Quand elles sont apparues (vers 3000 ans avant J.C.) les premières civilisations orientales ont inventé une façon de voir le monde qui a traversé les siècles jusqu’à nous : le dualisme. De quoi s’agit-il ? De la conception d’un univers dominé par deux réalités antagonistes, opposées l’une à l’autre. En Chine le Yin et le Yang, en Inde l’esprit et la matière, en Perse la puissance bénéfique et la puissance maléfique. La confrontation permanente entre ces deux réalités expliquait à la fois notre nature humaine tiraillée entre Bien et Mal et celle d’un univers déchiré entre deux extrêmes irréconciliables.
N’y avait-il donc sur terre pas d’autre perspective que le combat pour échapper au Mal, et la souffrance qui l’accompagne ?
Seul un peuple d’Orient avait résolument échappé au dualisme, le peuple juif. Pour lui, « Au commencement » il n’y avait eu qu’une seule puissance bienveillante, créatrice d’un univers sans rupture ni fracture. Pas d’Esprit supérieur exilé dans la matière : l’homme et la femme n’étaient pas des âmes ‘’tombées’’ dans la chair mais le prolongement d’un acte d’amour divin.
On connaît la suite : les Juifs se détournant de celui qui avait toujours refusé de leur donner son nom mais qu’ils appelaient « Seigneur », comme pour marquer la distance qui, désormais, les séparait de lui. Une Loi écrite, 613 préceptes rigoureux et tatillons, la domination des prêtres, contraignante au risque d’étouffer l’amour.
À côté de ce fleuve de la Loi qui traversait Israël à grand bruit, coulait un petit ruisseau prophétique discret, confidentiel, presque marginal, qui n’avait jamais cessé d’irriguer ceux qui avaient soif d’autre chose que d’obligations. Ou plutôt qui voulaient n’avoir qu’une seule obligation, intérieure, née de leur nature profonde, de leur identité secrète.
C’est alors que sortit du désert (où il avait vécu une longue période d’initiation et de transformation) un homme qui se réclamait d’Élie, le plus grand des prophètes juifs. Très vite le petit peuple, écrasé par le poids de la Loi et l’autorité des prêtres, sut reconnaître qui il était : « C’est le prophète Jésus de Galilée », disait-on, ou bien : « Un grand prophète a surgi parmi nous ». Et lui : « Aucun prophète n’est bien vu dans sa patrie » (1).
Un prophète donc, un envoyé de ‘’Dieu’’. Jamais Jésus ne s’est présenté ni défini autrement. Et quand il parle de lui-même comme du « fils de l’homme », c’est une allusion claire au prophète Daniel et à sa vision d’un homme providentiel venu relever l’humanité.
Un ‘’prophète’’ disent les Juifs, un ‘’Éveillé’’ aurait dit le Bouddha Siddhârta. Je l’ai montré dans Dieu malgré lui, les trajectoires de ces deux hommes (Jésus et Siddhârta) sont étonnamment semblables, proches l’une de l’autre. Jésus ne dit-il pas à chacun de ceux qu’il guérit : « éveille-toi », égeiré en grec, et sa ‘’résurrection’’ n’est-elle pas toujours présentée comme un « réveil des morts » ?
Un Réveil, un relèvement (anastasis), une sortie de l’empire des ténèbres et du Mal. Donc ils ont une réalité, ces deux-là ? Oui, force est à Jésus comme à nous de le constater. Mais alors, d’où vient Le Mal, a-t-il été créé par un autre que le ‘’Dieu’’ bienveillant ? Les Juifs sont-ils retombés dans ce dualisme entre Bien et Mal qu’ils avaient su éviter ?
Il faut s’y résigner : il n’y a pas de réponse logique, rationnelle, à cette question de l’existence du Mal que se sont posé l’un après l’autre tous les penseurs de l’humanité. La Bible n’affirme qu’une chose : comme toute force universelle, la puissance du Mal a été créée par ‘’Dieu’’ avec le « bon univers ». Créée, ou permise ? C’est une nuance que tenteront par la suite d’avancer quelques théologiens juifs, sans postérité. Car si ‘’Dieu’’ avait laissé s’installer Le Mal par une sorte de permission dérogatoire, c’est qu’il n’en était pas le maître – et on retombait dans le dualisme.
Rien de tel pour Jésus : toute sa vie il a affronté le Mal, sans jamais (se) poser la question de son origine. Mais en affirmant – à chaque personne guérie – que ‘’Dieu’’ est et reste le maître du Mal, qui est vaincu, cède et recule devant la guérison.
À une condition toutefois : que le malade, le ‘’tombé’’ dans les filets du Mal, désire être ‘’relevé’’ et croie que c’est possible. « Va, ta foi t’a sauvé », hé pistis sou sésoken sè, dit Jésus à chaque ‘’relevé’’. Ce n’est pas lui qui guérit (il l’affirme souvent), c’est le malade qui reconnaît, par sa foi en la guérison, que ‘’Dieu’’ est unique et qu’il n’y en a pas d’autre que lui (2). Pas de démiurge, pas de dieu du Mal opposé au dieu du bien. Pas d’humanité déchue par sa chute du royaume des Idées pures dans la triste prison des corps et de la chair. Un seul univers parcouru, depuis la création des soleils jusqu’à la plus petite cellule d’un malade, par l’amour d’un créateur bon et ami des hommes.
Ce créateur, le nommer c’eût été le faire rentrer dans nos catégories mentales, début de la théologie et du pouvoir des prêtres. La Bible se refuse à lui donner un nom : ‘’il’’ n’a pas de nom, ‘’il’’ ne peut pas en avoir.
Et pourtant, le Juif Jésus le nomme. Il l’appelle Abba, papa, père tendrement aimé. Révolution totale depuis les débuts de l’humanité : une relation avec ‘’Dieu’’ est possible, elle est offerte à quiconque se rappelle qu’il est son enfant et accepte de se comporter avec lui comme avec la tendresse d’un père aimant.
Les dualistes divisaient le monde et l’Homme, ils les condamnaient au désespoir intime de l’irrémédiable fracture. Par ce seul mot, Abba, Jésus a remis l’amour à sa place dans l’univers.
Oui l’univers est un, et tout le parcours de notre vie consiste à retrouver cette unité. Non pas comme le retour vers une perfection perdue par la chute des Idées, mais par le retour à soi. « Deviens ce que tu es », dit Jésus. Reviens à ta vraie nature, à ton identité réelle. Elle est déjà en toi, dormante : elle ne demande qu’à se ‘’réveiller’’.
Et c’est pourquoi, dans ce monde matériel où nous vivons plus ou moins péniblement, il y a des saints, beaucoup de saints connus ou inconnus. Des amis qui sont là pour nous dire : « Relève-toi ! C’est possible, c’est à ta portée, puisque – regarde – moi qui te ressemble, c’est ce que j’ai fait ! ».
Allons, le monde n’est pas aussi sombre et désespéré que les dualistes ont voulu et veulent toujours nous le faire accroire.
M.B., 2 novembre 2022.
P.S. : Y avez-vous songé ? Le communisme, les fascismes et l’islam radical sont des dualismes contemporains. D’un côté la Vérité, la Pravda et ceux qui la connaissent. Et les autres, qui l’ignorent, soit ils s’y soumettront (et à nous avec elle), soit ils doivent disparaître de la surface de la terre.
(1) Mt 21,11, Lc 7,16 et Lc 4,24
(2) Comme je l’ai montré plus en détails dans Iésus, mémoires d’un Juif ordinaire (Dans le silence des oliviers), Albin Michel et Livre de poche, 2011/2012.
Notre Ineffable Concepteur ne saurait être un père, car sa personnalité, son Être Suprême n’est ni masculine, ni féminine, ni trans évidemment.
Ce qui, c’est vrai, pose un problème grammatical et orthographique
Mais , après avoir écrit des choses très intéressantes, voire déniaisantes (merci) , vous restez étrangement fasciné par Isho bar Yawsep dont nous n’avons aucun idée solide de l’historicité de ses faits et gestes et paroles; même s’il est quasi impossible qu’il soit une invention légendaire comme Muhhammad l’est, et qu’il est effectivement mort sur un T et pas une croix après avoir été suivi par des « sympathisants » et contesté et dénoncé l’hypocrisie de beaucoup de membre du Sanhédrin.
Sa doxa et déjà sa nature furent ensuite le fruit d’affrontements intellectuels entre « évêques » au sens de l’époque pratiquant le nuisible culte majoritaire, et votant parfois sous le regard de l’empereur pour éviter l’exil.
Ce qui , entre autres, aboutit au refus d’admettre la réalité de la réincarnation qui est largement démontrée et change tout le regard sur le sens de notre incarnation actuelle.
Hélas tout comme les mensonges covidiens vous êtes dans l’impossibilité de l’admettre
Le juif Jésus ne donne pas de DÉFINITION de « Dieu ». Il dit que notre RELATION à lui peut être filiale.
Quant au reste, pouf ! pouf ! pic et pic et colégram.
bien à vous, M.B.
Cher Michel Benoit,
Âgé de 70 ans, je viens de prendre ma retraite de mathématicien dans une grande université étrangère (où je gagnais, tout en étant logé, 3 fois ce que gagnent mes collègues en France). Mais je ne reviens pas en France, je reste dans mon pays d’adoption (j’ajoute que depuis l’adolescence je n’appartiens à aucun parti politique et ne me reconnais dans aucun).
En vous lisant depuis des années, cette fois je vous trouve bien pessimiste. C’est pourquoi je vous écris. En effet, quand on regarde l’état actuel de la France tout ne va-t-il pas pour le mieux ?
Un président de la République élu avec seulement 24% des suffrages ; le même qui affirme qu’il n’existe pas de culture française ; qui prône un société multiculturelle dont pas un seul vrai Français ne veut ; ce qui engendre de très graves problèmes d’immigration et de terrorisme ; qui ment sur son passé universitaire : il n’est ni normalien, ni agrégé, ni docteur, ni véritable assistant de Ricoeur ! A réussi l’éna pour une formation qui ne dure que 18 mois !
Bref, on voit le résultat : la start-up nation et la théorie du ruissellement n’ont pas fait long feu ! Ici, dans mon pays d’accueil les psychiatres le qualifient de pervers-narcissique ! A mais attention, beaucoup s’accordent à dire qu’il est « très intelligent », à commencer par l’inénarrable Alain Duhamel (si un jour Macron invente le vaccin contre le cancer, je dirai qu’il est très intelligent, mais en attendant…).
Ensuite, l’école est dans un état catastrophique et ce n’est pas le nouveau ministre « wokiste » (avez-vous lu son dégueulis victimaire historique aux USA ?), qui y changera quelque chose. Qu’on se souvienne à tout jamais de l’assassinat de Samuel Paty, mais qui s’en souvient au ministère de l’éducation nationale ?
Pap Ndyaie dans sa dernière circulaire prône le dialogue (comme sanction), avec les jeunes musulmans qui se fichent du tiers comme du quart de la laïcité. Des enseignants sous protection policière (!) que la hiérarchie ne soutient pas. Et puis le recrutement d’enseignants après vingt minutes d’entretien : quelle ignominie pour les petits écoliers français !
On manque aussi de médecins, d’infirmières, d’aides-soignantes, etc. Ainsi, on en a vu les effets pendant la crise du Covid. Des Ephad qui traitent les personnes âgées comme du bétail.
La Police qui ne peut plus pénétrer dans certains territoires. La disparition des valeurs qui avaient fait de notre France LA France.
La tyrannie de minorités qui, au nom de pseudo-causes diverses et variées, prétendent imposer leur loi en ayant recours au terrorisme intellectuel sans que le gouvernement ne réagisse.
La monstrueuse écriture dite « inclusive » qui de fait exclut d’autant plus que les Français ne maîtrisent plus leur belle langue.
Le mouvement woke, ce « socialisme des imbéciles » (comme l’analyse la brillantissime Bérénice Levet), qui refuse la raison et l’histoire au profit d’un vide culturel abyssal.
Des partis politiques sans idées qui ne sont plus que des machines à caser des gens qui ne veulent plus travailler. Grands amateurs de sondages comme technique de démagogie rationnelle.
Des immigrés illégaux qu’on ne peut renvoyer chez eux car Macron ne fait rien à ce sujet non plus.
La violence qui s’installe partout y compris à la campagne.
Avec ces quelques exemples, force est de constater que oui le déclin de la France est bien réel.
Si vous le voulez bien, en forme de résumé, relisons ensemble La République de Platon.
Il y est écrit : « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et toute jeunesse le début de la tyrannie ».
Respectueusement,
Erwan B.
Votre liste, cher monsieur, pourrait être allongée d’un mètre ou deux. Oui, nous sommes entrés depuis quelques dizaines d’années dans une nouvelle ère. Est-ce celle de la fin ? Je n’ai pas de réponse. Mon seul objectif est de trouver puis de donner quelques éclairages POSITIFS sur ce que nous voyons & vivons. C’est difficile, et j’ai beaucoup de mal à continuer d’écrire. Remuer le couteau dans les plaies ? Non merci. Alors, le chemin est rude.
M.B.