron la même inspiration graphique et coloriste que Disney, avec le plus qu’apporte le relief. La même poésie émerveillée devant la nature – une nature magnifiée, réinventée, tendre, qui devient l’un des acteurs majeurs du film.
Bref, rien que pour ce spectacle inouï, il faut voir Avatar, et le voir dans sa version 3D.

II. Le message : les mythes américains

L’idée est excellente : des terriens veulent coloniser une planète pour en extraire tout le minerai dont leur industrie a besoin. Ils créent des avatars semblables aux indigènes qui peuplent cette planète, et les leur envoient pour mieux les gruger en les exploitant à moindre frais.

Référence : G.W. Bush envahissant l’Irak pour exploiter son pétrole.

Les indigènes ? Ils ressemblent furieusement aux Indiens d’Amérique, on nous ressort tout l’imaginaire des Westerns. Ils sont armés de flèches contres des Yankees disposant de robots tueurs, sont assez bêtes pour croire que la nature a une âme, qu’il faut la préserver, qu’ils vivent avec elle en contact direct.

Références : Un mélange de méchant cow-boy et de Danse avec les Loups (le bon blanc qui prend fait et cause pour les indiens) à la sauce écologique.
Car l’avatar envoyé par un horrible colonel (référence : Rambo) pour manipuler les indigènes va basculer, et se retourner contre son propre camp. Ou plutôt, contre « son peuple », les blancs, qu’il trahit (Références racistes mades in USA).
En arrivant dans son « nouveau peuple », il doit d’abord capturer un mustang sauvage et le domestiquer pour en faire sa monture : on a droit à une scène de rodéo déjà mille fois vue (sauf qu’elle se passe dans les airs).

Ayant enfin domestiqué et soumis sa monture, le cow-boy avatar ne fait plus qu’un avec elle. L’Homme domestique l’animal, comme au bon temps de la conquête de l’Ouest.
Mais les blancs, avides de minerai, attaquent le gentil peuple indigène qui ne sait rien d’autre pour se protéger que d’invoquer sa divinité, une espèce de Déesse-mère de la nature à la mode hindouiste.

On voit alors à des scènes de prière communautaire où le New Age se mêle au pentecôtisme américain, dans un fort relent de fondamentalisme évangélique.

III. Cameron, le preacher

Parce que James Cameron est avant tout un preacher, un missionnaire envoyé au monde pour prêcher la foi américaine (à coup de dollars).
Dans ce domaine, sa naïveté est confondante, on retrouve le melting-pot déjà mis en œuvre dans son film de 2007, La Tombe Perdue de Jésus (cliquez) . C’est tellement beau, qu’on voudrait que ce soit vrai : le peuple des indigènes communique avec l’énergie des arbres en introduisant sa queue (caudale !) dans leurs troncs. Par le même canal, il reçoit l’énergie des plantes et obtient la guérison des maladies sans passer par la case industrie pharmaceutique. Ah, qu’il est beau, qu’il est bon ce monde délivré de la chimie, où l’Homme resté à l’état de nature reçoit tout d’elle, et ne lui fait aucun mal en osant l’exploiter !

Autour de l’Arbre de Vie (cf. la Bible), le peuple des mormons-New Age-pentecôtistes agite en rythme ses mains frémissantes, yeux extatiques levés au ciel, danses de possession mystique de la chamane et discours adressés à la divinité (qui répond à son peuple, contrairement au Dieu habituel).

A un preacher américain, il fallait nécessairement une happy end qui montre les bons (le peuple indigène) expulsant les mauvais (les américains gourmands de pétrole) de leur territoire sacré, après avoir flanqué une raclée à l’armée la plus puissante de l’Univers avec leurs arcs et leurs flèches.
Et pour que l’émotion soit garantie, le bon-blanc, traître à son peuple, qui a pris le parti de défendre les indiens exploités, meurt à la fin.
Il le fallait : parce que le Christ a été crucifié pour sauver l’humanité.
Mais le bon-blanc a plus de chance que Jésus sur la croix : sur son visage exangue se penche la ravissante Marie-Madeleine, qui lui donne un dernier baiser (référence : la fin du Titanic).

Car tout cela est noyé dans le sentimentalisme américain sommaire : la brute tombe amoureux de la belle (non sans s’excuser poliment – I’m sorry – quand elle lui fait remarquer qu’il casse tout).
Puis l’amour le transforme en héros prêt à se sacrifier pour l’humanité – la seule vraie, celle des indiens, les Yankees n’ayant pas plus de tête que les robots qu’ils conduisent à l’assaut du peuple aux mains nues.

On ne nous épargne pas la scène où le chef de la tribu, père de la belle, meurt sous ses yeux alors qu’elle saisit la main de la bête dans un moment d’intense communion.
Ah ! qu’elles sont douces-amères en ce sanglotant instant les larmes que la belle et la bête versent ensemble, unies dans une douleur que leur amour seul leur permettra de surmonter !

A l’entrée de la salle, on vous distribuera des lunettes, mais pas de mouchoirs : n’oubliez pas le vôtre !

Jetez dans une casserole toutes les frustrations, les culpabilités, le sentimentalisme et la religiosité païenne américaine. Ajoutez un bon coulis de sang et de violence, cuisez à feu vif.
Faite-en une œuvre d’art graphique absolue, techniquement et visuellement stupéfiante : vous avez Avatar. On comprend que « ça marche » : le public aime la mélasse, et apprécie la beauté.

 
IV. Agora, d’Alejandro Amenabar

Mais si on compare Avatar avec Agora, le film d’Alejandro Amenabar, on se dit que la superficialité est du côté américain, la profondeur du côté européen.
Lui aussi, Agora est d’une très grande beauté formelle, avec une utilisation parfaite des images de synthèse : la reconstitution de l’Alexandrie de la fin du IV° siècle est époustouflante, les acteurs remarquables.
Mais le scénario d’Agora est tiré d’un épisode vrai de l’Histoire de l’Occident, toujours passé sous silence, qu’Amenabar raconte avec fidélité : la persécution sanglante et fanatique infligée par les chrétiens (à peine reconnus officiellement) aux prêtres de la religion Égyptienne millénaire d’abord, aux juifs ensuite.
Tout tourne autour de Cyrille d’Alexandrie, le boucher qui lança ses pasdarans chrétiens à l’assaut des non-chrétiens. Et qui sera canonisé, après avoir été décrété Docteur de l’Eglise.
Seul un Amenabar était capable de faire un si beau film sur ce sujet tabou. Images, scenarios, dialogues, c’est une réussite du début à la fin.

Allez voir Avatar en 3D, vous n’oublierez pas sa beauté.
Mais surtout ne manquez pas Agora : au choc visuel s’ajoute le choc intérieur.

Un choc salutaire, indispensable pour nous réveiller.                                M.B., 12 janvier 2010

L’OMBRE DE LA MORT DANS LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM

La mort est notre seule certitude.

Pour l’Ancien Testament, la mort est une punition infligée par Dieu à l’homme et à la femme, parce qu’ils ont voulu savoir ce qu’il fallait ignorer afin de ne jamais mourir : où se situe la frontière entre le bien et le mal.

C’est-à-dire qu’il existe un Mal, un Mauvais, un Shatân à l’œuvre dans la création. Faire sa connaissance c’est le rencontrer, le rencontrer c’est être brûlé par lui à jamais .

Tandis qu’ignorer Le Mal, c’est être ignoré par lui et ne pouvoir être atteint par lui. « Le Mal c’est mon affaire dit Dieu, certes il existe mais vous ne devez savoir ni d’où il vient, ni s’il est comme vous une créature que je tolère ou puis seul soumettre. Ne lâchez pas ce fauve, sinon il vous dévorera. »

On connaît la suite : la femme (encore elle !), séduite par le charme du Mal, lui fait de doux yeux et la fracture s’installe pour toujours dans une création jusque là unifiée par le sommeil du dia-bolos, celui qui sépare, qui divise.

Désormais, la mort sera l’horizon du peuple juif. Elle met un terme à la vie, mais rien n’est perdu puisqu’un Messie reviendra, qui restaurera l’ordre ancien de la création, perdu par l’acquisition de la connaissance.

La Bible est fataliste, mais point désespérée : l’attente du Messie permet de supporter celle de la mort. On s’en accommode sans s’en inquiéter outre mesure. Se l’infliger ou l’infliger à autrui est un crime, qui conduit tout droit à l’enfer.

Au milieu du 1er siècle, le rabbi Jésus s’insurge contre la mort. Il fait preuve à son égard d’une absolue détestation : quand il la rencontre aux portes du village de Naïm ou devant la pierre tombale de Lazare, quand elle menace une femme à l’instant de sa lapidation pour crime d’amour, quand elle attend des malades condamnés par l’absence de médecine, il fait tout pour s’opposer à elle : il ranime, il prend la défense de l’accusée, il guérit.

A-t-il souhaité mourir, s’est-il suicidé ? Cliquez.

Ce refus de l’acceptation de la mort comme châtiment inéluctable, inévitable, cette insoumission devant l’œuvre du Shatân est la marque de Jésus. Elle le classe à part dans le judaïsme, et à vrai dire dans la lignée des grands Éveillés.

En s’imprégnant du messianisme exalté qui s’était développé autour des esséniens un siècle auparavant, le christianisme naissant abandonnera (ou plutôt, n’adoptera jamais) le rejet de la mort manifesté par Jésus.

Les choses se compliquent quand Paul de Tarse introduit dans le dogme chrétien naissant des pans entiers de la religiosité orientale – donnant naissance au christano-paganisme qui est toujours le nôtre aujourd’hui.

La mort n’est plus le châtiment de la connaissance : elle sanctionnera désormais le refus d’adopter les dogmes, les sacrements et les pratiques chrétiennes. l’Église s’est substituée à Dieu, elle est la seule à posséder le savoir. « Si tu le suces à son sein et nulle part ailleurs, tu entreras au paradis. Sinon, c’est l’enfer plus tard – et déjà maintenant, puisqu’on te brûlera si tu oses mettre en doute le monopole de la vérité détenu par l’Église ».

Hors de l’Église, pas de salut : n’attendez plus le Messie, il est déjà là, il a pris corps dans une corporation qui s’identifie à lui et rend son retour inutile.

Les chrétiens ne désirent pas la mort, ils la condamnent et la craignent. Mais ils s’agrippent à la barque de Pierre pour ne pas s’y noyer.

Le Coran marque l’aboutissement final du messianisme judéo-chrétien.

Ầ ses yeux non plus, le Messie n’aura pas à revenir puisqu’il vient d’arriver : c’est l’Umma, la communauté musulmane, « la meilleure communauté suscitée par Allah sur terre ». Le croyant coraniste ne peut vivre qu’à l’intérieur de l’Umma : tout ce qui se trouve en-dehors, le dar-al-harb, c’est un monde de ténèbres où règne le Shatân. Plutôt mourir que d’en franchir l’immatérielle frontière.

S’infliger la mort pour demeurer fidèle à l’Umma, c’est être assuré d’entrer au Paradis. L’infliger à autrui pour préserver l’Umma, ce n’est pas un péché mais une bonne oeuvre.

          Hors de l’Umma, pas de salut.

Et comme chaque Infidèle – chaque être humain vivant hors de l’Umma – est habité par le Shatân, bien plus, comme il défend et propage sans le savoir l’œuvre de Shâtan, il faut en tuer le plus possible.

Tuer les infidèles, c’est faire reculer le royaume de Shatân, c’est accélérer la venue du ciel sur la terre, quand il n’y aura plus que des muslims, des hommes et des femmes soumis à Allah.

La mort est un bien désirable, se l’infliger pour Allah c’est aller au Paradis, l’infliger au nom d’Allah c’est protéger l’Umma.

Donner la mort ou la recevoir dans le « Chemin d’Allah », c’est l’idéal de tout croyant coraniste.

Parce qu’il a été travesti par les chrétiens, ignoré par le Coran, le message de Jésus n’a jamais eu aucune chance d’être entendu, et encore moins mis en pratique.

          Shatân lâché en liberté, l’ombre de la mort ne nous quitte plus.

Chrétiens ou musulmans, musulmans contre chrétiens, nous sommes condamnés à patauger dans le sang et la violence des ‘’Voies du Seigneur’’ de l’Église ou du ‘’Chemin d’Allah’’ du Coran.

                                                                     M.B., 21 août 2013

 

 

Fête du Nouvel-An et désenchantement du monde

Les fêtes de Noël et du Nouvel-An viennent de ruisseler sur nous comme les chutes du Niagara sur de jeunes mariés américains. On s’en remettra.

Depuis l’essor de l’archéologie, nous savons que les peuplades les plus anciennes, les plus archaïques, possédaient toutes des mythes étroitement reliés au cycle du soleil. Dans notre Occident, les Celtes célébraient déjà la fin d’une année et le commencement d’une autre. En Orient, je crois que les Hindous eux aussi marquent depuis des millénaires la succession des cycles annuels par des rites colorés.

Profondément enfouis dans la nature humaine, ces rites exploitent la banalité des saisons pour exprimer les mythes d’une civilisation. Des mythes qui donnent à nos vie l’arrière-plan, la profondeur qui leur manqueraient sans eux : l’infini du cosmos.
Et au-delà, Dieu ou ce qui en tient lieu.

Dans le monde gréco-romain du 1° siècle, la mythologie était omniprésente. La succession du temps, qui est à deux dimensions – avant et après – en recevait une troisième dimension,au-delà.
Le judaïsme ajoutait un élément qui n’était pas absent des autres cultures mais auquel il donnait une place prépondérante : dans ce monde à trois dimensions, Le Mal danse et entraîne les humains dans sa farandole. Et à partir du IV° siècle avant J.C. environ les juifs l’ont personnalisé, en l’appelant le Satan – souvent traduit dans les versions grecques de la Bible par le Diabolos, « celui qui divise ».

Un monde enchanté par la lutte du bien contre le mal, personnifiés en figures hautes en couleur et qui s’affrontaient quelque part au-dessus de nos têtes : nous étions spectateurs impuissants, et toujours victimes, de ce combat des Titans (ou des Anges) qui se déroulait en-dehors de nous, dans un ailleurs inaccessible. C’était le sort, ou le destin, le fatum des romains : une fatalité à laquelle nous étions soumis, sans action possible sur elle.

L’enseignement de Jésus désenchante ce monde de mythologies.
Juif, il sait que Dieu est une chose, et l’humain une autre : il ne les confond pas, ne cherche pas à les faire découler l’un de l’autre – ce qui est la tendance de toutes les mythologies.

Dieu est dans les Shamaïm – que nous traduisons, faute de mieux, par « le ciel » – et nous autres nous sommes sur terre. Ceci, qui est juif, il le corrige de façon révolutionnaire :

1) Pour un juif de son temps, le frère était un autre juif – à l’exclusion des non-juifs. Pour les Esséniens, un membre de sa secte – à l’exclusion des autres juifs. Pour les Zélotes, celui qui se révoltait comme lui et avec lui, en prenant les armes.

Pour Jésus, le prochain est tout homme, ou toute femme dont on croise la route. Ni le frère de sang, de fanatisme, ou le frère d’armes : celui (ou celle) qui est , sur mon chemin.

2) Ce prochain sans distinction, il en fait le convive invité à un repas festif qu’il décrit comme son « Royaume » : le monde accompli, réalisé, enfin libéré de la danse du Mal.

3) L’hôte qui invite à ce repas est au centre de la fête, il l’organise et en fixe l’ordonnancement, le déroulement concret.
Parabole : cet hôte, c’est Dieu.

4) Nous sommes les seuls responsables du bien (ou du mal) qui se fait en nous et autour de nous. Notez que c’est aussi l’enseignement du Bouddha.

Dieu ne s’anéantit pas pour devenir semblable à ses convives (c’est la Kénose du Nouveau Testament). Les convives n’aspirent pas à être divinisés. Chacun reste à sa place, avec sa nature propre, mais l’Un reçoit les autres dans son intimité.

Monde désenchanté, parce qu’il ne laisse aucune place à des puissances maléfiques (ou bénéfiques) imaginaires. Mais monde réenchanté par la magie des paraboles, qui décrivent le bonheur comme une réalité familière, et font chanter l’imagination en lui ouvrant le mystère de la convivialité avec Dieu.

Jésus a désenchanté le monde mythique de l’Antiquité.

Il l’a réenchanté, non pas en créant d’autres mythes, mais en le décrivant par des paraboles enchanteresses.

Ce monde désenchanté, le christianisme s’est hâté de le réenchanter

– En incarnant Dieu et en divinisant l’homme

– En donnant à des sacrements, dont la clé se trouve dans les poches des Églises, le pouvoir quasi-magique d’accéder à la divinisation.

– En adoptant la plupart des mythes païens pour les revêtir du manteau chrétien. Parmi bien d’autres, le Sol Invictus qui est devenu Noël, naissance du Christ.

Sans ce réenchantement du monde, le christianisme ne se serait jamais développé. Tant il est vrai que nous avons besoin de mythes enchanteurs, pour survivre dans un monde qui n’a rien d’enchantant.

A moins que… au monde désenchanté que nous connaissons depuis si longtemps, sans espoir, tétanisé par un futur de pénurie et d’affrontements, quelques-uns ne tentent de substituer un jour le monde désenchanté de Jésus, enchanté par sa parole à lui.

                                    M.B., 7 janvier 2010

 

LA FRANCE, LA MÉDIOCRITÉ ET LA HAINE

                   « Dans cette grande nuit où personne ne guide personne »

Marie Noël

La France s’enfonce-t-elle dans la haine et la médiocrité ?

La violence caractérise l’espèce humaine, les animaux ne tuent que pour se nourrir ou défendre leur territoire. L’être humain est le seul qui tue sans nécessité biologique, le seul capable de haine gratuite.

Quand on survole l’Histoire, on s’aperçoit que nous autres humains avons eu dès l’origine le triste privilège de la haine d’homme à homme – c’est le mythe du meurtre d’Abel par Caïn. Puis est arrivé un moment où les sociétés s’étant constituées, on a vu naître la haine collective. Un peuple se mettait à en haïr un autre, une partie de ce peuple à haïr l’autre, une tribu se dressait contre l’autre.

La violence devenait institutionnelle, elle ne tarda pas à devenir haine d’État.

Qu’est-ce qui motivait, puis justifiait cette violence ? Au XII° siècle avant J.C. Josué envahit la Palestine, commettant le premier génocide attesté par l’Histoire (cliquez) : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. » (1) « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. » (2)  Et Josué dit aux israélites : « Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (3)

Pour la première fois, la violence institutionnelle était formulée en termes religieux, c’est-à-dire irrationnels, à la fois vagues et puissamment motivants.

D’une façon ou d’une autre, ce type de haine a été à l’origine de tous les mouvements de révolte accompagnant l’affaiblissement d’un pouvoir et son remplacement par un autre.

Affaiblissement : le pouvoir en place (ou le peuple dominé) se montre incapable de faire face aux événements. La médiocrité des uns devient impuissante devant la haine des autres.

La médiocrité et la haine s’appellent l’une l’autre.

Cercle vicieux, engrenage mortifère.

Ce qui est frappant, c’est que la violence d’État, et la haine qui la provoque, empruntent leur justification et jusqu’à leur vocabulaire au domaine religieux. On se laisse séduire par quelques grandes idées, capables d’entraîner des foules. Peu à peu elles prennent le pas sur la réalité, on devient aveugle à cette réalité qui s’efface devant l’idéologie. Au terme, on en vient à oublier les grandes idées généreuses qui justifiaient la violence des débuts.

La haine seule subsiste, et elle se manifeste dans des désordres sanglants. Parmi tant d’autres, un exemple : l’idée de liberté, au nom de laquelle la Révolution française se laissa aller à commettre tant de crimes. (4)

Pendant la terreur de 1793 ou les purges staliniennes de 1938, on ne savait plus pourquoi il fallait haïr. Le pouvoir étant affaibli ou se sentant menacé, la médiocrité prit le dessus. La violence ne trouvait plus sa justification qu’en elle-même. Le pouvoir ne la maîtrisait plus, quand il ne l’alimentait pas pour se présenter comme dernier recours. Sa médiocrité le poussait à vivre d’expédients, laissant l’anarchie se développer jusqu’à ce que quelqu’un tire les marrons du feu.

On l’a vu avec Napoléon à la fin de la Révolution Française, ou encore en 1958 quand De Gaulle profita de ce moment où « personne ne guidait plus personne » pour réussir son coup d’état. Heureusement, c’était un démocrate : il a établi une monarchie républicaine, où le roi élu au suffrage universel possède tous les pouvoirs, écartant en principe le spectre de l’anarchie.

Ầ condition que cette nouvelle religion d’état ne soit pas atteinte par la médiocrité du roi. S’abaisse-t-il devant les caméras de télévision, en répondant à l’insulte d’un citoyen par l’insulte, à sa grossièreté par la vulgarité ? Ou encore, devient-il aveugle après avoir promis d’être lucide ? Dans un cas comme dans l’autre, la réalité reprend le dessus, la haine avec elle, et la médiocrité reste seule à gouverner.

Sommes-nous, une fois de plus, entrés dans ce moment où la médiocrité l’emportant chez nos dirigeants, la haine va se déchaîner sans contrôle et sans entraves ?

                                                                              M.B., 4 nov. 2013

(1) Livre de Josué, chap. 10

(2) –id-, chap. 11

(3) –id-, chap. 24.

(4) Madame Roland au pied de l’échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

 

 

 

MANDELA, GANDHI, M.L. KING… ET JÉSUS ?

L’émotion planétaire à la mort de Nelson Mandela montre combien nous avons besoin de prophètes – combien nous en manquons cruellement.

Qu’ils semblent petits à côté d’eux, ces dirigeants politiques à qui nous confions le pouvoir – pour qu’ils en fassent quoi ?

Trois prophètes – Mandela, Gandhi, Martin Luther King -, auxquels il faudrait aujouter le Dalaï Lama et Aung San Suu Khy, ont été des apôtres visionnaires de la non-violence et du pardon. Tous se sont convertis à ces valeurs dans l’isolement, cachot ou exil. Comme si la solitude de la mise à l’écart était une condition nécessaire à l’approfondissement qui fut le leur.

Comme s’il fallait être condamné au silence de l’ombre pour laisser naître en soi, puis proclamer à la face du monde, la fin de la haine et la nécessaire unité de la race humaine autour de quelques valeurs toute simples. Mais qui sont à contre-courant du mouvement irrépressible des sociétés.

Nageurs obstinés, ils ont remonté les courants contraires.

Ont-ils changé le puissant cours du fleuve – égoïsme, militarisme, violence, haine ?

Non. Après Gandhi, l’Inde s’est déchirée entre religions et castes, elle est devenue une puissance nucléaire. Après M.L. King, l’Amérique est restée la première puissance militaire du monde, intervenant partout pour protéger ses intérêts économique – business and big money. Après Mandela, la tension demeure entre noirs et blancs en Afrique du Sud. Le Dalaï Lama n’a pas pu empêcher le génocide de l’âme tibétaine. Que fera Aung San Suu Khy si elle accède au pouvoir ?

Ce qui leur est commun, c’est la non-violence que le XX° siècle semble avoir découvert avec eux.

Pourtant, ils n’étaient pas les premiers. Dans les Mémoires d’un Juif ordinaire (cliquez), j’ai montré que Jésus avait été le premier non-violent de l’histoire humaine.

Pas seulement parce qu’il refuse de s’allier aux Zélotes, partisans à son époque de l’action armée pour chasser l’occupant romain. Mais parce qu’il enseigne clairement, explicitement, le refus de se laisser entraîner dans n’importe quelle spirale de violence. « Si l’on te prend ton manteau, [ne riposte pas mais] donne aussi ta chemise. Si l’on te force à faire un kilomètre, fais-en dix. Et si l’on te frappe sur une joue, tend l’autre. » A Pierre qui tire l’épée pour se défendre au moment de l’arrestation, il crie : « Remet ton épée au fourreau ! Quiconque pratique la violence périra par la violence. »

Cette doctrine, il la trouvait entre les lignes chez certains des prophètes juifs ses devanciers. Mais aucun d’entre eux ne l’a jamais formulée aussi nettement. Aucun n’en a fait le cœur de son enseignement, le gouvernail de sa vie, se laissant condamner sans résister plutôt que d’appeler à une insurrection de ses partisans – ce qui eût été possible pour Jésus, et bien sûr inefficace.

Sa vie et sa mort ont laissé dans l’histoire humaine une trace ineffaçable parce qu’il a su lier entre eux le refus de la violence, le pardon des offenses, la compassion universelle, l’attention aux plus petits de ce monde, l’exigence de justice. Mais surtout une approche nouvelle, révolutionnaire, d’un « Dieu » qu’il appelle Abba, petit papa chéri.

Cet homme-là reste largement inconnu de la chrétienté. Pourquoi ? Parce qu’il a été très rapidement transformé en Messie – c’est-à-dire Christ – puis en Dieu.

Jésus aurait-il eu l’audience mondiale qu’a connue le Christ ? Sans doute pas. S’il n’avait pas été transformé en Jésus-Christ, deuxième personne d’une Trinité divine, qui aurait parlé de lui ? Un obscur prophète juif, crucifié comme un malfaiteur ? Quelle aurait été sa postérité ? Quelle marque aurait-il imprimé sur la planète ?

Tous les prophètes modernes, de Gandhi à Mandela, ont été profondément influencés par la personnalité et l’enseignement de l’homme Jésus. A l’heure de la mondialisation, leur message de non-violence et de pardon est partout diffusé et entendu. Quand ils disparaissent, nous mesurons ce qui vient à nous manquer.

C’est qu’en transformant Jésus en Christ et Dieu, la première génération chrétienne n’a pas pu occulter l’immense personnalité de cet homme, et la force révolutionnaire de son message. L’un et l’autre imprègnent encore les évangiles. Le travail des exégètes – mon travail après d’autres – a été et reste de dégager la figure de Jésus du maquillage religieux et ésotérique dont il a été recouvert par ses successeurs assoiffés de pouvoir.

La force des institutions en place, le besoin de mythes religieux sont tels, que nous sommes peu entendus. L’homme Jésus ne remplacera pas le Christ-Dieu dans la conscience et la pratique des Églises qui se réclament de lui.

Qu’importe, puisque des Mandela, Gandhi, d’autres encore, ont pris le relai de la non-violence, du pardon et de la réconciliation.

Ce qui leur manque, ce que Jésus avait si bien su placer au cœur de son enseignement à lui, c’est la mise en lumière claire, explicite, du Dieu-Abba au centre de leur message. Un « Dieu » de compassion et de pardon, sans lequel aucune des valeurs pour lesquelles ils ont combattu n’aurait de sens.

Jésus, l’inconnu lumineux, continue tant bien que mal à éclairer une planète désespérée par le manque d’espoirs.

                                            M.B., 8 décembre 2013

 

ÉGYPTE : une première dans le monde musulman ?

On se souvient qu’à la suite de la « révolution égyptienne », les Frères Musulmans avaient remporté les élections et qu’un Président issu de leurs rangs, Mohammed Morsi, a été élu après un scrutin conforme en apparence aux critères de la démocratie à l’occidentale.

Qu’est-ce que les Frères Musulmans ?

C’est une confrérie religieuse, fondée en Égypte par Hassan El-Banna en 1928. Officiellement non-violente, elle a pourtant donné naissance au Jamma’a al-islamiya et au Hamas, qui sont deux organisations aux méthodes terroristes sanguinaires. En France, Tariq Ramadan est le petit-fils d’El-Banna. Son double langage, son hypocrisie, sont typiques d’une organisation qui avance masquée et souhaite un « renouveau islamique » – il faut savoir lire entre les lignes.

Arrivés au pouvoir en Égypte, les Frères Musulmans se sont présentés comme des « musulmans modérés ».

Soyons clairs : il n’y a pas d’islam modéré. Il y a un islam coranique, c’est-à-dire qui adopte la théologie, la philosophie politique, la législation du Coran et veut instaurer la Charia. Ou bien un islam non-coranique, qui prend ses distances vis-à-vis du texte du Coran.

Mais cet animal hybride (un islam non-coranique, « modéré ») est une fiction.

In fine, tous les musulmans se réclament bien évidemment du Coran, point à la ligne.

Or le Coran est un texte messianique, c’est-à-dire

1- Théocratique : le pouvoir est aux mains des religieux.

2- La notion de laïcité, lentement élaborée par l’Occident à partir du XVIII° siècle, est incompatible avec le Coran. C’est Allah qui exerce le pouvoir, par califes ou imams interposés (1) .

3- Le messianisme est une idéologie intrinsèquement violente, parce qu’elle sépare la société en deux : « eux« , qui ne pensent pas comme nous, et qu’il faut éliminer physiquement. Et « nous« , qui sommes dans la droite ligne de la volonté d’Allah, et qui devons éliminer ceux qui ne se convertissent pas à la Troisième Révélation, l’islam coranique.

De fait, une fois au pouvoir les Frères Musulmans se sont rapprochés des Salafistes (coranistes pur et durs). Par petites touches, ils ont commencé à instaurer en Égypte des règles de vie qui tendent vers l’appication de la Charia, loi coranique qui est la seule acceptable à leurs yeux.

Obnubilés par leurs objectifs religieux, ils ont montré leur incapacité à mener une politique économique adaptée à la situation de crise mondiale. La rue égyptienne les accuse  d’être « des incapables ». Il ne sont pas « incapables » : seulement, leur objectif réel (caché) n’est pas de sortir d’Égypte de la crise. C’est d’aller progressivement, insidieusement, vers une société islamisée par la Charia. L’économie passe après.

Il est difficile de savoir ce qui a jeté dans la rue les foules qui ont amené la destitution par l’armée du président Morsi. Difficile, pour nous, de savoir quel est exactement la volonté de cette armée, ses motivations réelles.

Mais, pour autant qu’on puisse en juger, une partie au moins des manifestants anti-Morsi se sont révoltés contre l’islamisation forcée de la société égyptienne.

Si c’est bien le cas, est-ce le sentiment de l’ensemble de la société égyptienne ? Sans doute pas, et les Frères Musulmans le savent, ils jouent là-dessus. Mais l’existence de ces contestataires, et le fait qu’ils se fassent (discrètement) entendre dans la foule, est une lueur d’espoir.

S’il s’avérait que la seconde révolution égyptienne est une « révolution laïque » (ce qui reste à prouver), ce serait la première fois dans l’Histoire moderne qu’une population musulmane choisirait librement et volontairement la laïcité, en refusant l’application stricte du Coran.

Hélas, les choses ne semblent pas aussi claires….

Et l’embarras des démocraties occidentales, USA en tête, devant ces événements, montre leur incapacité à comprendre ce que c’est qu’une théocratie messianiste. Dont l’échelle de temps n’est pas la prochaine élection, mais les siècles.

Messianiques, les islamistes ont le temps pour eux. Ils voient loin, et visent loin. Ils savent agir sur la religiosité profonde, les peurs, les frustrations, la haine de populations fanatisées, qu’ils ont gagnées par des services sociaux bien implantés et efficaces.

Mon étude sur le Coran finira bien par être publiée. A ce jour, ce texte a été refusé par 6 grands éditeurs. Motif : « Politiquement incorrect », « inclassable ». Quand vous l’aurez en mains, vous comprendrez mieux ce que c’est que le messianisme, poison violent qui a infecté le judaïsme d’abord, puis le christianisme, l’islam, le communisme et le nazisme.

                                             M.B., 4 juillet 2013
 (1) « Tout parti qui s’éloigne des préceptes d’Allah et du Coran représente le parti du Diable. Quant à la question de la démocratie, je maintiens que, dans une nation musulmane, le pouvoir suprême ne saurait être ailleurs que dans les mains d’Allah. Nous ne croyons pas au pouvoir du peuple sur le peule, mais au pouvoir d’Allah sur le peuple ».

(Ali Benhadj, F.I.S algérien, Jeune Afrique du 1° avril 1992.)

 

INTERNET : LA FIN D’UN MONDE ?

Peut-on échapper à Internet ? Pas plus sans doute qu’aux avions qui introduisent en Europe des virus et des parasites tropicaux. Pas plus qu’à l’air du temps, qu’on est bien obligé de respirer même s’il est pollué.

C’est ainsi qu’Over-Blog, sur lequel vous avez le privilège de me lire, vient de se mettre au goût du jour – et je n’ai pas pu y échapper.

On m’avertit que la nouvelle version possède un nouveau design, et me permet de gagner de l’argent – comment donc ai-je pu vous éduquer jusqu’ici tout gratuitement ? On m’apprend que je peux bloguer depuis mon mobile, dont je ne me suis jamais servi que pour téléphoner, animal préhistorique que je suis. Que je dispose désormais d’un outil de migration depuis des plateformes tierces, mais surtout d’une fonction repost agrémentée d’un responsive design.

Enfin, ô joie, on me dit que je peux bloguer sur Windows Live.

Ma vie est transformée, et je voulais vous le dire sans plus tarder. Grâce au Social Hub intégré, je vais pouvoir être connected avec des inconnus, qui le resteront malgré ma mise en page intuitive.

Comment ai-je pu vivre si longtemps sans l’acquis d’un tel progrès ?

Convaincu d’avoir franchi une étape décisive dans l’évolution de l’humanité, j’essaye de me connecter sur mon blog enfin modernisé. Je clique, et un message apparaît m’informant que The application is frozen. L’anglais n’ayant pour moi aucun secret, je comprends que la porte que j’ouvrais depuis 10 ans pour entrer chez moi, dans mon blog,  est bloquée par le givre – frozen. On n’entre plus, ô progrès ! Tu me laisses à la porte.

Heureusement, on m’informe que je peux basculer en section HTLM, et que je peux désormais suivre mon blog grâce au reader. J’aimerais seulement pouvoir y écrire cet article dont vous avez tant besoin…

Je parviens à  dégeler les gonds de la porte du blog et je tape le titre de cet article : il faut 1 minute 10 chrono pour qu’il s’inscrive dans la fenêtre. J’écris l’article :  il faut attendre 5 à 15 secondes pour que chaque frappe soit suivie d’effet. Vu mon âge, je ne suis pas sûr d’être encore en vie au moment de la conclusion.

J’ouvre la page que vous avez le bonheur de contempler, pour découvrir que l’espace jusqu’ici dévolu à mes textes enchanteurs est désormais pollué par un tas d’icônes permettant la migration vers les plateformes tierces.

C’est laid, ça encombre, mais c’est aussi inévitable qu’indispensable.

Il y a plus grave, et j’ose vous en parler. Notre cerveau (en tout cas, le mien) est rempli de milliers de neurones qui possèdent chacun des dendrites partant dans tous les sens, un peu comme les épines d’un oursin. Chacun de ces dendrites est en contact avec ceux des neurones voisins : la communication circule en 3D.

Elle s’effectue dans tous les sens, de façon multipolaire, ce qui explique la possibilité créatrice de notre cerveau (en tout cas, du mien).

Tandis que les circuits de l’ordinateur fonctionnent en 2D, ils sont unipolaires, l’information circule dans un seul sens, de façon linéaire : une information suit l’autre, et uniquement quand la première a été validée.

Vous devinez l’appauvrissement : on est passé du foisonnement d’un ciel étoilé, beauté perçue d’un seul coup d’œil,  aux rails d’un chemin de fer cahotant d’une traverse à l’autre.

L’ennui, c’est que les moins de 40 ans ne savent plus ‘’penser’’ qu’en suivant ces rails. L’intuition, l’évocation poétique d’un vocabulaire qui appelle des connotations inédites, l’infinie créativité, la fantaisie, n’existent plus dans une communication linéaire. C’est la fin d’un monde, celui du langage humain. Les linguistes ont établi qu’un vocabulaire de 400 mots permet la communication de survie. Internet a réduit le vocabulaire des inernotes à quelques pulsions cognitives.  La pensée est devenue information :

« Ch’te dis ça : et toi, tu dis quoi ? T’aime, ou t’aime pas ? – J’clique like – T’as cliqué ? Alors, t’es mon ami – Au fait, t’es qui, toi ? – K’ècek’ça peut’faire ? T’as cliqué j’aime, donc on est amis. »

Il est vraisemblable qu’un formatage mondial des cerveaux est en train de s’accomplir à travers l’usage d’Internet et des résosocio. Une nouvelle façon de penser, ou plutôt de ne pas penser. De dire une seule chose à la fois, pour recevoir une réponse sans contenu : j’aime / j’aimepa.

La planète communique massivement pour ne rien dire d’autre que « J’existe, puisque je communique. Et toi, t’existes ? Alors, clique. »

Une nouvelle humanité va naître, dont la pensée sera limitée, comme le langage informatique, à une succession de 0 et de 1. « T’aimes ? Clique. T’aimes pas ? Clique pas. Si tu cliques pas, t’existes pas. »

L’ennui, c’est que des religions politiques comme le communisme ou le nazisme fonctionnent exactement de cette façon. Et aussi les religions monothéistes comme l’islam coranique.

Leurs adeptes divisent l’humanité en deux, 0 ou 1 :

Ceux qui pensent comme nous, qui aiment comme nous, ceux-là ont le droit d’exister.

Et ceux qui ne pensent pas comme nous, qui n’aiment pas comme nous ? Comme il n’y a pas de touche pour cliquer « j’aime pas », ils sont hors réseau. Si jamais ils trouvent un moyen de faire savoir qu’ils z’aiment pas, il faut les supprimer parce qu’ils sortent du seul langage admis, 0 ou 1.

Allez ! Beau n’année, cliquez comme y faut.

                                 M.B., 31 déc. 2013