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JÉSUS A-T-IL FAIT DES MIRACLES ? : « Dans le silence des oliviers (V).

 

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             Plusieurs lecteurs du Silence des oliviers ont la même réaction : « Au cours de ma première lecture, j’étais un peu étonné de voir Michel Benoît s’attarder si souvent aux miracles, notamment aux deux miracles de résurrection ».

 Une vie sans miracles

           Dictionnaire Robert : le miracle est « un acte contraire aux lois ordinaires de la nature, produit par une puissance surnaturelle. »

          On lit en effet dans les Évangiles quelques récits d’événements « contraires aux lois ordinaires de la nature ». Pour l’eau transformée en vin à Cana comme pour la multiplication des pains, une étude critique du texte suffit à dégonfler le miracle en non-événement tout à fait ordinaire. J’ai placé ces deux exemples au fil de la narration (pp. 56-58 et141-143), sans fournir les justificatifs techniques de mes interprétations (c’est un roman).

           Restent dans les Évangiles quatre mentions d’« actes contraires aux lois ordinaires de la nature » : car marcher sur l’eau, arrêter une tempête ou dessécher un figuier d’une seule parole, trouver surabondance de poisson là où il n’y en a pas, ce sont des événements que rien ne peut expliquer, sauf une intervention surnaturelle, divine.

           Vous remarquerez que ces récits de « miracles » sont dans les Évangiles le prétexte d’une reconnaissance émerveillée de Jésus ressuscité, ou d’une confession tonitruante de sa divinité. Le miracle semble alors venir à point pour justifier la théologie naissante de l’Église : « Jésus est Dieu ». Renforcée par notre connaissance des traditions de miracles dans l’Antiquité, puis par la critique interne, l’analyse conduit la plupart des spécialistes à mettre fortement en doute la réalité historique de ces miracles racontés par les Évangiles.

           J’ai voulu faire parler la mémoire de Jésus : il ne pouvait pas se souvenir de ces miracles, puisqu’ils n’ont jamais existé que dans la mythologie chrétienne en train de s’écrire à la fin du 1° siècle (cliquez). C’est pourquoi on n’en trouve pas trace dans ces Mémoires d’un juif ordinaire.

          « Les Évangiles, pour prouver la divinité de Jésus, ont recours… à deux arguments : la réalisation des prophéties et l’accomplissement de miracles »

          Les Évangiles avant remaniement, non (1).

          Les Évangiles remaniés dans une intention théologique, et le catéchisme jusqu’à nos jours, oui.

          Ce n’est pas la même chose.

Jésus guérisseur

          La guérison d’une maladie fait-elle partie du domaine des miracles ? Non, absolument pas. Notre médecine n’est pas une magie, elle analyse les symptômes, pose un diagnostic, propose un traitement. Si le malade est guéri, ce n’est pas un miracle, mais la preuve que le diagnostic était bon, le traitement approprié.

          Le problème de l’ouest occidental c’est que notre médecine est positiviste : le corps est un ensemble de petites machines, quand elles se dérèglent on les soigne à coup de médicaments, sans tenir compte du fait que la machine-cœur ou la machine-rein font partie d’un tout, l’individu malade.

          L’Antiquité ignorait cette conception mécaniste de l’être humain, sa médecine aurait pu s’appeler holistique.

          Les juifs y ajoutaient une particularité, que l’on retrouve dans tous les chamanismes : le désordre de la maladie était pour eux l’œuvre des puissances démoniaques. Une personne très malade, comme Marie de Magdala, était réputée habitée par sept démons, chiffre symbolisant la totalité du dérèglement de son corps.

          Quand les Évangiles disent que Jésus, en guérissant, « chasse les démons » du malade, c’est un langage codé. Ce n’est pas un exorcisme, comme le veut souvent l’interprétation catholique. Juif lui-même, Jésus parle aux juifs le langage qu’ils comprennent. D’abord, il pose un diagnostic : « Quel est ton nom ? », demande-t-il à un esprit impur (Mc 5,9). Attentivement, il écoute le récit du père d’un enfant dont « l’esprit s’empare » – et demande une précision médicale (« depuis quand ? ») : l’énumération des symptômes, étonnamment précise, nous permet de conclure sans hésiter à des crises d’épilepsie (Mc 9,17-20).

          Son diagnostic posé, il engage le processus de guérison, qui est toujours le même. Jamais il ne fait appel à la magie, comme c’était le cas des nombreux guérisseurs de l’époque (formules incantatoires, fumigations d’herbes, danse autour du malade, sacrifice d’animaux, etc.). Il s’assure du désir de guérison du malade, de sa confiance (pistis = équivalemment confiance, ou foi). Jamais il ne lui dit « Je te guéris », mais « ta confiance (ta foi) t’a guérie ».

1- Il faut le répéter : jamais Jésus n’attribue la guérison à son action personnelle. C’est sa confiance (sa foi) qui a guéri le malade, Jésus n’est là que pour l’attester face au malade et à la foule.

2- Confiance-foi… en qui ? : Toujours, Jésus utilise une formulation indirecte : « Tu es guéri », ou « tu as été guéri ». C’est ce qu’on appelle le passivum divinum, la façon qu’avaient les juifs de désigner Dieu sans le nommer. Autrement dit, Jésus met en présence la confiance-foi du malade, et la présence de Dieu. Tout se passe entre eux deux, Jésus n’intervient pas. Il se contente de vérifier-manifester la foi du malade, et de lui dire que son attente de guérison a abouti à un résultat, parce qu’elle a rencontré la présence de Dieu.

3- Modalités de la guérison : Est-ce donc Dieu qui guérit ? Et si oui, pourquoi a-t-il attendu si longtemps, pourquoi laisse-t-il des malades dans la souffrance ? Face à un aveugle-né, les disciples posent la question : « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » Jésus répond : « Ni lui, ni ses parents » (Jn 9,3). Autrement dit : Dieu n’est pas responsable de la maladie, ce n’est pas un pervers qui laisse ses enfants souffrir alors qu’il pourrait les guérir en masse. Quelque chose est cassé dans l’humain, auquel je donne une grande place dans Le silence des oliviers, que j’appelle Le Mal et que les juifs appelaient satan, traduit en grec diabolos, « celui qui divise ».

          La confrontation violente entre Jésus et Le Mal ouvre et conclut mon roman, parce qu’elle ouvre et conclut les quatre Évangiles.

          En acceptant la démarche de mise en présence du Dieu qui réunifie ce que Le Mal a désuni (la maladie), le malade est déjà guéri. C’est sa rencontre avec Jésus qui a provoqué ou facilité cette démarche, et il le lui dit.

4- Médecine positiviste et médecine globale : Je renvoie le lecteur à la redécouverte, récente et très lente sous nos cieux, des mécanismes holistiques de la guérison. Nous avons oublié que toute maladie est d’abord une affection de l’âme, ou (pour le dire en termes acceptables) un désordre à la fois du corps et de l’esprit, psychosomatique. Quand elles sont mises en œuvre, les forces mentales sont capables de réparer, en tout ou en partie, les déficiences de l’organisme. Si on refuse ce fait, le pouvoir de guérison des chamanes ou d’un Jésus ne trouve d’explication que dans le miracle, ou la supercherie.

5- Des guérisons solidement attestées : Autant les récits de « miracles » des Évangiles ne résistent pas à l’analyse, autant les guérisons opérées par Jésus sont solidement attestées. Par la convergence synoptique d’abord : des sources et des traditions éloignées les unes des autres concordent sans faille. Par la critique interne : la structure littéraire des récits est homogène, le mécanisme de guérison résumé plus haut est toujours le même, le plus souvent explicitement, parfois implicitement.

          Jésus n’a fait aucun miracle : mais il a guéri, le fait est indiscutable et ne pose ni problème textuel, ni difficulté de compréhension si l’on dépasse des dogmes pseudo-scientifiques solidement ancrés dans notre culture ouest-occidentale.

Résurrections ?

          Soyons clairs : il n’y a aucune résurrection dans les Évangiles, mais des récits de réanimation. Le cas le plus extrême est celui de Lazare. Relisez le chap. 44 du Silence : « Renaître de la corruption intérieure quand on est encore en vie, ou bien renaître quand le corps commence à se corrompre, où est la différence ? Tu crois que la vie ne finit pas ? Moi aussi »

          Nous sommes tellement conditionnés par notre conception de la mort, que nous avons du mal à admettre qu’elle puisse se dérouler autrement. Je signale simplement que notre médecine fait des progrès lents, mais constants, dans la compréhension « scientifique » de ce phénomène. Elle est (et restera) toujours à la traîne par rapport à l’expérience millénaire des cultures orientales, notamment bouddhiste. Mais nous n’admettons pas que l’autre moitié de l’humanité, orientale, ait depuis longtemps compris des choses que nous autres, occidentaux, croyons savoir et maîtriser.

          Indécrottable et imbécile arrogance occidentale.

          J’espère, tout au long du Silence des oliviers, avoir guidé le lecteur, par petites touches successives, vers cette autre compréhension de l’être humain, de ses maladies et de sa mort.

          C’était celle de Jésus. Il l’a affirmée tout simplement, par sa façon d’être et de réagir face à la souffrance humaine.

                                    M.B. 1° juillet 2001

(1) Tout comme l’Évangile de Thomas, qui ne mentionne aucun miracle

« LE SILENCE DES OLIVIERS » : une recension de Pascal Jacquot

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           « Je viens de terminer la lecture du livre Dans le silence des oliviers de Michel Benoît et je voudrais exprimer succinctement mes réactions.

          « Dans un premier temps, je me suis dit que ce récit présenté en roman n’attirerait ni les amateurs d’extraordinaire, ni les chercheurs de spiritualité.

          « Mais rapidement, au fur et mesure de la lecture, je me suis laissé fortement impressionner par ce cheminement vécu en direct, par les questionnements, les épreuves, les appels portés par Jésus.

          « J’ai apprécié à travers la progression dans le temps tout ce qui permet de mieux comprendre ses réactions, son évolution, ses craintes, ses doutes, sa souffrance, sa grande solitude … Avec « Le Mal » puissant qui reste toujours actif et sape les efforts. Avec la méditation dans le silence qui est la base de l’écoute et du cheminement. Sans s’appuyer sur des miracles qui ne sont que des phénomènes naturels ! Et surtout, sans trahir la Parole.

          En préservant la sobriété des citations évangéliques mais en plaçant cette Parole dans son cadre géographique et historique concret, on devine mieux ce qui a pu réellement se passer …

           « C’est une analyse profonde, sérieuse, à la fois claire, précise et très judicieuse, qui traduit une ambiance, une époque et présente un message crédible qui ne tombe pas du ciel mais se construit progressivement à travers des évènements humains.

          Le tout dans un style facile, agréable, non prétentieux et non réservé à une élite …

           « Après le livre Dieu malgré lui qui a été pour moi une révélation, ce roman rassemble une recherche et met en scène des hypothèses mûries, notamment celle du 13° apôtre, le « disciple bien aimé ».

          « Il traduit concrètement une démarche pour mieux en cerner la vraisemblance tout en valorisant la portée exceptionnelle du témoignage de l’homme Jésus, un grand prophète, un croyant engagé mais certainement pas un dieu.

          Ce travail portera ses fruits car les hommes bienveillants qui cherchent à accueillir le bonheur avec leur cœur peuvent entendre facilement cette approche. »

                                    Pascal JACQUOT

               (Publié sur le site écoute et partage)

UNE RECENSION ANGLAISE DU « SILENCE DES OLIVIERS »

michel benoit silence oliviers 1couv  The silence of Gethsemane

On peut lire sur le site thegoodbookstall.org.uk cette critique de la version anglaise du Silence des oliviers (cliquez, et aussi cliquez)

récemment parue chez Alma Books (London) sous le titre

                          The silence of Gethsemane

 

« Ce roman est un défi (A challenging novel).

 « Tout d’abord, comment raconter la vie publique de Jésus à la première personne, alors que tout le monde sait que cet homme n’a jamais rien écrit ?

 « Et puis, au fur et à mesure que vous lisez, vous vous rendez compte que ce roman tourne autour du « Jésus historique », et non du Dieu incarné. Nulle part il ne dit « je suis le fils de Dieu ». On découvre un homme qui prend conscience de sa relation avec le Dieu d’Israël, et de ce qu’il va devoir dire et faire  pour exprimer cette conscience devant ceux qu’il rencontre, et qui le considèrent comme un rabbi.

 « J’ai trouvé que la narration attentive de cette prise de conscience était particulièrement stimulante. Elle concerne chacun de nous parce qu’elle part de l’humanité de Jésus, et non de sa supposée divinité.

 « J’ai particulièrement apprécié le coup de projecteur porté sur la société juive et les lois religieuses de l’époque, qui permet enfin de comprendre comment Jésus a transformé radicalement la mentalité et la pensée juives, pour en faire ce qui aurait pu devenir le christianisme.

 « Le style adopté par l’auteur est intéressant : il permet au lecteur une lecture fluide, qui facilite l’assimilation d’un point de vue original sur une intrigue (la vie et l’enseignement de Jésus) qu’on croyait connaître, tout comme il stimule la réflexion sur une multiplicité de thèmes abordés de façon très vivante .

 « Scientifique devenu moine bénédictin (il a dû quitter pour « non-conformité idéologique »), l’auteur ne nous donne pas là une nouvelle biographie, routinière et attendue, de Jésus.

« Vous seuls, lecteurs, aurez à décider si vous acceptez le défi d’un regard raffraîchissant sur l’homme appelé Jésus »

                                                         Traduit de l’anglais par M.B.

UN NOUVEAU LIVRE DE MICHEL BENOIT : L’Évangile du treizième apôtre – Aux sources de l’Évangile selon saint Jean (I.)

Publié le par Michel Benoit

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            Quatre livres déjà parus (1) ont tiré de l’oubli un homme présent dans l’entourage de Jésus le nazôréen, que j’ai appelé le treizième apôtre dans Dieu malgré lui

          Pour conclure cette série, j’ai voulu mettre à disposition du public le long travail de recherche historique & exégétique qui a précédé l’écriture de ces ouvrages, et l’a rendue possible.

          Publié chez l’Harmattan, c’est un texte court (100 pages), de lecture facile malgré sa technicité.

           Voici sa présentation en couverture :

           Aucun des auteurs des quatre évangiles n’a connu Jésus personnellement.

          Aucun ? Peut-être pas. On sait maintenant qu’un treizième homme faisait partie de son entourage, le mystérieux disciple bien-aimé. Un treizième apôtre dont le témoignage oculaire est parvenu jusqu’à nous, grâce au récit d’un groupe peu connu, les nazôréens.

           Après avoir publié plusieurs ouvrages sur ce témoin capital gommé par l’Histoire, Michel Benoît cherche à exhumer ce récit actuellement enfoui dans l’Évangile selon saint Jean.

          Travail de restitution précis et minutieux, qui permet de découvrir un autre Jésus que celui des apôtres : Jésus avant le Christ. Son visage apparaît infiniment humain, démaquillé de tout ce que l’Église a plaqué sur lui pour en faire le fondateur du christianisme.

           Une approche qui renouvelle complètement notre compréhension d’un texte fondateur de l’Occident et de sa culture.

           Catholiques ou protestants, les spécialistes professionnels feront la moue devant cet essai : « Quoi ! Moins de mille pages, pas de notes compliquées, pas de langue de bois, pas d’énorme bibliographie ? Pas sérieux ! »

           C’est que la vulgarisation n’a rien de vulgaire. Elle suppose un grand respect du public non-spécialisé, une documentation considérable, un effort constant pour dire l’essentiel en peu de mots, et sans étalage d’érudition.

           Elle suppose surtout d’avoir lu et assimilé les travaux des chercheurs qui ont précédé : inutile de refaire tout le chemin qu’ils ont parcouru. Parmi d’autres, Boismard, Jeremias, Brown, Meier, sont les autorités sur lesquelles je me suis appuyé, pour faire progresser la recherche sur l’un des textes les plus commentés de l’Histoire du christianisme.

           « Le pédagogue, disait Socrate, est celui qui aide à poser les bonnes questions ». Puisse cet essai vous donner à penser, vous aider à chercher, stimuler votre réflexion et votre méditation. Ouvrir des portes, vous donner enfin un outil de plus pour partir à la découverte d’un témoin capital du mystère divin et de la nature humaine, le Juif Jésus.

                                Infos pratiques :

 Vous pouvez commander ce livre chez votre libraire, ou par Internet sur Amazon, ou encore directement sur le site de l’Harmattan, www.editions-harmattan.fr.

 Ou sur sa fiche dans ce site

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=39464.

 Contact promotion chez l’éditeur : marianne.ravaud@harmattan.fr.

                                                 M.B., 17 février 2013

(1) Dieu malgré lui, Le secret du treizième apôtre, Jésus et ses héritiers, enfin Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (c’est Dans le silence des oliviers, paru en Livre de Poche sous ce nouveau titre fin mars 2013)

L’ÉVANGILE DU TREIZIÉME APOTRE (II) : une critique

          L’évangile du treizième apôtre commence à être lu, quelques critiques me parviennent.

          Voici l’une d’elles : « Votre texte tient très bien debout, mais c’est descriptif et sans message. On dirait que c’est écrit seulement pour se justifier, et corriger des inexactitudes ».

 Qu’est-ce que l’exégèse ?

           Pour la première fois, je publie un ouvrage d’exégèse.

          L’exégète se penche sur un texte du passé, né dans un contexte, une culture anciens et disparus, écrit dans une langue morte ou étrangère. Il cherche à comprendre ce que ce texte peut vouloir dire pour nous, dans notre contexte, notre culture actuelle et la langue que nous parlons.

          L’exégèse est une des disciplines de l’Histoire : de même que l’historien cherche la vérité des faits, l’exégète cherche la vérité des textes.

          C’est un archéologue des mots : après les avoir identifiés, il cherche à les comprendre en les replaçant dans la strate historique dont ils proviennent.

           Depuis un siècle et demi, les exégètes bibliques ont mis au point une panoplie d’outils, des critères de lecture qui se révèlent performants. J’en ai donné ailleurs la liste (cliquez), ils sont évalués dans le Tome I de J.P. Meier (1), ce sont eux que j’ai utilisés pour extraire du Quatrième Évangile, dit selon saint Jean, un texte enfoui, noyé dans ce monument fondateur du christianisme.

 Une reconstitution ?

           Identifier, à l’intérieur de ce texte archiconnu, écrit par plusieurs mains anonymes au tournant du 1e siècle après J.C., un autre texte dont l’auteur serait le disciple bien-aimé de Jésus, qui n’est nommé que dans ce Quatrième Évangile.

          Pour procéder à cette extraction, créer de nouveaux outils, des critères de lectures adaptés à cette chirurgie-là, particulièrement délicate et fine.

          Est-ce de la chirurgie plastique, aboutit-on à un nouveau texte, reconstitué à partir de l’ancien ?

          Non, c’est un accouchement. Sorti de la maternité, le texte paraît nouveau parce qu’il a été débarrassé, nettoyé de l’amas de mots qui l’enveloppait et le rendait quasi-invisible dans ce placenta.

 Un nouvel évangile ?

           Les trois autres évangiles sont des ouvrages théologiques, et même polémiques.

          Des souvenirs, des paroles de Jésus ont été regroupés, triés, corrigés, amputés ou amplifiés, pour répondre à l’ambition des premiers chrétiens : créer une nouvelle religion, en inventant un nouveau dieu.

          Cela s’est fait progressivement : écrit le premier, Marc ne divinise pas encore Jésus, comme le feront plus tard Matthieu et Luc – qui déclare avoir soigneusement composé son texte.

          Chacun de ces trois évangéliste a inscrit sa théologie propre, en même temps que celle du milieu dans lequel (et pour lequel) il écrivait, non seulement en transformant plus ou moins certains dires et certains faits de Jésus, mais en les présentant de façon « ordonnée », comme le dit Luc.

          Or le texte que j’exhume du Quatrième Évangile n’a pas d’ordonnancement, pas de structure élaborée. C’est un recueil de quelques souvenirs d’un habitant de Jérusalem, qui témoigne de ce qu’il a vu et entendu lorsque Jésus quittait sa Galilée natale, pour monter dans la Ville de David.

          Le titre de mon petit livre est donc inexact : L’évangile du treizième apôtre aurait pu s’appeler Quelques souvenirs d’un témoin oculaire de Jésus à Jérusalem.

Une description

           Les lecteurs découvriront que ce qui est exceptionnel dans ce texte – à vrai dire, unique dans l’Histoire des Religions – c’est que l’auteur se contente de décrire ce qu’il a vu. Il se refuse absolument à toute interprétation morale, religieuse, philosophique ou théologique, des événements dont il a été le témoin, et de la personne qui est à l’origine et au centre de ces événements.

          Nous sommes tellement habitués, déformés par l’énorme édifice de pensées, de théories, de dogmes, de controverses qui collent depuis le début à la peau de Jésus, que nous voilà tout déconcertés. Quoi ? Ce disciple anonyme a vraiment rencontré personnellement Jésus, il a vraiment vu ce qu’il raconte, son témoignage est le seul de première main que nous possédions… et il n’en tire aucune conclusion, aucun message, aucune théorie, aucune théologie ?

          Eh non ! Il se contente de nous mettre en présence du Galiléen.

          Il semble avoir été tellement séduit, subjugué par l’homme qu’il voyait évoluer en Judée, dont il est sans doute devenu un ami proche, qu’il se refuse de nous dire autre chose que : « Venez, et voyez ».

 Une critique ?

           La critique de mon lecteur est donc le plus beau compliment qu’il pouvait me faire.

          Oui, ce livre est descriptif et sans message : au lecteur, et à lui seul, il appartient d’en tirer un message à sa taille. Ajouter mon message à l’absence de message du disciple bien-aimé, c’eût été le trahir (et trahir l’homme qu’il décrit) : c’eût été faire de la mauvaise exégèse.

          Oui, c’est une justification de tout ce que j’ai publié jusqu’ici : mes romans (cliquez et cliquez) sont tous nés de cette exégèse.

          Oui, c’est écrit pour corriger des inexactitudes : celles qui forment sur le visage de Jésus l’épais maquillage du dogme que nous connaissons, et qui nous étouffe.

           Prenez le temps de lire ces cent petites pages. « Venez, et voyez » : je n’ai pas cherché à voir à votre place.

                                                             M.B., 5 mars 2013

 Comment se procurer L’évangile du treizième apôtre : cliquez

 (1) John P. Meier, Un certain Juif, Jésus – (I) Les données de l’Histoire, Cerf, 2004.

« JÉSUS, MÉMOIRES D’UN JUIF ORDINAIRE » au Livre de Poche

Publié le par Michel Benoit

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           Dans le silence des oliviers, publié par Albin Michel en 2011, sort au  »Livre de Poche » sous un nouveau titre, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.

           Il s’agit du même texte, seul le titre a changé. Pourquoi ?

          Parce que ce roman se présente bien comme un retour sur sa vie passée, au moment où Jésus sait qu’il va être arrêté. Il se remémore les événements qui l’ont conduit à tout quitter pour vivre en prédicateur itinérant, faisant exploser son horizon de Juif pieux.

           Un roman, mais basé entièrement sur la Quête du Jésus historique (cliquez).

          Un roman historique, ou plutôt exégétique. Ce n’est pas une  »vie de Jésus » (cliquez), mais une évocation soigneusement documentée de ce qu’il a voulu faire, et dire (cliquez).

          Traduit en anglais sous le titre The silence of Gethsemane (cliquez).

           Un petit livre, agréable à lire, dans lequel j’ai voulu condenser quarante ans de recherche sur la personne de celui qui est à l’origine de notre civilisation occidentale.

          Cette recherche, on en trouvera l’illustration dans un autre petit livre qui vient de paraître, L’évangile du treizième apôtre (cliquez).

           En voici la quatrième de couverture :

           Aucun Juif n’est ordinaire, quand il assume l’héritage des prophètes du judaïsme.

          Ni quand il prétend porter cet héritage à son accomplissement.

          Tel fut Jésus le Galiléen.

           Dans la nuit de Pâque, caché au milieu d’un jardin d’oliviers, il sait qu’il a été trahi, qu’il va être arrêté. Seul face aux étoiles, il revit les événements qui ont façonné sa vie : la rencontre de Jean-Baptiste, le séjour au désert, ses deux années d’itinérance…

          Il se rappelle le surgissement progressif d’un message original et neuf, incompris de ses proches et rejeté par les autorités juives.

           Michel Benoît évoque avec limpidité et érudition la formidable présence d’un Jésus qui aurait pu faire naître un monde différent, s’il avait été entendu.

           Si ce petit livre vous a plu, faites-le connaître autour de vous…

                                M.B., 23 mars 2013 .

APRÉS L’ÉMISSION « UN HOMME APPELÉ JÉSUS » sur France 2

          C’était forcément le « grand écart », et le réalisateur Roland Portiche le savait.

          Il savait qu’il ne fallait pas mécontenter les amateurs de mythes et de légendes, tout en ouvrant des fenêtres sur la réalité.

          Respecter les croyants, tout en laissant parler les chercheurs.

          Pari forcément inconfortable, mais pari réussi : une très belle émission, qui a réuni, un soir de départ en vacances, 4,9 millions de téléspectateurs devant l’écran.

          Jésus l’a presque emporté sur Obélix (même heure sur TF1).

           Le fil conducteur est fourni par les images tirées du film, déjà ancien, de Franco Zeffirelli. Un Jésus White Anglo Saxon Protestant d’Hollywood, propre à rassurer nos vieux et enchanter nos enfants. Mais les images de Zeffirelli sont belles, et juste après on nous montre la reconstitution saisissante de ce à quoi pouvait ressembler réellement un Juif contemporain de Jésus.

          Sur ce canevas, R. Portiche a laissé s’exprimer une dizaine d’historiens et exégètes. Tous l’ont fait sans passion, avec rigueur et mesure.

          Tous, sauf un.

           J’ai publié dans ce blog deux articles sur le livre Jésus de l’inénarrable Jean-Christian Petitfils (cliquez et cliquez). Historien de talent (il l’a montré dans un excellent Louis XVI, (cliquez), il perd tout contrôle dès lors qu’il s’agit de Jésus. Oublie ce qu’est le rigoureux travail de l’historien, ignore la critique textuelle, mélange tout pour se faire le porte-parole des catholiques piétistes et fondamentalistes.

          En vrac, il justifie la réalité historique du massacre des Innocents, de l’étoile de Bethléem, fait sans hésiter du dernier repas de Jésus une eucharistie, de sa souffrance « un mystère qui sauve l’humanité », puis s’enflamme en vue du Suaire de Turin (cliquez)… Tout cela est affligeant, plus que les interventions du cardinal Vingt-trois qui est dans son rôle en répétant sa leçon.

           Fort heureusement les autres intervenants font vite oublier ce miel de sacristie. Avec compétence, ils contredisent et corrigent ces propos, dans une convergence de vues d’autant plus frappante qu’ils ne se sont aucunement concertés. Particulièrement appréciables les contributions de Raphaël Draï, professeur à Science-Po qui parle du Juif Jésus en Juif laïc, averti et apaisé (« pour tout Juif, la mort n’est pas une fin »). De Michel Quesnel, prêtre et doyen de faculté théologique, qui n’hésite pas à faire part de ses doutes sur la version ‘’politiquement correcte’’. De Daniel Marguerat, fin connaisseur du Jésus historique, qui n’a qu’un moment d’hésitation au moment où il parle de la ‘’résurrection’’ (cliquez). Du rabbin Marc-Alain Ouakim, pour qui la guérison miraculeuse est d’abord la redécouverte de « la foi en soi-même », de « la force d’exister ».

           Particulièrement intéressantes les vues des fouilles récentes sur les sites de Nazareth, Sepphoris, Capharnaüm (on voit la synagogue où Jésus enseigna !), Magdala, les deux piscines de Bethesda et Siloé, la barque si semblable à celle des apôtres pêcheurs du lac de Galilée. L’escalier du Temple, aux marches inégales pour canaliser la cohue…

           En préambule du film, Stéphane Bern dit qu’il en ressort l’image « d’un Jésus bien différent du catéchisme traditionnel ». Et en conclusion : « Entre la mort de Jésus et le début du christianisme, il s’est passé quelque chose de décisif. Oui, mais quoi ? Sans doute ne le saura-t-on jamais, car tout ne s’explique pas ».

          Certes, le besoin viscéral de mythes est inscrit dans nos gènes, comme en témoignent les peintures préhistoriques, et il ne s’explique pas. Mais on sait très bien aujourd’hui comment Jésus a été transformé en Dieu, son message de prophète juif en idéologie mondiale et conquérante.

          Seulement, ceci est une autre histoire…

           Après la diffusion, Roland Portiche m’a envoyé ce message :

          « Vous êtes sans doute frustré du peu que j’ai retenu de notre longue interview. Il fallait gérer des heures et des heures d’entretiens (une trentaine) très riches et un minutage qui, sans être négligeable (1h43), était tout de même limité. Le résultat est quand même là : cinq millions de français ont découvert hier soir une approche de Jésus un peu différente de celle à laquelle ils étaient habitués. Le but de l’émission n’était pas de TOUT dire en une seule soirée, mais de donner envie au public d’en savoir plus ».

           Frustré ? Sûrement pas. Vous avez ouvert des portes. Vous avez posé des questions : ceux qu’elles intéressent iront lire nos livres, qui sont indiqués sur votre site. Ils verront une fois de plus que tout, dans ce qui est enseigné officiellement, n’est pas toujours vrai.

          Et s’ils découvrent derrière l’icône de la tradition un homme exceptionnel, qui a beaucoup à nous apporter en ces temps de désespérance, vous aurez gagné votre pari.

           Enfin, vous aurez montré ce qu’est la vraie laïcité, puisque vous laissez parler de leurs convictions intimes et irrationnelles un cardinal, un J.C. Petitfils, à côté de chercheurs attachés à la vérité des faits, insatisfaits par nature et par profession.

           Votre émission fait honneur au Service Public.

                                        M.B., 8 mai 2013

 On peut la revoir, avec bibliographies, en cliquant sur

http://www.france2.fr/emissions/secrets-d-histoire/diffusions/07-05-2013_53553

CRISE DE L’OCCIDENT ET CHOC DES FONDAMENTALISMES

          La crise de l’Occident, dont nous sommes les témoins inquiets, est un sujet qui nous touche profondément, parce que nous sentons qu’elle concerne notre civilisation. La plupart des analystes la décrivent sous  son aspect économique, démographique, environnemental, politique, moral ou social. Je voudrais porter sur cette crise un autre regard, afin d’en identifier – si c’est possible – la racine profonde. Ce regard, personnel, se situe dans le cadre de recherches historiques et sociologiques qui font l’objet d’un vaste débat.

I. Définitions

          Et d’abord, il faut définir 4 termes que nous emploierons.

 1) Civilisation

            J’emprunte ma définition à l’école américaine de sociologie : une civilisation, c’est une identité culturelle, associée par chaque individu à une partie de l’humanité à laquelle il peut s’identifier. Cette partie de l’humanité est un groupe plus étendu que la tribu, la région ou la nation.

          Mais j’emploierai aussi une image plus familière : je dirais qu’une civilisation, c’est un peu comme un grand et vieil arbre. Nous n’apercevons que les hautes branches, touffues, dans lesquelles nous avons fait notre nid. J’essayerai d’identifier aujourd’hui l’une des racines, devenue quasi invisible pour nous, mais à partir desquelles notre arbre occidental a acquis sa stature ancestrale.

 2) Référent

            L’identification des peuples à une civilisation s’effectue à travers ce que la linguistique appelle des référents : un référent, c’est un outil verbal qui désigne un élément du réel. Déjà, Thomas d’Aquin expliquait que le concept (notre « référent ») pointe vers une chose (une res) qui a sa réalité propre, en-dehors du langage. La question cruciale, nous le verrons, est alors de savoir comment fonctionne l’adéquation entre le référent, et la chose qu’il désigne.

            Ce réel, désigné par les mots à travers lesquels s’exprime une civilisation, il peut être du domaine des faits (par ex., la prise de la Bastille), mais aussi de l’imaginaire. C’est particulièrement vrai du fait religieux, dans lequel les sociologues identifient l’un des référents fondateurs de toute civilisation.

3) Crise

Restons-en provisoirement à notre image familière : il y a crise quand les racines d’une civilisation sont devenues tellement lointaines, que les hautes branches ne peuvent plus y puiser leur sève. Le vent, la pluie, les tempêtes soufflent : l’arbre résiste mal, parce qu’il est mal enraciné.

Il a trop oublié. Il ne sait plus ce qu’il fut, il ne sait plus ce qu’il est.

 4) Occident

Sa définition a d’abord été géographique : c’était la civilisation née de la Grèce, et qui se répandit autour du bassin méditerranéen. Son épicentre, situé à Rome, se déplace ensuite vers Constantinople. Mais jusqu’à la fin du VII° siècle, ce que nous appelons aujourd’hui le Proche et le Moyen Orient font encore partie intégrante de l’Occident et de sa civilisation, à laquelle ils apporteront des contributions inestimables.

Quand, en 1453, Constantinople tombe sous la coupe de l’Empire Ottoman, l’Occident se voit privé de toute sa partie orientale.

Rapidement (1620) il va compenser cette perte en déplaçant sa frontière vers l’Ouest : mais la conquête de l’Amérique par les européens s’est faite dans des conditions très particulières, qui expliquent que la civilisation américaine s’éloigne de plus en plus de sa matrice européenne. C’est pourquoi je vous parlerai surtout ici de l’Occident européen.

Et déjà, nous dégageons un résultat important : à cause de son Histoire, la civilisation occidentale n’est plus une entité géographique, mais une réalité conceptuelle, référentielle.

 II. Construction du référent fondateur de l’Occident

Tout commence avec Jules César. En 63 avant J.C., très jeune mais déjà animé d’une ambition dévorante, il reçoit la magistrature suprême. Il devient Souverain Pontife de la religion d’État. Quelques années plus tard, il impose à Rome sa dictature : pour la première fois en Occident, les pouvoirs civil et militaire se trouvent réunis, avec le pouvoir religieux, dans la main du même homme. Cette conjonction des deux pouvoirs en un seul s’imposera à tout l’Occident, et jouera un rôle essentiel dans la naissance de ses référents culturels.

Au début de notre ère, Rome traverse une crise d’identité. L’un des deux piliers du pouvoir, la religion de l’État romain, est agonisante. Et l’Empire est envahi par des religions venues d’Orient – dont la mieux connue et sans doute la plus répandue est le culte solaire de Mithra. Ces religions sont anciennes, mais une nouvelle venue va faire une entrée fracassante : le christianisme.

Cette religion est légalisée par Constantin en 313. L’un de ses successeurs, Julien dit l’Apostat, tentera en vain une restauration du culte romain : le premier, il avait compris l’importance des référents culturels dans la survie d’un Empire. Nous savons qu’il était convaincu que la civilisation romaine disparaîtrait, si sa religion ancestrale ne retrouvait pas, dans l’État, sa place traditionnelle.

Et c’est bien ce qui s’est produit. Fragilisé par la perte de son identité religieuse, l’Empire va disparaître, dégluti par les barbares. Ce fait historique illustre mon propos : c’est quand leur panthéon, et leur culte traditionnel, ont disparu de la vie des romains, qu’ils ont cessé d’être un grand peuple porteur de son identité culturelle.

Voilà donc quel sera mon fil conducteur : La perte des référents qui l’ont constituée, provoque la fin d’une civilisation donnée. La crise d’une civilisation, c’est la crise de ses référents.

Cette crise aurait pu être fatale à l’Occident, si le christianisme ne s’était pas immédiatement substitué à la civilisation romaine naufragée, en lui apportant ses référents propres. Mais l’accouchement d’une nouvelle identité culturelle en Occident va se faire dans la douleur, à cause de l’élaboration difficile du dogme, et donc de l’identité chrétienne.

En effet, les chrétiens à peine nés se déchirent autour d’un point central : l’identité de Jésus de Nazareth. L’image de cet homme va être progressivement transformée, au point que vers l’an 100, le rabbi juif itinérant est devenu Dieu.

Une question va dés lors se poser, lancinante : si Jésus est Dieu, est-il toujours homme ? Et s’il reste homme, est-il également Dieu ? Comment ces deux existentiaux, inconciliables, peuvent-ils se trouver fusionnés dans le même individu ?

La réponse à cette question va susciter des affrontements, dont la violence nous étonne aujourd’hui. Je m’y arrête parce que les Empereurs – qui avaient réussi l’union, dans leur personne, du politique et du divin – ont pris une part active dans les luttes qui déchirent les chrétiens entre eux. C’est qu’ils étaient conscients qu’une nouvelle civilisation était en train de naître, et qu’elle avait besoin de référents indiscutables, et indiscutés.

Le dogme de l’incarnation, la définition de la divinité du Christ jusque dans ses plus petits détails, va donc être la question centrale autour de laquelle se construira, lentement, douloureusement, le nouveau référent, le socle identitaire de la civilisation occidentale.

Je vous passe les détails. Rappelons seulement que l’arianisme, né à la fin du II° siècle, et qui s’oppose à la transformation totale de Jésus en Dieu, a bien failli l’emporter.

En 392, l’Empereur Théodose décrète le christianisme religion d’État. Parfois par la force, le pouvoir impérial va contraindre la Grande Église à adopter une formulation acceptable de la divinité du Christ. Avec le concile de Chalcédoine, en 451, le christianisme disposera d’un référent suffisant pour s’imposer dans l’Empire. Mais ce n’est qu’en 681, à la fin du VII° siècle, que l’Église surmonte toutes les hérésies, et que les dernières conséquences de la divinisation du Christ sont tirées au clair[1].

S’ensuivent trois siècles qui sont les plus sombres de l’histoire occidentale : difficiles tentatives de reconstitution de l’Empire, invasions musulmanes, invasions multiples… L’Église est le seul îlot stable, émergeant de cette mer démontée. Solidement campée sur le dogme de l’incarnation, désormais indiscuté, L’Europe trouve dans l’Église la force de sa survie, le référent de son identité et de son unité face à ses adversaires.

La période qui suit (VII° / VIII° siècle) apparaît comme une période charnière.

On voit en effet Alcuin, théologien de Charlemagne, élaborer la notion de monarque de droit divin. Je remarque que cette doctrine politique n’a pu prendre naissance qu’à partir du moment où la divinisation de Jésus était acquise en Occident. De même que le Christ est l’image terrestre du Dieu invisible, de même l’Empereur devient l’expression visible, sur terre, de la volonté divine – et ceci, jusqu’à la Révolution française.

A ce moment charnière de l’Histoire, l’Occident a donc trouvé dans la divinité du Christ la justification du pouvoir. Mais le dogme de l’incarnation, parce qu’il est devenu un référent compris et accepté par tous, marque de son emprise l’éthos – c’est-à-dire l’horizon éthique, culturel, social, esthétique – de la civilisation occidentale. Jusque dans les moindres détails leur vie quotidienne, les hommes et les femmes d’Occident seront formatés par les ramifications de ce dogme fondateur.

Dire que l’Occident s’est construit autour du christianisme, c’est une banalité. Je cherche à aller plus loin, et vous proposerais d’identifier, dans la lente et chaotique transformation de l’homme-Jésus en Dieu, la racine profonde, la matrice originelle de la civilisation occidentale.

 III. La fin d’une civilisation

J’ai parlé de moment-charnière : en effet, c’est à la fin du VII° siècle,  quand le dogme de l’incarnation n’est plus discuté en Occident, quand ce référent-là est devenu le socle de tous les autres, qu’un vigoureux mouvement d’origine arabe lance au monde un défi : une nouvelle religion, qui rejette explicitement l’incarnation de Dieu en Jésus, qui affirme l’unicité de Dieu, et accuse l’Occident d’avoir fabriqué, à côté du Dieu-très-Grand, un deuxième Dieu, incarné.

Au chercheur, Le Coran apparaît d’inspiration entièrement judéo-chrétienne. Il répond à l’éternelle question, qui a si longtemps agitée la chrétienté : qui est Jésus ? Et puisqu’il refuse sa divinité, quelles sont les voies d’accès au divin ? En rejetant ce qu’il appelle « la magie chrétienne », le Coran crée le référent d’une nouvelle civilisation, qui attire à lui le quart de l’humanité.

L’islam coranique est donc la seule réforme radicale du christianisme qui ait réussi, là où tous les hérétiques de la Grande Église avaient successivement échoué. Il l’a fait, et continue de le faire, en s’opposant à une chrétienté considérée par lui comme infidèle à l’unicité de Dieu, c’est-à-dire païenne.

Mais revenons à l’Occident. Solidement campé sur une identité qui trouve sa source dans le dogme de l’incarnation défendu par l’Église, il continue sa route. Et quand il étend sur la planète son modèle de civilisation, le christianisme  triomphe avec lui.

Vont alors se produire trois secousses majeures. La première, la Réforme protestante, va entamer l’unité européenne cimentée autour de Rome. Mais Luther et Calvin n’ont pas remis en cause le dogme de l’incarnation, ils n’ont pas touché à l’identité occidentale. Avec le recul de l’histoire, le moment le plus révolutionnaire de la Réforme apparaît comme celui où Luther traduit la Bible en langue allemande. A son insu peut-être, en mettant le texte sacré à la portée de tous, il a permis à l’Occident d’échapper au piège redoutable du fondamentalisme : nous allons y revenir.

La seconde secousse, c’est le mouvement des Lumières, le triomphe de la raison sur la foi considérée comme irrationnelle. Mais sa diffusion touche surtout les élites : au XIX° siècle, l’empreinte des Églises chrétiennes est encore très forte sur l’Occident. Grâce à la colonisation de la planète par les occidentaux, elles deviennent des puissances mondiales.

C’est dans ce XIX° siècle qu’on voit apparaître les premiers signes d’un déclin du christianisme, déjà en germe dans les secousses précédentes. Troisième secousse, la laïcité instaure la séparation des Églises et des États. Mais les référents des nouvelles nations européennes restent chrétiens. Les Églises, qui ont officiellement perdu leur emprise sur les sociétés, transfusent en elles l’essentiel de leurs valeurs. Le code Napoléon, qui servira de modèle aux législations européennes, puise dans saint Paul une bonne partie de sa morale individuelle et sociale, ainsi que l’inspiration de ses lois.

Cependant le déclin des Églises est là, inexorable. Il sera un temps masqué par l’expansion missionnaire du XIX° siècle, puis par la montée des fascismes au début du XX°, pour se transformer très rapidement en effondrement.

Ce sont des sociologues américains qui se sont penchés sur la notion d’effondrement des civilisations. Arnold Toynbee[2], Joseph Tainter[3], Samuel Huntington puis Jared Diamond[4] : tous reconnaissent, comme Christopher Dawson[5], que « les grandes religions sont les fondements des grandes civilisations ».  Mais dans leurs travaux, aucun ne donne au référent religieux la place centrale qui lui revient. Ils l’analysent de l’extérieur, à coup de statistiques, et finissent par attribuer l’effondrement des civilisations à des causes économiques, sociétales ou environnementales. Dans la lecture que je vous propose, au contraire, j’envisage la naissance et la mort d’une civilisation en suivant son marqueur principal, l’évolution du référent religieux. Je complète l’analyse trop factuelle des américains en intégrant les résultats de l’école française de sociologie, qui a étudié de près le déclin du catholicisme en France, et sa signification dans le déclin de notre civilisation.

Il n’est pas possible de résumer ici ses conclusions. Je préfère rappeler à ceux de ma génération des faits qu’ils ont vécus : revenons, par la mémoire, aux années d’après-guerre.

Jusqu’aux années précédant 1958, date symbolique[6], l’Église en tant qu’institution était partout présente. Souvenez-vous : partis politiques Xns, syndicats Xns, éducation Xenne, mouvements de jeunes Xns, organismes caritatifs Xns (devenus ONG), présence hospitalière et même carcérale…. Mais aussi littérature (Claudel, Bernanos, Mauriac…), philosophie (Maritain, Gabriel Marcel), poésie (Péguy, Marie Noël), musique (Honegger, Poulenc), peinture (Rouault, Cocteau), architecture (Le Corbusier) : en un demi siècle, le catholicisme en tant que référence a disparu en France du champ de la créativité.

Certains affirment que ce qu’il a perdu en Occident, il l’a retrouvé dans les pays du Tiers-monde, notamment Afrique et Brésil. Mais le dynamisme catholique de ces pays n’est qu’apparent. D’abord, il est encore souvent lié à la promotion sociale. Ensuite, on y voit monter en puissance l’extraordinaire foisonnement de sectes très diverses, et du fondamentalisme évangélique américain : ils sont en train d’y supplanter les Églises.

Ceci, c’est l’aspect spectaculaire du phénomène. Mais reprenons notre fil conducteur :

1) Comme on pouvait s’y attendre, l’effondrement a été précédé par une perte de signification des référents, qui avaient permis la montée en puissance de la civilisation occidentale. Prenons un tout petit exemple, la Toussaint : ce jour férié a perdu toute signification, au point d’être un temps concurrencé par Halloween. On pourrait analyser ainsi tous les grands référents chrétiens : les concepts restent en vigueur dans la société, mais ils ne renvoient plus à leur res, à leur réalité d’origine (cf. enquête La Vie, Noël 2006).

2) Allons plus profond : à partir du XIX° siècle, des chercheurs (protestants, puis catholiques) commencent à étudier la Bible avec un outil nouveau, la méthode historico-critique. Utilisant la linguistique, l’archéologie, l’épigraphie, l’Histoire comparée, ils situent le texte sacré dans ses époques et ses lieux d’origine, dans sa culture de formation. Ils cherchent à dégager les faits, et les différents messages, de leurs contingences historiques. De plus en plus, ils vont se libérer, dans leur lecture, des lunettes contraignantes du dogme. Ils redécouvrent ainsi la personne, et la personnalité de Jésus, la façon dont il a été transformé en Dieu, et les motifs de cette transformation.

La vieille question de l’identité du Christ est donc remise sur le tapis : et ce n’est plus de façon polémique, comme par le passé, mais par l’étude sereine et objective. Le principal référent de la civilisation occidentale n’est plus remis en cause de l’extérieur, par ses ennemis, mais de l’intérieur, et par ses spécialistes les plus talentueux.

De même que j’ai identifié, dans la divinisation de Jésus, le référent fondateur de la civilisation occidentale, je vous propose d’identifier, dans cet effacement ou cette remise en cause de l’ensemble de ses référents religieux – et du principal d’entre eux, le dogme de l’incarnation – l’une des racines profondes de la crise de l’Occident. Cet effondrement, il a été en quelque sorte officialisé au moment de la discussion d’une constitution européenne : pour la première fois depuis ses origines, l’Europe a officiellement refusé en 2004 de reconnaître dans le christianisme la racine d’un vieil arbre, dont le rêve d’un nouveau surgeon bute sur l’absence de valeurs fédératrices.

Samuel Huntington écrit que « Les civilisations sont mortelles, mais elles ont la vie dure ». La crise de l’Occident, je ne la vois pas d’abord dans le « Choc des Civilisations » qu’il décrit. Mais bien plutôt dans la disparition des référents d’une civilisation – la nôtre.

Face à ce désastre, nous voyons naître un double péril, que j’ai appelé le choc des fondamentalismes.

 IV. Le choc des fondamentalismes

I. Le premier, nous le connaissons, il est présent à tous les esprits : c’est le fondamentalisme de l’islam radical.

J’emploie le terme d’islam avec réserve, car il recouvre une civilisation multiforme, extrêmement riche, et dont je ne suis pas un spécialiste. En revanche, j’ai pris le temps d’étudier le Coran : c’est de ce texte que je vous parlerai ici, et de lui seul.

Pour ceux qui s’en réclament, le Coran est en quelque sorte la parole matérialisée du Dieu qui se révèle grammaticalement, syntaxiquement, dans la construction verbale du texte arabe. Il n’y a donc plus ici de distance entre le référent et la réalité qu’il désigne : le texte fait référence à lui-même, il trouve en lui-même sa justification, et l’explication de ses obscurités.

Considéré comme l’expression matérielle de la pensée divine, le Coran est donc intouchable : Dieu ne peut pas être soumis au feu de la critique historique. L’origine divine du Coran est un dogme absolu, et les islamistes radicaux lancent des arrêts de mort contre tous ceux qui prétendent l’interpréter en-dehors d’une tradition, alimentée par le Coran lui-même. L’exemple le plus célèbre est celui de la Fatwa lancée contre Salman Rushdie.

Nous tenons ici la première définition du fondamentalisme : un texte, devenu l’équivalent d’une présence réelle de Dieu, est pris à la lettre. Sans tenir compte ni des circonstances culturelles, géographiques, religieuses et politiques de son écriture, ni de la façon dont il peut être reçu longtemps après, et en fonction de contextes socio-politiques nouveaux.

Ajoutons que l’islam est habité par une ambition messianique, qui l’a toujours fait rêver à la conquête du  monde : nous allons revenir sur ce point, crucial.

II. L’autre péril, nous l’évaluons moins bien, parce qu’il est plus récent : je crois pouvoir l’identifier dans le fondamentalisme évangélique. En fait, le mot fundamentalism a été employé pour la première fois aux Etats-Unis, à Niagara Lake en 1895, par un groupe de responsables d’Églises protestantes américaines. Ils s’étaient réunis pour s’opposer aux progrès de l’exégèse historico-critique, dont je vous parlais il y a un instant. En 1910, une espèce de Credo du fondamentalisme a été défini en cinq points : le premier affirme la divinité du Christ, le cinquième proclame que c’est Dieu lui-même qui parle dans la Bible, laquelle doit être prise à la lettre et ne peut jamais se tromper.

Il ne vous échappe pas que ce fondamentalisme évangélique ressemble à s’y méprendre au fondamentalisme islamique : même sacralisation d’un texte, même refus de le soumettre à l’épreuve de la critique historique. Et même affirmation sans nuances du référent fondateur – l’unicité de Dieu pour les uns, la divinité du Christ pour les autres.

Dès son origine, le fondamentalisme américain est lui aussi fortement messianique.

A partir des années 1970, ce mouvement qu’on appelle « évangélique » ou « néo-conservateur » a repris vigueur aux Etats-Unis, de façon foudroyante. Il dispose là-bas d’une audience populaire considérable, et de l’appui affiché du gouvernement actuel. Vous devez savoir que grâce à ses moyens financiers, il est en train d’envahir la planète.

En effet, le messianisme natif des fundamentalists a pris une tournure particulière. Pour eux, le Messie tant attendu est enfin arrivé : c’est la morale, le mode de vie et de consommation, la démocratie et le capitalisme à l’américaine. C’est l’Amérique sûre de ses valeurs, et prête à les imposer à toute la planète, fut-ce par la force.

L’effondrement de la civilisation occidentale semble avoir laissé, face à face, deux fondamentalismes, tous deux messianiques, identiques dans leur utilisation d’un texte devenu sacré, et qui s’opposent par leurs référents.

Ce qui me paraît rendre la situation extrêmement dangereuse, c’est :

1- La force et la solidité des référents religieux respectifs. Chacun connaît exactement sa vérité propre, chacun peut d’autant mieux s’identifier à elle qu’elle est simplifiée à l’extrême, sans nuances.

2- L’énergie motrice de chacun des messianismes, l’un tourné vers La Mecque, l’autre tourné vers le rêve américain. Deux référents devenus plus imaginaires que réels, mais qui fonctionnent parfaitement, et donnent à ces fondamentalismes leur coloration totalitaire.

J’aurais voulu terminer sur une note d’optimisme : mais les historiens sont rarement optimistes, confrontés qu’ils sont aux soubresauts de l’Histoire et aux souffrances de l’humanité au cours des siècles. Ils analysent, ils ne prédisent pas.

Pour l’instant, la nostalgie d’un grand arbre occidental, ayant retrouvé des racines, devra nous tenir lieu d’espérance.

                M.B., mai 2007.

(Texte de la conférence donnée à Tours le 28/04/07

LE BÉBÉ ET L’EAU DU BAIN

          Il m’arrive de donner des sessions de formation où je rends compte, par une série de conférences, des résultats de la recherche sur le Jésus historique.
          Ceux qui m’en font la demande sont, par définition, désireux de progresser dans leur connaissance de l’homme Jésus tel qu’il fut, ou au moins curieux d’être informés. Ainsi j’ai donné l’an dernier en Savoie une session introduisant aux méthodes et aux outils de la recherche : Est-il possible de connaître véritablement un personnage comme Jésus ? Quels sont les critères de lecture des textes, permettant de trier les corrections successives apportées par les rédacteurs ? Comment ces textes du Nouveau Testament nous sont-ils parvenus ? Quelles furent les étapes de la transformation progressive d’un homme en Dieu ?
          Une seconde session vient de suivre : Qu’est-ce que Jésus disait de lui-même ? Qui était Dieu pour lui ? Qu’a-t-il apporté de nouveau au judaïsme ? Et enfin, que signifie le mot « résurrection » dans le Nouveau Testament ?

          Peu à peu s’esquisse ainsi la silhouette d’un homme, très différent de ce qu’en on fait les dogmes de la chrétienté mais profondément attachant, et bouleversant au sens propre du terme.

          1) Il bouleverse d’abord par ses actes, ses gestes, sa façon de se mouvoir dans l’espace palestinien de son époque. Ses attitudes, ses réactions face à des situations quotidiennes. Ce qu’il fait – mais aussi ce qu’il ne fait pas -, bref sa praxis constitue un message aussi parlant que ses paroles.
          Et sans doute plus parlant, puisqu’il est plus facile de travestir un mot, une phrase ou un discours qu’un geste rapporté dans son contexte.
          Mais le quêteur du Jésus réel doit examiner chacun de ces gestes qui lui sont attribués : certes ils sont rares à avoir été inventés de toutes pièces, mais leur signification est souvent transformée, de façon plus ou moins subtile, par les rédacteurs des évangiles. Le chercheur tente alors d’élaborer une sorte de « phénoménologie du Jésus historique » : quel était son comportement habituel ? Tel geste, ou telle interprétation d’un geste de Jésus, sont-ils consonants avec sa façon d’être habituelle ?
          Les deux critères complémentaires de non-contradiction et de convergence sont alors mis en œuvre : Jésus ne peut pas avoir eu, à quelques mois de distance, deux attitudes opposées face à une situation analogue. Et son comportement (comme chez tout adulte non-schizophrène) obéit aux mêmes règles, parfois inconscientes, qui permettent de délimiter les pourtours d’une personnalité.

          2) Il bouleverse ensuite par ses paroles, soit dans des dialogues rapportés comme spontanés, soit dans son enseignement plus « magistral », construit.
          D’autres critères d’authenticité viennent alors compléter les deux précédents : linguistique, littéraire, culturel… Jésus s’est exprimé en araméen, et le texte qui nous est parvenu dans sa version grecque permet parfois de remonter jusqu’au jaillissement originel de sa langue maternelle. Il enseignait selon certains schémas oraux de l’époque, notamment les paraboles. Il s’exprime en juif et pour des juifs éduqués à la juive, non pas en grec et pour des philosophes frottés d’hellénisme…

          Peu à peu, par petites touches, se dégage un enseignement à la fois parlé et vécu – là aussi, les critères de cohérence et de non-contradiction permettent de resserrer le champ le plus probable de ce qu’a voulu dire, de ce qu’a voulu faire, le Galiléen.
          Engagé dans cette quête depuis 1974, je puis témoigner qu’apparaît lentement un visage original, fascinant, attirant, infiniment aimable en même temps que totalement déroutant. Je ne me sens pas encore capable de vous offrir une synthèse – quelle personne humaine peut-elle être résumée en une synthèse définitive ? Dans ce blog je livrerai, par bribes, ce que j’aperçois du visage de mon ami.

          Pourquoi déroutant ?

          Parce que Jésus apparaît comme un transgresseur.
          Nous savons maintenant que les religions monothéistes se définissent par l’opposition à la transgression, puisqu’elles secrètent toutes une loi, sacralisée par l’interdit religieux et concrétisée de façon durable par les différents pouvoirs qui en ont fait le socle de leurs interdits civils.
          Or Jésus, c’est indéniable, transgresse toutes les normes établies de son milieu natal : il condamne le clergé, refuse la pratique religieuse (les sacrifices au Temple). Et sans l’avoir délibérément recherché, il est exclu des synagogues : Jésus apparaît comme le premier à avoir affiché l’anticléricalisme dans l’Histoire. Il rejette sa famille, après l’avoir quittée. Il viole ostensiblement des lois socioreligieuses comme l’observance du Shabbat. Il refuse de se plier aux lois morales, se faisant l’ami de marginaux et d’individus rejetés par sa société, prostituées, collecteurs d’impôts, étrangers, occupant romain.

          Jésus a-t-il voulu inverser la loi admise par sa société, pour magnifier son contraire ? Si c’était le cas, selon nos critères il serait (avec Socrate) le premier pervers de notre Histoire. La perversion consiste à inverser les valeurs reçues, le bien devenant le mal et inversement. Il semble que c’est ainsi qu’il a été perçu par les autorités juives de son pays : « C’est au nom du diable que tu enseignes ! », lui lancent les théologiens de Jérusalem. L’accusation entraîne une condamnation à mort : dans toutes les sociétés, le pervers doit être éliminé puisqu’il représente le danger public au niveau le plus élevé, celui des valeurs fondatrices.
          Les autorités juive n’avaient rien compris à la nature de la transgression de Jésus – qui était bien réelle. Il tente de leur expliquer qu’il n’est pas « venu pour abolir, mais pour accomplir »
          Abolir, c’était nier l’ordre existant, en rendre possible l’inversion : c’était effectivement l’enseignement d’un pervers. Mais accomplir, c’était se situer dans la lignée prophétique des bâtisseurs d’un monde nouveau.
          Jésus s’est gardé de l’accusation de perversion : il accomplit en proposant, non pas la fin de la Loi, mais une loi nouvelle, la Loi du cœur.

          Lorsque je l’explique à mes auditeurs, texte en mains, je note chez eux des réactions de surprise, et parfois de rejet.
          La surprise est bien naturelle : tout cela est si éloigné du catéchisme de leur enfance !
          Le rejet m’a d’abord étonné, puisque mes conclusions viennent toujours au terme d’une analyse serrée des textes. Il m’apparaît finalement comme un rejet du Jésus historique, lorsque sa (re)découverte contredit la version officielle de l’Église, ce qui est le plus souvent le cas. J’ai alors le sentiment d’assister à la manifestation d’une authentique perversion, dont le christianisme institutionnel serait l’auteur et mes auditeurs les victimes inconscientes.
          La réaction de rejet est exactement celle que manifestaient déjà les foules dès que Jésus commence à enseigner : « Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau ! » (Mc 1,27) « Car il ne les enseignait pas comme leurs autorités » (Mt 7,29). La perversion accomplie sur l’auditoire vient de ce que la version officielle du Jésus des Églises l’empêche de percevoir l’image qui se dégage de ses paroles et de ses gestes.
          C’est un Jésus inversé qui s’oppose au Jésus de l’Histoire, une perversion de ce qu’il fut.

          Depuis un siècle, la redécouverte de Jésus tel qu’il fut en lui-même s’est effectuée par étapes. Elle propose une approche, chaque jour un peu plus affinée mais jamais définitive. Par nature elle s’oppose au dogme, qui ne propose pas l’approche d’une personne et de son mystère personnel, mais qui impose une vérité close sur elle-même. Un point d’arrivée, et un point final.
          C’est pourquoi les quêteurs du Jésus historique sont si discrets, si peu écoutés et si facilement rejetés. Les suivre, c’est mettre à mal un édifice dogmatique si éloigné du prophète nazôréen, qu’il apparaît comme une perversion de ce qu’il fut. C’est siphonner l’eau du bain dogmatique qui nous a si longtemps abrités dans sa tiédeur.
          Il faut pourtant continuer cette approche, délicate, lente, respectueuse de son mystère, de Jésus tel qu’il fut. What else, quelle autre solution ?

          La question qui se pose à moi devant un auditoire : comment lui faire comprendre qu’on peut rejeter l’eau du bain sans pour autant jeter le précieux bébé, cet homme exceptionnel, inclassable mais incontournable que fut le juif Jésus, fils de Joseph et de Marie ?
          Il y faudra du temps, et une patience persévérante.
          Mais n’est-il pas déjà trop tard ?

                                          M.B., 27 juin 2008

REDÉCOUVERTE DE JÉSUS ET DÉSTABILISATION

          Il y a une trentaine d’années, la « Quête du Jésus historique » a pris un tournant décisif. Il s’agit d’un mouvement, initié à la fin du XVIII° siècle, de chercheurs qui distinguaient le « Jésus de l’Histoire » du Christ de la foi.

          Ce tournant décisif, ce fut la redécouverte d’un fait jusque là passé à la trappe : Jésus était juif. C’est évident, direz-vous ! Eh bien non, cela ne l’est pas. Le fondateur du christianisme, un youpin ? Jamais ! Notre Christ à nous, il est né à Rome, de culture gréco-latine, et il est peut-être mort à Auschwitz : cela, c’était politiquement correct.

          Le grand public, en France et Allemagne, a été averti des progrès de la recherche  au moment de la série d’émissions Corpus Christi : les origines du christianisme, projetées sur ARTE et produites par Mordillat et Prieur (cliquez).

          Ces deux auteurs ont ensuite publié deux livres sur le sujet : ils prennent des précautions de démineur pour en dire assez, sans en dire trop… Et c’est le cas de la plupart des historiens, théologiens et exégètes qui publient sur ce sujet.

          En effet, découvrir Jésus tel qu’en lui-même – et non tel que l’ont transformé vingt siècles d’idéologie chrétienne, une idéologie fondatrice de notre civilisation, c’est extrêmement déstabilisant.

          Je reçois ainsi des courriers de lecteurs, qui me disent combien ils ont été secoués en me lisant…

          Quand j’ai rouvert moi-même ce dossier, vers 1994, j’ai été profondément perturbé : tout ce que j’avais appris, cru et cru savoir, s’écroulait. Des pans de murs, des murs entiers tombaient l’un après l’autre dans un nuage de décombres qui obscurcissaient la vue et empêchaient de respirer. Et puis, peu à peu, un visage s’est dégagé de l’épaisse poussière des gravats : le visage d’un homme infiniment attachant, aimable, aimant. Totalement subversif,  mais en même temps totalement rempli de compassion, doux et humble de coeur.

          Je voudrais rassurer ceux qui s’intéressent à cette « Quête du Jésus historique », et s’en trouvent déstabilisés.

          D’abord, c’est la seuls chose qui « bouge » dans un paysage de post-chrétienté complètement désertique. L’Église ne se montre plus capable que de répéter ce qui a fait sa grandeur et sa puissance : sans se rendre compte que cette marchandise-là n’est plus achetée, qu’elle n’est même plus vendable…

           Ensuite et surtout, ils découvriront – s’ils sont honnêtes et résolus – ce visage tellement fascinant, ils entendront sa voix.

     En découvrant ce qu’on lui a fait dire pour justifier le pouvoir de ce qui allait devenir l’Église, ils découvriront ce qu’il a vraiment dit ou voulu dire, ce qu’il a vraiment fait ou voulu faire.

     Et cette découverte, elle est rafraîchissante !

     Il y faut de la patience, car les quêteurs du Jésus historique sont extrêmement discrets, on les entend à peine. Il y faut de la persévérance, car aucune Église n’est prête à relayer cette quête toute récente. On s’y sent un peu seuls…

     Mais dès que le visage de Jésus sort de la poussière et de l’ombre, on n’est jamais plus seuls.

     En mars 2008, sortira chez Albin Michel Jésus et ses Héritiers (cliquez),court essai où je reprends les choses à la lumière des recherches les plus récentes. Je m’y attache aux héritiers présumés de Jésus, ceux sur lesquels nous avons des informations.

         Courage donc à ceux qui cherchent : plus on s’avance vers cet homme, et plus le chemin semble court, la lumière vive, douce et paisible.

                                                         M.B., 20 novembre 2007