Archives pour la catégorie CRISE DE L’OCCIDENT

L’occident chrétien en crise.

LE DISCOURS DU PAPE AUX BERNARDINS : à l’Ouest rien de nouveau.

          Dans Le Figaro du 6 septembre dernier, M. André 23 annonce le discours que le pape s’apprête à tenir aux Bernardins devant une assemblée de politiques et d’intellectuels français. Il donnera « par ce discours, l’exemple de [sa] capacité … de dialogue« . « Ce rendez-vous offre une représentation symbolique du christianisme », car « l’Église … n’est pas morte, elle vit une transition ».
          Des observateurs malveillants penseraient-ils donc que l’Église est « morte« , au point que l’archevêque de Paris croie urgent de publier qu’il n’en est rien ?
          Non, dit M. 23, l’Église  » vit une transition ». En français, revenir vers le passé se dit « rétrograder ». « Transiter », c’est toujours aller de l’avant : voyons donc, en relisant le discours du pape, vers quel avenir transite l’Église, quelle est sa « capacité de dialogue » avec le XXI° siècle, quel « christianisme elle représente symboliquement ».

          Du début à la fin, la référence qui structure le discours du pape c’est le monachisme médiéval. Tel du moins que l’a décrit le bénédictin Dom Jean Leclercq, qui fut un historien délicieusement passéiste, romantique et idéaliste.
          On peut s’étonner que le pape présente l’avenir du christianisme comme un retour à ce Moyen âge-là, et non pas – par exemple – comme un retour à Jésus. Question de présentation ? Non. Dans son discours, l’ineffable Dom Jean Leclercq est cité quatre fois, la Règle de saint Benoît quatre fois, Grégoire le Grand une fois, saint Augustin deux … Mais Jésus n’est cité qu’une seule fois : une courte parole, et pour expliquer pourquoi les moines ne dédaignèrent pas autrefois le travail manuel.
          Il fallait choisir entre un Moyen âge d’enluminures, ou bien le rabbin itinérant juif. Le choix est clair, les moyens et le terme de la « transition que vit l’Église » aussi.

Comment Dieu parle-t-il ?

          Revenu au Moyen âge, le pape pose son diagnostic : comme autrefois, l’Occident semble patauger aujourd’hui « dans un désert sans chemin, une recherche dans l’obscurité absolue » : c’est « l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes », nous sommes « dans la confusion [d’un] temps où rien ne semble résister » : pouvons-nous vivre « les yeux tournés vers la fin du monde ou vers [notre] propre mort » ?
          Non. Comme les moines d’antan, pour survivre il nous faut, « derrière le provisoire, chercher le définitif »
          Chercher le définitif, c’est-à-dire chercher Dieu.

          Or « Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, il a aplani la voie », et « cette voie était sa parole ». Dans le chaos que nous connaissons, un seul point d’ancrage stable : ce que pense Dieu. Et ce que Dieu pense, il l’a dit dans des paroles.
          Ces paroles, les recevons-nous directement de la bouche de Dieu ? Non, dit le pape :  » Dieu parle seulement dans l’humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire« . 
          Paroles des hommes, parole divine ?
          Non : le pape distingue les paroles (humaines) et La Parole – « Parole » avec un P majuscule. Pour lui La Parole est une entité indépendante, elle existait avant que commence l’Histoire : « Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même » : et cette Parole, elle « crée l’histoire ».
          Donc les humains n’écrivent pas une Histoire, la leur : c’est La Parole qui crée l’Histoire. Autrement dit, les humains accouchent d’une Histoire dont ils n’ont pas la paternité, leurs histoires successives écrivent un texte dont ils ne sont pas les auteurs. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est chercher, dans l’illusion d’une Histoire dont ils croient être les acteurs, un sens et une direction fixés par-avance.
          L’homme n’a pas à se comprendre à travers son histoire, mais à comprendre le dessein de Dieu dans l’Histoire.

Le fondamentalisme chrétien

          « La Parole de Dieu nous parvient seulement à travers des paroles humaines : la Bible est un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur plus d’un millénaire… des tensions visibles existent entre eux »
          Prendre ces textes à la lettre, les lire comme si c’était Dieu qui parle directement en eux, c’est « ce qu’on appelle aujourd’hui le fondamentalisme« , et cela conduit au « fanatisme fondamentaliste ».
          Allusion au fondamentalisme musulman : pour l’islam en effet, le Coran existe en lui-même, « au ciel », dans la pensée de Dieu, et n’a fait que « descendre » dans l’oreille d’un Muhammad inculte, qui l’a écrit sous la dictée d’un ange.
          Pour se démarquer de l’ennemi héréditaire (l’islam), et du redoutable concurrent d’aujourd’hui (le fondamentalisme évangélique), le raisonnement du pape est formulé dans une langue de bois qui est un chef d’œuvre de noyade des idées : une carpe n’y retrouverait pas ses alevins. Tâchons d’aller à la pêche de ce qui est dit, dans une mare de mots.

          « L’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible. Pour le dire d’une façon moderne (sic) : le caractère divin des paroles [de la Bible] n’est pas saisissable d’un point de vue purement historique »
          Autrement dit, la lecture historico-critique de la Bible, officialisée par Pie XII en 1943, à l’origine d’un immense renouveau des études, n’est pas condamnée : simplement, elle est nulle et non-avenue.
          Car pour le pape citant Augustin, « la lettre enseigne les faits ; l’allégorie, ce qu’il faut croire ». Autrement dit, les faits (la réalité) sont une chose, mais la foi en est une autre.
          Ce qu’il faut croire (car c’est une obligation) ce n’est pas la réalité des faits.
          Maintenant, suivez bien, j’extrais le poisson de la mare :

          « Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a besoin de l’interprétation »
          Et qui donc interprète ? C’est « La communauté où s’est formée [l’Écriture] et où elle est vécue. En elle seulement… se révèle le sens » des paroles humaines consignées dans la Bible. « Il existe des dimensions du sens des paroles, qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire »
          Ce que dit le pape, c’est

1- Que Dieu parle à travers les faits de l’Histoire humaine, qu’il s’exprime à travers les paroles humaines de ceux qui ont vécu cette Histoire.

2- Mais que ces faits n’ont pas de réalité signifiante.

3- Et que ces paroles humaines ne signifient pas ce qu’elles signifient.

4- La réalité des faits, et les paroles qui l’expriment, ne prennent leur sens que quand ils sont interprétés.

5- Et celle qui est seule habilitée à interpréter, c’est l’Église. Jamais le pape n’emploie ce terme : il parle de « communauté » ou de « communion ».

          La boucle est bouclée : c’est l’Église qui donne leur sens aux paroles et crée la vérité de l’Histoire.
          L’Église : c’est-à-dire son magistère, et le pape en premier lieu.

          Le « fanatisme fondamentaliste » qu’il dénonce, c’est de prendre les Écritures à la lettre. Le fondamentalisme chrétien qu’il officialise, c’est de rejeter la réalité historique des Écritures pour lui substituer l’interprétation humaine d’un magistère, qui possède seul le pouvoir d’interpréter.
          Mater et Magistra : l’Église est mère, elle enfante le sens et la vérité. Mère dominatrice (Magistra) : elle impose son sens et sa vérité.

          C’est dans une autre partie du discours qu’il faut pêcher la confirmation du magistère de l’Église sur la vérité : « La foi… relève du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes » (voir Qu’est-ce que la vérité ?).

          Saluons au passage cet art magique de la noyade du poisson : nos intellectuels, sagement assis devant le magicien dans la salle des Bernardins, n’y ont vu que du feu.

La création continue

          J’irai plus vite sur le deuxième point-clé abordé par le pape : il est en cohérence parfaite avec ce qui précède.
          « Dieu est le créateur, dit-il : il travaille, il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. La création n’est pas encore achevée ! »
          Cette conception de la création continue constitue le fond de commerce inaltérable des Églises : si Dieu continue d’être à l’œuvre dans chacun des événements de l’Histoire, depuis notre vie quotidienne jusqu’à l’évolution de la planète, il importe de se trouver du bon côté. De pouvoir influencer Dieu, d’avoir prise sur lui afin de l’inciter à ménager ceux qui savent le reconnaître, et qui peuvent l’invoquer. Il faut avoir le pouvoir de faire changer Dieu d’avis, ou de décisions, pour qu’il « œuvre » dans le bon sens, le nôtre.
          Et c’est l’Église qui a ce pouvoir, puisqu’elle est l’unique médiatrice entre Dieu et les hommes.

          Ainsi, non seulement l’Église recrée l’Histoire à sa guise (par son interprétation des paroles du passé), mais elle est co-créatrice de l’Histoire en train de se faire, par son pouvoir d’influencer le « travail de Dieu dans la création inachevée »

          Quand, comme Dieu lui-même, on crée l’Histoire et la Parole (le sens de l’Histoire et le sens des paroles), l’avenir vers lequel on est en transition s’annonce en effet aussi glorieux que le passé.

          Jésus, reviens, ils sont devenus fous…

                   © M.B., 28 oct. 2008

UNE ÉGLISE PEUT-ELLE SE RÉFORMER ? Robert Hue quitte le PCF

            En démissionnant avec fracas (Le Parisien, 29 nov.) du directoire du Parti communiste, Robert Hue projette sur le catholicisme une lumière inattendue.
          L’ancien dirigeant suprême du PCF confesse :  » j’ai tenté de conduire une mutation, dont j’espérais qu’elle permette à notre Parti de retrouver une réelle influence dans la vie politique française. Cette mutation a échoué… Je l’ai fait parce que j’y croyais, même si le doute m’habitait parfois… Désormais – en dépit de la richesse humaine et du dévouement des milliers de militants communistes – je ne crois pas que le Parti soit réformable« .

          Et il écrit à Marie-George Buffet : « A propos du communisme, plutôt que de s’enfermer dans le fétichisme d’un mot », il faut reconnaître « que ce mot a été malheureusement souillé, aux yeux des peuples, par les erreurs commises en son nom ».
          Son amer constat, c’est « l’impossibilité du Parti à s’auto-transformer : je serai communiste autrement ».

           Mutatis mutandis, cette analyse lucide s’applique à l’Église catholique.

          Elle aussi, c’est un grand « parti », avec des militants, des dogmes fondés sur une utopie. Après la Révolution, les lendemains qui chantent. Après la mort, le bonheur éternel : utopie vient du grec ù-topos, « nulle part », et de nù-topos, « lieu de bonheur ». La vie présente, dans le monde tel qu’il est, n’est qu’une somme de souffrances : vivons-la tant mal que bien, animés par l’espérance d’un lieu de bonheur futur – la société sans classes d’un côté, le paradis des Apocalypses de l’autre.

          Le Parti communiste était la structure, sociale et mystique, qui devait apporter ce bonheur ici et maintenant. Constatant qu’il ne menait nulle part – ù-topos – Robert Hue a « tenté de conduire une mutation » de cette structure, et « cette mutation a échoué ». Mais il va plus loin : « Je ne crois pas que le Parti soit réformable…, il est dans l’impossibilité de s’auto-transformer ».

           L’Église catholique a toujours faite sienne la fière devise de la Chartreuse : Numquam reformata, quia numquam reformanda. Elle n’a jamais été réformée, parce qu’elle affirme n’avoir jamais eu besoin de réforme.

          En 17 siècles, il y a bien eu trois tentatives de réforme : la réforme carolingienne, qui consacra l’adoption d’une théocratie durable (l’Église et l’État ne font qu’un). La contre-réforme, qui fut – comme l’indique son nom – une réaction à Luther par la réaffirmation des fondamentaux catholiques. Vatican II, enterré en quelques années par Jean-Paul II.

          L’Église ne peut être réformée en profondeur, sinon elle l’aurait fait depuis longtemps. Il faut le savoir, et ne rien espérer d’impossible : si elle n’est « nulle part », l’utopie n’est certainement pas dans une Église, ou un quelconque Parti.

           « En dépit de la richesse humaine et du dévouement des milliers de militants », se désole Robert Hue. Eux aussi ils sont là, les fidèles catholiques : généreux, idéalistes, désireux de croire. Que faire d’eux ? Ils ne sont pas aveugles, ils voient que la route est barrée, seulement ils se trompent d’obstacles.

          L’obstacle ce n’est pas le célibat des prêtres, mais l’existence d’un sacerdoce hiérarchique. Ce n’est pas le manque d’engagement aux côtés des exclus, mais la lourdeur d’une institution fondée (dès son origine) sur l’exclusion. Ce n’est pas l’ordination de femmes-prêtres, mais le mépris des femmes (dès l’origine). Ce n’est pas la foi mise en danger, mais l’accent mis (dès l’origine) sur la pratique des sacrements, au détriment d’une spiritualité qu’on ignore ou qu’on réserve à quelques mystiques – regardés de travers. Ce n’est pas telle ou telle politique, mais (dès l’origine) la fascination pour « César », quelle que soit la couleur de sa toge.

           Déçu, désabusé, Robert Hue refuse de « s’enfermer dans le fétichisme du mot communisme… souillé par les erreurs commises en son nom »
          Il y a un fétichisme des mots « christianisme », « chrétien », au nom desquels bien des erreurs ont été commises. Hélas – déjà Épiphane de Salamine le regrettait au IV° siècle – il n’existe pas de mot « Jésuisme«  pour qualifier ceux qui ne sont plus juifs, et ne veulent pas être chrétiens. Qui ne veulent que suivre Jésus.
         Les ruines du christianisme annoncent-elles la naissance du « Jésuisme » ? D’une religion conforme à ce que Jésus le nazôréen a été, a fait, a voulu faire ? Une chose me semble sûre en tout cas : ce que Jésus prêchait n’avait rien d’une utopie.

          Les humains étant ce qu’ils sont, peuvent-ils se passer de fétiches et d’utopie ? Suffit-il de dire qu’on sera « chrétien autrement » – ou « communiste autrement » ?

          Certes, quelques-uns ont toujours su rencontrer Jésus tel qu’il fut. Mais « le peuple » ? Il n’a ni le temps, ni les moyens, ni la force de se lancer dans une aventure solitaire.

          Je ne doute pas que Robert Hue saura être « communiste autrement », après avoir quitté le système qu’il a dirigé pendant dix ans. Mais les petites gens, les humbles, qui n’ont ni sa culture, ni son expérience, ni ses cicatrices ?

          « Voyant qu’ils étaient comme un troupeau sans berger, écrit Marc, Jésus fut bouleversé dans ses entrailles »

                                          M.B., 30 nov. 2008

POST-CHRÉTIENTÉ : UN ESPOIR ? (M. Maffesoli)

          Les conférences du professeur Michel Maffesoli à l’Université Pour Tous de Chantilly ouvrent de larges portes. Après La crise de l’autorité en février 2008 (cliquez) ,nous l’avons entendu hier sur Post-modernité : le retour des idoles.
          Il commençait ainsi : « La vraie pensée est une pensée questionnante« .
          Mon propos n’est pas de résumer sa conférence, mais ce que j’en ai retenu au regard de ma problématique, la Post-chrétienté. « On n’a jamais qu’une idée, autour de laquelle on tourne », disait hier M.M. Après l’effondrement constaté du christianisme, quelles perspectives, quel avenir ?

I. LA POST-MODERNITÉ

          Maffesoli souligne d’abord que la crise actuelle de l’Occident n’est pas seulement économico-sociale (crise de ce qui est institué), c’est une lame de fond sociétale (crise de ce qui est instituant). Depuis 3000 ans, on a vu se produire périodiquement des moments de saturation sociétale. Les valeurs, les critères, les certitudes d’une société pourtant établie dans la longue durée se mettent brusquement à saturer : l’ordre en vigueur ne disparaît pas d’un coup, il se montre tout simplement incapable de répondre aux aspirations juvéniles.
          « Tout fout le camp », disent les vieux, « les jeunes n’ont plus de valeurs » : c’est faux. Ils ont leurs valeurs, et elles sont fortes – mais elles sont autres.
          Les corps institués se cramponnent alors à celles qui furent leurs valeurs pendant si longtemps. Ils parlent d’abandon, de décadence : ces mots sont justes (il y a bien dé-cadence), mais ils servent à masquer l’urgence d’une transformation structurelle.
          Qu’est-ce qui caractérisait la « modernité », née au début du XIX° siècle ?

          1- La rationalisation généralisée de l’existence, incarnée dans le contrat social qui définissait un être-ensemble rationnel. La « valeur travail » (Karl Marx) donnait son sens à la société, elle faisait de nous des producteurs, et des reproducteurs. Surtout en France, on se méfiait de l’imaginaire.

          2- La notion de temps finalisé : nous allions quelque part, et nous savions où nous allions. C’était le « progrès », linéaire et qui menait au bonheur.

          3- L’action iconoclaste : Nous avons cassé l’ancienne image d’un monde qui était magique, qui faisait peur par son mystère mais qu’on respectait. Le monde ne fait plus peur : on ne le respecte plus, on l’épuise. Devenu objet banal, il est une ressource à exploiter.

          Maffesoli voit dans la crise, d’abord, une faillite du temps finalisé : à l’horizon de nos efforts, il n’y a plus désormais de projet mobilisateur : on ne se pro-jette plus dans l’avenir, on ne sait plus où on va, mais on y va.

          En même temps, c’est la fin de la « valeur travail » : on ne veut plus travailler pour vivre, mais vivre en travaillant. Ce n’est pas l’abandon du travail, mais la découverte de ses limites : accomplir des tâches ne suffit plus, il faut le recul nécessaire pour inventer un projet nouveau, qui corresponde à un monde épuisable, et épuisé.
          La valeur créativité remplace la valeur travail.

          On passe enfin d’un monde structuré par le rationnel, à un univers où le sensuel a repris toute sa place : le corps n’est plus seulement producteur / reproducteur, il est voulu pour lui-même, il devient LE projet à accomplir.
          Retour du sensuel, du tactile, mais aussi du spirituel. La mystique du travail a bien failli nous anéantir, nous avions opposé matérialistes et mystiques : les mystiques reviennent en force – avec l’appétit du divin, la curiosité pour l’au-delà des apparences. Ce qu’il fallait voir pour pouvoir le faire, s’efface devant ce qu’on doit ressentir, pour pouvoir l’accomplir et s’accomplir.
         
          Cela s’accompagne du retour à la petite communauté, à la chaleur du cocon, aux amitiés partagées, aux sensations ressenties ensemble. Finie la dictature – sociale, politique, ecclésiastique – des masses : bienvenue à la cellule limitée, informelle, au groupe charismatique, au comité de quartier, à la vie associative. On y rentre, et on en sort, d’autant plus librement qu’il n’y a aucun rite d’admission, aucun projet d’adhésion à très long terme.

          Groupements informels, mais qui ne peuvent exister qu’autour d’un totem, une personnalité forte qui incarne l’intuition du groupe, son projet. Pape, Dalaï-Lama, Président : on a besoin d’une locomotive, à condition cependant qu’elle soit proche des wagons, ou plutôt comme eux. Sur les trônes, nous n’acceptons plus de couronner que des people. On ne leur offre un culte que si l’on peut aussi adorer leur humanité, qui doit être semblable à la nôtre. La base ne supporte plus le sommet que si elle peut s’identifier à lui.

          Retour du rêve, de l’imaginaire, du ludique. L’Homo sapiens est mort, vive l’Homo ludens. Le plaisir est premier. L’avenir n’existe plus, vive le présent. Nous vivions dans nos têtes, existons dans nos corps. Nous étions citoyens du monde, soyons voisins de nos voisins. Vous pensiez ? Eh bien, ressentez maintenant !

II. LA POST-CHRÉTIENTÉ

          Que Michel Maffesoli me pardonne si je le pille, pour revenir à l’objet de mes travaux : sur les ruines de la chrétienté, il faudra bien un jour reconstruire.

          Tout le monde sait maintenant que le christianisme a été inventé, une génération après la mort de Jésus, par ceux qui l’ont coulé dans une rationalité qui préfigurait celle dont nos sociétés sont en train de sortir.
          Qu’est-ce que la théologie, sinon une mise en forme rationnelle de la religiosité ? Les Père fondateurs du christianisme disposaient d’un outil remarquable, la pensée grecque : de Paul de Tarse (ce rabbin grec) à Thomas d’Aquin, ils ont construit une cathédrale de la pensée dont nul par la suite, pas même les idéologues des Lumières, n’a pu éviter d’être paroissien assidu. Ce fut la chrétienté, symbiose parfaite entre une théologie rationnelle et des sociétés de raison.
          L’une est morte, les autres vacillent. Sœur Anne, vois-tu venir quelque chose ?

          Oui, la « quête du Jésus historique«  (cliquez  I,  II, III,) . Elle renouvelle entièrement, à la fois notre appréciation du christianisme, et la question posée ici.
         
          Jésus fut un charismatique itinérant, un Wanderer. Il vivait dans une société fortement rationnalisée : à la rationalité juive, rabbinique, s’ajoutait une rationalité gréco-romaine qui imprégnait déjà la société juive de son temps. Les comportements, les discours, étaient convenus, fixés, déterminés. Il y avait un langage, des attitudes, des formes de vie sociale politiquement corrects. S’en distinguer, s’en extraire, c’était se mettre au ban d’un monde dans lequel le marginal n’avait aucune place. Dire autre chose que ce qui était dit, faire autre chose que ce qu’on faisait – parler autrement, être autrement – c’était se condamner à mort.

          Or c’est exactement ce qu’a fait Jésus. Il quitte sa famille – qui le juge « fou » -, son milieu, son travail. Il devient sans domicile fixe, non-productif, et se donne en exemple. Il méprise l’argent, et réduit sa consommation à très peu – ce qui ne l’empêche pas, quand il est invité, d’être un bon convive qui apprécie le boire, le manger, et même les parfums de luxe. 
         
          Dans une société où la pratique religieuse est affaire d’identité nationale, où le clergé tient le pouvoir, il est non-pratiquant, et même ouvertement anti clérical. Il critique la Loi – qui est à la fois religieuse et sociale : il ne dit pas qu’il veut l’abolir, mais l’accomplir – c’est-à-dire lui donner une dimension autre. Il imagine un autre monde, fondé sur d’autres valeurs.
          Lesquelles ? Il propose une « loi du cœur« , qui fait de chacun – du moment qu’il a purifié son cœur – le juge de la loi. « Transforme-toi intérieurement, et alors tu seras juge des Juges. Tu seras au-dessus des lois (mais non contre elles). César ? Le pouvoir établi, l’ordre ancien ? Laisse-les là où ils sont, ce sont des morts qui enterrent les morts. Ta vie est ailleurs. Ton projet aussi »

          Car Jésus a une finalité, qui fait paraître dépassés tous les projets sociopolitiques : il sait où il va, et il y va. Il appelle cela le « Royaume ». Il n’en donne aucune définition rationnelle, mais une image : celle d’un groupe restreint (mais ouvert à tous) réuni pour faire la fête, un repas convivial, un plaisir sensuel partagé.

          A chaque instant de sa courte vie, il a donné priorité à la rencontre personnelle, immédiate (sans médiation), tactile.
          Priorité au corps, sur les idées. Il laisse venir à lui tous ceux qui n’ont nulle part où aller, parce que la société pensante les rejette : les malades purulents, les femmes (mêmes adultères), les collabos, les étrangers (comme la syro-phénicienne), les occupants de son pays – même les enfants, qui n’existaient alors qu’à condition de devenir adultes.
          Tous ceux-là viennent à lui. Ils le touchent, et il les touche. Il réhabilite leur corps.

          Il n’est pas différent d’eux, il leur ressemble. Quand il fait soif, il bavarde familièrement avec une étrangère et lui demande à boire (à une femme !). Partout, à chaque instant, il se laisse inviter, questionner, aborder dans la rue. Il refuse d’être traité autrement que chacun, et chacun peut s’identifier à lui.

          Au sens où l’entend Maffesoli, Jésus était un sensuel, non pas un rationnel. Un imaginaire, non pas un penseur. La valeur travail ? Il ne travaille plus, mais il travaille sans cesse – autrement. L’amitié ? Il n’a cessé de la proposer à ses disciples, et ce n’est guère sa faute s’ils n’ont pas su la lui rendre.

          Dans le monde rigidifié socialement, politiquement, religieusement de son temps, Jésus a fait passer la créativité avant la raison.
          C’était un rebelle de l’imaginaire, et un juvénile : il a fait peur aux vieux.

          « La chrétienté fout le camp » ? Oui, c’est fait. Cette période-là est arrivée à saturation, comme tant d’autres avant elle.
          C’est la fin d’un monde, mais ce n’est pas la fin du monde.
          Pour être créatifs dans ce monde qui vient, saurons-nous redécouvrir la jeunesse d’un Jésus ? Aurons-nous envie de le prendre pour totem ? En aurons-nous les moyens, et surtout, l’audace, le courage, l’imagination ?

          Ceci est une autre question. Au moins, posons-la.


                             M.B., 15 février 2009.

LE CHRISTIANISME PEUT-IL ÉVOLUER ?

          L’étude des révolutions scientifiques permet de mieux poser une question brûlante : les religions peuvent-elles évoluer ?

          Je m’appuie sur l’historien des sciences Thomas Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983). Il analyse la façon dont un système de pensée, devenu principe général d’explication du monde, évolue dans le temps.

I. LES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES


          1- Au cours des siècles, certains systèmes de pensée ont recueilli le consensus des sociétés, de leurs autorités et de leurs communautés intellectuelles (savants). Devenu indiscutable, ce système était à la base de la conception du monde, il fondait les lois, la morale et la religion de la société.
          Exemple : la cosmologie de Ptolémée. Elle n’a jamais été remise en cause jusqu’à Copernic et Galilée, devenue d’autant plus intouchable qu’elle fournissait sa grille de lecture à la Bible. Le soleil et les planètes tournant autour de la terre, l’homme était considéré comme le centre de l’univers : au point qu’il fallait que Dieu devienne homme, pour pouvoir sauver sa création. A partir de là, tous les dogmes chrétiens s’enchaînaient les uns aux autres.

          2- Il arrive que quelques chercheurs s’aperçoivent que des phénomènes nouveaux apparaissent, ou plutôt qu’on ne les avait jamais détectés ni pris en compte, et qu’ils semblent ne pas s’accorder avec le système de pensée devenu officiel. Ils « prennent conscience d’une anomalie, c’est-à-dire que la nature, d’une manière ou d’une autre, contredit » le système de pensée (Kuhn p. 83).

          3- Quand cela se produit, rien ne se passe. La nouvelle prise de conscience ne remet pas tout de suite en cause le système de pensée : on essaye seulement de l’adapter, afin d’intégrer la nouveauté. On améliore des détails pour le préserver, pour ne pas qu’il disparaisse, et souvent on y réussit – pendant un certain temps.
          Autrement dit, la communauté des intellectuels – dépendante du pouvoir politique et de la pression sociale – se mobilise pour maintenir ce qui a si bien marché jusqu’alors. Les officiels (y compris les intellectuels) ont horreur des ruptures brutales, leur pente naturelle est le conservatisme : l’ intelligentsia préserve sa position honorifique et le pouvoir qui l’accompagne. Quant aux gens du peuple, ils n’ont d’autre choix que de les suivre, ce qu’ils font d’autant plus volontiers qu’eux-mêmes craignent aussi l’aventure : une rupture de l’ordre du monde conventionnel, dont ils ne peuvent comprendre ni les tenants ni les aboutissants, leur paraît toujours aventureuse.

          4- Après beaucoup de temps, et de nombreux replâtrages plus ou moins réussis, les incohérences s’accumulent au point qu’on en vient à douter du système de pensée traditionnel. La communauté intellectuelle « entre en crise«  : les défenseurs acharnés de l’ordre établi s’opposent à ceux qui le mettent en doute.
          « Les crises sont une condition préalable et nécessaire de l’apparition d’un nouveau » système de pensée (id., p. 114).

          5- Aucune sortie de crise n’est possible tant qu’on n’a pas sous la main un nouveau système de pensée, capable de remplacer le précédent.
          Il faut noter que ce nouveau système de pensée peut être fort ancien : ainsi, Aristarque de Samos, au III° siècle avant J.C., soutenait déjà que la terre tournait autour du soleil en même temps que sur elle-même. Cette idée fut qualifiée d’ « incroyablement ridicule » par Ptolémée lui-même. Elle n’a pas été adopté à l’époque, d’abord parce qu’elle n’était pas conforme à ce qu’observaient les gens ordinaires (le soleil se lève à droite, se couche à gauche : la terre ne bouge pas). Ensuite, parce qu’elle s’accordait mal avec la mythologie gréco-latine. Et encore plus tard, parce qu’elle n’allait pas dans le sens d’une certaine lecture de la Bible.
          Kuhn remarque qu’un nouveau système de pensée chemine toujours lentement, à partir de « quelques premiers adhérents » : on n’assiste jamais à une « conversion du groupe en bloc » (id., p. 217).

          6- Pendant longtemps, ces « premiers adhérents » cherchent en vain à convaincre leurs collègues, ils sont en butte aux persécutions des autorités (Galilée).
          Un jour, le nouveau système de pensée finit quand même par s’imposer : on oublie alors totalement le précédent, et on réécrit l’histoire en présentant le nouveau modèle comme s’il s’inscrivait tout naturellement dans une suite logique de développement. « Une fois réécrits, les manuels déguisent inévitablement non seulement le rôle, mais l’existence même des révolutions qui sont à leur origine » (id., p. 191).

          L’Histoire est toujours réécrite pour masquer la mémoire des crises. Les sociétés ayant peur des révolutions, on cache d’abord le caractère révolutionnaire du nouveau système de pensée, puis on oublie de quelle crise il est né.


II. L’ÉCRITURE DE LA BIBLE

          La Bible est née de ces crises successives.
          Ainsi, la réforme de Josias une fois accomplie, on va réécrire l’Histoire pour laisser à entendre que les juifs ont été monothéistes depuis leurs origines : il faut une étude attentive des textes pour s’apercevoir que l’idée d’un Dieu unique a cheminé lentement en Israël, et ne s’est imposée que vers le IV° siècle avant J.C. Les auteurs de livres bibliques font tout leur possible pour nous faire croire qu’elle a été révélée dix siècles plus tôt, à Abraham.
          Ainsi de la séparation d’avec le judaïsme d’où est né le christianisme : nous devons à la hargne de Paul contre ses « collègues » apôtres le témoignage directe de l’épître aux Galates, sans lequel le compte-rendu des Actes donnerait l’impression que la transition du judaïsme au christianisme s’est faite tout naturellement, après une discussion courtoise entre frères.
          Ainsi de la transformation de Jésus, fils de Joseph, en Messie ressuscité d’abord, puis en Dieu : à lire les évangiles, on a l’impression que Jean-Baptiste, puis Jésus lui-même, ont proclamé son statut extra-humain dès les origines, comme une révélation immédiate. Alors que cette transformation a été lente, progressive, et s’est heurtée à des résistances farouches qui ont failli mener l’Empire romain à la guerre civile (Arius).

III. LE CHRISTIANISME PEUT-IL ÉVOLUER ?

          Relevons les points communs avec l’évolution des systèmes de pensée scientifiques.
          Comme on l’a vu, le judaïsme et le christianisme sont nés à la suite de révolutions : l’ancien système de pensée a été remis en cause, une nouvelle doctrine est apparue. Des théologiens ont introduit dans les textes une réécriture du passé, ils ont transformé la révolution en Révélation. Le nouveau système de pensée (monothéisme, divinité du Christ) s’est imposé comme une vérité qui remontait aux origines : il était révélé par Dieu, donc intouchable – c’était un dogme.

          Pourtant, l’Incarnation a été très tôt contestée par une élite (Arius, Eutychès, etc.) qui a tenté de convaincre ses « collègues ». En vain : ce dogme était fondateur d’un ordre du monde défendu par les autorités, religieuses autant que laïques – unies dans le combat pour la préservation de ce qui est.
          Née au XX° siècle, la recherche sur le Jésus historique met pourtant en lumière des « anomalies » flagrantes : il apparaît que Jésus n’a jamais prétendu être un Dieu, que sa divinité a été inventée à la fin du I° siècle, selon un processus et pour des raisons que les chercheurs mettent en évidence.

          Pour qu’un système de pensée change, il faut premièrement qu’il y ait crise, et deuxièmement qu’un nouveau système de pensée soit disponible.

          Aujourd’hui, il y a bien crise du christianisme. Le Concile Vatican II a tenté de remédier à cette crise par des replâtrages d’ordre liturgique et disciplinaire, sans s’attaquer au cœur du problème : un édifice dogmatique qui ne correspond plus ni à notre connaissance du monde, ni à notre connaissance des évangiles.
          La crise demeure et s’amplifie donc, et quand on voit que même les replâtrages de Vatican II sont remis en cause, on comprend qu’un nouveau système de pensée religieux ne pourra jamais s’imposer pour remplacer l’ancien, le christianisme en crise.

          Pourquoi ? Parce que, à la différence des sciences, la religion est basée sur l’irrationnel. La compréhension des textes sacrés est maintenue telle quelle (malgré les évidences contraires), parce qu’elle satisfait cet irrationnel en le justifiant.

          Si le christianisme était purement rationnel, il pourrait évoluer comme les sciences, par crises donnant naissance à un nouveau système religieux. Mais il touche à ce qu’il y a de plus profond dans l’Homme, sa peur de la mort, son besoin d’échapper à la dure condition humaine en rêvant à sa propre divinisation.

          Je ne crois pas que la redécouverte de la personne de Jésus pourra bientôt transformer le christianisme. C’est pourtant la seule issue possible à la crise actuelle, beaucoup plus profonde qu’on ne croit, tellement profonde que les Églises chrétiennes refusent de la prendre en compte – aujourd’hui comme hier.
          Peut-être n’a-t-on pas encore touché le fond, peut-être, alors, un renouveau sera-t-il envisageable ?

          Pendant longtemps encore, il y aura donc des pionniers, maintenus dans l’ombre, traités par le mépris, l’indifférence ou le dénigrement.

          « Et pourtant, elle tourne ! »


                            M.B., 4 juillet 2009

UN ARCHEVEQUE AMÉRICAIN CONTRE LE PAPE : Mgr Weakland et Jean-Paul II.

          Petit américain pauvre, entré à l’âge de 18 ans dans l’abbaye bénédictine de St Vincent (Pennsylvanie, USA), Rembert Weakland est élu abbé à 35 ans. Cinq ans plus tard, il est élu par ses pairs à la tête de l’Ordre bénédictin, Primat résidant à Rome (où j’ai vécu à ses côtés pendant presque 5 ans).
          A 50 ans, il est nommé par Paul VI, dont il est l’ami, Archevêque de Milwaukee, USA. Pendant 25 ans, il tiendra à ce poste une place considérable dans l’Église de son pays et dans l’Église universelle – qu’il connaît parfaitement pour avoir longuement voyagé sur les cinq continents, et côtoyé de près toutes les cultures du globe.

          Cet homme exceptionnel, pianiste et fin musicologue, parlant plusieurs langues, d’une immense érudition religieuse, philosophique, littéraire et historique, vient de publier son autobiographie (1). Un témoignage, bouleversant par son authenticité, sur la crise de l’Église catholique (et, à travers elle, de l’Occident) dont il raconte les péripéties, vécues au jour le jour, depuis son diocèse américain.

          Après Vatican II qui dessinait les contours d’une Église rénovée, Mgr Weakland a connu la reprise en mains par la Curie vaticane et le pape polonais. Il trace un portrait incisif de Jean-Paul II, dont le long pontificat coïncida avec son ministère d’archevêque américain.
          Ầ 82 ans, cet homme qui fut mon père Abbé, dont j’ai tant reçu, n’a plus ni ambitions, ni rancœurs – plus rien à gagner et plus rien à perdre. 
          Son livre crie une vérité rare.

          En voici quelques extraits, traduits par mes soins.


          « Ma première réaction à l’élection du Cardinal Wojtyla fut enthousiaste
            « Pour l’avoir souvent rencontré quand j’étais Primat des Bénédictins, je le tenais en haute estime. […] Jamais je n’ai perdu mon admiration pour ses talents et ses dons, même si – au fil des ans – j’ai trouvé que son style et sa façon de diriger une Église d’un milliard d’êtres humains était oppressive, et beaucoup trop centrée sur sa propre personne.
          « Les années passant, j’étais de plus en plus déçu : les espoirs que je nourrissais au début de son pontificat ont tous été trahis ».

I. Un pape à deux visages

          « De toute évidence, c’était un très saint homme. Il possédait toutes les capacités d’un leader mondial. Dans un univers où l’Église catholique perdait de plus en plus sa signification, il a creusé une niche où il a pu faire preuve de son magnétisme personnel et de sa forte volonté : en ce moment précis de l’Histoire, son élection venait à point nommé. Il comprenait le communisme et savait comment le combattre. […]

          « Il a développé le message social du catholicisme : sa critique du capitalisme marquera son héritage. Mais il n’a pas su étendre cette doctrine sociale à un monde interculturel et globalisé, entrevu par son prédécesseur Jean XXIII.

          « Son soutien de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux était sincère : à la suite de Vatican II, il a voulu cicatriser les plaies nées de la Réforme et du schisme avec l’Orient.     
          « Dans ce dialogue, il laissait de côté nombre de points non-résolus, continuant malgré tout à avancer vers une certaine forme d’unité : par exemple, dans son dialogue avec l’Église Orthodoxe il n’a jamais abordé les questions du remariage ou de la contraception, sur lesquelles il maintenait une position très stricte à l’intérieur de l’Église catholique ».

         « En reconnaissant l’antériorité de l’Alliance entre Dieu et le peuple juif, il faisait un pas vers le judaïsme : mais dans cette démarche, il mettait entre parenthèses la position catholique, selon laquelle le salut vient par Jésus-Christ ».

          « Avec une énergie incroyable, il a affirmé que l’Église devait s’ouvrir aux diverses cultures du monde. Il a nommé de nombreux évêques « indigènes ». Dans ses nombreux voyages, il semblait admettre le besoin pour l’Église d’incorporer toutes les cultures, notamment dans leurs expressions liturgiques. De cela, nous devons lui être reconnaissants.
          « Mais il n’a jamais donné aux Églises de ces peuples la liberté complète d’intégrer leurs cultures locales, parce que cela les aurait conduites à un clergé marié et à d’autres changements dans la discipline catholique ».

II. La face cachée d’un pape

          « Tout bien réfléchi, les aspects négatifs de son pontificat l’emportent sur ses aspects positifs.

          « J’ai admiré sa façon de faire face à la menace communiste, mais il n’a jamais déployé la même énergie pour lutter contre les dictatures de droite, spécialement en Amérique Centrale et du Sud. J’ai souvent entendu des évêques de ces pays se plaindre que le seul endroit où l’Église était autorisée à affronter l’injustice politique, c’était la Pologne.
          « En Amérique Latine, la question du mariage des prêtres a bloqué toute possibilité de prendre en compte les besoins d’une immense population catholique, laissant le champ libre aux Églises pentecôtistes et évangéliques américaines, plus ouvertes aux laïcs.
          « Mon espoir d’un renouveau de la recherche théologique et philosophique a été cruellement déçu. Au contraire, les tensions entre les théologiens et le pape n’ont cessé de croître. Il fut vite évident que seuls certains théologiens avaient la cote, ceux qui soutenaient le point de vue particulièrement étroit qui était le sien : les autres étaient réduits au silence. (cliquez)
          « Aux Synodes des évêques, seuls pouvaient prendre la parole des théologiens qui ne s’opposeraient jamais à sa pensée.
          « Le dialogue était acceptable à l’extérieur de l’Église : jamais à l’intérieur.

          « Une autre immense déception a été sa conception et son approche de la sexualité humaine.
          « Beaucoup diront que ses points de vue dataient de l’époque Victorienne. Pourtant, on était surpris de constater la fréquence de ses allusions à la sexualité. En fait, pendant son pontificat de nombreux laïcs ont dit à quel point ils en avaient assez d’entendre sans cesse parler de sexe et de problèmes sexuels, du haut de la chaire de Pierre et venant d’un célibataire.
          « Parce que son idée de la sexualité ressemblait à un courant souterrain qui apparaît ou disparait à la demande, il n’a jamais touché les cœurs de ceux pour qui la vie et la psychologie humaines sont plus complexes qu’il ne le disait, et la sexualité plus ambiguë.
          « Mais l’aspect négatif le plus sérieux de son pontificat a été sa tendance constante à la centralisation, et sa méfiance envers le reste de l’Église.
          « En paroles, il n’a jamais renié le rôle collégial des évêques : mais dans les faits, son style nous a ramenés aux temps de Pie IX [dogme de l’infaillibilité pontificale, 1870 – NDT] : il conférait une importance exagérée à la personne et à l’enseignement du pape, à l’exclusion de pratiquement toute idée autre que les siennes.
          Dans les faits, la réception de chacune de ses paroles comme doctrine officielle de l’Église a créé une atmosphère contraire à la Tradition catholique des siècles passés.

          « Les degrés de certitude que la Tradition attribue à chaque doctrine ont sombré dans l’oubli : avec la publication du Catéchisme de l’Église catholique, tout a été uniformisé dans un enseignement officiel unique.
          « J’ai souvent relevé une tendance, au Vatican, à appeler « idéologique » toute conception contraire à celle du pape. Ce terme a servi à stigmatiser les éventuelles oppositions au Magistère central.
          « Dans son administration, Jean-Paul II a particulièrement favorisé le rôle des cardinaux : bien que ce soit étranger aussi bien à l’Écriture qu’à la Tradition, il a donné à leur petit groupe le pas sur l’ensemble du Collège des évêques, portant ainsi gravement atteinte au principe de la collégialité.
          « Souvent, quand la Conférence des évêques des USA se trouvait dans une impasse face à l’administration vaticane, les cardinaux américains étaient convoqués à Rome, et eux seuls étaient écoutés.
          « Je crains que le pape n’ait jamais compris à quel point il était étonnant et incongru de conférer le chapeau de cardinal à ceux qui étaient en accord avec ses positions, et ensuite de les prendre pour uniques conseillers ! Ce faisant, il s’interdisait d’entendre des points de vue différents, qui auraient pu lui être utiles ainsi qu’à l’Église universelle.


          « Et j’ai été déçu que le pape et son administration ne fondent pas leurs décisions sur une recherche approfondie. […] J’ai toujours eu l’impression qu’on donnait plus de poids à des missives réaffirmant les idées préconçues, plutôt qu’à des études sociologiques valables. Je n’ai cessé de constater que ses décisions et celles de ses collaborateurs étaient prises de façon anecdotique, d’après des rumeurs, des lettres, des plaintes et des articles de presse – le tout, non vérifié.

[…]
          « J’ai été déçu que le pape Jean-Paul II ne sache pas faire la part entre les dévotions privées et l’essence de la vie spirituelle de l’Église, qui est la Bible et les sacrements. Paul VI avait toujours pris garde de ne pas imposer à l’Église universelle sa dévotion intime et sa sensibilité personnelle : Jean-Paul II n’a pas eu ce scrupule.
          « Ses nominations aux postes de responsabilité ont toujours constitué pour moi un mystère. Certains des promus étaient de toute évidence les meilleurs, mais d’autres étaient visiblement et pitoyablement incompétents.
          « La motivation de son choix était claire : il exigeait une loyauté absolue à sa personne et à ses prises de position sur les sujets importants. Une des faiblesses les plus flagrantes de son pontificat fut le carriérisme qu’il engendra. Inutile d’être un génie comme Machiavel pour écrire un Manuel de l’Avancement sous ce pontificat : les qualités de leadership étaient secondaires, la loyauté seule comptait.
          « Comme il déléguait de plus en plus de responsabilités à l’administration vaticane, il a créé une barrière de plus en plus infranchissable (et insupportable) entre lui et les évêques locaux.


          « Je me suis toujours interrogé sur la solidité des fondements théologiques et philosophiques de ses écrits et allocutions.
          « Il semble s’appuyer sur les Écritures, mais utilise la Bible comme une béquille pour ses longs discours, qui allaient bien au-delà du sens des textes. Je n’ai jamais compris quelles étaient les racines phénoménologiques de son enseignement – si toutefois phénoménologie il y avait.


          « Ce qui m’a le plus surpris fut son intolérance face à des façons de voir opposées aux siennes, spécialement face aux théologiens : la vigueur avec laquelle il a réagi pour les supprimer l’un après l’autre, et le secret employé pour ces procédures d’élimination. […]
          « J’avais espéré qu’ayant vécu sous les régimes Nazi et Communiste, il serait plus sensible à la justice, et à la nécessité de procès ouverts et transparents, même dans les domaines du discours théologique.
          « Pour les évêques, il prenait souvent les décisions lui-même, sans jamais discuter directement du problème avec l’évêque concerné.


          « Contrairement à Jean XXIII, le pape Jean-Paul II n’a pas réussi à discerner les signes des temps.


          « Pour le pape Jean, l’un des signes de notre temps était l’aspiration de tous les peuples à pouvoir dire leur mot sur les décisions qui concernaient leurs existences. Jean-Paul II ne nourrissait que des craintes envers le processus démocratique, et c’est tardivement qu’il accepta (à reculons) que la démocratie puisse être la meilleure forme de gouvernement civil.
          « Pour lui, la démocratie était faible, indécise, compromise par le désir de plaire à la majorité : elle n’avait pas sa place dans l’Église – même si son élection, à lui, avait été démocratique.
          « Son modèle de papauté était celui de la monarchie éclairée – récompensant ses fidèles, et réduisant au silence toute voix divergeant de l’unité, telle qu’il l’avait définie.


          « Il n’a pas su lire les signes des temps, spécialement les ouvertures de Vatican II vers un gouvernement plus participatif à tous les niveaux de la vie de l’Église. 

          « Discerner l’action de l’Esprit dans l’Église en tant qu’ensemble ? Cela n’était pas inscrit sur son agenda.


          « Dans la période qui a suivi le Concile Vatican II, cet échec est sans doute la plus grave des occasions manquées. »


                Mgr Rembert Weakland, OSB, Archbishop of Milwaukee.


(1) A Pilgrim in a Pilgrim Church (429 pages : www.eerdmans.com)

Pages 402 à 408. Sous-titres et surlignages sont de la responsabilité du traducteur, Michel Benoît.

ISRAEL : COMBIEN DE TEMPS ENCORE ?

          Problème palestinien ? Problème juif ?

         Prendre du recul. Relire des extraits de la plus ancienne presse du monde – la Bible.

          Vers l’an 1200 avant J.C., on peut lire dans le Livre de Josué : « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais Josué est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivis jusqu’au Liban » (1) .

          Après cette première version d’une Guerre des Six Jours qui permit l’implantation en Palestine des envahisseurs israéliens, la Bible décrit le début d’un premier génocide palestinien : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant. » (2)

          S’ensuivit une main-basse systématique sur la Palestine : « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, de la vallée du Liban au Mont Hermon, du Négueb au Bas-Pays. Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. Quand il n’est plus resté aucun Palestinien, Josué a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives. » (3)

          Après quoi le général Josué fit une déclaration officielle : « Prenez possession de leurs terres : des terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des villes bâties par d’autres dans lesquelles vous allez vous installer, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées – et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (4)

          Puis ce fut la création des premiers camps palestiniens : « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants. » (5)

          Déjà, c’était « eux ou nous » – impossible coexistence : « Nous devons savoir, déclare un responsable juif de l’époque, que les populations autochtones que nous n’avons pas réussi à chasser vont constituer pour nous une menace permanente, une épine dans notre flanc et un chardon dans nos yeux. Et ceci, jusqu’à ce qu’ils nous aient rayés du sol ! » (6)

          Premières protestations de l’autorité palestinienne, vers 1100 avant J.C. : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays. Rendez-nous ces terres, maintenant ! » (7)

          Début des colonisations illégales et sauvages : On ne compte plus les exemples où, après affrontements avec les Palestiniens, « des juifs reviennent dans les terres spoliées, rebâtissent les villages et s’y établissent. » (8)

          Et l’inexorable engrenage de la violence : « Samson déclara : nous ne serons quitte envers les Palestiniens qu’en leur faisant du mal ! » (9)

           La première Intifada, la guerre des pierres ? Elle fut juive : L’adolescent « David choisit dans un torrent cinq pierres bien lisses. La fronde à la main, il courut vers le palestinien Goliath, et tira une pierre qui l’atteignit au front. Elle s’enfonça dans son crâne, et il tomba face contre terre. » (10)

          Le premier terroriste kamikaze ? Un juif, arrêté après avoir incendié les récoltes des palestiniens : « Tous les responsables palestiniens se trouvaient dans un édifice, avec une foule de 3000 civils. Samson cria : « Dieu, donne-moi la force de me venger des palestiniens d’un seul coup ! » Il s’arc-bouta contre les colonnes en hurlant « Que je meure avec les palestiniens ! », puis il poussa de toutes ses forces. L’édifice s’écroula sur lui et sur la foule : les morts furent très nombreux. » (11)

          En parcourant le Livre de Josué et des Juges qui relatent la chronique des XI° et X° siècles avant J.C., on croirait entendre les informations de la semaine dernière.

          Rien n’a changé.  En 3000 ans, rien n’a été appris.

          Cette situation sans issue, et qui perdure identique depuis trente siècles, semble provenir d’une dramatique confusion. Peut-on la résumer d’un mot ?

          Est juif celui qui est habité par la Loi, est juif celui qui habite la Loi.

          Sitôt créé par David, le premier État juif s’est effondré dans les querelles domestiques, puis par la déportation. Et c’est dans la diaspora où ils ont passé le plus clair de leur histoire, que les juifs ont pris conscience de leur identité, qui n’est pas territoriale mais spirituelle.

          Pour avoir confondu patrie spirituelle et patrie terrestre, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes à la haine, au sang, à la guerre, à la souffrance sans fin ?

Comme me le faisait remarquer un journaliste de L’Express, « les réalités actuelles sont moins simples » que cette mise en perspective du passé et du présent.

          Il faudra donc revenir, ici, sur cette question : qu’est-ce qu’être juif ?

                                       M.B., Fév. 2011

(1) La Bible, Livre de Josué, chap. 9 et 11.

(2) Livre de Josué, chap. 10

(3) Livre de Josué, chap. 11. J’appelle « Palestiniens » les premiers habitants du pays, qui ne prendront ce nom (les phalestim) qu’à l’arrivée des Philistins, quelques années plus tard.

(4) Livre de Josué, chap. 24

(5) Livre de Josué, chap. 6. J’appelle « camps » les villages dans lesquels les Palestiniens de l’époque furent contraints de se retrancher.

(6) Livre de Josué, chap. 23

(7) Livre des Juges, chap. 11

(8) Entre autres : Livre des Juges, chap. 21

(9) Livre des Juges, chap. 15

(10) I° Livre de Samuel, chap. 17 (vers 1040 avant J.C.)

(11) Livre des Juges, chap. 16

LE FILM AVATAR, CAMERON, AMÉNABAR ET LES MYTHES AMÉRICAINS

          Avatar, le dernier film de James Cameron, est en train de pulvériser le box-office. Dans sa version 3D, ce film est salué comme une nouveauté absolue. Est-ce le cas ?

I. Un chef-d’œuvre pictural

Pour la première fois dans l’Histoire du cinéma, un film en relief dispose de salles équipées en nombre suffisant pour toucher le grand public. Et Cameron a utilisé les techniques actuellement les plus en pointe du 3D pour nous offrir une incroyable fête du regard.
On ne trouve plus ses mots : les scènes où l’avatar rencontre sa compagne dans la forêt, les chevauchées dans les montagnes volantes, tout cela est d’une beauté stupéfiante, servi par une imagination en pleine créativité.
Le choc est le même que celui des premiers Walt Disney (Blanche-Neige dans sa version 1937, Bambi), qui utilisaient les couleurs pastel du premier Technicolor – réalisant des œuvres à la beauté formelle comparable aux grands peintres de la fin du XIX° siècle.        On retrouve dans la forêt de Cameron la même inspiration graphique et coloriste que Disney, avec le plus qu’apporte le relief. La même poésie émerveillée devant la nature – une nature magnifiée, réinventée, tendre, qui devient l’un des acteurs majeurs du film.
Bref, rien que pour ce spectacle inouï, il faut voir Avatar, et le voir dans sa version 3D.

II. Le message : les mythes américains

L’idée est excellente : des terriens veulent coloniser une planète pour en extraire tout le minerai dont leur industrie a besoin. Ils créent des avatars semblables aux indigènes qui peuplent cette planète, et les leur envoient pour mieux les gruger en les exploitant à moindre frais.

Référence : G.W. Bush envahissant l’Irak pour exploiter son pétrole.

Les indigènes ? Ils ressemblent furieusement aux Indiens d’Amérique, on nous ressort tout l’imaginaire des Westerns. Ils sont armés de flèches contres des Yankees disposant de robots tueurs, sont assez bêtes pour croire que la nature a une âme, qu’il faut la préserver, qu’ils vivent avec elle en contact direct.

Références : Un mélange de méchant cow-boy et de Danse avec les Loups (le bon blanc qui prend fait et cause pour les indiens) à la sauce écologique.
Car l’avatar envoyé par un horrible colonel (référence : Rambo) pour manipuler les indigènes va basculer, et se retourner contre son propre camp. Ou plutôt, contre « son peuple », les blancs, qu’il trahit (Références racistes mades in USA).
En arrivant dans son « nouveau peuple », il doit d’abord capturer un mustang sauvage et le domestiquer pour en faire sa monture : on a droit à une scène de rodéo déjà mille fois vue (sauf qu’elle se passe dans les airs).

Ayant enfin domestiqué et soumis sa monture, le cow-boy avatar ne fait plus qu’un avec elle. L’Homme domestique l’animal, comme au bon temps de la conquête de l’Ouest.
Mais les blancs, avides de minerai, attaquent le gentil peuple indigène qui ne sait rien d’autre pour se protéger que d’invoquer sa divinité, une espèce de Déesse-mère de la nature à la mode hindouiste.

On voit alors à des scènes de prière communautaire où le New Age se mêle au pentecôtisme américain, dans un fort relent de fondamentalisme évangélique.

III. Cameron, le preacher

Parce que James Cameron est avant tout un preacher, un missionnaire envoyé au monde pour prêcher la foi américaine (à coup de dollars).
Dans ce domaine, sa naïveté est confondante, on retrouve le melting-pot déjà mis en œuvre dans son film de 2007, La Tombe Perdue de Jésus (cliquez) . C’est tellement beau, qu’on voudrait que ce soit vrai : le peuple des indigènes communique avec l’énergie des arbres en introduisant sa queue (caudale !) dans leurs troncs. Par le même canal, il reçoit l’énergie des plantes et obtient la guérison des maladies sans passer par la case industrie pharmaceutique. Ah, qu’il est beau, qu’il est bon ce monde délivré de la chimie, où l’Homme resté à l’état de nature reçoit tout d’elle, et ne lui fait aucun mal en osant l’exploiter !

Autour de l’Arbre de Vie (cf. la Bible), le peuple des mormons-New Age-pentecôtistes agite en rythme ses mains frémissantes, yeux extatiques levés au ciel, danses de possession mystique de la chamane et discours adressés à la divinité (qui répond à son peuple, contrairement au Dieu habituel).

A un preacher américain, il fallait nécessairement une happy end qui montre les bons (le peuple indigène) expulsant les mauvais (les américains gourmands de pétrole) de leur territoire sacré, après avoir flanqué une raclée à l’armée la plus puissante de l’Univers avec leurs arcs et leurs flèches.
Et pour que l’émotion soit garantie, le bon-blanc, traître à son peuple, qui a pris le parti de défendre les indiens exploités, meurt à la fin.
Il le fallait : parce que le Christ a été crucifié pour sauver l’humanité.
Mais le bon-blanc a plus de chance que Jésus sur la croix : sur son visage exangue se penche la ravissante Marie-Madeleine, qui lui donne un dernier baiser (référence : la fin du Titanic).

Car tout cela est noyé dans le sentimentalisme américain sommaire : la brute tombe amoureux de la belle (non sans s’excuser poliment – I’m sorry – quand elle lui fait remarquer qu’il casse tout).
Puis l’amour le transforme en héros prêt à se sacrifier pour l’humanité – la seule vraie, celle des indiens, les Yankees n’ayant pas plus de tête que les robots qu’ils conduisent à l’assaut du peuple aux mains nues.

On ne nous épargne pas la scène où le chef de la tribu, père de la belle, meurt sous ses yeux alors qu’elle saisit la main de la bête dans un moment d’intense communion.
Ah ! qu’elles sont douces-amères en ce sanglotant instant les larmes que la belle et la bête versent ensemble, unies dans une douleur que leur amour seul leur permettra de surmonter !

A l’entrée de la salle, on vous distribuera des lunettes, mais pas de mouchoirs : n’oubliez pas le vôtre !

Jetez dans une casserole toutes les frustrations, les culpabilités, le sentimentalisme et la religiosité païenne américaine. Ajoutez un bon coulis de sang et de violence, cuisez à feu vif.
Faite-en une œuvre d’art graphique absolue, techniquement et visuellement stupéfiante : vous avez Avatar. On comprend que « ça marche » : le public aime la mélasse, et apprécie la beauté.

 
IV. Agora, d’Alejandro Amenabar

Mais si on compare Avatar avec Agora, le film d’Alejandro Amenabar, on se dit que la superficialité est du côté américain, la profondeur du côté européen.
Lui aussi, Agora est d’une très grande beauté formelle, avec une utilisation parfaite des images de synthèse : la reconstitution de l’Alexandrie de la fin du IV° siècle est époustouflante, les acteurs remarquables.
Mais le scénario d’Agora est tiré d’un épisode vrai de l’Histoire de l’Occident, toujours passé sous silence, qu’Amenabar raconte avec fidélité : la persécution sanglante et fanatique infligée par les chrétiens (à peine reconnus officiellement) aux prêtres de la religion Égyptienne millénaire d’abord, aux juifs ensuite.
Tout tourne autour de Cyrille d’Alexandrie, le boucher qui lança ses pasdarans chrétiens à l’assaut des non-chrétiens. Et qui sera canonisé, après avoir été décrété Docteur de l’Eglise.
Seul un Amenabar était capable de faire un si beau film sur ce sujet tabou. Images, scenarios, dialogues, c’est une réussite du début à la fin.

Allez voir Avatar en 3D, vous n’oublierez pas sa beauté.
Mais surtout ne manquez pas Agora : au choc visuel s’ajoute le choc intérieur.

Un choc salutaire, indispensable pour nous réveiller.                                M.B., 12 janvier 2010

L’OMBRE DE LA MORT DANS LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM

La mort est notre seule certitude.

Pour l’Ancien Testament, la mort est une punition infligée par Dieu à l’homme et à la femme, parce qu’ils ont voulu savoir ce qu’il fallait ignorer afin de ne jamais mourir : où se situe la frontière entre le bien et le mal.

C’est-à-dire qu’il existe un Mal, un Mauvais, un Shatân à l’œuvre dans la création. Faire sa connaissance c’est le rencontrer, le rencontrer c’est être brûlé par lui à jamais .

Tandis qu’ignorer Le Mal, c’est être ignoré par lui et ne pouvoir être atteint par lui. « Le Mal c’est mon affaire dit Dieu, certes il existe mais vous ne devez savoir ni d’où il vient, ni s’il est comme vous une créature que je tolère ou puis seul soumettre. Ne lâchez pas ce fauve, sinon il vous dévorera. »

On connaît la suite : la femme (encore elle !), séduite par le charme du Mal, lui fait de doux yeux et la fracture s’installe pour toujours dans une création jusque là unifiée par le sommeil du dia-bolos, celui qui sépare, qui divise.

Désormais, la mort sera l’horizon du peuple juif. Elle met un terme à la vie, mais rien n’est perdu puisqu’un Messie reviendra, qui restaurera l’ordre ancien de la création, perdu par l’acquisition de la connaissance.

La Bible est fataliste, mais point désespérée : l’attente du Messie permet de supporter celle de la mort. On s’en accommode sans s’en inquiéter outre mesure. Se l’infliger ou l’infliger à autrui est un crime, qui conduit tout droit à l’enfer.

Au milieu du 1er siècle, le rabbi Jésus s’insurge contre la mort. Il fait preuve à son égard d’une absolue détestation : quand il la rencontre aux portes du village de Naïm ou devant la pierre tombale de Lazare, quand elle menace une femme à l’instant de sa lapidation pour crime d’amour, quand elle attend des malades condamnés par l’absence de médecine, il fait tout pour s’opposer à elle : il ranime, il prend la défense de l’accusée, il guérit.

A-t-il souhaité mourir, s’est-il suicidé ? Cliquez.

Ce refus de l’acceptation de la mort comme châtiment inéluctable, inévitable, cette insoumission devant l’œuvre du Shatân est la marque de Jésus. Elle le classe à part dans le judaïsme, et à vrai dire dans la lignée des grands Éveillés.

En s’imprégnant du messianisme exalté qui s’était développé autour des esséniens un siècle auparavant, le christianisme naissant abandonnera (ou plutôt, n’adoptera jamais) le rejet de la mort manifesté par Jésus.

Les choses se compliquent quand Paul de Tarse introduit dans le dogme chrétien naissant des pans entiers de la religiosité orientale – donnant naissance au christano-paganisme qui est toujours le nôtre aujourd’hui.

La mort n’est plus le châtiment de la connaissance : elle sanctionnera désormais le refus d’adopter les dogmes, les sacrements et les pratiques chrétiennes. l’Église s’est substituée à Dieu, elle est la seule à posséder le savoir. « Si tu le suces à son sein et nulle part ailleurs, tu entreras au paradis. Sinon, c’est l’enfer plus tard – et déjà maintenant, puisqu’on te brûlera si tu oses mettre en doute le monopole de la vérité détenu par l’Église ».

Hors de l’Église, pas de salut : n’attendez plus le Messie, il est déjà là, il a pris corps dans une corporation qui s’identifie à lui et rend son retour inutile.

Les chrétiens ne désirent pas la mort, ils la condamnent et la craignent. Mais ils s’agrippent à la barque de Pierre pour ne pas s’y noyer.

Le Coran marque l’aboutissement final du messianisme judéo-chrétien.

Ầ ses yeux non plus, le Messie n’aura pas à revenir puisqu’il vient d’arriver : c’est l’Umma, la communauté musulmane, « la meilleure communauté suscitée par Allah sur terre ». Le croyant coraniste ne peut vivre qu’à l’intérieur de l’Umma : tout ce qui se trouve en-dehors, le dar-al-harb, c’est un monde de ténèbres où règne le Shatân. Plutôt mourir que d’en franchir l’immatérielle frontière.

S’infliger la mort pour demeurer fidèle à l’Umma, c’est être assuré d’entrer au Paradis. L’infliger à autrui pour préserver l’Umma, ce n’est pas un péché mais une bonne oeuvre.

          Hors de l’Umma, pas de salut.

Et comme chaque Infidèle – chaque être humain vivant hors de l’Umma – est habité par le Shatân, bien plus, comme il défend et propage sans le savoir l’œuvre de Shâtan, il faut en tuer le plus possible.

Tuer les infidèles, c’est faire reculer le royaume de Shatân, c’est accélérer la venue du ciel sur la terre, quand il n’y aura plus que des muslims, des hommes et des femmes soumis à Allah.

La mort est un bien désirable, se l’infliger pour Allah c’est aller au Paradis, l’infliger au nom d’Allah c’est protéger l’Umma.

Donner la mort ou la recevoir dans le « Chemin d’Allah », c’est l’idéal de tout croyant coraniste.

Parce qu’il a été travesti par les chrétiens, ignoré par le Coran, le message de Jésus n’a jamais eu aucune chance d’être entendu, et encore moins mis en pratique.

          Shatân lâché en liberté, l’ombre de la mort ne nous quitte plus.

Chrétiens ou musulmans, musulmans contre chrétiens, nous sommes condamnés à patauger dans le sang et la violence des ‘’Voies du Seigneur’’ de l’Église ou du ‘’Chemin d’Allah’’ du Coran.

                                                                     M.B., 21 août 2013

 

 

LA FRANCE, LA MÉDIOCRITÉ ET LA HAINE

                   « Dans cette grande nuit où personne ne guide personne »

Marie Noël

La France s’enfonce-t-elle dans la haine et la médiocrité ?

La violence caractérise l’espèce humaine, les animaux ne tuent que pour se nourrir ou défendre leur territoire. L’être humain est le seul qui tue sans nécessité biologique, le seul capable de haine gratuite.

Quand on survole l’Histoire, on s’aperçoit que nous autres humains avons eu dès l’origine le triste privilège de la haine d’homme à homme – c’est le mythe du meurtre d’Abel par Caïn. Puis est arrivé un moment où les sociétés s’étant constituées, on a vu naître la haine collective. Un peuple se mettait à en haïr un autre, une partie de ce peuple à haïr l’autre, une tribu se dressait contre l’autre.

La violence devenait institutionnelle, elle ne tarda pas à devenir haine d’État.

Qu’est-ce qui motivait, puis justifiait cette violence ? Au XII° siècle avant J.C. Josué envahit la Palestine, commettant le premier génocide attesté par l’Histoire (cliquez) : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. » (1) « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. » (2)  Et Josué dit aux israélites : « Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (3)

Pour la première fois, la violence institutionnelle était formulée en termes religieux, c’est-à-dire irrationnels, à la fois vagues et puissamment motivants.

D’une façon ou d’une autre, ce type de haine a été à l’origine de tous les mouvements de révolte accompagnant l’affaiblissement d’un pouvoir et son remplacement par un autre.

Affaiblissement : le pouvoir en place (ou le peuple dominé) se montre incapable de faire face aux événements. La médiocrité des uns devient impuissante devant la haine des autres.

La médiocrité et la haine s’appellent l’une l’autre.

Cercle vicieux, engrenage mortifère.

Ce qui est frappant, c’est que la violence d’État, et la haine qui la provoque, empruntent leur justification et jusqu’à leur vocabulaire au domaine religieux. On se laisse séduire par quelques grandes idées, capables d’entraîner des foules. Peu à peu elles prennent le pas sur la réalité, on devient aveugle à cette réalité qui s’efface devant l’idéologie. Au terme, on en vient à oublier les grandes idées généreuses qui justifiaient la violence des débuts.

La haine seule subsiste, et elle se manifeste dans des désordres sanglants. Parmi tant d’autres, un exemple : l’idée de liberté, au nom de laquelle la Révolution française se laissa aller à commettre tant de crimes. (4)

Pendant la terreur de 1793 ou les purges staliniennes de 1938, on ne savait plus pourquoi il fallait haïr. Le pouvoir étant affaibli ou se sentant menacé, la médiocrité prit le dessus. La violence ne trouvait plus sa justification qu’en elle-même. Le pouvoir ne la maîtrisait plus, quand il ne l’alimentait pas pour se présenter comme dernier recours. Sa médiocrité le poussait à vivre d’expédients, laissant l’anarchie se développer jusqu’à ce que quelqu’un tire les marrons du feu.

On l’a vu avec Napoléon à la fin de la Révolution Française, ou encore en 1958 quand De Gaulle profita de ce moment où « personne ne guidait plus personne » pour réussir son coup d’état. Heureusement, c’était un démocrate : il a établi une monarchie républicaine, où le roi élu au suffrage universel possède tous les pouvoirs, écartant en principe le spectre de l’anarchie.

Ầ condition que cette nouvelle religion d’état ne soit pas atteinte par la médiocrité du roi. S’abaisse-t-il devant les caméras de télévision, en répondant à l’insulte d’un citoyen par l’insulte, à sa grossièreté par la vulgarité ? Ou encore, devient-il aveugle après avoir promis d’être lucide ? Dans un cas comme dans l’autre, la réalité reprend le dessus, la haine avec elle, et la médiocrité reste seule à gouverner.

Sommes-nous, une fois de plus, entrés dans ce moment où la médiocrité l’emportant chez nos dirigeants, la haine va se déchaîner sans contrôle et sans entraves ?

                                                                              M.B., 4 nov. 2013

(1) Livre de Josué, chap. 10

(2) –id-, chap. 11

(3) –id-, chap. 24.

(4) Madame Roland au pied de l’échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

 

 

 

INTERNET : LA FIN D’UN MONDE ?

Peut-on échapper à Internet ? Pas plus sans doute qu’aux avions qui introduisent en Europe des virus et des parasites tropicaux. Pas plus qu’à l’air du temps, qu’on est bien obligé de respirer même s’il est pollué.

C’est ainsi qu’Over-Blog, sur lequel vous avez le privilège de me lire, vient de se mettre au goût du jour – et je n’ai pas pu y échapper.

On m’avertit que la nouvelle version possède un nouveau design, et me permet de gagner de l’argent – comment donc ai-je pu vous éduquer jusqu’ici tout gratuitement ? On m’apprend que je peux bloguer depuis mon mobile, dont je ne me suis jamais servi que pour téléphoner, animal préhistorique que je suis. Que je dispose désormais d’un outil de migration depuis des plateformes tierces, mais surtout d’une fonction repost agrémentée d’un responsive design.

Enfin, ô joie, on me dit que je peux bloguer sur Windows Live.

Ma vie est transformée, et je voulais vous le dire sans plus tarder. Grâce au Social Hub intégré, je vais pouvoir être connected avec des inconnus, qui le resteront malgré ma mise en page intuitive.

Comment ai-je pu vivre si longtemps sans l’acquis d’un tel progrès ?

Convaincu d’avoir franchi une étape décisive dans l’évolution de l’humanité, j’essaye de me connecter sur mon blog enfin modernisé. Je clique, et un message apparaît m’informant que The application is frozen. L’anglais n’ayant pour moi aucun secret, je comprends que la porte que j’ouvrais depuis 10 ans pour entrer chez moi, dans mon blog,  est bloquée par le givre – frozen. On n’entre plus, ô progrès ! Tu me laisses à la porte.

Heureusement, on m’informe que je peux basculer en section HTLM, et que je peux désormais suivre mon blog grâce au reader. J’aimerais seulement pouvoir y écrire cet article dont vous avez tant besoin…

Je parviens à  dégeler les gonds de la porte du blog et je tape le titre de cet article : il faut 1 minute 10 chrono pour qu’il s’inscrive dans la fenêtre. J’écris l’article :  il faut attendre 5 à 15 secondes pour que chaque frappe soit suivie d’effet. Vu mon âge, je ne suis pas sûr d’être encore en vie au moment de la conclusion.

J’ouvre la page que vous avez le bonheur de contempler, pour découvrir que l’espace jusqu’ici dévolu à mes textes enchanteurs est désormais pollué par un tas d’icônes permettant la migration vers les plateformes tierces.

C’est laid, ça encombre, mais c’est aussi inévitable qu’indispensable.

Il y a plus grave, et j’ose vous en parler. Notre cerveau (en tout cas, le mien) est rempli de milliers de neurones qui possèdent chacun des dendrites partant dans tous les sens, un peu comme les épines d’un oursin. Chacun de ces dendrites est en contact avec ceux des neurones voisins : la communication circule en 3D.

Elle s’effectue dans tous les sens, de façon multipolaire, ce qui explique la possibilité créatrice de notre cerveau (en tout cas, du mien).

Tandis que les circuits de l’ordinateur fonctionnent en 2D, ils sont unipolaires, l’information circule dans un seul sens, de façon linéaire : une information suit l’autre, et uniquement quand la première a été validée.

Vous devinez l’appauvrissement : on est passé du foisonnement d’un ciel étoilé, beauté perçue d’un seul coup d’œil,  aux rails d’un chemin de fer cahotant d’une traverse à l’autre.

L’ennui, c’est que les moins de 40 ans ne savent plus ‘’penser’’ qu’en suivant ces rails. L’intuition, l’évocation poétique d’un vocabulaire qui appelle des connotations inédites, l’infinie créativité, la fantaisie, n’existent plus dans une communication linéaire. C’est la fin d’un monde, celui du langage humain. Les linguistes ont établi qu’un vocabulaire de 400 mots permet la communication de survie. Internet a réduit le vocabulaire des inernotes à quelques pulsions cognitives.  La pensée est devenue information :

« Ch’te dis ça : et toi, tu dis quoi ? T’aime, ou t’aime pas ? – J’clique like – T’as cliqué ? Alors, t’es mon ami – Au fait, t’es qui, toi ? – K’ècek’ça peut’faire ? T’as cliqué j’aime, donc on est amis. »

Il est vraisemblable qu’un formatage mondial des cerveaux est en train de s’accomplir à travers l’usage d’Internet et des résosocio. Une nouvelle façon de penser, ou plutôt de ne pas penser. De dire une seule chose à la fois, pour recevoir une réponse sans contenu : j’aime / j’aimepa.

La planète communique massivement pour ne rien dire d’autre que « J’existe, puisque je communique. Et toi, t’existes ? Alors, clique. »

Une nouvelle humanité va naître, dont la pensée sera limitée, comme le langage informatique, à une succession de 0 et de 1. « T’aimes ? Clique. T’aimes pas ? Clique pas. Si tu cliques pas, t’existes pas. »

L’ennui, c’est que des religions politiques comme le communisme ou le nazisme fonctionnent exactement de cette façon. Et aussi les religions monothéistes comme l’islam coranique.

Leurs adeptes divisent l’humanité en deux, 0 ou 1 :

Ceux qui pensent comme nous, qui aiment comme nous, ceux-là ont le droit d’exister.

Et ceux qui ne pensent pas comme nous, qui n’aiment pas comme nous ? Comme il n’y a pas de touche pour cliquer « j’aime pas », ils sont hors réseau. Si jamais ils trouvent un moyen de faire savoir qu’ils z’aiment pas, il faut les supprimer parce qu’ils sortent du seul langage admis, 0 ou 1.

Allez ! Beau n’année, cliquez comme y faut.

                                 M.B., 31 déc. 2013