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SPLENDIDE SOLITUDE

I. Aux origines : une tribu

Lorsque la tribu issue d’Abraham s’établit en Égypte, elle forme un groupe extrêmement soudé autour de sa descendance, les douze frères. Le sentiment de persécution, le travail forcé imposé par les Égyptiens, renforce encore ce sentiment d’appartenance des individus à un groupe. Il faut faire front pour survivre : la cohésion est surtout d’ordre politique et social, secondairement d’ordre idéologique et religieux.
          Après leur fuite d’Égypte, errant dans le désert, les juifs n’ont plus d’oppresseurs contre qui se liguer : ce qui les fédère alors, c’est l’angoisse du lendemain. Dévorés d’angoisse, ils s’opposent à Moïse et le forcent à une solitude exemplaire : il doit planter sa tente en-dehors du campement communautaire, puisque ses « frères » refusent la confiance qu’il accorde, et lui seul, à Yahwé.
          Pour la première fois dans la Bible, un homme connaît la solitude comme conséquence de sa vision intérieure, celle d’un monde auquel lui a accès, mais pas ceux qui ont formé jusque là sa communauté, ses réseaux de relations et de solidarités.
          Angoisse et rejet de la nouveauté : les deux ingrédients permanents de l’exclusion, par un groupe, de l’un des siens.
          Sources de toutes les solitudes imposées.

II. Solitude de Jésus

Rarement soulignée par les commentateurs, la solitude de Jésus est un élément fondateur de son expérience spirituelle.
           Il semble en être le seul artisan : c’est lui qui s’éloigne de sa famille, puis qui la rejette (Mc 3,33). C’est lui qui ne sacrifie jamais au Temple, et condamne les sacrifices – culte fédérateur de la communauté juive. C’est lui qui insulte les autorités religieuses de son pays. Lui qui proclame que la Loi ancienne – celle qui avait fait de la tribu informe un Peuple structuré – n’est plus valable, puisqu’elle doit être « accomplie » : c’est-à-dire dépassée, et par lui. C’est lui enfin qui choisit de n’avoir pas une pierre où reposer sa tête, devenant vagabond et mendiant, marginal.
          Ayant perdu famille, enracinement religieux et social, méprisé puis pourchassé, Jésus est un homme seul. Très seul dans un monde juif où nul ne peut être une île.
          Il a souffert de cette solitude, qu’il a pourtant choisie. Il tente alors de s’entourer de douze disciples, chiffre hautement symbolique auquel il attache une grande importance. Mais ces Douze, communauté de substitution, ne comprennent rien à la nouveauté qu’il apporte et ne pensent qu’à leur propre avenir politique, la première place qu’ils convoitent ouvertement. Jésus le comprend vite : dès lors, il marche « devant eux », seul.
          Tragiquement seul.
          Reste son Dieu. Tant qu’un juif n’a pas perdu Dieu, il n’a pas tout perdu. Son cri sur la croix, « Éloï, pourquoi m’as-tu abandonné ? », est une citation du Ps 21. Comme tous les juifs, Jésus exprimait le fond de son âme par une citation de l’Écriture. Cette parole est l’une des « sept paroles en croix » qui résiste le mieux à l’analyse : elle a toutes chances d’être authentique.
          Abandonné du Dieu de son éducation juive, de l’Éloï qui fédère sa communauté dans la foi et le culte, Jésus est devenu une île. Il est totalement, absolument seul.

III. Abandon de Dieu et solitude

Un autre homme, dans la Bible, a connu une expérience semblable : c’est Job.
          Il perd simultanément tous ses biens, et tous ses enfants. Sa femme le méprise, le raille et le rejette. Son corps le trahit. Malade, il s’établit sur un tas de fumier, et attend.
          Viennent le visiter trois amis. Des amis, enfin ! Un lien quelconque avec la communauté des hommes ! Que non. Ses amis lui démontrent, avec l’implacable suavité des ecclésiastiques de tous les temps, qu’il est seul responsable de sa solitude. Elle est voulue par Dieu. Job doit se soumettre à la volonté de ce Dieu qui l’a séparé de tout, et de tous.
          Job ne se révolte pas – pas très longtemps, en tout cas – contre ce Dieu qui lui voudrait du mal. Dans la nuit obscure de son âme, il consent. Il n’accuse pas Dieu. Il n’accuse personne, il ploie sous le consentement.
          Ce consentement, Nietzche le refuse : il tue Dieu, et le remplace par danse du Gai Savoir, celui des Hommes enfin libérés de toute tutelle, enfin grands par eux-mêmes. Les super-hommes d’un monde sans Dieu.
          Donatien, marquis de Sade, est le seul à avoir été plus loin que Job, plus loin que Nietzche : il ne tue pas Dieu, il l’écrase de son mépris, le poursuit de ses hurlements, l’évacue comme un animal malfaisant. Mais dans les décombres de Dieu, il écrase aussi l’homme, l’enfant et la femme qui ne sont plus qu’objets de jouissance. Triste Savoir : il n’y a que jouissance, recherche de la jouissance au prix du foutre épandu, du sang versé.
           L’Homme n’existe plus, pas plus que Dieu : personne n’est allé aussi loin que Sade dans la solitude qui fut la sienne, enfermé dans un appétit de jouissance que Dieu ne peut combler, et que les êtres humains ne comblent qu’au prix de leur destruction, lentement accomplie sous les yeux et par les mains du jouisseur.

IV. Solitude du disciple de Jésus

De son vivant, tentant d’échapper à la solitude qui le cernait, Jésus n’a donc pas réussi à former une communauté, un nid de chaleur et de partage humains.
          Ceux qui viennent à lui, il ne leur dit pas : « Rejoins-nous« . Il leur dit : « Suis-moi« .
          Cette solitude qui est la mienne, assume-la, fais-la tienne. Désormais tu seras séparé de tous, comme je l’ai été. Et je serai ta seule porte d’entrée dans le Royaume.
          C’est peut-être cela que signifiait dans sa bouche l’image de la « porte étroite » : étroite, parce qu’elle est limitée à lui seul. Quitter la communauté, pour ne passer que par lui.
          Porte étroite ? Peut-être. Mais une porte n’est jamais qu’un lieu de passage, fait pour être franchi. Ouvrant sur quelque chose.
          Et ce sur quoi Jésus ouvre, c’est sa « Loi du cœur », qui mène à la découverte de la tendresse de Dieu. Non pas l’Éloï qui abandonne Jésus sur la croix, mais Abba, océan de tendresse, infini d’un amour nouveau : avait-on jamais décrit « Dieu » comme le père inquiet, qui attend chaque jour devant la route poudreuse l’enfant perdu ? Comme la femme, prête à tout bouleverser dans sa maison (l’Église ?) pour retrouver une seule pièce perdue ? Comme le berger, abandonnant la communauté pour aller, dans la solitude rocailleuse, chercher une seule brebis qui vagabonde dans la solitude ?

          Pendant les siècles de sa splendeur, l’Église catholique a offert à ses fidèles la solidité de ses dogmes, un rempart contre l’étrange et sa nouveauté, la chaleur du regroupement.
          C’est pourquoi sans doute ceux qui mesurent l’inanité des dogmes, ceux que la nouveauté n’effraient pas plus que la vie, ceux qui expérimentent la froideur d’une communauté devenue factice, ceux-là qui cherchent ont pourtant du mal à franchir le pas : tout quitter – et d’abord les racines de leur enfance- pour suivre le solitaire de Galilée.
          Quitter la sécurité communautaire, laisser tomber le manteau protecteur des dogmes, peut apparaître comme une entrée en solitude – qui fait peur, à laquelle on ne se résout pas. On reste « un pied dedans, un pied dehors ».
          Franchir la porte, faire confiance à l’homme Jésus. Sa « Loi du cœur » est une révolution, exigeante ? Sans doute. Elle mène à l’Abba qu’il n’a cessé de prier, et dont il a si peu parlé dans son enseignement. Mais dont la proximité, seule, explique que la solitude de Jésus, si elle fut réelle, fut aussi un chemin d’initiation.
          « Je suis la porte » : aller vers elle, la franchir, c’est réduire la solitude à néant.

                    M.B., 9 juillet 2008

DIEU A-T-IL DE L’HUMOUR ?

          L’humour, c’est comme l’amour, c’est bon quand on le fait : mais dès lors qu’on se met à en parler, il cesse d’exister.
          Vouloir le définir, c’est déjà montrer un cruel défaut de pratique.
          Il a ceci de commun avec Dieu, qu’aucun mot ne peut le dire. Et comme Dieu, c’est lorsqu’il vient à manquer qu’on s’aperçoit de son existence.

I. Les français, ou l’impossible humour

         Les anglais ont-ils inventé l’humour ? Voltaire (lettre de 1762) : « Les anglais on un terme, humour qu’ils prononcent youmor. Ils croient qu’ils ont seuls cette humeur, et que les autres nations n’ont point de terme pour exprimer ce caractère d’esprit »
          Je ne sais si « les autres nations » manquent de « ce caractère d’esprit », mais les français en sont fort dépourvus. Oh ! En cherchant bien, on trouvera quelques phrases de Montaigne, de Flaubert et même de Stendhal. Mais notre « caractère d’esprit » national a été façonné par deux monstres sacrés.

Rabelais, ou la gauloiserie

          Premier grand roman en langue françoise, le cycle de Gargantua implante chez nous le comique gaulois : « Plus c’est énorme, et plus c’est drôle » ! Hénaurme, le récit de la naissance de Gargantua, hénaurme la meilleure façon de se torcher le cul, celle « qui cause au fondement une volupté bien grande ».
          La postérité de Rabelais se retrouve, vivante, chez Coluche, De Funès, Fernandel – les comiques préférés des français. En passant par Molière, Mirabeau, Beaumarchais puis le vaudeville, Feydeau, Labiche… Toujours, on se moque des autres, jamais de soi : le pauvre se moque du riche, le manant du nanti, le sot du savant (surtout si c’est une femme savante), le sujet se moque du pouvoir… Le comique gaulois est une satire de la société, il deviendra le premier moteur de la Révolution de 1789.

 Voltaire, ou l’ironie

          Jeu de l’esprit, l’ironie devient au XVIII° siècle une arme meurtrière. On tue d’un bon mot, d’une pointe assassine. Elle est brillante, scintillante, elle lance des éclairs – comme la lame d’une épée.
          C’est une arme d’attaque, plus que de défense. Sa postérité se retrouve chez Sacha Guitry, Thierry Le Luron, Guy Bedos… Elle sera le second moteur de la Révolution de 1789.

          Comique gaulois, ou ironie : attaque, ou défense. Notre « caractère d’esprit » est tourné vers les autres – ou contre les autres. Les français ne se moquent pas facilement d’eux-mêmes (Devos fait exception, mais il est belge). Et comment se moquer de soi, quand on se croit fils naturel d’Henry IV, enfant de droit de Louis XIV, petit-fils de Grognard napoléonien, et qu’on est pour toujours nostalgique de la Grandeur de la France ?
          L’humour consiste d’abord à ne pas se prendre au sérieux – et encore moins, au tragique. Or, nous nous prenons terriblement au sérieux, et quand « ça ne va pas » comme il faudrait, l’Acte III du drame et ses larmes sont tout proches.

          Prenons la même situation, vécue de chaque côté de la Manche.
          Madame du Barry, ancienne maîtresse de Louis XV, monte à l’échafaud. Que dit-elle ? « Oh ! Monsieur le bourreau, s’il vous plaît, encore un instant ! ». Ému par un destin si tragique, je pleure.
          Thomas More monte à l’échafaud. Que dit-il ? « Monsieur le bourreau, veuillez m’aider à monter je vous prie, car pour descendre je me débrouillerai bien tout seul ». J’admire, en souriant.
          Pierre Desproges apprend qu’il est condamné : « Plus cancer que moi, dit-il, tu meurs »
          Ruiné, misérable, Oscar Wilde agonise. Profitant de ses derniers instants de lucidité, le médecin lui présente sa note d’honoraires : « Décidément, dit Wilde, je meurs encore au-dessus de mes moyens ».
          Le « caractère d’esprit » d’une nation se définit par des mots devenus célèbres :
          François I°, battu par les Italiens : « Madame, tout est perdu, fors l’honneur ! » Défait, le coq gaulois fait le bravache, surtout devant une femme.
          Un lendemain de tempête, gros titre du Times : « Storm on the Channel : the Continent isolated ». Alors au faîte de sa puissance, l’Angleterre se moque d’elle-même : c’est le Continent qui aura bien du mal à vivre sans elle.

          Allez, admettons-le : l’humour n’est pas notre tasse de thé. Nous ne le pratiquons guère, et en reprochons l’usage à ceux qui ne peuvent pas vivre sans lui.
          Dont je suis.

II. Dieu a-t-il de l’humour ?

          Il n’y aura jamais de réponse à cette question. Car nous ne savons de Dieu que ce qu’en ont écrit les auteurs des Livres sacrés. Tous, ils étaient ou se prétendaient théologiens.
          Dieu rit-il de lui-même ? La question aurait mené son auteur sur un bûcher. On ne plaisante pas avec Dieu, et encore moins avec la religion.

 III. Jésus avait-il de l’humour ?

          Là, nous pouvons avoir une réponse, puisque Jésus (à la différence de Dieu) est un personnage historique. Certes, ceux qui ont raconté ses faits et gestes étaient eux aussi des apprentis théologiens, guidés pas une ambition féroce, créer une nouvelle religion en utilisant l’homme de Galilée comme porte-drapeau et alibi.
          Mais la personnalité de Jésus suinte à travers les Évangiles.
          Son mode d’enseignement, d’abord : les paraboles sont ce qui s’approche le plus du Jésus historique. Petits drames admirablement ciselés, mais aussi parfois comédies dont Molière n’aurait pas eu à rougir. Le regard que Jésus porte sur la société qui l’entoure est plus celui de l’humoriste que du dramaturge. L’absurdité des situations (les paraboles « financières »), le triomphe du petit (la brebis contre le troupeau), la déconfiture des possédants (le propriétaire qui découvre de l’ivraie dans son champ), sont des ressorts de l’humour. De même la façon dont Jésus renvoie dans leurs buts les théologiens (la femme et ses sept maris), dont il guérit un jour de Sabbat, dont il pardonne la femme adultère…
          Son attitude, aussi, face à ses disciples, qui ne comprennent rien à rien et ne pensent qu’aux honneurs à venir. Ses paroles enfin à Gethsémani (« Laissez ceux-là partir ») et face au soldat qui le gifle…
          Jésus avait de l’humour.
          Et sans cela, comment aurait-il pu se dresser contre Le Mal, comme il l’a fait ?
          Qu’il me pardonne si, disciple transi, je n’ai pas encore compris…

                                              M.B., 16 août 2008.

NOEL ? Apprendre à Dieu qui il est.

Entendu ce matin une émission radio sur la signification de Noël.

          Ce qu’on entend partout : Noël, c’est l’humilité de Dieu qui s’est fait homme dans un petit enfant.

           Depuis 3000 ans qu’il y a des théologiens, c’est fou ce que Dieu a pu apprendre sur lui-même. Heureusement qu’ils sont là, ces hommes (aucune femme) qui savent tout de Lui : sans eux, il végèterait dans une déplorable ignorance de lui-même.

           Les premiers, les théologiens juifs qui rédigeaient la deuxième mouture de la Bible (après l’Exil à Babylone, vers l’an – 500) lui ont prêté des sentiments humains : il s’émeut des malheurs du Peuple Élu, souffre de ses infidélités, le châtie avec Justice, conduit ses guerres et l’aide à répandre le sang (des Palestiniens, déjà !).

          Dans les moutures suivantes, du III° au II° siècle avant J.C., ils l’ont revêtu du manteau chatoyant de la philosophie et des mythes orientaux.

          Grâce à eux, Dieu venait d’apprendre pas mal de choses sur lui-même.

           Mais les premiers chrétiens ont a été beaucoup plus loin. Reprenant des mythes très populaires au I° siècle, vers l’an 80 les derniers rédacteurs des Évangiles de Matthieu et Luc inventent une naissance miraculeuse à l’enfant-Dieu, une comète, un recensement à Bethléem, des Rois d’Orient voyageurs, un génocide de nouveaux nés… Tous événements dont les chroniques de l’époque, pourtant nombreuses, ne gardent aucune trace.

           Un peu plus tard, des Évangiles apocryphes ont popularisé une légende dorée sur l’enfance du petit Dieu, sa crèche, l’âne et le boeuf, ses dons étonnants d’enfant prodige, sa vie quotidienne protégée par des parents muets de stupeur devant sa précoce divinité…

          Ce folklore est parvenu jusqu’à nous. Il alimente année après année un commerce très rentable, s’étale dans toutes les vitrines de nos magasins, et se montre capable de faire dépenser leurs sous à des européens pourtant durement touchés par la crise.

           Noël, preuve de l’humilité de Dieu ? Si Dieu est humble, c’est donc qu’il serait tout autant capable d’être orgueilleux. S’il est doux comme un nouveau-né, c’est qu’il pourrait se montrer cruel et égoïste une fois adulte. Et cetera.

           Car un Dieu façonné par nous à notre image a toutes chances de nous ressembler.

          Individualisme, cupidité, mépris d’autrui, méchanceté, affrontements, guerres… Merci, nous n’avons pas besoin d’un Dieu humain. Nous avons tout ce qu’il faut sous la main.

           Mais un Dieu dont on ne peut rien dire, parce qu’il dépasse justement les limites de notre imagination.

          Un Dieu autre que nous, qui pourrait nous hausser au-dessus des bourbiers dans lesquels nous pataugeons.

          Un Dieu qui appelle au silence, parce que c’est dans l’absence de pensées qu’on peut penser quelque chose qui lui ressemble…

           Le seul dans notre culture qui ait su dire quelque chose de Dieu sans rien lui apprendre, c’est le juif Jésus.

          Il est remarquable que les Évangiles ne nous aient transmis aucune parole de lui concernant l’identité de Dieu : Jésus n’était pas théologien.

           Mais des images, des gestes.

          Trois paraboles, pour décrire la relation entre un fils dévoyé et son père aimant, la tendresse d’un berger pour une brebis de son troupeau, l’affolement d’une femme qui a perdu ce à quoi elle tenait.

          Un geste, pour placer les enfants au centre du Royaume dont il rêvait.

          Et un mot, un seul, pour parler de Dieu, et parler à Dieu : Abba, quelque chose comme « papa ».

          Vocable familier, totalement absent du judaïsme de son époque pour désigner Dieu.

           Jésus n’a rien dit de l’identité de Dieu. Comme tous les prophètes ses devanciers, il a fait silence devant l’indicible.

          Mais il a partagé avec nous la façon d’être qui était la sienne devant, et avec Lui. Nous indiquant quel genre de relation il entretenait avec Celui dont on ne peut rien dire :  celle d’un enfant, en présence de son père-mère.

          Finis la crainte, le respect distant, l’éloignement : confiance et proximité, abandon de l’amour.

           L’ennui, c’est que cette marchandise-là ne fait pas rêver.

          Et surtout, elle se commercialise mal.

                                                               M.B., Noël 2010

LA MORT, ET APRÉS ?

          Frappés par la mort, ce matin même, de notre ami Philippe, vous souhaitez que je nous aide à positiver cet événement douloureux .

 Aux origines de l’humanité

           Yves Coppens nous apprend que la naissance de l’homme s’accompagne, au tournant du Neandertal, par l’apparition de deux faits marquants : alors que les ossements des animaux préhistoriques sont disséminés dans la nature, l’Homme enterre les cadavres de ses morts, leurs ossements sont regroupés dans un même lieu.

          Au même moment, nos ancêtres apprenaient à maîtriser un langage élaboré, qui leur permettait de donner une signification symbolique à leur vie – et à leur mort.

          Parallèlement, on s’aperçoit que les peintures rupestres ne sont pas seulement des représentations de scènes de chasse : certaines semblent représenter le triomphe de la vie sur la mort, par la victoire de l’Homme sur son gibier.

           Dès son apparition sur terre, ce qui fait donc la différence entre l’Homme et l’animal, c’est une certaine conscience que la mort ne met pas un terme à la vie : qu’il y a « quelque chose » après la mort, ou au-delà de la mort.

 Les premières civilisations

           Ce « quelque chose », les premières civilisations occidentales vont le formuler par des mythologies complexes, dont le pivot central est ce qui se passe après la vie terrestre.

          En Égypte, en Assyro-Babylonie, en Grèce puis à Rome, la mort est toujours représentée comme un passage. Le mort va errer pendant quelque temps avant de trouver un passeur qui lui permet d’accéder au lieu de son repos définitif. C’est Anubis au bord du Nil, ou Charron en Grèce qui fait traverser au mort le Styx, rivière-frontière.

          Pendant ce temps d’errance avant son passage, le mort doit pouvoir se nourrir et disposer de ses objets familiers : on les dépose donc dans la tombe avec des aliments.

            Souvent, on pose sur ses lèvres une monnaie pour qu’il puisse payer le passeur d’éternité.

           Toutes les premières civilisations se rejoignent donc dans la conscience que le mort continue à vivre. Qu’il doit franchir un obstacle, après quoi il parvient au lieu du repos éternel – Champs-Élysées, Pâturages Éternels, Ciel – le nom et l’imagerie de ce lieu diffèrent selon les cultures, mais la conviction est partout la même : il y a une vie après la mort.

 Le judaïsme

           Seuls parmi les peuples de l’Empire romain, les juifs croyaient à une résurrection des morts, au Dernier Jour : c’est-à-dire à la fin des temps, quand ce monde-ci cesserait d’exister.

           Il y aurait alors une résurrection générale de tous les morts, mais pas pour retrouver leur état antérieur. Cette résurrection finale serait en fait une seconde création, comparable à la première (celle de Genèse) : un nouveau monde serait créé, dont Le Mal (Satan) serait exclu, et où les morts vivraient dans le bonheur d’une lumière divine que plus rien n’obscurcirait.

           Dans ce judaïsme ancien apparaît peu à peu l’idée que nous possédons une néphesh, quelque chose d’assez imprécis qui se sépare du corps à la mort et va vivre, en attendant la résurrection du Dernier Jour, dans un endroit qu’on appelle le Shéol. Ce n’est pas un lieu de punition comme l’enfer, mais un lieu d’attente, sombre et pénible puisqu’on n’est plus vivant, mais pas encore ressuscité.

           Au Moyen âge on a traduit néphesh par âme, et Shéol par enfer : double erreur dont les conséquences vont influencer le christianisme naissant.

 Jésus

           Ầ son époque, les pharisiens enseignaient la résurrection au Dernier Jour, conviction partagée par la majorité des juifs sauf le clergé de Jérusalem, les sadducéens.

          Lui-même pharisien, Jésus n’a rien dit de l’après-mort : il partageait les convictions de ses collègues pharisiens. Mais par ses actes comme dans ses paraboles, il a enseigné avec force que l’échec n’existe pas.

 Il y avait en Israël deux grands échecs de la vie :

 1- La maladie : elle mettait le malade à l’écart de la société. La maladie (surtout les maladies de peau) était une cause d’exclusion sociale, politique et religieuse, qui équivalait à une véritable condamnation à mort. Or Jésus guérit tous les malades qui viennent à lui, et les réintègre par là dans la vie sociale de son temps.

 2- Le péché : trois catégories de pécheurs étaient exclus de la société : les collaborateurs avec l’occupant romain, les fonctionnaires corrompus et les prostituées. Or Jésus partage la table des collaborateurs, accueille les fonctionnaires corrompus (l’un d’eux, Lévi-Matthieu, deviendra son disciple), relève les prostituées – à une condition, qu’ils reconnaissent leur péché et fassent le chemin de conversion rendu possible par leur rencontre avec lui.

           Pour l’un comme pour l’autre cas, le message est clair : dans la vie, il n’y a pas d’impasse définitive. Aucune situation, aucune erreur de parcours – même la pire -, n’est irrémédiable : une nouvelle vie est toujours possible, dès maintenant, sans attendre le jugement final.

           Vous lirez dans Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (Dans le silence des oliviers) la description de cette attitude, qui est une des grandes nouveautés apportées par Jésus.

 Le christianisme

           Quelques mois après sa mort, ses disciples annoncent qu’il est ressuscité, non pas au Dernier Jour, mais 36 heures après sa mort.

          Une résurrection avant la fin du monde, chose totalement inédite pour les juifs : cette affirmation marque la naissance du christianisme (cliquez). Paul de Tarse va s’emparer de l’idée, et la développer : « Vous ressusciterez, dit-il, puisque Jésus est ressuscité ». Et ses disciples concluront peu après : « Puisque Jésus est ressuscité, c’est qu’il était Dieu – seul un Dieu peut se ressusciter lui-même ».

    Au  Moyen âge, on va élaborer la notion de l’âme : à la mort, elle se sépare du corps et vit de son côté (on ne sait pas trop comment) en attendant de retrouver son corps.

          Thomas d’Aquin aura beaucoup de mal à expliquer ce que c’est qu’une âme privée de corps : en fait l’âme n’a aucune réalité, c’est une construction purement intellectuelle de philosophe.

           Pour savoir ce que fait l’âme en attendant la résurrection, on invente alors le purgatoire. Ầ la mort, l’âme va soit au ciel, soit au purgatoire en attendant, soit en enfer.

 L’enseignement du Bouddha

           Pour Siddhârta, l’âme n’existe pas. La mort n’est qu’un passage d’une forme de vie à une autre : « Rien ne disparaît, tout se transforme » (cliquez).

          Le vivant (animal ou humain) parcourt des cycles successifs de morts suivies de  renaissances  (le mot réincarnation est une invention occidentale) : au moment de sa mort, si la somme de ses actes négatifs l’emporte sur la somme de ses actes positifs, il ne peut que s’engager dans une nouvelle naissance, et ainsi de suite jusqu’à ce que le positif finisse par l’emporter sur le négatif.

           Ces « actes », ce sont les pensées, les paroles et les actions de toute une vie. Quand il n’y a plus que du positif, c’est l’Éveil : alors, aucune renaissance n’est plus nécessaire et l’Éveillé, enfin libéré du cycle douloureux des renaissances, va vivre dans ce que Siddhârta appelle « le ciel ».

           Quand ses disciples lui demandent en quoi consiste ce ciel, il a une réponse pleine d’humour : « Je ne suis pas sans en avoir une certaine idée, répond-il, mais je ne vous en dirai rien. Parce que je ne suis pas venu pour vous décrire ce qui se passe après l’Éveil, mais pour vous y conduire dès maintenant, dans cette vie-ci. Faites donc ce que je vous dis, et vous verrez bien quand vous y serez. » Un peu plus loin, il est plus sérieux : « Avec nos mots, dit-il, nous ne pouvons parler que de ce que nous connaissons par l’expérience acquise dans notre vie terrestre. Je devine intuitivement à quoi doit ressembler le ciel, mais je ne trouve pas les mots pour en parler. »

 Le bouddhisme tibétain

           Le bouddhisme pénètre au Tibet au VIII° siècle : depuis 12 siècles, les tibétains ont accumulé observations, recherches médicales, expérimentations, autour du moment de la mort et de ce qui s’ensuit immédiatement.

          Dossier considérable, étoffé, précis, résumé dans le Livre des Morts tibétain ou Bardo Thödol.

          Ils étudient les phases de la mort (le Bardo), s’aperçoivent que le processus n’est pas immédiat, que la fin du souffle n’est que le début d’un cheminement au cours duquel le vivant doit quitter son corps pour se trouver face à la réalité de ce qu’il était au moment de sa mort.

          Là, débarrassé de tous les faux-semblants, des illusions sur lui-même, des mensonges consentis ou implicites, il se voit tel qu’il est. Et il penche, de lui-même, soit vers une renaissance qui lui permettra de purifier encore son karma, soit vers une non-renaissance, une entrée dans la réalité ultime.

           D’après leurs observations, le processus peut durer 2 à 3 jours, parfois plus (pas plus de 7 semaines). Pendant cette période qui suit la fin du souffle, le vivant est conscient de tout ce qui se pense, se dit et se fait dans les univers. Par la méditation, nous qui sommes restés pouvons être en contact avec lui, et lui envoyer les pensées positives qui l’aident dans ce moment délicat de la confrontation avec la réalité.

            J’ajoute que les études médicales menées sur les Expériences de Mort Imminente (NDE en anglais) depuis 40 ans, confirment totalement l’enseignement du Bouddha et le dossier très complet rassemblé par les tibétains.

 Que conclure ?

           La mort d’un ami, d’un proche nous frappe toujours douloureusement. Il me semble que quand on constate que toutes les civilisations de l’humanité, depuis ses origines, vont dans le même sens, c’est à prendre au sérieux : la mort n’est qu’un passage.

          Il n’y a pas de mort, il n’y a que des formes de vie.

          Celle que nous vivons en ce moment n’est qu’une étape, vers autre chose.

          Cet autre chose, nous n’avons pas les mots pour le dire : mais de ce parcours rapide nous pouvons retirer deux certitudes, exprimées différemment mais unanimement dans l’évolution des cultures.

           D’abord, que nos morts vivent, soit par leur renaissance ici-bas (et alors, nous n’avons plus de contacts avec eux), soit dans une forme de vie dont nous ne pouvons rien dire. Mais dans laquelle ils sont en contact avec nous, au-delà des mots et des images, au niveau de ce que la Bible appelle le « cœur ».

           Ensuite, que les jours et les ans qui nous sont donnés à vivre avant notre propre mort doivent nous servir pour « purifier notre karma », c’est-à-dire pour faire basculer nos vies (nos pensées, nos paroles et nos actes) du négatif vers le positif.

           Pour positiver nos vies, inlassablement.

                                   M.B., Conférence au Club 41,15 janv. 2012

FRANCOIS ET LE 13° APOTRE : UN FRÉMISSEMENT ?

          François d’Assise nous a tous fait rêver un jour.

           Fils d’un commerçant aisé, soudain il adopte d’étranges comportements.

          L’Église de son temps est riche ? Il découvre Jésus nu sur une croix, et se dénude totalement en public. Désormais il sera pauvre, mais pauvre absolument et pas à la mode théologale.

          Oisive, elle fait travailler les petits ? Se faisant plus petit qu’eux, François remue les caillasses, gâche le ciment, abîme ses belles mains de poète pour rebâtir une chapelle abandonnée.

          Elle a le visage triste de ceux qui possèdent le pouvoir, lancent des croisades d’abord contre les musulmans, puis contre d’autres chrétiens ? François chante, fait l’espiègle sur les places publiques. Se souvenant que Jésus avait dit J’ai joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé (1), il rit et danse dans un rayon de soleil.

          Personne ne le prend au sérieux : cela le ravit de joie.

           En tête, il n’a toujours que la personne de Jésus.

          Ayant acquis comme lui droit de pauvreté, droit de liberté vagabonde, droit de légèreté, il n’en demande pas plus. Mais voici que d’autres le rejoignent, et François est inquiet : qu’est-ce qu’ils attendent de lui ? La fraîcheur de l’évangile lui suffit, veulent-ils vivre comme lui ? Ce n’est pas difficile, quittez tout absolument, richesses, honneurs, pouvoir, sécurité, respectabilité.

          Mais ne quittez pas Jésus du regard : comme lui a fait, faites vous aussi.

           Or voici qu’ils deviennent nombreux, il faut les installer, les nourrir, les mettre en action. Tandis que François chante sa vision d’une vie selon l’évangile, d’autres parmi ses frères organisent un ordre religieux nouveau, qui sera fort et puissant dans l’Église comme dans la société.

          Ầ cet ordre il faut un clergé, des prêtres qui deviendront un jour évêques et (qui sait ?) Princes de l’Église. Se souvenant des paroles de Jésus contre le clergé de son temps, se rappelant que c’est lui qui l’a fait crucifier, François refuse absolument d’être ordonné prêtre.

          Ses frères insistent tant, qu’à la fin il acceptera d’être diacre, mais du bout des lèvres. Sa place n’est pas sous une chasuble et un dais en or, sa place est aux côtés de Jésus.

           Ce clergé, il faut l’instruire de la théologie savante et des dogmes compliqués de l’Église. François refuse encore qu’on envoie ses agneaux dans des couvents d’étude, où on va les transformer en loups. On passe outre, et des novices franciscains vont se former dans les universités – avant qu’on en crée une pour eux.

           Soudain, François se réveille comme au milieu d’un cauchemar : ses petits frères, ces chanteurs de Dieu, ces imitateurs de Jésus, on est en train d’en faire un grand corps musclé où la pauvreté devient une vertu, la nuit étoilée un cloître, l’eau de pluie un tonneau de vin et la chanson un discours politique.

          Alors, il s’enfuit sur la montagne de l’Alverne. Là, il se terre dans une fente de rocher. Il a voulu suivre Jésus, il l’imite jusqu’au bout et ressort les mains et les pieds en sang, le côté transpercé comme lui.

          On le ramène au couvent, mais il est devenu aveugle – pour ne pas voir ce que sont devenus ses frères, un ordre puissant au milieu des autres.

           Comme celui de Jésus, le rêve de François ne s’est pas réalisé.

           Ces évangiles, que François voulait suivre et rien d’autre, nous savons maintenant qu’ils ont été écrits à partir de souvenirs des premiers témoins, mais retravaillés, corrigés, amputés ou amplifiés jusqu’à ce que l’Église trouve en eux ce qu’elle voulait dire et faire croire du prophète galiléen.

          Ces souvenirs n’ont pas disparu, ils ont été recouverts par des interprétations en couches successives. Tels que nous les lisons, tels que les lisait François, les évangiles ressemblent aujourd’hui à un fleuve qui charrierait à la fois l’eau de sa source, celle de ses affluents, et les débris arrachés à ses berges.

           L’un de ces témoins des origines a écrit ses souvenirs à lui, ils ont été transmis par sa communauté et forment le noyau initial du plus splendidement théologique des évangiles, celui dit selon saint Jean. Ce témoin a été poursuivi par la haine des apôtres, qui ont effacé jusqu’à son nom : on ne le connaît que par un surnom, « le disciple bien-aimé ».

          Mais ils n’ont pas effacé son témoignage.

           Pour le retrouver, j’ai fait sur l’évangile dit selon saint Jean un travail d’archéologue. Creuser le texte pour parvenir, sous l’accumulation des corrections successives, à sa couche la plus ancienne : un témoignage irremplaçable, puisque c’est celui du seul témoin oculaire du bref parcours public de Jésus.

          Non pas un évangile, mais quelques souvenirs d’événements marquants qui se sont produits lors des montées de Jésus à Jérusalem, jusqu’à sa mort y compris. (cliquez)

         Avec L’évangile du treizième apôtre, nous sommes au plus près possible de la source du fleuve.

          Un texte extrêmement précieux, car ce qu’il raconte, c’est Jésus avant le Christ (cliquez).

           François d’Assise n’avait pas besoin de ces savants travaux : avec une intuition fulgurante, il a su aller directement à celui qu’un épais maquillage avait défiguré, sans pour autant faire disparaître des évangiles la clarté de son visage.

           Hier, le pape François a dit aux journalistes : « Comme j’aimerais que l’Église redevienne pauvre ! »

          Voulait-il dire qu’il aimerait qu’elle retrouve le visage et le message original du prophète galiléen ? Peut-être. Il ne reviendra pas sur des dogmes et une morale qu’il a pour mission de transmettre. Il ne démaquillera pas le Christ, l’Église qu’il dirige ne le supporterait pas.

          Mais s’il rappelle que derrière ses fastes et sa doctrine, il y a un prophète juif révolutionnaire, il redonnera espoir à un monde en perte de vitesse.

           Un frémissement vient de se produire : le pape François connaîtra-t-il le même sort que celui dont il a pris le nom ?

                                          M.B., 17 mars 2013

 (1) Mt 11,17 et Lc 7,32.

1° de couv. évangile 13° ap. Harmattan

Pour vous procurer cet ouvrage, cliquez : en fin d’article.

« Le secret du treizième apôtre », Roman, Albin Michel.

                           roman d’action (Thriller)

          Moins long que Le Nom de la Rose, moins menteur que Da Vinci Code, mais aussi passionnant qu’eux : on se balade du 1° au 20° siècle, d’une abbaye mystérieuse aux couloirs du Vatican, des Esséniens aux Templiers, d’un prélat lubrique à un moine-ermite… Sans oublier les agents secrets juif et arabe à la gachette rapide.

          Tout ça, autour d’un secret réel : il y avait bien treize apôtres autour de Jésus, et le treizième n’était pas une femme. Il est nommé 8 fois dans le IV° évangile, mais nous ne saurons jamais son nom. Car il a été farouchement effacé, gommé des textes et de la mémoire de l’Église.

          Pourquoi ?

          Savait-il quelque chose, qu’il ne fallait pas dire ? Et ce qu’il savait pourrait-il mettre en danger la survie de l’Église, donc de l’Occident ?

          Un moine français, le père Nil, va partir à la recherche de cet homme, et du secret qu’il portait en lui. Nil va se heurter non seulement aux gens du Vatican, mais à ceux du Mossad et du Hamas : car les juifs, pas plus que les musulmans ni les chrétiens, n’ont intérêt à ce que le secret du 13° apôtre sorte de l’ombre où des hommes l’ont enfoui depuis 20 siècles.

          C’est un peu érudit, mais cette érudition-là on en redemande : elle est parfaitement lisible.
         C’est vrai aussi, c’est impertinent, mais que voulez-vous, l’auteur est français.
         C’est vrai enfin, on découvre des vérités étonnantes (mais exactes) sous le manteau scintillant de la fiction.

         C’est vrai, on ne s’ennuie pas un instant.

         Et quand on repose le livre, on reste songeur. Puis on se met à penser – peut-être même à rêver.

Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a figuré sur la liste française des best-sellers. Édité au Livre de Poche, traduit en 18 langues (dont le Coréen !), best-seller en Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne.

« DIEU MALGRÉ LUI, nouvelle enquête sur Jésus »

     Le 9 avril de l’an 30, un tombeau a été trouvé vide aux portes de Jérusalem. Il aurait dû contenir un cadavre, qui avait disparu.

     Que s’est-il passé ?

          Comme un policier menant une enquête, j’ai tiré ce fil – et toute la pelote est venue. Manipulations autour de Jésus, maquillages de son identité réelle, mensonges et impostures qui sont à l’origine du plus formidable pouvoir que l’Occident ait connu pendant 17 siècles : L’Église chrétienne.

     Le style est un peu celui du romancier, mais l’enquête est menée avec la rigueur et la précision de l’historien. On découvre la présence auprès de Jésus d’un 13° apôtre, les circonstances probables de la mort de Judas, assassiné par Pierre. Les véritables raisons de la mort de Jésus, le rôle joué par les Esséniens…

     J’ai voulu restituer son humanité à Jésus le nazôréen, en le replaçant dans le contexte social, politique et religieux qui fut le sien dans une Palestine traversée de tensions. Menée entre 1995 et 2000, cette enquête a été rendue possible par le travail des chercheurs qui, depuis une cinquantaine d’années, exhument le juif Ieshua du sarcophage dans lequel l’Église l’a embaumé, sous l’identité de Jésus-Christ.

      Je ne disposais pas à l’époque des publications des exégètes américains (Meier, Brown) : si elle aurait besoin aujourd’hui de quelques ajustements, l’enquête de Dieu malgré lui reste pertinente sur le fond.

     Dans une 2° partie, j’instaure un dialogue entre deux Éveillés majeurs de notre planète : le juif Jésus et l’indien Siddartha (le Bouddha). Entreprise pour la première fois ici , cette confrontation de leurs expériences vécues jette, sur la personnalité de Jésus, une lumière inattendue et bienfaisante.

     Enfin démaquillé, le visage de Jésus m’est apparu infiniment attirant, fascinant, aimable en même temps que déroutant.

                                         M.B., 2009.

UNE CRITIQUE ANGLAISE DU ROMAN « Le Secret du 13° apôtre »

 

           LE « TREIZIÉME APOTRE » VU PAR UN ANGLAIS

      La traduction anglaise du Secret du 13° apôtre (The 13th Apostel, Alma Books, London) a été pour moi l’occasion d’un long entretien avec un  journaliste du The Independant de Londres (1). Son article vient de paraître. En voici la traduction, établie par mes soins. Fidèlement trancrits ici, les propos du journaliste anglais sont de sa seule responsabilité.

           Y A-T-IL UN ECO DANS TOUT CELA ?

     L’Église catholique a été un repaire de corruption et de mensonges depuis l’époque de saint Pierre, selon un roman qui vient de paraître. Surtout ne parlez pas de Dan Brown à son auteur.

                                         Une Interview de Peter Stanford

     L’ombre portée par le succès phénoménal du Da Vinci Code de Dan Brown plane sur Le Treizième Apôtre, récit des intrigues vaticanesques concocté par Michel Benoît, et qui a atteint la Grande Bretagne après une carrière de bestseller en France et en Espagne. Pourtant l’auteur n’accepte pas qu’on dise qu’il aurait mis ses pas dans ceux de Dan Brown – pas un seul instant : « Quand j’ai lu le Da Vinci Code, je me suis dit : « ce n’est pas possible, sur un sujet pareil, de dire tant de merdes » Il ne sait pas de quoi il parle : moi, oui ».

     Ceci dit avec l’arrogance habituelle aux français, mais dans ce cas c’est indéniablement vrai. Ancien moine bénédictin, Benoît a préparé un doctorat en théologie à Rome avant de retourner enseigner le Nouveau Testament dans son abbaye. Et pourtant son intrigue – une société secrète au coeur de l’Église, prête à tuer pour protéger un ancien secret qui, s’il était dévoilé, mettrait le christianisme en péril -, semblera familière aux lecteurs du trhiller de Brown. Je n’en dirai pas plus, pour ne pas  dévoiler le suspense : je dirai seulement que dans ce roman, Jésus apparaît être moins que ce qu’on en a fait.

     Également proche de Dan Brown est l’histoire à sensations des manipulations et falsifications historiques située par Benoît au coeur de l’Église. Il dépeint une corruption rampante à l’intérieur du catholicisme institutionnel qui commence avec un saint Pierre meurtrier pour aboutir au dernier « méchant », un certain cardinal Catzinger au début du 21° siècle. Je demande à l’auteur : « Le pape actuel n’a-t-il pas des motifs suffisants pour vous traîner en justice ? » – « A quoi pensez-vous, comme vous avez mauvais esprit ! », sourit Benoît. « Vous autres anglais, vous avez toujours l’esprit vicieux ! ».

     La soixantaine, grand et athlétique, Benoît est un charmeur. Bavardant dans l’arrière-boutique d’une librairie de Londres, il prend manifestement plaisir à défendre la dimension historique d’un roman que ses éditeurs décrivent comme « dangereux à lire pour les catholiques ». Après avoir rejeté Dan Brown, il m’indique quelle serait la bonne référence de sa première oeuvre de fiction populaire : Le Nom de la Rose d’Umberto Eco. « Voilà ma référence, dit-il, j’adore ce livre. Eco est un des meilleurs connaisseurs de l’histoire italienne du 14° siècle »

     Il est clair qu’il y a une recherche sérieuse et approfondie en arrière-plan du roman. Il juxtapose la lutte pour le pouvoir, et les convulsions qui agitèrent l’Église primitive, avec un complot qui traverse les siècles jusqu’à aujourd’hui pour cacher un document qui dénoncerait ces luttes sordides – au risque de ternir l’image de saint Pierre et de ses successeurs. Mais le livre de Benoît est aussi le reflet de son expérience personnelle.

     Il est entré très jeune dans l’Ordre bénédictin, avec en poche un doctorat en pharmacie et après avoir refusé les offres de Jacques Monod (prix nobel de biochimie) pour suivre ce qu’il pensait être sa vocation. Dès le début, il fut un client peu commode : à cette époque, les moines de choeur étaient automatiquement ordonnés prêtres. Il refusa tout net, s’appuyant sur un texte récent du Concile Vatican II, et fut parmi les premiers bénédictins à n’être que simple moine.

     Ne sachant que faire de lui, ses supérieurs l’envoyèrent à Rome, où il étudia pendant 4 ans 1/2. Cette expérience nourrit sa description de la corruption dans la Maison adonnée au business de Dieu. « J’en ai entendu bien plus que je n’en raconte dans mon livre : je suis en-dessous de la réalité. Mais je n’avais pas l’intention d’écrire un roman de caniveau »

     Ses études le rapprochèrent des Évangiles et de Jésus. « J’ai découvert que Jésus était juif ! C’était la première fois que je m’en rendais compte, on ne me l’avais jamais dit. Le Jésus qu’on m’a enseigné était né à Rome, il avait une culture grecque. Voilà quelle était la version politiquement correcte »

     [Le journaliste, lui-même catholique pratiquant, me fait alors remarquer que le Concile Vatican II a publié des textes qui réhabilitent la judaïté de Jésus, et que le problème a toujours été l’incarnation de Dieu dans un homme. Puis il raconte comment j’ai « été quitté » par l’Église pour déviationnisme idéologique].

     Depuis 25 ans, son chantier de travail principal est la redécouverte du Jésus historique. C’est après avoir publié un essai, Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus, que l’idée du Treizième apôtre mûrit dans son esprit : « Cet essai s’est vendu à 5000 exemplaires – il paraît que ce n’est pas si mal pour ce genre de livre ! Mais j’était très déçu. Alors je me suis dit : faisons un thriller. Un « roman de merde », avec tous les ingrédients habituels – crimes, sexe, trafics, la totale quoi ! Et j’ai trouvé ça très amusant. Mais j’ai voulu que la fiction soit solidement documentée au plan historique, un roman qui ait aussi du fond. Je ne peux pas dire que sa dimension historique représente la vérité, puisqu’il n’y a pas de vérité en histoire, il n’y a que des hypothèses qui s’approchent de la vérité. J’ai voulu être très rigoureux avec les textes qui racontent les débuts de l’Église ».

     Pour donner une idée de la méthode de Benoît : selon lui, Judas est pris dans  une machination visant à livrer Jésus aux autorités du Temple. Pour qu’il ne risque pas de parler, Pierre, le chef des apôtres, l’éventre d’un coup de poignard. Il semble que Judas était un obstacle à l’ambition de Pierre sur la route du pouvoir.

     Je demande « Où avez-vous trouvé la preuve de ce que vous avancez ? » – « Si vous lisez les Évangiles, vous trouvez deux récits de la mort de Judas. J’ai retiré les lunettes de la foi, et j’ai étudié ces textes comme n’importe quels autres. Le premier récit est celui de Matthieu : Judas se serait suicidé par pendaison. Le second se trouve dans les Actes des Apôtres, qui décrivent l’éventration de Judas. Et qui en fait le récit circonstancié ? L’apôtre Pierre. Partant de là, j’ai fait tout un travail de critique de la « version officielle », avec sérieux »

     Je suggère à Benoît qu’aucun tribunal ne condamnerait Pierre sur ce genre de fait. « Je m’y tiens comme à une hypothsèe historique, confirmée par l’étude de l’ensemble des textes. Vous me parlez de faits : Le seul fait certain est que Jésus est mort. Pour le reste, il faut s’appuyer sur trois choses : les textes, le contexte, et le bon sens ».

        (Paru dans The Independant on Sunday du 12 août 2007)

(1)The Independant est un peu l’équivalent anglais de Libération : un journal de gauche (anglaise !), dont les journalistes sont réputés pour leur franc-parler.

Vient de paraître « JÉSUS ET SES HÉRITIERS, mensonges et vérités ».

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                      (150 pages)
                       
     Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a été inscrit sur la liste des best seller pendant plusieurs semaines, puis traduit en 18 langues étrangères. Il vient d’être édité dans le Livre de Poche.

     Très vite, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, on m’a demandé : « Y a-t-il une vérité historique derrière ce roman ? Où s’arrête l’Histoire, où commence la fiction ? »

     Pour répondre à cette question, j’ai d’abord écrit une notice de 30 pages. Qui m’a vite semblé insuffisante : je l’ai amplifiée, et voici le résultat.

     Dieu malgré lui avait été écrit entre 1995 et 2000 : depuis, la recherche a beaucoup progressé. Si je devais refaire aujourd’hui cet essai, le fond en serait le même. Mais j’apporterais quantité de précisions, en le situant mieux dans le contexte de la « quête du Jésus historique ».
     C’est ce qui est fait dans Jésus et ses héritiers.

     Encore un livre sur Jésus ? Non. A l’éclairage direct, j’ai préféré l’indirect. 
     Que savons-nous d’historiquement fiable sur l’entourage du prophète Galiléen, sa famille, ses apôtres, le mystérieux treizième apôtre ? 
     Qui était Judas ? Est-il mort suicidé, ou bien… assassiné, et alors par qui ? Pierre fut-il l’Honnête Homme qu’on cherche à nous présenter dans le Nouveau Testament ? 
     Marie Madeleine enfin :  a-t-elle été l’amante de Jésus ? Si non, d’où vient la légende ?
     Sur tous ces personnages devenus légendaires, que disent les textes ? Écrite par les vainqueurs d’un combat pour la mémoire qui dura cinq siècles, l’Histoire qu’enseignent nos catéchismes, que répandent les romanciers, est-elle véridique ?

     Les lecteurs du Secret du treizième apôtre trouveront ici, en quelques pages, réponses à toutes leurs questions sur l’arrière-plan historique du roman. Du moins, ce qui concerne les événements du 1° siècle et du début du 2° siècle.

     En Histoire, il n’y a pas de vérités définitives : il n’y a que des hypothèses, de plus en plus affinées.
     Jésus et ses héritiers est une contribution sur ce qu’on peut dire, aujourd’hui, du mythe fondateur de notre civilisation.

                                M.B., 4 février 2008

LA FIN DES ILLUSIONS : Postface à « Prisonnier de Dieu »

          Les éditions Albin Michel viennent de rééditer Prisonnier de Dieu. J’ai écrit à cette occasion une Postface (2008), dont voici un extrait.
                        
          « Au moment de mettre sous presse, nous n’avions toujours pas de titre. J’en avais proposé trente à l’éditeur, qui les avait rejetés l’un après l’autre. « Michel, ma-t-il dit alors que l’imprimeur s’impatientait, nous l’appellerons Prisonnier de Dieu : c’est un bon titre ».
          « Dieu n’a jamais fait de prisonnier : je m’insurgeais. C’est de moi que j’avais été prisonnier, de moi seul, de mes illusions et de celles d’une époque. Mais l’éditeur avait raison : ce fut un bon titre. Un mensonge efficace.
                             
          « Je suis devenu frère Irénée le 9 octobre 1962, trois jours avant que s’ouvre le concile de Vatican II. Alors, dans nos colonies à peine devenues indépendantes, les missions étaient toujours prospères. Alors les sectes étaient pratiquement inconnues en Amérique latine, en Afrique, aux Philippines, en Corée. Alors, et pour la première fois, le président des États-Unis était un catholique, John Kennedy.
         « D’Acapulco à Séoul, intouchée par les siècles, l’Église se voulait seule détentrice de Dieu et des aspirations humaines. Sa conception du monde, de la morale publique, des relations entre les hommes et les femmes, était largement partagée. Elle inspirait depuis l’antiquité nos lois civiles, nos coutumes, nos interdits, nos joies et nos peines.

          « Au moment où je me présente à la porte de l’abbaye, l’Église forme encore la charpente d’un vaste édifice, solide et triomphant : la civilisation occidentale. Vingt ans plus tard, lorsque je me retrouve à la rue, l’édifice et sa charpente chancellent, sans qu’on puisse savoir qui a entraîné l’autre dans cet imprévisible déclin.

          « Les événements rapportés ici se déroulent entre les années 1960 et 1980, dans un univers clos. Ils sont datés par l’époque et par le lieu, et pourtant, Prisonnier de Dieu dépasse largement l’horizon étriqué d’un monastère catholique.
          « Ce qui n’était que le récit d’une trajectoire individuelle apparaît maintenant comme une sorte de document historique, parce qu’il témoigne d’une période charnière : la fin du consensus tacite entre une religion, et la civilisation dont elle avait nourri, pendant des siècles, l’imaginaire.
          « Machinerie complexe, qui a explosé sous mes yeux.
                                      
         « Les racines de notre civilisation, qu’on le veuille ou non, sont chrétiennes : il semblerait que le grand arbre, qu’elles ont si longtemps alimenté de leur sève, ne tienne plus aujourd’hui que par son écorce.
                         
          « Les monastères ont toujours été le fer de lance de cette civilisation : l’Église y reconnaissait son idéal de perfection, mis en œuvre par la Règle de Saint Benoît (cliquez). 
          J’ai découvert que cette Règle était profondément stoïcienne : « Là où commence le plaisir, là commence la mort ». Cette obsession macabre n’est pas évangélique. Par ses paroles comme par ses actes, le rabbi Galiléen montre une absolue détestation de la mort.        
          « Cet homme n’a semé autour de lui que guérison et vie.
                           
         « Je sais maintenant que la chasteté du corps et de l’esprit ne peut être vécue qu’à travers l’exercice de la méditation, si bien décrit par le Bouddha. C’est pourquoi les monastères se vident : on va chercher ailleurs les voies de la sagesse et de la purification mentale. La méditation silencieuse, seule forme de prière pratiquée par le juif Jésus, c’est auprès des sages d’Orient qu’il faut en découvrir la théorie et la mise en œuvre. Pour continuer toujours de l’ignorer, l’Église occidentale voit se détourner d’elle les meilleurs de nos chercheurs d’absolu.
                           
          « On m’a reproché d’avoir appliqué à l’Église établie le terme de secte. Pourtant, c’est bien du mécanisme de l’enfermement sectaire qu’il s’agit. Libre de rentrer, j’étais libre de sortir à tout moment – et cependant, je ne l’ai pas fait.
          « Le sectaire s’enferme de lui-même dans la secte, et ne peut plus se déjuger sans reconnaître l’erreur que fut son choix, sa responsabilité dans les souffrances subies et causées par lui. Nul ne franchit ce pas décisif, si quelque force extérieure ne l’y oblige. 

          « Ce qui s’est passé au bord du Fleuve aurait pu se produire de la même façon dans une secte évangélique, musulmane, ou certains partis politiques.
                             
          « Il n’y a qu’une seule vérité, c’est la nôtre et tu dois la partager, sinon… » : voilà la secte. En bien des époques et en bien des lieux, « sinon… » a pu signifier les pires châtiments corporels, heureusement interrompus par la mort. Mais toujours et partout, « sinon… » signifie le châtiment dans l’au-delà, qui ne cessera jamais.
          « Au regard de l’Histoire, l’Église est une secte qui a réussi.
          « Il m’a fallu dix ans, ayant retrouvé ma liberté de mouvements, pour reconquérir ma liberté intérieure. Puis j’ai compris que le passé ne méritait pas d’être combattu : sur ces pierres éboulées, il fallait tracer un chemin. Dieu n’appartient à personne en particulier.
                            
          « Tant d’années pour comprendre que les Églises – toutes les Églises – sont des organismes de pouvoir, que leur ambition non-avouée est de le conquérir, puis de le conserver à tous prix. « Dieu premier servi » est le slogan affiché. Idéal que les fidèles cherchent, et parfois trouvent, dans l’institution. La générosité de leur quête leur permet de contourner ce malentendu. J’y vois maintenant une imposture, enfouie dans les replis de l’inconscient.
                  
          « L’Église m’avait enseigné le Christ : il m’a fallu la quitter pour découvrir le prophète de Nazareth. Extraordinairement féconde, cette découverte a donné un sens à l’échec du frère Irénée, elle éloigne définitivement les miasmes de la mort. Sous forme de romans ou d’essais, je ne cesse depuis d’approfondir et de partager les échos qu’elle suscite.
          « Dans le désert humain, moral et spirituel qu’est devenue notre civilisation, la redécouverte de l’homme Jésus est pour moi une vraie lueur d’espoir. Cet homme solitaire, et pourtant relié à tout, a voulu humaniser la planète en lui indiquant un chemin. Au cours des siècles, quelques grandes figures ont su l’emprunter, et quantité de merveilleux anonymes.
          « Pour nos sociétés, tout reste à faire.
                 
          « Une fois dépouillé de la mythologie chrétienne, le rabbi itinérant de Galilée apparaît totalement subversif. Il a rejeté l’Église de son temps, ses rites et son clergé. Il s’incline devant la domination de César, pour mieux s’en affranchir intérieurement. Il transgresse tous les tabous, franchit toutes les frontières de la coutume établie.
          « Pareille attitude ne peut prendre forme durablement dans aucune structure sociale, qu’elle soit civile ou religieuse. Jésus n’a pas fondé d’Église, et la chrétienté s’est construite en le trahissant.
          « Le jour où j’ai commencé à m’intéresser au juif Jésus, je me suis engagé sans le savoir dans un couloir qui ne pouvait mener qu’à la porte de sortie.
                             
          « La révolution Gutenberg a facilité l’expansion des différentes Églises chrétiennes nées en Occident. Objet fédérateur, le livre réunissait les communautés autour de ses commentateurs. Jusqu’au XIX° siècle, seuls les clercs pouvaient lire abondamment : le savoir venait d’en-haut. Sa diffusion correspondait à la structure pyramidale des hiérarchies, en même temps qu’elle la renforçait.
          « La télévision, puis la révolution Internet, bouleversent ce fonctionnement séculaire : la communication est désormais horizontale, sans médiation cléricale, sans intermédiaire, ni limitation ou censure.
          « Cela prendra-t-il la place des Églises ? Des communautés virtuelles s’esquissent déjà. On s’informe, on échange, on partage sur un clavier. Mais seule, la rencontre d’une personne peut bouleverser des vies, provoquer la métanoia – ce renouvellement intérieur profond, ce départ pour l’aventure, ce regain après la moisson des désespoirs.
          « Si Jésus s’était contenté de Google, aurait-il laissé comme il l’a fait sa marque sur la planète? La rencontre vivante et chaleureuse de cet homme ne passera jamais par la seule informatique.
                             
          « Les Églises ne disparaîtront pas : chrétiennes, musulmanes, juive ou hindouiste, l’histoire de l’humanité montre qu’elles ont toujours accompagné l’essor des civilisations. Lorsqu’une civilisation décline, meurt ou se transforme, il ne reste plus de son Église originelle que l’appareil extérieur.
                             
          « Le mot tradition vient du latin tradere, qui signifie à la fois « transmettre » et « trahir ». Peut-on transmettre sans trahir ?
          « Si j’ai pu connaître les Évangiles, si j’ai rencontré la figure du prophète Galiléen, c’est bien par l’entremise de l’Église catholique, et grâce à elle. Elle a été la structure, sociale autant que religieuse, qui m’a transmis une mémoire. C’est elle qui m’a fourni les outils avec lesquels j’ai pu, bien après, retrouver le visage de celui dont elle se réclame. 

          « Tu parviendras » : pour parvenir là où elle prétendait me mener, j’ai dû m’éloigner d’elle. Peut-être en va-t-il de même pour toutes les sectes ou Églises.
                             
          « Quand ma génération – celle qui a dû s’accommoder des transformations les plus rapides que la planète ait jamais connue, mais qui disposait encore de repères, de références, de trajectoires passées et d’horizons imaginables, bref, de tradition – quand cette génération aura disparu, qui transmettra (cliquez) ?

          « Dans un monde qui n’a plus d’autres valeurs que quantifiables, où les aspirations les plus secrètes vers la transcendance sont jetées sur le marché comme les autres, qui transmettra – et à qui ? »

                    © Michel Benoît, 21 mars 2008