CYCLE « LA CIVILISATION OCCIDENTALE » (II) : L’OCCIDENT AU PÉRIL DES MESSIANISMES. L’ISLAM… ET LES AUTRES.

 Nous nous sommes quittés (1) sur quelques constats. Le 1er d’ordre général : toutes les civilisations sont nées en même temps qu’une religion, qui produisait des valeurs communes et une culture commune. Sans valeurs, pas de civilisation. Le 2d plus particulier : peu de temps après sa mort,, la personne du Juif Jésus a été transformée en Messie. Nous avons vu que Jésus lui-même  avait refusé de son vivant ce titre de Messie. Comment donc, par la suite, ce titre a-t-il donné naissance à l’idéologie la plus meurtrière que l’humanité ait jamais connue : le messianisme ? Pour répondre à cette question, il nous faut remonter 3000 ans en arrière.

I. Aux origines de la violence : naissance du messianisme

Au Proche-Orient végétait alors une petite confédération de tribus à l’identité incertaine, les Hébreux. Si l’on en croit la Bible, vers l’an 1200 avant J.C. Moïse les aurait fait sortir d’Égypte. Sous la conduite de son successeur Josué, ils auraient franchi le Jourdain et conquis la Palestine en exterminant les Cananéens, ancêtres des Palestiniens. « Josué attaqua les villages en partant du centre et massacra tout être vivant, sans épargner personne. Tous furent passés au fil de l’épée. C’est ainsi qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant » (2). En réalité, l’archéologie montre que ce génocide n’a sans doute eu lieu que dans l’imagination des Hébreux. Mais c’est sans importance, parce qu’une idéologie n’a pas besoin d’être vraie pour être efficace.

En – 587 le roi Nabuchodonosor investit Jérusalem, détruisit son Temple et déporta sa population à Babylone. Du fond de leur exil, les Hébreux se rendirent compte qu’ils couraient un grand danger : être assimilés. Disparaître, par dilution dans la prestigieuse culture – et la religion – d’une civilisation bien supérieure à la leur. Subissant ainsi la première solution finale du peuple juif à peine né.

Pour continuer d’exister, ils se raccrochèrent aux légendes qu’ils se transmettaient de bouche à oreille depuis des siècles. Ils les mirent par écrit : c’était le début de la Bible que nous connaissons. Mais dans leur désespoir les imaginations s’enflammèrent, les poussant à rêver leur passé et à le transformer en épopées glorieuses dont ils seraient le centre et les bénéficiaires. Sous leur plume, Josué devint alors l’idéal de l’exterminateur au nom de Dieu de tous les ennemis passés et à venir d’Israël. C’est ainsi que le mythe de la conquête de la Palestine par la violence s’introduisit dans la mémoire du peuple juif. Il fera désormais partie de son identité et se retrouvera dans le Coran.

Du roi David, ils firent ensuite le conquérant magnifique d’un royaume qui se serait étendu de l’Euphrate au Sinaï. En fait, l’archéologie montre qu’ils ont fantasmé le royaume de David tout comme ils avaient inventé la conquête de Josué. Mais les Juifs exilés ressentaient un tel besoin de se construire une identité qu’ils imaginèrent que Dieu avait fait à David la promesse de venir habiter Jérusalem dans un Temple, où il résiderait pour l’éternité. Parmi tous les hommes David aurait reçu l’onction divine (en hébreu, « oint » se dit  Messie). Dieu lui aurait dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré. Je te donnerai les nations en héritage pour dominer la terre entière» (3). Le peuple juif se persuada alors que lui aussi, comme David, il était choisi parmi tous les peuples pour dominer le monde.

Une idéologie de reconquête de la Palestine par la guerre faite au nom de Dieu pénétrait ainsi dans l’esprit des Juifs exilés. Un jour, un nouveau Messie viendrait prendre leur tête et les ramènerait à Jérusalem pour reconstruire le Temple  L’attente de ce retour se combina avec la nostalgie du Paradis perdu aux origines : ils y reviendraient, dans l’état qui était celui de l’humanité avant la chute. La volonté de reconquête de Jérusalem devint le symbole – et l’assurance – de ce retour au Paradis.

C’est ainsi qu’environ cinq cents ans avant notre ère, les éléments du messianisme se mettaient en place. Une idéologie à trois facettes : 1- utopique, le retour vers un monde disparu, meilleur que celui-ci. 2- Apocalyptique, au prix d’une extermination de masse au nom de Dieu. 3- Dans l’attente d’un Messie qui prendrait  la tête d’un peuple prédestiné par Dieu.

II. Le messianisme flamboyant

Quatre siècles plus tard, ce messianisme se transforma en un explosif puissant. Car au tournant du 1er millénaire les Juifs risquaient à nouveau de disparaître, avalés cette fois par un vigoureux mouvement de mondialisation culturelle, la civilisation véhiculée par Rome. Devenir gréco-romains, pour ces Juifs revenus en Palestine, c’était subir l’exil d’eux-mêmes, à l’intérieur d’eux-mêmes.

De toutes leurs forces, ils luttèrent contre cette première mondialisation. Dans les grottes de la mer Morte on a retrouvé les manuscrits d’un groupe de messianistes juifs fanatisés, les Esséniens. Confrontés à la fin annoncée de leur civilisation, ils se sont persuadés qu’ils entraient dans « l’ère du Mal, l’empire de Bélial et son hostilité, le temps de l’impiété ». Bélial, c’était le démon incarné par la civilisation romaine. Contre elle ils reprirent à leur compte les accents d’extrême violence du Livre de Josué : « Rassemblez vos forces pour le combat de Dieu ! Car c’est aujourd’hui l’heure de la domination pour le peuple choisi par Dieu et de l’extermination pour tous les autres » (5). Cette guerre sainte serait un génocide sans survivants, comme celui de Josué : « Tu poursuivras l’ennemi pour le détruire dans le combat de Dieu, jusqu’à son extermination définitive » (6). Enfin, « sur nos étendards on écrira Moment de Dieu, Tuerie de Dieu. Et après le combat on écrira Dieu est grand » (7).

Ces mots, on les retrouvera tels quels dans le Coran et « Dieu est grand », en arabe Allah ou’ Akbar, deviendra un jour le cri de ralliement de certains musulmans ivres de sang.

La semence du Coran à venir était donc plantée dans ces textes esséniens qui vont inspirer certains judéo-chrétiens, les nazôréens. Pendant plusieurs siècles ils vont attendre patiemment que se présente l’occasion favorable de transmettre cette semence à d’autres, qui sauront la faire germer.

III. Les nazôréens     

Je vous ai parlé déjà (1) des nazôréens, ces Judéo-chrétiens qui croyaient en Jésus-Messie mais voulaient rester Juifs. Ils sont souvent mentionnés dans le Nouveau Testament, qui a été écrit au moment où la frontière entre Juifs et Chrétiens était encore floue.  Ensuite, pourchassés par les Juifs parce qu’ils faisaient de Jésus leur Messie, ils furent persécutés par l’Église naissante parce qu’ils refusaient sa divinité. Chassés de partout, ils se réfugièrent notamment en Syrie où saint Jérôme témoigne les avoir rencontrés au début du 5e siècle dans la région de Lattaquié, un port méditerranéen au nord du pays.

Pendant ces 4 siècles, ils avaient conservé intacte la flamboyante incandescence du messianisme judéo-essénien. Une vision apocalyptique de l’histoire, l’élan irrésistible de ceux qui n’ont plus rien à perdre puisqu’ils croient que le Messie va revenir sans tarder. Une vision simpliste : d’un côté les représentants de Bélial qu’il faut éradiquer de la terre pour que eux, les croyants choisis par Dieu, réalisent la promesse faite autrefois à David : reconquérir Jérusalem et rebâtir son Temple.

Mais le messianisme des nazôréens, « à la fois Juifs et chrétiens » avait évolué. D’abord, le Messie qu’ils attendaient n’était plus un autre David mais  clairement Jésus. Son ascension avait eu lieu depuis le Mont des Oliviers ? C’est donc là qu’il reviendrait dans sa gloire. Auparavant, eux devaient monter à l’assaut de Jérusalem et reconstruire son Temple, fut-ce à petite échelle. Alors seulement le Messie-Jésus descendrait sur le Mont des Oliviers pour prendre leur tête dans la guerre sainte contre le reste de l’humanité.

Entre le 5e et le 7e siècle ils disparaissent à nouveau des écrans. À cette époque charnière entre la chute de Rome (476) et l’empire carolingien (800), la civilisation occidentale était dans le creux de la vague. Alors qu’elle doutait de ses valeurs et ne songeait qu’à survivre, les anti-valeurs du messianisme flamboyant allaient-elles donner naissance à une civilisation alternative ? Eh bien non, pas encore. Au début du 7e siècle, quand les nazôréens vont refaire surface de façon tonitruante, ce sera masqués derrière d’autres à qui ils transmettront leur idéologie de conquête et de sang.

IV. Semences de Coran

 À cette époque la péninsule Arabe n’était qu’un désert peu peuplé, traversé de caravanes qui suivaient des pistes dont le tracé nous est bien connu. Aucune de ces pistes ne passait par La Mecque, qui n’était alors qu’un simple point d’eau isolé au fond d’une vallée aride, et absolument pas la grande ville commerciale décrite par la légende musulmane. Tandis que la Syrie était trèd peuplée : une diaspora juive, des chrétiens byzantins et schismatiques avec leurs monastères et leurs bibliothèques, et des nazôréens réfugiés là depuis longtemps. Chacune de ces communautés essayait de convertir à sa foi ses voisins Arabes sédentarisés en Syrie.

L’hypothèse des chercheurs, que je partage et sur laquelle j’ai écrit Naissance du Coran et La danse du Mal, c’est que le Coran est né dans ce milieu érudit et bouillonnant de la Syrie. Les nazôréens notamment catéchisaient les Arabes dans leur dialecte, qui n’avait encore jamais été écrit. Ils se mirent à rédiger ces catéchèses sur des feuillets volants qui circulèrent de maîtres à élèves, puis d’élèves à élèves : la langue arabe venait de naître. Ces catéchèses des Judéo-chrétiens nazôréens à leurs élèves Arabes  de Syrie constituent le noyau initial autour duquel va se former le Coran.

À ce moment-là, l’empire chrétien de Byzance et la Perse s’affrontaient militairement pour contrôler la région. Quand les Perses envahirent la Palestine, les nazôréens de Syrie virent là l’occasion de revenir à Jérusalem. Un contingent arabo-nazôréen suivit l’armée Perse mais se fit refouler, en mai 614, par des Juifs – qui préféraient les Perses à ces judéo-chrétiens messianistes radicalisés.

Les sourates 8 et 48 du Coran racontent leur défaite à plate couture devant les Juifs, sans doute alliés aux Perses. Elle semble avoir révélé parmi les Arabes un chef de guerre au vigoureux tempérament de meneur, que le Coran appelle « le Prophète ». Il parvint à transformer la débandade des arabo-nazôréens en retraite stratégique et à les ramener en Syrie, où ils vont se terrer pendant huit années.

C’est peut-être pendant cette période d’attente qu’ils consignèrent des textes comme celui-ci : « Dieu a dit à son peuple : ‘’ la terre m’appartient, j’en fais hériter qui je veux’’. Oui, c’est nous qui hériterons de la terre et de tous ceux qui s’y trouvent » (7). Le peuple élu désormais ce n’était plus les Hébreux de Josué mais c’était les arabo-nazôréens. Dans leur esprit, le projet de reconquête de Jérusalem se transforma en une réédition du premier Exode, celui de Moïse. Exilés en Syrie, ils émigreraient à Jérusalem. Et cette émigration effacerait la première émigration d’Adam chassé du Paradis. Ils se virent donc comme des émigrés retournant de façon légitime sur la terre des promesses divines.

L’arabe Muhâjirun, « ceux qui ont émigré », désignera pendant un siècle ceux qui ont suivi le Prophète dans l’accomplissement des promesses messianiques. Il est construit sur 3 lettres, H.J.R. qui donneront le mot « Hégire ».

V. L’Hégire, an I de l’islam

Quand les Perses refluèrent devant Byzance, en 622 les arabo-nazôréens tentèrent une deuxième fois de reconquérir Jérusalem. Entraînés par leur chef de guerre ils marchèrent depuis la Syrie vers le sud. Mais les armées byzantines étaient encore en opération en Palestine. Pour ne pas se heurter à elles, ils laissèrent Jérusalem sur leur droite puis derrière eux, et poussèrent vers une oasis de la péninsule arabe, Médine, où ils se tapirent en embuscade.

La tradition musulmane présente l’Hégire de 622 comme la fuite du Prophète et de ses fidèles d’une Mecque qui leur était devenue hostile. En réalité, depuis la Syrie ce fut la recherche d’une position d’attente à Médine, d’où ils saisiraient le moment favorable pour s’élancer vers Jérusalem, leur véritable but.

Médine était alors peuplée d’Arabes, de Juifs, de chrétiens et de nazôréens qui leur firent bon accueil. Quand le chef de guerre vit qu’ils y resteraient un bout de temps, il s’employa à assurer sa domination sur les habitants. Pour les tenir en main et leur faire sentir le poids de son autorité, il les assujettit à un certain nombre de lois.

C’est sans doute à Médine que le Coran a commencé de se constituer, autour des catéchèses des nazôréens de Syrie : leurs sermons, des passages de l’Ancien Testament dans sa version Talmudique, et de quelques évangiles apocryphes (8) comme le proto-évangile de Jacques. Le tout rassemblé pêle-mêle, sans aucune suite logique. On y ajouta les lois édictées par le chef de guerre, jusqu’à sa mort – sans doute en 632.

Les arabo-nazôréens jugèrent alors que le moment était venu de reconquérir enfin Jérusalem. Comme Josué, ils franchirent le Jourdain et entrèrent en 637 dans la ville.

VI. La rupture : naissance de l’islam

Leur premier soin fut de construire, sur le dôme du Rocher, un petit Temple provisoire. Puis ils allèrent sur le mont des Oliviers, et attendirent que se réalise la promesse qui les tenait en haleine depuis des lustres. Du temps passa et… rien. Pas de Messie à l’horizon. Alors les Arabes, furieux, se retournèrent vers leurs maîtres nazôréens : « Depuis si longtemps vous nous faites attendre ce moment : le Temple est reconstruit, et le Messie n’est pas venu ! Tant de sacrifices pour rien ! »

Le Messie n’était pas au rendez-vous ! Ce non-événement eût des conséquences considérables. D’abord, se sentant trompés par eux, les Arabes se séparèrent des nazôréns qui devinrent pour eux des étrangers tout juste tolérés. Pas un instant ils ne renoncèrent au programme de leur messianisme radical, mais ils le réorientèrent à leur profit exclusif. Désormais, le peuple prédestiné par Dieu ce seraient les Arabes, et eux seuls. Ensuite, puisqu’ils ne pouvaient pas effacer le mot nazârâ de l’ébauche de Coran, ils lui donnèrent un double sens. C’est pourquoi on lit aujourd’hui dans le Coran : « Tu constateras que les plus proches des croyants [musulmans] sont ceux qui disent ‘’oui, nous sommes nazâras’’ » – c’est-à-dire, ici, nazôréens  Mais un peu plus loin : « Les nazârâs ont dit : ‘’Le Messie est le fils de Dieu’’. Qu’Allah les tue ! » (9). Là, nazârâ ne veut pas dire nazôréen mais « chrétien ». Jamais les nazôréens n’auraient dit que « Jésus est le fils de Dieu ».

Logiquement, les Arabes devaient donc n’avoir jamais été nazôréens. Ils devaient être nés polythéistes pour être passés directement du paganisme à la révélation du Prophète. Auparavant, ils devaient avoir vécu dans la jâhîlîya, le temps de l’ignorance. Et donc, le Prophète devait avoir reçu ses révélations directement d’Allah : autour de ces certitudes, la légende du Coran et des débuts de l’islam s’étoffa.

Maintenant, comment faudrait-il appeler les croyants ? Au 8e siècle, le mot muhâjirûn, émigrés, fut remplacé par un autre : muslimûm, musulmans. C’est-à-dire « soumis » – à Allah-et-son-Prophète.

VII. Soumis !

Jusqu’à la fin du 8e siècle le Coran va être amplifié, retravaillé, corrigé, subtilement modifié par les premiers califes pour asseoir leur pouvoir. Le chef de guerre transformé en Prophète devra rester anonyme, puisqu’il n’est que le réceptacle de la « troisième révélation », supérieure à celle de Moïse et Jésus. Anonyme, donc sans visage et sans nom : muhammad n’est pas un prénom, c’est une locution verbale qui signifie « celui qui doit être loué ». Loué, et obéi totalement : le Coran va inventer une personnalité collective, « Allah-et-son-Prophète » qui ne font qu’un, auquel appartiennent les biens, la famille et la personne des muslimûm. Se soumettre à Allah-et-son-Prophète ce sera vivre en paix. Lui désobéir ce sera connaître l’enfer, dès ici-bas et pour l’éternité.

Au début, les arabo-nazoréens attendaient la venue d’un Messie personnel. Ce Messie a fait défaut ? Désormais ce sera l’impersonnelle Umma, la communauté des croyants, qui sera le Messie-en-action. Le Coran dit d’elle « Vous êtes la meilleure Umma qui ait été suscitée par Dieu pour les hommes » (10), devise actuelle de la ligue Arabe basée au Caire. Ce glissement du messianisme d’une personne à une collectivité aura des conséquences dramatiques.

Bélial sera désormais personnifié par les Juifs et les chrétiens, qu’il faudra « poursuivre et massacrer où que vous les trouviez ». Mais le plus inquiétant dans le Coran, ce ne sont pas ces appels répétés au génocide : c’est la séparation de l’humanité en deux portions irréconciliables : nous, les prédestinés de Dieu, et les autres qui doivent soit se convertir à notre messianisme, soit disparaître.

VIII. Héritages du messianisme

Prenons du recul : chacune des facettes de l’idéologie messianique s’est déployée dans l’histoire de l’humanité pour y laisser une trace sanglante.

-1- Judaïsme  et sionisme

Écrasé définitivement par Hadrien en 137, pendant dix-sept siècles le messianisme juif traditionnel perdit toute velléité de reconquête de la Palestine. Il se spiritualisa et se transforma à la fin du Moyen-âge en une mystique riche et profonde, le Hassidisme. Des Récits hassidiques ont été publiés par Élie Wiesel et Martin Buber, on y trouve cet extraordinaire mélange de pessimisme et de joie, de rires et de pleurs, qui caractérise l’âme désespérée d’un peuple juif qui n’attendait plus la venue du Messie que dans l’intime des cœurs.

A la fin du 19e siècle le sionisme créé par Theodore Herzl n’avait rien de messianique ni même de religieux : c’était la revendication, pour les Juifs persécutés, d’un « Foyer Juif » en Palestine où ils seraient en sécurité. Dès sa création en 1948, l’état juif a été condamné par les hassidim parce que, selon eux, cet état laïc empêchait le Messie de régner sur Israël. Et très vite, l’extrême-droite israélienne s’appropria le vieux messianisme radical. C’est-à-dire « Le peuple juif a non seulement le droit d’exister mais il doit s’imposer par la force à ses voisins, pour reconquérir le Royaume mythique de David ». D’où les expropriations, les meurtres, les guerres commis impunément par l’état sioniste. À partir d’Ariel Sharon, le Likoud sera un parti ouvertement messianique.

         On connaît la suite, et ce n’est pas fini.

-2- Le christianisme 

La première génération chrétienne attendait le retour du Messie-Jésus à brève échéance dans un déluge de feu. Voyez l’Apocalypse dite de saint Jean, texte judéo-chrétien où s’exprime la violence d’une humanité coupée en deux par la prédestination divine. Mais comme les Juifs, peu à peu les chrétiens vont, de fait, abandonner l’espérance du retour du Messie-Jésus. En 426 saint Augustin expliquera que La Cité de Dieu, c’est-à-dire l’Église de Rome, est le Messie présent au sein de la Cité des Hommes. Avant les musulmans et comme eux, chez les chrétiens d’Occident une communauté a pris la place du Messie. L’Église-Messie tenait le pouvoir, elle devait être obéie totalement, et c’est en son nom que les croisades ont été lancées.

Dans le Coran, le djihad est une guerre contre les ennemis d’Allah. Au début du Moyen-âge, des penseurs musulmans ont fait une distinction entre le « Petit djihad » – l’appel à la guerre sainte, et le « Grand djihad » – l’appel à la conversion du cœur. Mais c’est faux : le djihad n’est rien d’autre que la guerre, et saint Bernard ne s’y est pas trompé qui paraphrase le Coran dans sa Règle aux Templiers : « Soldat du Christ, ne crains pas d’offenser Dieu en  tuant [les musulmans]. Et si tu es tué, Dieu t’accueillera [dans son paradis] ».

-3- La Réforme protestante et sa dérive américaine 

En instaurant le libre-arbitre et l’autonomie du croyant vis-à-vis de la Révélation, Luther et Calvin ont introduit en Occident l’idée moderne de démocratie. Mais ils lui ont aussi injecté un poison messianique : la prédestination des élus, la division du monde entre Bons et Méchants. Aux USA cette notion a évolué : pour eux le Messie est arrivé, et c’est le peuple américain, « One people under God ». Ce peuple possède LA vérité qu’il impose au monde par sa puissance économique et militaire. Pour le néo-conservateur évangélique George W. Bush, le Messie-Amérique incarne le Bien face à l’axe du Mal.

Ce messianisme s’est cristallisé chez certains Américains en un sionisme chrétien, sorte de judéo-christianisme à la sauce ketchup. Ils attendent la venue du Messie-Jésus sur l’esplanade du Temple, quand Israël aura chassé tous les musulmans du Grand Israël – fut-ce au prix du viol des lois internationales et de la morale commune. Leur soutien à l’extrême-droite israélienne est inconditionnel.

– 4 – Communisme et nazisme

Avec ces deux totalitarismes, le messianisme s’est en quelque sorte laïcisé tout en conservant ses 3 principes fondamentaux : une utopie, un Messie et une apocalypse.

Dans le Communisme, l’utopie c’est la société sans classes. Le Messie c’est la dictature du prolétariat. L’apocalypse c’est la destruction de la classe possédante par la classe prolétarienne. Dans le Nazisme, l’utopie c’est une société purement aryenne. Le Messie, c’est un Führer à la tête d’un Herrenvolk d’Hommes supérieurs. L’apocalypse c’est une guerre d’extermination pour la conquête du Lebensraum.

 Ces deux derniers messianismes ont disparu – peut-être provisoirement. Mais entre l’Occident et l’islam persiste aujourd’hui un Choc des Messianismes extrêmement dangereux. Vous avez entendu parler du Choc des Civilisations, livre publié en 1996 par S. Huntington. Le choc des messianismes, dont nous prenons peu à peu conscience, est plus dangereux parce que les anti-valeurs  du messianisme coranique ont fondé une civilisation alternative qui veut se substituer à la civilisation occidentale.

Le constat est inquiétant. Cependant, il cache peut-être des lueurs d’optimisme : dans une troisième conférence, nous tenterons de discerner ces lueurs.

                                                                     © M.B, 6 février 2020.

La troisième conférence aura lieu le vendredi 13 mars prochain, à la mairie du Vésinet. Elle sera annoncée dans ce blog (avec détails) début mars.

(1) Voyez la conférence précédente
(2) Livre de Josué, chap. 10.
(3) Psaume 2.
 (4) Règlement de la guerre XV.
(5) –id.-, IX.
(6) –id.- IV.
(7) Coran 19,40.
(8) Talmud : Vaste commentaire de la Bible rédigé par les rabbins entre le 3e et le 5e siècle.  Apocryphes : évangiles écrits aux 2e et 3e siècles, remplis de légendes sur la vie de Jésus et Marie.
(9) Coran 5, 82 et 9, 30.
(10) Coran 3, 110.

12 réflexions au sujet de « CYCLE « LA CIVILISATION OCCIDENTALE » (II) : L’OCCIDENT AU PÉRIL DES MESSIANISMES. L’ISLAM… ET LES AUTRES. »

  1. dominique coste

    j’ai bien aimé le livre de Thierry Magnin dont la critique apparaît dans cairn :

    « L’expérience de l’incomplétude. Le scientifique et le théologien en quête d’Origine »

    https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2012-2-page-191.htm#

    En simplifiant, il rejoint l’intuition et l’expérience de Pascal sur les limites de la raison, sans en nier l’importance, mais en mettant la charité au sommet des vertus.

    Penser faire le tour de l’Univers, d’un individu pour dire qui il est réellement, rejoint les fantasmes des positivistes voulant circonscrire la transcendance dans la pensée humaine, dans des équations qui font des sujets des objets dont on peut étudier les attributs en toute objectivité.
    Que disent des impulsions électriques dont on mesure les courbes au vu des expériences de la souffrance ou de l’amour ??
    cordialement

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      je me suis éloigné des positivistes, qui ont fait des dégâts (notamment en médecine).
      Pour me fier plus à l’intuition éclairée par l’étude.
      C’est, si l’on veut schématiser, une approche « mystique » du réel.
      Merci, M.B.

      Répondre
  2. Sagace

    Bonjour,

    Je ne vois pas en quoi tout ce qui circule sur la toile (Dan Gibson, Odon Lafontaine, EM Gallez etc…) comme argumentaire sur l’inexistence de La Mecque avant le VIIème siècle Ap JC constitue une preuve ? Ce ne sont que des supputations, des assertions n’impliquant aucune relation de cause à effet certaine. Il n’y a aucun fondement scientifique à cette conclusion. La Mecque n’est pas mentionnée dans des ouvrages arabes avant le VIIème siècle pour la simple raison qu’il n’y avait pas d’ouvrage, pas d’écriture ni de culture manuscrite, la culture utilisait essentiellement le vecteur oral…

    Votre thèse est globalement séduisante pour un bon roman mêlant bribes d’histoires et pelletées de science-fiction à la mode Amin Maalouf mais n’a rien de scientifique dans sa démonstration…

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      On ne dit pas que « La Mecque » n’existait pas au début du 7e siècle, mais qu’il y avait un point d’eau dans cette vallée aride et impropre à la culture. Ce point d’eau est toujours là (Zamzam). Mais le Coran puis la légende musulmane fait état d’une halte caravanière importante, avec pèlerinage, commerçants, artisans, caravansérails, troupeaux, etc. : c’est ça qui n’existait pas. Au 7e siècle, il y avait des historiens & chroniqueurs & géographes : personne ne parle d’une « Mecque » ville importante.
      Par ailleurs, s’il y avait en une ville importante, des fouilles mettraient au jour ses restes, comme tant d’autres villes antérieures à cette époque dans le désert. Or « Les fouilles sont interdites, le site est Haram ».
      Ceci n’est pas de l’élucubration ni de la science-fiction.
      M.B.

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  3. Odon Lafontaine

    Intéressante synthèse !
    Je ne suis pas d’accord avec tout, vous le savez bien, je n’en débattrai pas ici.
    Mais il y a un élément qu’il serait bon de souligner : votre survol du judaïsme préchrétien et de ses textes laisse de côté ce que je pense en être l’essentiel, ce qu’on pourrait appeler le judaïsme « spirituel » (refusé par les messianistes, au profit de leurs fantasmes politiques – et vu que ce sont eux qui tiennent le manche aujourd’hui, on trop vite fait de croire que tout le judaïsme se ramènerait à leurs conceptions), lequel est la préfiguration de l’enseignement de Jésus.
    Je vous recommande cette série d’enseignements de Jean-François Froger, fort intéressante par les liens qu’il montre entre tradition juive et cet enseignement. Il nous aide à comprendre comment ce judaïsme spirituel a constitué massivement les disciples de Jésus

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Ce n’est qu’une synthèse, qui vaut par les rapprochements qu’elle permet. Dans la 3eme conférence, je montrerai que ce judaïsme spirituel est aussi présent dans le Coran – texte, ne l’oublions pas, JUDÉO-chrétien à l’origine. Et c’est la beauté de ce judaïsme fasciné par l’unicité de Dieu et la nudité du désert qui nourrit, je pense, les musulmans de bonne foi.
      Merci pour le lien
      Amicalement
      M.B.

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  4. Jean Roche

    Bonjour,

    Je ne vois pas bien, à moins de se référer à autre chose que les Evangiles, ce qui permet de dire que Jésus a refusé le titre de Messie (Messiah, Khristos, Christ). Tout au plus, il a retardé le moment de se déclarer publiquement tel, ce qui est banal en politique. Entrer à Jérusalem sur un âne, compte tenu de l’annonce de Zacharie, c’était bien faire acte de candidature. Et qu’y avait-il d’inscrit, en trois langues, sur le titulus motivant sa condamnation ? L’Apocalypse, seule partie du NT se présentant comme directement inspirée par lui, a toujours été l’inspiration des messianistes chrétiens les plus violents. Après, http://pagesperso-orange.fr/daruc/divers/jesusroi.htm

    Sur l’Islam, je ne vois pas bien non plus ce qui permet de chambouler à ce point les récits de ses origines (même si elles ont été clairement enjolivées) et les conquêtes fulgurantes à partir de l’Hégire, portées par une dynamique totalitaire facile à comprendre à la lecture du Coran.

    Répondre
    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Dans cette petite fenêtre, je ne peux pas vous répondre en détails.
      1- Jésus refuse le titre de Messie : Voyez Mc 8, 30 dans le texte grec ; « Il les réprimanda fortement (épétimésen) afin qu’ils ne disent à personne une chose pareille à son sujet ». L’entrée sur un âne n’est pas messianique (au sens judéo-chrétien).
      L’apocalypse : texte judéo-chrétien écrit 3 générations après Jésus.
      Sur la naissance du Coran & islam, voyez mon essai « Naissance du Coran » publié chez l’Harmattan
      M.B.

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      1. Jean Roche

        Je répète, ce passage et d’autres signifient seulement qu’il leur défend de le proclamer à ce moment, pas qu’il renonce à tout jamais à l’être. Et c’est bien d’un Messie, d’un Roi, qu’il est question dans Zacharie.

        Quant à l’Apocalypse, elle peut être datée par le chapitre 18, allusion flagrante à l’incendie de Rome de 64, présenté de façon jubilatoire comme tout récent. Donc une trentaine d’années et pas 3 générations. Elle est donc, au moins pour la première mouture, antérieure à la Grande Révolte de 66. Les Evangiles sont postérieurs à cette révolte (Jérusalem est prise en 70, Massada en 73).

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Mc 8 : L’exégèse est une question d’interprétation. Il est toujours difficile d’interpréter un texte en faisant abstraction des présupposés dogmatique reçus depuis son enfance !
          Que l’incendie de Rome soit mentionné avec jubilation dans l’Apocalypse ne signifie pas que ce texte est daté de l’an 64 ! Vous interprétez, « jubilation » ne veut pas dire « simultanéité »
          amicalement, M.B.

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          1. Jean Roche

            Mais si, jubilation suppose simultanéité relative dans ce cas précis et au moins pour ce passage. Parce que Rome s’est assez vite remise de cet incendie qui n’était ni le premier ni le dernier. Ne serait-ce que 10 après, Jérusalem étant détruite, la même envolée aurait été de l’humour noir, incompatible avec le ton général du texte.

            Après, on peut à la grande rigueur envisager qu’il s’agisse de l’incendie de 80 sous Titus, lequel avait justement détruit Jérusalem 10 ans avant, mais ça ne va pas avec le ton optimiste. Ca ne ferait pas non plus trois génération après Jésus, il y avait encore des gens qui avaient pu le connaitre.

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    2. Jojo

      Sur les origines de l’islam, la reconstruction de M. B., avec sa part de conjectures, est ce qu’il y a de plus vraisemblable dans l’état actuel de la question. L’archéologie a révélé que La Mecque n’existait pas au début du VIIe siècle. Cela implique nécessairement que tout le récit de la Sira, sur lequel se fondaient tous les islamologues, même les meilleurs, est fictif. Mahomet ne pouvait pas être un Mecquois, et l’Hégire n’a pas pu le conduire de La Mecque à Médine, qui, elle, existait. Donc toutes les bases auxquelles on était habitué, s’effondrent. Les récits sur Mahomet sont légendaires, et nous n’avons aucun témoignage d’époque pour s’y substituer, au point que certains se sont demandé s’il avait existé. D’autre part, les Arabes n’avaient pas de véritable écriture, et le Coran a été rédigé environ deux siècles après sa date officielle. Son origine judéo-chrétienne est textuellement évidente.
      Sur Jésus, il est clair qu’il ne pouvait pas être le Messie, puisque le Messie (attendu par les paysans, mais non par le clergé du Temple ni par les pharisiens) devait être le roi d’israël, héritier de David, qui aurait libéré le pays de la pression fiscale romaine. Il suffit de lire les évangiles pour comprendre que Jésus n’a jamais voulu prendre le pouvoir, et qu’il a, au contraire, été victime des ultras qui voulaient l’utiliser pour faire une révolution (comme celle qui ruinera le pays, de 66 à 70).

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