PÉDOPHILIE : L’ÉGLISE DANS LE GOUFFRE

   Le 5 octobre, une bombe éclatait en France. Le ‘’Rapport Sauvé’’ (1) rendait publique son enquête : depuis soixante-dix ans, plus de 200.000 enfants ont été abusés sexuellement par des prêtres. Ce chiffre énorme montre qu’il ne s’agissait pas d’accidents isolés mais d’une pratique courante, et tacitement admise – puisque couverte par l’omerta du « secret de la confession ».

Omerta : « Cachez ce sein que je ne saurais voir » 

Ravis de l’aubaine les médias s’excitèrent et le régiment des ‘’commentateurs’’ se jeta avec gourmandise sur ce morceau de choix. Ils concentrèrent leur feu sur le « secret de la confession », l’omerta qui règne dans l’Église catholique. Ses lois à elle sont-elles au-dessus des lois de la République ? Si, dans son confessionnal, un prêtre a connaissance d’un abus sexuel commis sur mineurs, doit-il le taire ou le dénoncer à la gendarmerie nationale ?

S’ensuivirent d’infinis commentaires juridico-historiques, et l’on finit par s’accorder : oui, bien qu’admise par l’autorité royale plus républicaine pendant plus d’un millénaire, l’exemption dont jouissait l’Église catholique doit être abolie. Le « secret de la confession » doit être levé en cas d’agression sexuelle sur mineurs.

Cette belle proclamation oubliait seulement un détail, c’est que pour les catholiques la confession des péchés est un acte anonyme. Autrefois elle avait lieu dans un confessionnal d’où le prêtre n’apercevait, à travers une grille, que l’ombre de son ou sa pénitent(e). Pourquoi ? Parce que ce n’est pas le prêtre qui pardonne les péchés, c’est Dieu. Le prêtre n’est là que pour s’assurer du repentir verbal de l’anonyme, et de son ferme propos de ne pas recommencer. Si l’ombre en face de lui l’affirme, elle reçoit l’absolution et se retire, lavée de son péché.

Le confesseur va-t-il désormais devoir demander leurs papiers aux pénitents ? S’assurer de leur validité ? Enquêter en cas de doute ? Tout ceci, avant même que commence l’aveu ?

On le voit, le « secret de la confession » est indissociable de l’acte sacramentel. Demander qu’il soit levé montre l’ignorance des commentateurs : ce serait la fin de la confession catholique. Personne n’ira plus voir un prêtre s’il sait qu’il sera fiché avant même d’avoir parlé et que son aveu parviendra aux gendarmes en même temps qu’à Dieu (2).

La débâcle : des causes systémiques

Dans leurs confrontations publiques, évêques et commentateurs ont tourné en rond sans jamais aborder la vraie raison de la débâcle du clergé catholique. Attaquait-on l’évêque sur la nécessité pour les prêtres de pouvoir se marier ? Il répondait (à juste titre) que la majorité des agressions sexuelles sur mineurs ont lieu dans le cercle familial, de la part d’hommes mariés. Soulignait-on le poids écrasant, pour un enfant, de l’autorité du prêtre qui l’empêche de résister à ses agressions et bloque chez lui toute parole ? On répondait que plus que l’autorité de l’adulte, c’est l’admiration que l’enfant porte à l’homme de Dieu qui l’inhibe. Et que cela se produit également, toutes proportions gardées, dans les clubs sportifs. Parlait-on enfin de l’immaturité des candidats au sacerdoce ? L’évêque répondait que dans les séminaires ils sont formés pour le célibat. « Pour le célibat, ou pour la chasteté » demandait perfidement un commentateur ? L’évêque éludait la question qu’il jugeait insultante.

On était pourtant à deux doigts de poser (enfin) la vraie question, celle de la formation des futurs prêtres. Car aucun jeune homme ne rentre dans un séminaire avec l’intention de devenir pédophile grâce au sacerdoce. Et aucun pédophile, même masqué, ne resterait longtemps dans un séminaire catholique. Quand Caroline Fourest affirme « C’est un pédophile qui devient prêtre, pas un prêtre qui devient pédophile », elle a tout faux.

La vraie question, elle a été posée par une victime devenue adulte : « Quand donc l’Église traitera-t-elle les causes systémiques du désastre clérical ? » Le mot a été repris par plusieurs commentateurs : « C’est le système tout entier du sacerdoce catholique qu’il faut revoir ! » Mais aucun ne va plus loin, tous répètent les lieux communs rabâchés depuis 2014, célibat, pouvoir, etc. (3).

Pas de chasteté sans méditation – oraison

Voyons ce qui se passe ailleurs. Au 5e siècle avant J.C. s’était développé autour du Bouddha Siddhârta une communauté de moines, la Sangha. Ces moines, qui vivaient au contact du public, étaient tenus non seulement au célibat mais à la chasteté en actes et en pensées. « La méditation, leur enseignait Siddhârta, rend la chasteté non seulement possible, mais épanouissante. Sans méditation, la chasteté est nuisible à l’homme. Avec la méditation, elle est une libération heureuse ».

Tout moine bouddhiste, quelle que soit son obédience, est longuement formé à la méditation et y consacre plusieurs heures par jour. Il apprend ainsi à maîtriser sa mémoire et le cycle infernal de ses pensées. Jusqu’à les supprimer, pour s’ouvrir à autre chose.

Cet « autre chose », pour les chrétiens, c’est l’oraison, la simple attente silencieuse en présence des habitants du monde divin qu’ils appellent le ‘’Royaume de Dieu’’. Cela s’apprend au contact des grands mystiques comme Thérèse d’Avila et quelques autres. Ils guident le débutant dans les voies d’accès à la prière silencieuse qui introduit à une relation au-delà des mots avec ‘’Dieu’’ et son entourage – ceux qui parlent aux cœurs quand ils ont fait place nette à la réflexion et aux discours.

Or dans les séminaires classiques on forme à la Bible, à la théologie, à la pastorale, aux sciences humaines… à tout, sauf à la méditation. Et c’est dramatique, car cela donne des prêtres qui sont des pasteurs, des administrateurs – des « Fonctionnaires de Dieu » » disait E. Drewermann. Mais pas des hommes habités par Dieu, vivant de lui et d’abord pour lui.

Un homme qui entre au séminaire est habité par les pulsions sexuelles de tout un chacun. S’il n’est jamais formé à l’oraison il sera incapable de les contrôler et de vivre avec elles harmonieusement. Au mieux ce sera la frustration, au pire ce sera la faute. Alors, oui, il sera coupable. Mais sera-t-il responsable ? Qui l’aura envoyé au combat sur le front, en première ligne, sans protection, sans armes pour se défendre ? Qui, sinon l’Église ?

C’est donc bien tout le système de formation des prêtres qu’il faut revoir, avec une orientation ‘’mystique’’ qui l’emportera sur le ‘’fonctionnement’’. Si l’Église catholique n’a ni la lucidité ni le courage d’aller jusque-là, il n’y aura bientôt plus de prêtres. Pour la première fois depuis 2000 ans.

                                                                                   M.B. 12 octobre 2021
(1) Jean-Marc Sauvé, Président de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église, organisme créé et financé par l’Église de France qui a commandité ce rapport
(2) Précision : je ne défends en rien la pertinence et la valeur de la « confession catholique », ce qui est une autre question.
(3)  Voyez les 4 articles publiés dans ce blog depuis 2014 : PÉDOPHILIE ET ÉGLISE CATHOLIQUE : la nature a horreur du vide (Février 2014). ÉGLISE CATHOLIQUE ET PÉDOPHILIE : coupables, pas responsables (Mgr Barbarin) (avril 2016). PÉDOPHILIE DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE : que se passe-t-il ? (septembre 2018). PÉDOPHILIE DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE : les véritables causes (février 2019).

4 réflexions au sujet de « PÉDOPHILIE : L’ÉGLISE DANS LE GOUFFRE »

  1. Paulus

    « Tout moine bouddhiste est longuement formé à la méditation » ; cela ne paraît efficace que chez certains, si l’on en juge par les révélations de la presse sur l’arrière-boutique des monastères tibétains. Le non-recours à la méditation n’est qu’une des failles, bien que majeure. Quand il y a échec n’est-ce pas dû au télescopage entre une personnalité immature et un système clérical fondé sur une doctrine bâtie sur le sable des récupérations et détournements mystiques et historiques que vous avez si bien analysés dans vos ouvrages ? Peut-être peut-on amender une personne ? Mais pas le fonds de commerce d’une église dévoyée ?

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  2. Fovet

    Bonsoir
    Ce que vous affirmez dans votre article me semble instinctivement frappé au coin du bon sens (mystique), cela pourrait aller de soi, cela se pressent, se devine.
    Je ne suis pourtant qu’un agnostique bon teint, assez éloigné de l’église catholique.
    Mais d’un point de vue pratique, il me semble difficile pour ne pas dire impossible de « former » rapidement assez de nouveaux prêtres à cet « ascèse » qui sur le fond réglerait bien des problèmes.
    Donc soit l’avenir de l’église catholique est désormais hautement compromis soit il faut envisager pour elle d’autres solutions « de transition comme peut-être la fin du célibat…
    A titre personnel,d’un point de vue « égoïste » l’avenir de l’église catholique m’indiffère un peu mais comme porteuse de message universel, dans l’intérêt du plus grand nombre, sa « survie » me semble importante.
    On peut dire qu’il s’agit d’une vision assez « Voltairienne » ici, faute de mieux ( dans la vraie vie ).
    C’est toujours un plaisir de vous lire.
    F. F.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je ne pense pas que l’Église catholique renoncera officiellement au célibat. « Officiellement », parce que dans certains pays chauds le célibat n’est déjà plus pour pas mal de prêtres qu’un souvenir.
      Disparaîtra-t-elle pour autant ? Comme vous et pour les mêmes raisons, je ne le pense ni ne le souhaite.
      On en reparlera donc encore longtemps…
      M.B.

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