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L’occident chrétien en crise.

RACINES DE LA CRISE DE L’OCCIDENT

La crise d’identité que connaissent les chrétiens conscients (laïcs et pasteurs) est extrêmement profonde : elle accompagne la crise d’identité de nos sociétés occidentales, elle en est à la fois le symptôme et la cause conjointe. Elle ressemble un peu à la crise du III° siècle – mais c’était alors une crise de croissance, tandis que nous connaissons maintenant une crise de déclin.

Depuis plus d’un siècle, les Églises se sont repliées sur la sphère morale de l’activité humaine, et de plus en plus sur la morale familiale, dernier bastion de résistance identitaire des Eglises chrétiennes. Dans le domaine de l’orientation des sociétés, les Églises n’ont plus de message neuf et entraînant : la chrétienté s’est dépossédée elle-même de l’utopie créatrice (au bénéfice, par ex. de l’altermondialisme).

Alors que la crise, depuis au moins 50 ans, se joue sur un autre front : celui de « Dieu » lui-même : qu’on pense entre autres à Honest to God de J.A.T. Robinson dans les années 60 (mouvement dit de « la mort de Dieu ») et à la théologie radicale protestante actuelle (Sea of faith). C’est la notion même de « Dieu » qui est remise en cause dans l’identité occidentale.

Qui est « Dieu » ? Et si « Dieu » est « Dieu », comment expliquer et comprendre par exemple le problème insoluble de la souffrance innocente ? Quel est ce « Dieu » qui permettrait la souffrance – bien plus, qui la justifierait comme « un complément à ce qui manque à la passion du Christ » (Paul) ?

Partout, on rejette l’idée de ce « Dieu » auteur de la souffrance, sourd aux appels des humains malgré ses promesses d’écoute de leurs prières.

Cette aporie (impasse théologique) est aussi ancienne que le christianisme. Elle a suscité le mouvement gnostique des II° et III° siècle, et sa réponse : il y aurait deux « Dieux », un dieu bon et un dieu mauvais auteur du mal.

Contre quoi l’Eglise (St Irénée) a répliqué en accentuant le rôle du Christ, qui récapitule en sa personne les souffrances et les espoirs du genre humain, en les fa isa nt déboucher en « Dieu » (cf Vatican II, « Gaudium et Spes »).

Le Christ va ainsi peu à peu devenir le pôle central de la religion chrétienne, fa isa nt passer « Dieu » à l’arrière-plan de la conscience et de la pratique. Certes , « qui me voit, voit le Père » : mais c’est en la personne du Christ récapitulateur que s’équilibre la réponse des Eglises au lancinant problème du mal.

Or depuis la fin du XIX° siècle tout le poids de nos interrogations revient progressivement sur « Dieu ». « Dieu est mort » (Nietzche), et notre civil isa tion occidentale cesse rapidement d’être une civil isa tion pour n’être plus qu’un ensemble de sociétés fédérées par les valeurs marchandes et sociales.

« Dieu »  a déserté l’Occident : l’Occident se meurt.
En même temps, depuis la crise moderniste (1900), si l’on se tourne vers le Christ c’est pour découvrir son humanité. Et que cette humanité, telle qu’elle est connue dans les évangiles, ne laisse percevoir en lui aucune divinité : le Jésus des évangiles, dans leur jaillissement originel, apparaît homme, uniquement homme, splen did ement homme. Comme il fallait s’y attendre de la part d’un juif, il exclut lui-même toute participation à la nature divine. Fils de « Dieu » il l’est, très clairement, mais comme tout humain qui se regarde et se sait face au Dieu Unique, à l’Unique d’Israël.

« Dieu » mort, ou du moins très difficile à penser et à décrire face aux interrogations posées par le mal et la souffrance. Le Christ redevenu ce qu’il n’a jamais cessé d’être, un homme. Que reste-t-il alors du christianisme des Eglises ?

            Une morale.

Cantonnées dans la morale, les Églises se montrent incapables de dire une par ole sur « Dieu », qui soit recevable et cohérente face au raz-de-marée de souffrances que vit la planète.

Nous sommes donc en face de la plus grave crise que les Églises aient eu à affronter depuis les origines, avant l’âge d’or du IV° siècle.

A cette crise, le monde chrétien (catholique comme protestant) n’a su trouver qu’une seule réponse : le basculement, depuis les années 80, vers un fondamentalisme sans nuances. Le mouvement est brutal, et il est spectaculaire. Chez les catholiques, c’est l’abandon des principales ouvertures de Vatican II (œcuménisme, collégialité épiscopale, évolution du sacerdoce, laïc isa tion de l’Eglise [on assiste à une clérical isa tion des laïcs]). Chez les protestants, les USA montrent l’envahissement d’un fondamentalisme chrétien aussi dangereux que le fondamentalisme musulman, et qui lui fait face : on revient au VIII° siècle, à la bataille de Poitiers.

La réponse des Églises à la crise, c’est donc le fondamentalisme : crispation sur quelques binômes de valeurs sûres et simples, qui évacuent « Dieu » plus encore qu’avant le début de cette crise.

Quels pourraient être les grands axes d’un renouveau en profondeur, face à cette crise ?

Est-il encore possible de rêver ?

    1)     REVENIR A « DIEU »

Mais pas n’importe comment. Le mot « Dieu » et tout ce qu’il provoque dans notre imaginaire est lui-même une création des théologiens – à commencer par l’élohiste de la Bible, qui attribue des noms et des qualificatifs à Celui qui refuse de se nommer devant Moïse.
Que personne ne peut qualifier;
Revenir au chap. 3 de l’Exode, qui est l’acte fondateur du judaïsme prophétique.

Et faire passer à l’arrière-plan les chap. 19 et 20 – Moïse recevant la Loi au Sinaï – qui fondent le peuple juif comme entité politique et le judaïsme comme religion sociale.

Revenir au « Dieu » inconnaissable du buisson ardent, et suivre sans le quitter le petit ruisseau prophétique issu de ce premier Moïse, qui serpente à côté du Grand Fleuve sorti du Sinaï (la Loi), sans jamais se mélanger à lui. Ce Fleuve du judaïsme légaliste, Jésus – qui se rattache au petit ruisseau – va s’y opposer vi ole mment et jusqu’à la mort.

Oublier les constructions théologiques de Paul de Tarse (mais pas son expérience mystique), le concile de Nicée-Chalcédoine et tout ce qui s’ensuit jusqu’à nous.

Pour revenir à un « Dieu » dont on ne peut rien dire d’autre que ceci, par lequel il se définit lui-même : il est ce qu’il est (Ex 3,14).

Rien de moins : mais rien de plus.

C’est le Dieu des mystiques : « Dieu connu comme inconnu ».

 2)     ÉCOUTER L’ENSEIGNEMENT DE JÉSUS

Admettre enfin l’évidence : tout l’enseignement de Jésus est juif, c’est-à-dire déjà présent dans le judaïsme palestinien du I° siècle qui est le sien. Ieshua Ben-Joseph n’innove en rien : il fait le choix d’enseigner un judaïsme certes minoritaire dans son pays et à son époque, mais déjà existant.

Jésus n’enseigne pas le christianisme, mais un judaïsme réformé.

Il n’innove en rien, sauf sur un point, un seul, qui est son apport personnel et tient en un mot : Abba.

Un seul mot, qui change tout.

          Abba et non pas Ab’, comme les juifs avaient l’habitude de désigner « Dieu ». Jésus est le seul à appeler ainsi son Dieu : jamais les juifs n’appellent « Dieu » A bba, terme irrespectueux. Et cette innovation linguistique, il la confirme par quelques parab ole s qui révolutionnent complètement la façon dont on concevait jusqu’alors la relation à « Dieu ».

          Jésus n’enseigne rien sur « Dieu » : quand la question lui est posée, il se réfère publiquement au « Dieu » du deuxième Moïse, celui du Sinaï, celui du Fleuve légaliste. Mais par tout le reste de son enseignement, il se rattache au petit ruisseau qui a coulé sans interruption en Israël à partir du buisson ardent.

Il n’enseigne rien sur « Dieu » : mais il innove totalement dans le type de relation qu’il propose avec ce « Dieu ». Une relation de confiance absolue, émerveillée, celle d’un petit enfant dans les bras de son papa (Abba) : c’est le Psaume 130.

Pour Jésus, « Dieu » n’est plus le juge lointain et terrible du Sinaï et le la Loi : c’est le père tendre et aimant dans les bras duquel on peut s’abandonner avec confiance.

C’est en introduisa nt cette nouvelle relation à « Dieu » (avec toutes ses conséquences) que Jésus accomplit la Loi. C’est la seule véritable nouveauté qu’il apporte, tout le reste de l’évangile est déjà présent ou esquissé dans le judaïsme du I° siècle qui est le sien.

« Dieu  » resterait donc indicible, indescriptible, inconnaissable ? Oui, parce qu’il est ce qu’il est, on ne peut l’appréhender. Non, parce qu’il est A bba, daddy, papa tendrement aimant et qui peut être tendrement aimé.
Pour Jésus, la connaissance de « Dieu » n’est pas théologique, une connaissance de l’esprit pensant : elle est cordiale, une connaissance du cœur aimant. Après Jésus, c’est par le biais du cœur qu’on pourra aborder la connaissance de « Dieu » : le cœur devient le seul organe de la connaissance de « Dieu », avant la réflexion (qui ne peut que suivre).

Etre disciple de Jésus, c’est avoir avec « Dieu » cette relation-là.

Pour l’avoir oublié, les Églises (leurs théologiens et leur magistère) plongent l’Occident dans une crise d’une gravité extrême.

 3)     LES SACREMENTS, PASSAGE OBLIGÉ ?

Le christianisme a basé tout son enseignement (sa pastorale) sur les sacrements, qui sont devenus l’unique voie d’accès à « Dieu ».

On sait maintenant que Jésus n’a institué aucun sacrement. Puisque, en bon nazôréen, il refuse le culte juif du Temple, son seul mode de contact avec « Dieu » est ce que nous appelons maintenant la méditation. Dès qu’il le peut, et très souvent, il se retire pour de longs moments de silence en des lieux isolés. Et ce comportement, tout comme l’appellation « A bba« , est sans équivalent dans le judaïsme de son temps.

Dès l’origine, les Eglises ont abandonné la méditation telle que Jésus la pratiquait, pour la remplacer par des sacrements qu’il n’a ni inventés, ni pratiqués.

Et elles sont rapidement parvenues à l’extrême limite de cette pédagogie, qui réduit « Dieu » à l’état de distributeur automatique : le sacrement, enseigne l’Église, agit ex opere operato. Autrement dit, dès l’instant où le geste du sacrement est effectué selon le rite et par le clergé compétent, l’effet se produit automatiquement. Il suffit d’être baptisé pour être chrétien, d’être mariés pour être « unis », de la consécration eucharistique pour avoir la Présence, etc…

L’histoire et la pratique montrent que les sacrements sont incapables, à eux seuls, de transformer ceux qui les reçoivent. Contrairement à ce qu’enseigne l’Église, le sacrement n’agit pas automatiquement. Mise en oeuvre massivement sur de vastes populations, la pratique sacramentelle ne les a jamais fait accéder à l’expérience de « Dieu » (mais, très souvent, à une pratique magique de la religion). C’est à côté des sacrements, parfois malgré eux et non pas grâce à eux, que des chrétiens font l’expérience de Dieu.

Quand l’Eglise reconnaîtra la faillite de sa pédagogie sacramentelle massive, et rendra à la méditation sa juste place dans le christianisme. Quand elle enseignera aux plus humbles ce que Jésus pratiquait lui-même, alors les sacrements (s’il faut les conserver pour des raisons sociologiques) reprendront leur place de moyens secondaires, et leur efficacité, entièrement dépendante de l’engagement du cœur des croyants.

 4)     DIEU AGIT-T-IL ?

Sur cette question, très délicate, je ferai juste quelques suggestions.

Le judéo-christianisme (contrairement au bouddhisme) est fondé sur la notion d’un « Dieu » créateur : Bereshit bara Élohim, premiers mots de la Bible. « Dieu » crée l’univers, le fait sortir de rien (ex nihilo). Et il continue de le créer , en intervenant à chaque instant sur sa création. Tout ce qui se produit sur terre, jusqu’au moindre de nos cheveux, est sinon voulu par « Dieu », du moins permis par lui. C’est la notion de la création continue, qui sous-tend aussi bien le judaïsme que le christianisme.

« Dieu » est considéré comme responsable de tout ce qui se produit sur terre, et donc aussi du mal et de la souffrance innocente.

Pris dans ce traquenard, les chrétiens ne peuvent s’en sortir. Toute leur cosmologie et leur anthropologie dépendent de la création continue de Dieu : dans la vie concrète, cela mène à des situations intenables. Pourquoi tel enfant meurt-il de leucémie ? Il faut un responsable, et puisqu’il ne cesse de créer, « Dieu » est le responsable tout trouvé. Mais ce « Dieu » cruel, on le rejette (et à bon droit) : des foules de croyants ont perdu la foi à cause de cette impasse-là.

Pour en sortir, il faudrait abandonner l’anthropologie-cosmologie du judéo-christianisme, et concevoir le monde autrement : l’enseignement de Siddartha (le Bouddha) offre en la matière une vision infiniment plus réaliste et satisfa isa te que celle du christianisme.

Pour le Bouddha, tout acte (et par là il entend pensées, par oles, actions) est comme une graine : une fois planté par nous et en nous, il portera son fruit.

Inéluctablement.

Le karma est la résultante, à un instant donné, de la somme des actions positives et négatives posées par un humain à cet instant, non seulement au cours de sa vie présente, mais aussi au cours de ses vies passées, très nombreuses.

Le nirvâna, la délivrance finale (qui correspond si l’on veut à l’entrée au « ciel » des judéo-chrétiens, c’est-à-dire à la fin du cycle des renaissances) est réalisé lorsque toutes les actions négatives des vies passées et de la vie présente sont « neutralisés » par la somme des actions positives.[1]

Le bouddhisme ignore la notion de « péché« , qui suppose un « Dieu » juge de nos actions. Il n’y a aucun juge de nos actions : chacune porte son fruit, nous récoltons ce que nous avons semé – fût-ce dans une vie passée.

Un bébé vient à naître avec une malformation, ou dans un milieu défavorisé qui ne lui laisse que peu de chances de progresser. « Dieu » est-il responsable ? Non, mais le nouveau-né seul, qui porte les fruits karmiques de ses vies précédentes. Le parcours qu’il entame dans sa nouvelle vie lui est offert comme une nouvelle chance d’apurer son capital négatif par une somme suff isa nte d’actions positives.

Dans cette optique, chaque nouvelle naissance est conçue comme une chance inouïe, unique, de rompre le cercle douloureux des renaissances successives pour parvenir, enfin et dès maintenant, à l’Éveil libérateur.

Un autocar se renverse, tuant trente enfants qui partaient en vacances. « Dieu » est-il responsable ? Certainement pas. La responsabilité, s’il faut en chercher une, est à répartir entre le conducteur, le constructeur du car, l’Etat qui fait les routes, peut-être le patron qui a engagé le conducteur. Mais pour les parents, cette course trop tôt interrompue n’a qu’un seul sens possible : la mort douloureuse et injuste de leur enfant s’explique par son passé karmique, dont ils ignorent tout. Il est reparti pour un cycle de renaissance, nouvelle chance où tout va se jouer à nouveau pour lui.

« Dieu », en tout cas, ne peut jamais être tenu pour responsable.

Sauf en judéo-christianisme, tel qu’il est véhiculé dans les mentalités.

Si l’on admet cette anthropologie, la prière d’intercession a-t-elle encore un sens ?

Non : « Avant qu’une par ole ne vienne sur mes lèvres, voici, tu la sais toute entière » (Ps 138). Nous n’allons certainement pas apprendre à « Dieu » ce dont nous avons besoin, il le sait mieux que nous. Ni lui demander de modifier un karma qui ne dépend que de la façon dont nous avons su saisir nos chances au cours de vies successives.

« Dieu » ne continue pas de créer le monde, en agissant autoritairement (et arbitrairement) sur lui. Une fois lancé dans l’existence, l’univers obéit aux lois qu’il a reçu de « Dieu » au moment de la création. Inondations , guerres, etc… suivent leurs cours en dépendance à la fois des lois de la nature et de l’action des humains.

Au coup par coup, « Dieu » n’y est pour rien. Quand une pomme se détache du pommier parce qu’elle est mûre, elle continuera de tom ber , que « Dieu » le veuille ou non.

Il y a cependant un domaine, un seul où la création se continue bien à chaque instant, c’est ce que la Bible appelle le cœur de l’homme. L’enseignement sur le cœur est propre à la Bible, il parcourt tout le « petit ruisseau » prophétique, et Jésus le reprend avec force quand il enseigne que ce qui rend l’homme pur ou impur, c’est ce qui sort de son cœur.

Or, le cœur humain est le seul espace dans la création qui puisse changer, revenir en arrière, adopter un cours imprévu et imprévisible.

C’est-à-dire, éventuellement, se renouveler (la création ne se renouvelle pas : elle évolue, elle continue sur sa lancée).

Pour la Bible, « Dieu » peut agir sur le cœur de l’homme, et son action peut ressembler à une « nouvelle création » : là, oui, la création peut être continue – si l’homme y consent.

La seule prière d’intercession qui ait un sens quelconque est celle qui s’adresse à « Dieu » pour qu’il tente une action re-créatrice sur le cœur de l’homme. Sur le cœur de celui qui prie, en tout premier lieu. Mais aussi sur le cœur d’autres que lui, même éloignés, même inconnus (même incroyants). Il y a là un espace de li ber té créatrice, que la prière peut toucher.

Prier pour que cesse une inondation, c’est un acte magique qui fait de « Dieu » une machine à sous : l’inondation est due à des causes naturelles et humaines contre lesquelles « Dieu » ne peut rien.

Mais prier pour que change le cœur des décideurs, de qui dépend la construction d’une nouvelle digue pour éviter la prochaine inondation, cela, oui, a du sens. Bien que le résultat ne soit pas acquis, car le cœur humain est encombré de mille pulsions contraires !

Si L’Eglise remplaçait son enseignement d’un « Dieu Tout-puissant » qui peut tout et fait (ou ne fait pas) tout selon son humeur, par un enseignement biblique sur le cœur de l’homme, et par l’enseignement de Siddartha sur la responsabilité individuelle, peut-être pourrait-on sortir de l’impasse…

 5) THÉOLOGIE ET EXPÉRIENCE

Quelques réflexions après la lecture du dossier « Sea of faith » (théologie radicale anglo-saxonne).

Comme l’indique son nom, la théo-logie est un « discours sur Dieu », une explication de ce qu’est « Dieu » au moyen du langage humain.

Pour qu’une théologie soit acceptable, il est essentiel que l’ordre des mots soit scrupuleusement respecté.

(a) Théo-logie : L’expérience de « Dieu » doit être première (théo-), son expression (-logie) ne peut que venir qu’après cette expérience.

On objectera : mais que vaut une expérience sans compréhension qui l’accompagne en temps réel ? Y a-t-il expérience s’il n’y a pas, en même temps, compréhension de cette expérience, et donc expression ?
Que vaut une « théophanie » sans « logophanie » ?

C’est juste : le récit d’Exode 3 montre bien que Moïse, quand il aperçoit le buisson ardent, s’en approche dans une attitude de curiosité réflexive. Qui précède donc l’expérience qu’il va faire, et sans laquelle il ne l’aurait pas faite. Il n’y a pas d’expérience « brute » du surnaturel (sauf peut-être à travers la drogue ?). Mais des exemples comme Jeanne d’Arc, Bernadette Sou birous, montrent que le bagage linguistique et intellectuel nécessaire à l’expérience consciente de « Dieu » n’a pas besoin d’être très lourd : des petites gens, des « simples » (Jeanne d’Arc ne sait pas lire, Bernadette parle à peine français) peuvent parvenir à une expérience de « Dieu » très élevée. Et ces « simples » sont parfois capables d’exprimer leur expérience de façon théologiquement remarquable.

La théo-logie suppose donc une expérience vive et personnelle du « Dieu » qui est l’objet de sa réflexion. C’est ce qu’exprimait Évagre :  « si tu pries, tu es théologien ».

b) Logo-logie : Beaucoup de théologiens, hélas, semblent avoir inversé l’ordre des mots : ils ne font plus de la théo-logie, réflexion sur une expérience de « Dieu ». Mais une espèce de philosophie religieuse qui brasse les mots, court sans cesse après les évolutions sociales, scientifiques ou techniques (sans jamais les rattraper), assemble côte à côte les apories ou les impasses les plus graves et s’en sort par des pirouettes verbales.

Non plus une théologie, discours sur « Dieu » : mais une logologie, discours sur le discours.

Il est vrai que le proverbe « si tu pries, tu es théologien » pouvait donner l’impression qu’il suffit de prier pour avoir une compréhension juste de tous les problèmes que suscite le mot « Dieu » dans nos sociétés. Position naïve, chère aux fondamentalistes, qui mène droit dans le mur.

Non, il ne suffit pas de prier pour être théologien. Mais un théologien qui quitte du regard, ne serait-ce qu’un instant, l’expérience de ce dont il parle, peut aboutir à des affirmations comme celle-ci, empruntée à la théologie radicale : « Le Dieu créateur est notre création, le Dieu Père est notre projection »[2], ou bien cette autre : « Dans un monde où le surnaturel est naturel et le divin humain, le sacré et le profane ne font qu’un »[3]

On comprend bien ce que veulent dire ces affirmations : elles réagissent contre une certaine présentation traditionnelle (et fausse) de « Dieu » et de l’anthropologie-cosmologie du judéo-christianisme. Mais la formulation s’est laissée entraîner par la réaction, la logique a oublié l’expérience, la passion l’emporte sur la raison.

Une théologie qui n’est plus en contact avec l’expérience vécue au buisson ardent, une théologie qui se contente d’appeler « Dieu » celui qui est au-delà de tout nom, puis qui raisonne à l’infini sur ce concept de « Dieu » – cette théologie se discrédite, tourne en rond et nous conduit à la fosse.

Tout autant que les théologiens radicaux, les théologiens d’Églises semblent avoir oublié l’ordre des mots – théo-logie : ne sachant plus parler de l’Ineffable, ils nous enfoncent dans la crise.

 6)     LE NŒUD DE LA CRISE : RÉSURRECTION

En guise de conclusion à ces réflexions : tout ce qui précède trouve son nœud dans un tombeau, découvert vide le 9 avril 30 au matin. Si ce tombeau est vide, ont rapidement affirmé les disciples, c’est que son occupant, Jésus, est ressuscité.

Depuis que l’Eglise a imposé cette solution à l’irritant problème du tombeau vide, le monde dans lequel nous vivons n’est plus pour elle qu’une ombre imparfaite et incomplète du monde parfait et accompli dans lequel Jésus  a pénétré par sa résurrection. Par le biais de la résurrection, un platonisme dévoyé a fait son entrée dans le christianisme, et les conséquences en sont immenses sur notre civil isa tion. Religiosité, morale, pensée, politique occidentale se sont installés définitivement dans une schizophrénie de fait, mortifère.

Ainsi le corps humain et tout ce qui s’y rattache (sexualité, socialité) est déprécié, craint, méprisé, couvert de tabous : seul le corps ressuscité de Jésus est accompli et parfait. Nos corps à nous ne pourront atteindre cette perfection qu’après une résurrection, dont nous n’expérimentons jamais que le premier temps, la mort.

Depuis lors, « Dieu » ne peut être atteint qu’à travers des sacrements : le corps est trop infirme, et l’esprit trop distinct, trop séparé de ce corps, pour que corps-et-esprit puissent rencontrer directement « Dieu ».

Depuis lors, « Dieu » est impossible à atteindre autrement que par la médiation du Christ.
Ieshua Ben-Joseph n’avait jamais prétendu être autre chose qu’un poteau indicateur, pointant vers « Dieu » : « Qui me voit, voit le Père » est insidieusement devenu « Qui me voit, voit le Christ ».
Le poteau indicateur est devenu destination finale.

L’enquête montre pourtant que Ieshua n’est pas ressuscité à l’aube du 9 avril 30 ( cliquez). Que la transformation du tombeau vide en résurrection miraculeuse obéit à des objectifs de type politique[4].

Les prolongements de cette enquête montrent surtout que Jésus n’avait pas besoin d’être ressuscité pour être ce qu’il est. La « résurrection » fausse définitivement la personnalité de Jésus en l’enfermant dans la sphère divine : et par la même occasion, elle défigure à jamais la notion de « Dieu », en ramenant ce dernier à nos archétypes mentaux.
« Dieu » humanisé, les théo-logies deviennent toutes plus ou moins des anthropo-logies.

             Le jour où les Eglises mettront en question le dogme de la résurrection de Jésus (devenu, absurdement, « résurrection de la chair »).
Le jour où elles admettront l’expérience de l’hindo-bouddhisme, sa conception d’un cycle de renaissances qui aboutit à un Nirvâna dont on ne peut rien dire, de même qu’on ne peut rien dire de « Dieu ».

Le jour où les Eglises, sortant de leur splen dide is olement, accepteront enfin de considérer une expérience différente de la leur. Cesseront de prétendre à posséder seules l’unique vérité. Accepteront de confronter leur vérité aux faits, et que cette vérité se montre incapable de les expliquer. Accepteront enfin que ces mêmes faits puissent avoir été abordés autrement, sur les bords du Gange, que sur les rives du Jourdain. Et que l’expérience ainsi vécue mène à des solutions que nous ne possédons pas.

Le jour donc où une anthropologie-cosmologie de l’Éveil viendra expliquer harmonieusement l’expérience vécue par Ieshua Ben-Joseph, l’Eveillé juif.

Bref, le jour où les eaux du Gange et du Jourdain pourront enfin se rejoindre. Où les Eglises occidentales accepteront enfin de mêler ces eaux, filtrées par le jugement d’une expérience spirituelle vécue, sans rien perdre du meilleur des deux traditions…

Ce jour-là, pour l’instant, ne peut advenir que de façon individuelle, marginale, pour une petite minorité.

Ceux qui le peuvent doivent s’y employer : nous en avons maintenant les moyens.

Quant aux Églises, l’expérience semble prouver qu’elles sont incapables de changer :

                   M. B., Mont Sainte-Odile, juin 2003

DIEU EXISTE ? NON, DIEU N’EXISTE PAS (Comte-Sponville et Schmitt)

          Lu, dans la presse féminine, un dialogue entre le philosophe André Comte-Sponville et l’écrivain E.E. Schmitt.

     « Est-ce que Dieu existe ? Je ne sais pas, mais… je crois », dit Schmitt. A quoi Comte-Sponville répond : « Je ne sais pas si Dieu existe, mais je crois qu’il n’existe pas »

     Deux esprits aussi brillants ne peuvent accoucher que de brillantes formules. Ils ne sont pas les premiers : au cours des siècles, l’éventail des possibilités a été exploré jusque dans les moindres recoins. Depuis le « Je crois en Dieu, parce que c’est absurde » (la foi du charbonnier) jusqu’au « Je crois en Dieu, parce que la raison me le démontre » (certains théistes des Lumières). Entre-deux, on trouve la formule de St Anselme « Je crois en Dieu, afin de comprendre Dieu » – laquelle n’est pas éloignée de la position des musulmans,

     On n’en sort pas, les opinions s’opposent sans jamais se rencontrer. Pourquoi ? Peut-être parce que la question est mal posée.

    En effet, tout ce brillant monde parle de « Dieu ». Le mot est indistinctement employé, aussi bien par ceux qui pensent croire en lui, que par ceux qui refusent la foi, ou qui sont entre les deux. Et l’on philosophe, on philosophe…

     Or, c’est le mot Dieu lui-même qui est piégé, et rend toute réponse impossible à la question de la foi.

       Car « Dieu » est déjà, en lui-même, une invention des théologiens ou des penseurs. Quand un Occidental ou un Moyen-oriental dit « Dieu », automatiquement, sans qu’il puisse y échapper, il introduit dans son esprit – avec le mot – un vaste champ sémantique. Très différent, certes, selon les civilisations et les époques, mais très prégnant. Le mot « Dieu » véhicule ainsi avec lui, au choix : l’image du Tout-Puissant qui régit tout, celle de l’auteur ou du complice du Mal, du Père inhibiteur ou source de dépendance, de l’Amant absolu, du père fouettard, que sais-je… Jusqu’au vieillard à barbe blanche assis sur son nuage, tout là-haut, au ciel de nos enfances.

         Les théologiens sont responsables de cette enflure sémantique, sur laquelle débouche automatiquement le mot « Dieu ». Et ceci a commencé très tôt, dès la deuxième étape de l’écriture de la Bible (habituellement appelée élohiste). A partir de là, à cause du texte lui-même qui se met à nommer « Dieu », puis à le décrire de plus en plus précisément, le judaïsme, suivi du christianisme et de l’islam, vont parler, et parlent encore, de « Dieu ».

     Il n’en allait pas ainsi pour la première mise par écrit de la Bible (le yahviste), ou pour l’hindouisme. Là, on sait encore qu’on ne peut pas nommer « Dieu » : la toute première Bible le désigne par quatre consonnes qui ne signifient rien, et que les juifs pieux remplacent (aujourd’hui encore) par une seule, le yod ou . Quant aux hindous, ils remplacent la désignation de « Dieu » par une simple vibration, « Ohhhmmm…. »

    Quand un occidental se demande s’il croit en Dieu, il se demande en fait s’il adhère à telle ou telle représentation de « Dieu » – qu’il ira puiser, selon sa formation ou sa tradition, dans telle ou telle partie du champ sémantique générée par le mot « Dieu ».

     Vous me demandez si je crois en « Dieu » ? La réponse est claire, sans appel : c’est non. Non, je ne puis adhérer à aucune des représentations ouverte par le champ sémantique « Dieu ». Il me faudrait alors choisir entre les opinions des uns ou celles des autres, alignées dans les rayons de nos bibliothèques depuis plus de 25 siècles.

      Alors, en quoi croyez-vous ?

     Je ne crois pas : je constate (et il m’a fallu pour cela toute une vie de recherches tâtonnantes, d’expériences douloureuses) que derrière ce monde des apparences, il y a une réalité que la plupart appellent « Dieu », mais que je me refuse à nommer parce qu’elle est au-delà de tout mot.

     Une personne ? Mais non ! Si je dis « une personne », je rentre déjà dans la querelle des mots, dans une cage assemblée depuis les premiers conciles jusqu’à E. Mounier. Un existant ? Pas plus, vous me traînez chez Heidegger ou Sartre.

     Alors, quoi ?

    Une expérience, faite à la fois dans la vie et par l’esprit. La vie devançant presque toujours l’esprit, le travail de l’esprit éclairant lentement la vie. Une expérience, qui ne peut donc se réduire à aucun mot, même quand c’est une expérience que l’esprit prétend analyser.

     Une expérience ne se met pas en formules, ni en mots. Elle ne se décrit pas, elle est au-delà des mots. Elle se constate, quand toutefois la conscience finit, enfin, par acquiescer – toutes murailles intérieures renversées – à la force de l’évidence.

                                     M.B., 11 janvier 2007

PROBLÉME PALESTINIEN ET MESSIANISME

L’historien n’est pas neutre. Lorsqu’il s’efforce de dégager la signification des événements du passé, c’est toujours en fonction de ce qu’il vit dans son présent.
       Je voudrais vous donner quelques pistes de réflexion pour comprendre ce qui se passe en Palestine. Sans prétendre aucunement que cette lecture soit la seule possible, ni qu’elle englobe à elle seule la totalité des ressorts complexes de la situation.

I. Messianisme et sens de l’Histoire

Pour toute l’Antiquité (Orient et Occident gréco-latin), l’Histoire est cyclique, elle fonctionne selon le mythe de l’éternel recommencement.
       Le Bouddha enseigne que « rien ne commence, rien ne finit : tout se transforme ». Le résultat, c’est chez certains un profond scepticisme : ce qui s’est produit se produira, « rien de neuf sous le soleil » (1).

       Le premier – et le seul – Israël a un jour inventé la conception linéaire de l’Histoire : il y a un commencement, voulu par Dieu. Et il y aura une fin, qui sera le retour à l’unité originelle entre l’Homme et la création, telle que Dieu l’a pensée dans son acte créateur.
       Pour Israël l’Histoire a un sens, elle tend vers quelque chose qui sera meilleur que ce que nous vivons aujourd’hui.
     Cet aboutissement de l’Histoire s’accompagnera de la manifestation d’un Messie : un homme providentiel dont le retour mettra fin à l’Histoire. Alors, comme le dit Isaïe, le lion broutera à côté de l’agneau, il n’y aura plus ni guerres, ni souffrance : c’est le paradis.
       Le messianisme, propre à Israël, explique son histoire passée et présente. Car tout est permis pour favoriser le retour du Messie : au nom du Grand Soir messianique, génocides, crimes, spoliations, ne sont plus que des accidents nécessaires de l’Histoire. Et Israël, qui a pourtant inscrit dans son Décalogue le commandement « Tu ne tueras point », va allègrement massacrer ses ennemis parce qu’ils sont autant d’obstacles au retour du Messie, à l’accomplissement du Grand Soir.
       Par sa nature même, le messianisme est aveugle, il ne connaît aucune autre loi que son propre sens de l’Histoire : la fin justifie tous les moyens.

II. Postérité du messianisme juif

Le judaïsme va transmettre au christianisme sa conception messianique de l’Histoire. Mais le messianisme juif était (et est toujours) territorial : son but est d’occuper un territoire, identifié au royaume mythique de David, avec Jérusalem pour centre. Le messianisme juif n’a pas d’autre ambition, jamais il n’a songé à conquérir le monde. 

     Tandis que le messianisme chrétien n’est pas centré sur un territoire, mais sur une personne divinisée, Jésus-Christ. Laquelle s’incarne dans la personne de dirigeants religieux (le clergé) et politiques (le roi de droit divin).
     L’ambition messianique chrétienne n’est pas territoriale : il ne s’agit pas de reconquérir un territoire sacré, mais d’amener l’humanité entière à reconnaître Jésus-Christ comme dieu, pour qu’elle trouve en lui son salut.
     Puisqu’il veut sacraliser l’Humanité à travers son adhésion à une foi strictement définie, le messianisme chrétien (à la différence du juif) est universel : mais il n’est pas intrinsèquement guerrier. Si les chrétiens tuent ce n’est pas pour conquérir ou défendre un territoire, mais pour défendre une forme de foi qu’ils veulent imposer à tous les autres.
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       Le messianisme musulman s’inspire à la fois du judaïsme, dont il est issu, et du christianisme. Pour l’islam, il s’agit :
       – De reconquérir Jérusalem et d’en faire le centre du nouveau royaume terrestre (qui deviendra le Califat). Par là, les musulmans s’opposent aux juifs qui revendiquent Jérusalem comme capitale du Grand Israël.
       – D’imposer à la planète la foi en un Dieu unique : par là, les musulmans s’opposent aux chrétiens qui sont perçus comme polythéistes, puisqu’ils croient en trois dieux (Trinité).

       Mais le messianisme judéo-chrétien a imprégné tout l’Occident
     – Le communisme est un messianisme social : le Grand Soir n’est plus la reconquête d’un territoire, mais la victoire d’une classe sociale (le prolétariat) sur les autres. Ici le Messie, c’est le prolétariat. Quand il sera seul au pouvoir il n’y aura plus ni guerres, ni pauvreté, ni religions : c’est le paradis socialiste.
     – La nazisme est un messianisme racial : il faut éliminer les sous-hommes (juifs, tziganes, homosexuels, prêtres) pour permettre la domination de la race des Seigneurs. Le Messie c’est le Herrenvolk, seul capable de fonder durablement le « Royaume de Mille Ans ».
       – Particulièrement dangereux, le messianisme évangélique américain voit dans l’Amérique le nouveau Messie. Le Grand soir doit être précédé par le retour d’Israël dans le Royaume de David restauré, avec Jérusalem comme capitale juive (d’où le soutien inconditionnel à Israël des sionistes chrétiens américains). Alors seulement, et dans une deuxième étape, les juifs pourront être convertis au Messie chrétien. Ce sera l’aboutissement de l’Histoire, et les USA en sont l’instrument privilégié.

       Chacun de ces messianismes croit voir compris le sens de l’Histoire. Il est prêt à tout pour faire accoucher l’Histoire.

       Ce qui est terrifiant, c’est que l’ambition (ou le rêve) messianique justifie tous les moyens. Il n’y a plus de parole donnée, de morale politique ou individuelle. De la même façon que les nazis autrefois (génocide = « solution finale »), les sionistes ont mis au point un vocabulaire adapté : nettoyage ethnique ou déportation se dit chez eux « transfert », torture s’appelle « pression physique », liquidation se traduit « autodéfense active ». Assassinat politique devient « élimination ciblée », colonisation s’appelle « implantation », etc…

III Une vieille histoire

Pour terminer, je voudrais vous lire quelques extraits d’une chronique – en vous laissant deviner à quelle époque elle a été écrite

       « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais lui, il est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivi jusqu’au Liban ». Qui est ce « lui » ? Est-ce Moshé Dayan, et le récit de la guerre des Six Jours ?
       « Il attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant » S’agit-il du premier « transfert » palestinien de 1949 ?
       « Les juifs se sont emparés de tout le pays… Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre. Quand il n’en est plus resté un seul, lui a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives ». Ce « lui », est-ce Yitzaac Shamir ?
       Puis il déclare : « Prenez possession de ces terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées, et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous« . Maintenant, est-ce Ariel Sharon qui parle ?
       « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants ». Est-ce la description des camps palestiniens, de Sabra et Chatilla ?
       Alors, les palestiniens s’insurgent : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays : rendez-nous ces terres, maintenant ! » Est-ce la voix de Yasser Arafat ?
     Ce à quoi un responsable juif (lequel ?) répond : « Nous ne serons quittes envers les palestiniens qu’en leur faisant du mal ! »

       Ce sont des extraits du Livre de Josué écrit au début du VIII° siècle avant Jésus-Christ, faisant partie de la Bible et devenu sacré.

       J’ai pris cet exemple pour illustrer ce à quoi mène le messianisme.
       Actuellement, trois messianismes s’affrontent en Orient : le sionisme, l’islam et l’évangélisme américain.
       Trois conceptions du sens de l’Histoire, trois lignes directrices semblables mais qui ne se croisent jamais.
       C’est pourquoi on se trouve en Palestine (et depuis 3000 ans) dans une impasse, dont on ne voit pas comment il serait possible de sortir – pas plus aujourd’hui qu’hier.

                            M.B., conférence donnée le 9 janvier 2008

(1) Livre biblique de l’Ecclésiastique

N. Sarkosy, la Bible, le Coran

Lu dans Le Parisien du 26 février 2008, page 2, cette déclaration de M. Nicolas Sarkosy :

« Dans mon discours en Arabie Saoudite…
j’ai dit qu’il n’y a pas un mot de la Bible, pas un mot du Coran
qui prône la violence, la haine et l’extrémisme »

.
J’ai été feuilleter l’un et l’autre texte sacré.
Pas un mot ? En voici quelques-uns seulement, parmi d’autres :

Bible

Lévitique 17,14 : « Quiconque [enfreindra les interdits alimentaires]
sera anéanti physiquement »

-id- 26,29-33 : « [Ceux qui ne respecteront pas les lois saintes],
je dégainerai l’épéecontre eux ,
j’entasserai cadavre sur cadavre »

Josué 6,17-26 : « La ville de Jéricho sera vouée à l’anathème,
avec tous ses habitants… »
Alors le peuple poussa le cri de guerre…
il passa au fil de l’épée tout ce qui se trouvait dans la ville,  hommes et femmes, jeunes et vieux… On brûla la ville…      et Josué jura devant Dieu : « maudit soit celui qui rebâtira cette ville ! »

Juges, 15,3 :  Samson dit : « Je ne serai quitte envers les Palestiniens
qu’en leur faisant du mal »

Psaume 137 :           « O Babylone  misérable,
Heureux qui saisira tes enfants pour les briser contre le roc ! »

Coran 
Sourate 8,12 : « Dieu est avec vous, courage, les croyants !
Dieu va jeter l’effroi dans le cœur des incroyants :
Frappez-les au cou ! Frappez-les aux jointures !

S. 8,17 : « Ce n’est pas vous qui avez tué [nos ennemis],
mais c’est Dieu qui les a tués !
Quand tu lançais [contre eux] tes flèches, c’est Dieu qui les lançait ! Ils ont perdu la vie parce qu’ils se sont séparés de Dieu-et-de-son-Prophète ! »
S. 4,91 :  » [les infidèles], combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de résistance… S’ils retournent à l’infidélité, saisissez-les et mettez-les à mort, partout où vous les trouverez… »

S. 4,115 : « Ceux qui se séparent du Prophète… que Dieu les précipite en enfer ! »

S. 63,4 : « Vos ennemis… méfie-toi d’eux ! Que Dieu les tue ! »

S. 57,15 : « On n’accepte plus [désormais] de rançon des incroyants :
leur seul refuge est le feu »

S. 58,5 : « Ceux qui s’opposent à Dieu et à moi seront culbutés,
comme l’ont été ceux qui les ont précédés »

S. 58,22 : « Personne ne témoignera d’affection
à ceux qui s’opposent à Dieu et à moi,
même s’il s’agissait d’un père, de fils, de frères »

(Traduction et numérotation des versets de Denise Masson)

Sans commentaires

M.B., 27 février 2008

 

HALALLI AU HALAL ?

          Dans le cirque que nos politiciens – toujours soucieux de nous distraire – nous offrent périodiquement , un nouvel acteur vient d’entrer en scène : le Halal.

          De quoi s’agit-il ?

 I. Casher : l’obsession juive de pureté

           La pratique du judaïsme est fondée sur la notion de pureté.

          Choisi par Dieu parmi tous les peuples, un juif se doit d’être pur tout comme Dieu est pur, pour rester digne de son élection. Rien ne doit pénétrer dans son corps du dehors, qui puisse le rendre impur.

          Dans le Lévitique, la liste des aliments impurs est longue et précise. Le principal est le sang : « Où que vous habitiez, vous ne mangerez pas de sang… Quiconque [mangera un animal] devra en répandre le sang par terre, car la vie de toute chair, c’est son sang. Quiconque mangera du sang, n’importe quel sang, je me tournerai contre lui et je le retrancherai du peuple » (1)

           Le sang était donc considéré comme le siège du principe vital : l’absorber, c’était en quelque sorte s’approprier la vie (aujourd’hui, on dirait l’âme) d’un vivant.

          C’était emprisonner et détruire l’âme d’un mort, fut-il un animal.

           L’animal ne pouvait être consommé que s’il était préalablement saigné. Pour qu’il se vide de son sang, il fallait l’égorger bien vivant, afin qu’il saigne à mort. La viande était alors casher, terme qui a signifié d’abord « convenable » avant d’être ritualisé.

          Au fil des siècles, le souci de pureté légale était devenu chez les juifs une obsession, portée à son paroxysme par les esséniens. Or Jésus commence par se montrer très désinvolte envers les commandements de pureté, pour finir par les condamner : « Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui pénètre du dehors dans le corps ne peut le souiller ? » (2)

          Ce faisant, il s’aliénait non seulement le petit peuple de Galilée tenu en main par les pharisiens locaux, mais surtout les esséniens avec lesquels il avait, par ailleurs, plusieurs points en commun.

          (Sur tout ceci, voyez Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (Dans le silence des oliviers)

 II. Halal : le judaïsme arabisé

           Certains commencent à dire (avec précaution, on les comprend !) ce qui est pourtant d’une évidence criante : pour une part importante de ses sourates, le texte du Coran n’est qu’un copié-collé du judaïsme rabbinique du VII° siècle.

          Ainsi, la quand sourate 5 prescrit : « Voici ce qui vous est interdit : la bête morte, le sang, la viande de porc. » (3), elle ne fait que reproduire le texte du Lévitique (1).

          Tout ce qui est halal (4) est pur, peut être consommé. Le reste (haram) doit être proscrit.

          Viande halal ou viande casher, c’est la même chose : l’animal en pleine forme doit être égorgé avec un couteau bien aiguisé par une rapide incision qui sectionne les artères carotides, la trachée et la veine jugulaire – mais laisse la moelle épinière intacte, afin qu’il reste conscient jusqu’à ce que son cœur ait cessé de battre, faute de sang.

          Pour se différencier des juifs, les musulmans prescrivent seulement que pendant toute son agonie, la tête de l’animal doit être tournée vers La Mecque. Et pour le consoler, son exécuteur (qui doit être un musulman) récitera pendant ce temps la Fatiha, « Bismillah allahou akbar », « au nom du Dieu très-grand ».

III. Manger de la viande halal ?

          L’abattage halal n’est pas incompatible avec nos règles sanitaires. Il faut seulement que l’animal ne soit ni assommé ni étourdi, qu’il souffre et se voie lentement mourir : alors, il est pur. Sans oublier de bien signaler dans l’abattoir la direction de La Mecque, sans quoi il est bon à jeter.

          Rien ne s’opposerait donc à ce que nos viandes deviennent toutes halal.

          Rien, sauf si le traitement imposé à l’animal venait à imprégner sa viande d’un âcre goût de souffrance. Et si l’image du boucher, tordant sa tête sanguinolente en direction de La Mecque tandis qu’il récite une prière, ne risquait pas de se superposer au bifteck dans l’assiette.

          Mais à quoi riment ces idées creuses ? Laissez-nous manger tranquilles.

          Pas d’hallali au halal.

                                                        M.B. , 7 mars 2012

(1) Livre du Lévitique, 7, 26 et17, 10-13. Question annexe : comment Jésus, juif pieux, aurait-il pu songer à donner son sang à boire à ses disciples, juifs pieux comme lui ?

(2) Marc 7, 18.

(3) Coran, sourate « la Table », V, 3.

(4) En arabe, comme vous pouvez le constater (حلال), le mot halal ne comporte qu’un seul l

« Le secret du treizième apôtre », Roman, Albin Michel.

                           roman d’action (Thriller)

          Moins long que Le Nom de la Rose, moins menteur que Da Vinci Code, mais aussi passionnant qu’eux : on se balade du 1° au 20° siècle, d’une abbaye mystérieuse aux couloirs du Vatican, des Esséniens aux Templiers, d’un prélat lubrique à un moine-ermite… Sans oublier les agents secrets juif et arabe à la gachette rapide.

          Tout ça, autour d’un secret réel : il y avait bien treize apôtres autour de Jésus, et le treizième n’était pas une femme. Il est nommé 8 fois dans le IV° évangile, mais nous ne saurons jamais son nom. Car il a été farouchement effacé, gommé des textes et de la mémoire de l’Église.

          Pourquoi ?

          Savait-il quelque chose, qu’il ne fallait pas dire ? Et ce qu’il savait pourrait-il mettre en danger la survie de l’Église, donc de l’Occident ?

          Un moine français, le père Nil, va partir à la recherche de cet homme, et du secret qu’il portait en lui. Nil va se heurter non seulement aux gens du Vatican, mais à ceux du Mossad et du Hamas : car les juifs, pas plus que les musulmans ni les chrétiens, n’ont intérêt à ce que le secret du 13° apôtre sorte de l’ombre où des hommes l’ont enfoui depuis 20 siècles.

          C’est un peu érudit, mais cette érudition-là on en redemande : elle est parfaitement lisible.
         C’est vrai aussi, c’est impertinent, mais que voulez-vous, l’auteur est français.
         C’est vrai enfin, on découvre des vérités étonnantes (mais exactes) sous le manteau scintillant de la fiction.

         C’est vrai, on ne s’ennuie pas un instant.

         Et quand on repose le livre, on reste songeur. Puis on se met à penser – peut-être même à rêver.

Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a figuré sur la liste française des best-sellers. Édité au Livre de Poche, traduit en 18 langues (dont le Coréen !), best-seller en Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne.

LA FIN DES ILLUSIONS : Postface à « Prisonnier de Dieu »

          Les éditions Albin Michel viennent de rééditer Prisonnier de Dieu. J’ai écrit à cette occasion une Postface (2008), dont voici un extrait.
                        
          « Au moment de mettre sous presse, nous n’avions toujours pas de titre. J’en avais proposé trente à l’éditeur, qui les avait rejetés l’un après l’autre. « Michel, ma-t-il dit alors que l’imprimeur s’impatientait, nous l’appellerons Prisonnier de Dieu : c’est un bon titre ».
          « Dieu n’a jamais fait de prisonnier : je m’insurgeais. C’est de moi que j’avais été prisonnier, de moi seul, de mes illusions et de celles d’une époque. Mais l’éditeur avait raison : ce fut un bon titre. Un mensonge efficace.
                             
          « Je suis devenu frère Irénée le 9 octobre 1962, trois jours avant que s’ouvre le concile de Vatican II. Alors, dans nos colonies à peine devenues indépendantes, les missions étaient toujours prospères. Alors les sectes étaient pratiquement inconnues en Amérique latine, en Afrique, aux Philippines, en Corée. Alors, et pour la première fois, le président des États-Unis était un catholique, John Kennedy.
         « D’Acapulco à Séoul, intouchée par les siècles, l’Église se voulait seule détentrice de Dieu et des aspirations humaines. Sa conception du monde, de la morale publique, des relations entre les hommes et les femmes, était largement partagée. Elle inspirait depuis l’antiquité nos lois civiles, nos coutumes, nos interdits, nos joies et nos peines.

          « Au moment où je me présente à la porte de l’abbaye, l’Église forme encore la charpente d’un vaste édifice, solide et triomphant : la civilisation occidentale. Vingt ans plus tard, lorsque je me retrouve à la rue, l’édifice et sa charpente chancellent, sans qu’on puisse savoir qui a entraîné l’autre dans cet imprévisible déclin.

          « Les événements rapportés ici se déroulent entre les années 1960 et 1980, dans un univers clos. Ils sont datés par l’époque et par le lieu, et pourtant, Prisonnier de Dieu dépasse largement l’horizon étriqué d’un monastère catholique.
          « Ce qui n’était que le récit d’une trajectoire individuelle apparaît maintenant comme une sorte de document historique, parce qu’il témoigne d’une période charnière : la fin du consensus tacite entre une religion, et la civilisation dont elle avait nourri, pendant des siècles, l’imaginaire.
          « Machinerie complexe, qui a explosé sous mes yeux.
                                      
         « Les racines de notre civilisation, qu’on le veuille ou non, sont chrétiennes : il semblerait que le grand arbre, qu’elles ont si longtemps alimenté de leur sève, ne tienne plus aujourd’hui que par son écorce.
                         
          « Les monastères ont toujours été le fer de lance de cette civilisation : l’Église y reconnaissait son idéal de perfection, mis en œuvre par la Règle de Saint Benoît (cliquez). 
          J’ai découvert que cette Règle était profondément stoïcienne : « Là où commence le plaisir, là commence la mort ». Cette obsession macabre n’est pas évangélique. Par ses paroles comme par ses actes, le rabbi Galiléen montre une absolue détestation de la mort.        
          « Cet homme n’a semé autour de lui que guérison et vie.
                           
         « Je sais maintenant que la chasteté du corps et de l’esprit ne peut être vécue qu’à travers l’exercice de la méditation, si bien décrit par le Bouddha. C’est pourquoi les monastères se vident : on va chercher ailleurs les voies de la sagesse et de la purification mentale. La méditation silencieuse, seule forme de prière pratiquée par le juif Jésus, c’est auprès des sages d’Orient qu’il faut en découvrir la théorie et la mise en œuvre. Pour continuer toujours de l’ignorer, l’Église occidentale voit se détourner d’elle les meilleurs de nos chercheurs d’absolu.
                           
          « On m’a reproché d’avoir appliqué à l’Église établie le terme de secte. Pourtant, c’est bien du mécanisme de l’enfermement sectaire qu’il s’agit. Libre de rentrer, j’étais libre de sortir à tout moment – et cependant, je ne l’ai pas fait.
          « Le sectaire s’enferme de lui-même dans la secte, et ne peut plus se déjuger sans reconnaître l’erreur que fut son choix, sa responsabilité dans les souffrances subies et causées par lui. Nul ne franchit ce pas décisif, si quelque force extérieure ne l’y oblige. 

          « Ce qui s’est passé au bord du Fleuve aurait pu se produire de la même façon dans une secte évangélique, musulmane, ou certains partis politiques.
                             
          « Il n’y a qu’une seule vérité, c’est la nôtre et tu dois la partager, sinon… » : voilà la secte. En bien des époques et en bien des lieux, « sinon… » a pu signifier les pires châtiments corporels, heureusement interrompus par la mort. Mais toujours et partout, « sinon… » signifie le châtiment dans l’au-delà, qui ne cessera jamais.
          « Au regard de l’Histoire, l’Église est une secte qui a réussi.
          « Il m’a fallu dix ans, ayant retrouvé ma liberté de mouvements, pour reconquérir ma liberté intérieure. Puis j’ai compris que le passé ne méritait pas d’être combattu : sur ces pierres éboulées, il fallait tracer un chemin. Dieu n’appartient à personne en particulier.
                            
          « Tant d’années pour comprendre que les Églises – toutes les Églises – sont des organismes de pouvoir, que leur ambition non-avouée est de le conquérir, puis de le conserver à tous prix. « Dieu premier servi » est le slogan affiché. Idéal que les fidèles cherchent, et parfois trouvent, dans l’institution. La générosité de leur quête leur permet de contourner ce malentendu. J’y vois maintenant une imposture, enfouie dans les replis de l’inconscient.
                  
          « L’Église m’avait enseigné le Christ : il m’a fallu la quitter pour découvrir le prophète de Nazareth. Extraordinairement féconde, cette découverte a donné un sens à l’échec du frère Irénée, elle éloigne définitivement les miasmes de la mort. Sous forme de romans ou d’essais, je ne cesse depuis d’approfondir et de partager les échos qu’elle suscite.
          « Dans le désert humain, moral et spirituel qu’est devenue notre civilisation, la redécouverte de l’homme Jésus est pour moi une vraie lueur d’espoir. Cet homme solitaire, et pourtant relié à tout, a voulu humaniser la planète en lui indiquant un chemin. Au cours des siècles, quelques grandes figures ont su l’emprunter, et quantité de merveilleux anonymes.
          « Pour nos sociétés, tout reste à faire.
                 
          « Une fois dépouillé de la mythologie chrétienne, le rabbi itinérant de Galilée apparaît totalement subversif. Il a rejeté l’Église de son temps, ses rites et son clergé. Il s’incline devant la domination de César, pour mieux s’en affranchir intérieurement. Il transgresse tous les tabous, franchit toutes les frontières de la coutume établie.
          « Pareille attitude ne peut prendre forme durablement dans aucune structure sociale, qu’elle soit civile ou religieuse. Jésus n’a pas fondé d’Église, et la chrétienté s’est construite en le trahissant.
          « Le jour où j’ai commencé à m’intéresser au juif Jésus, je me suis engagé sans le savoir dans un couloir qui ne pouvait mener qu’à la porte de sortie.
                             
          « La révolution Gutenberg a facilité l’expansion des différentes Églises chrétiennes nées en Occident. Objet fédérateur, le livre réunissait les communautés autour de ses commentateurs. Jusqu’au XIX° siècle, seuls les clercs pouvaient lire abondamment : le savoir venait d’en-haut. Sa diffusion correspondait à la structure pyramidale des hiérarchies, en même temps qu’elle la renforçait.
          « La télévision, puis la révolution Internet, bouleversent ce fonctionnement séculaire : la communication est désormais horizontale, sans médiation cléricale, sans intermédiaire, ni limitation ou censure.
          « Cela prendra-t-il la place des Églises ? Des communautés virtuelles s’esquissent déjà. On s’informe, on échange, on partage sur un clavier. Mais seule, la rencontre d’une personne peut bouleverser des vies, provoquer la métanoia – ce renouvellement intérieur profond, ce départ pour l’aventure, ce regain après la moisson des désespoirs.
          « Si Jésus s’était contenté de Google, aurait-il laissé comme il l’a fait sa marque sur la planète? La rencontre vivante et chaleureuse de cet homme ne passera jamais par la seule informatique.
                             
          « Les Églises ne disparaîtront pas : chrétiennes, musulmanes, juive ou hindouiste, l’histoire de l’humanité montre qu’elles ont toujours accompagné l’essor des civilisations. Lorsqu’une civilisation décline, meurt ou se transforme, il ne reste plus de son Église originelle que l’appareil extérieur.
                             
          « Le mot tradition vient du latin tradere, qui signifie à la fois « transmettre » et « trahir ». Peut-on transmettre sans trahir ?
          « Si j’ai pu connaître les Évangiles, si j’ai rencontré la figure du prophète Galiléen, c’est bien par l’entremise de l’Église catholique, et grâce à elle. Elle a été la structure, sociale autant que religieuse, qui m’a transmis une mémoire. C’est elle qui m’a fourni les outils avec lesquels j’ai pu, bien après, retrouver le visage de celui dont elle se réclame. 

          « Tu parviendras » : pour parvenir là où elle prétendait me mener, j’ai dû m’éloigner d’elle. Peut-être en va-t-il de même pour toutes les sectes ou Églises.
                             
          « Quand ma génération – celle qui a dû s’accommoder des transformations les plus rapides que la planète ait jamais connue, mais qui disposait encore de repères, de références, de trajectoires passées et d’horizons imaginables, bref, de tradition – quand cette génération aura disparu, qui transmettra (cliquez) ?

          « Dans un monde qui n’a plus d’autres valeurs que quantifiables, où les aspirations les plus secrètes vers la transcendance sont jetées sur le marché comme les autres, qui transmettra – et à qui ? »

                    © Michel Benoît, 21 mars 2008

DANS LE SILENCE DES OLIVIERS (II) : la fabrication d’un roman;

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          Pourquoi un nouveau roman sur Jésus ?

I. La préhistoire

          En 1975, je préparais ma thèse de doctorat en théologie : et je découvris, avec stupeur, que Jésus était juif. Un juif qui avait parlé à d’autres juifs : les Évangiles ne pouvaientêtre compris qu’à l’intérieur de la culture juive de leur époque. Je me fis donc juif, me plongeai dans le Talmud et les textes judéo-chrétiens alors disponibles.

          Lorsque je présentai mon projet de thèse en, il fut refusé par les autorités vaticanes : en ce temps-là, la judaïté de Jésus était un tabou. J’abandonnai le projet, mais non pas mon intérêt pour ce juif hors-normes.

          Au début des années 1990, je rouvris ce dossier. En quinze ans, on avait publié nombre de sources jusque là inaccessibles, et des ouvrages sortaient – en rafale – sur le juif Jésus, passionnant le public même non-croyant.

           Je disposais enfin de la documentation nécessaire.

          Entre 1995 et 2000, je me mis à écrire. Le résultat, ce fut un essai publié en 2001. Il dévoilait l’identité réelle de cet homme devenu Dieu malgré lui, titre de l’ouvrage . Pour le mettre à la portée du grand public, j’en fis ensuite un roman, Le secret du treizième apôtre, qui eût un certain succès. De la vie de Jésus, de son entourage, je disais ce qu’on pouvait savoir d’historiquement fiable, mais je laissais de côté son enseignement.

II. Les tâtonnements

          En même temps que je travaillais à Dieu malgré lui, je découvris – un peu par hasard – d’abord le bouddhisme tibétain, puis l’enseignement du Bouddha Siddharthâ lui-même.

          Ce fut un choc : des analogies apparaissaient, frappantes, entre ces deux maîtres du passé. Plusieurs auteurs avaient déjà tenté de comparer le bouddhisme au christianisme, et cette piste semblait mener à une impasse. Mais si l’on confrontait l’expérience vécue par chacun de ces deux hommes, on découvrait la lignée des Éveillés – et que Jésus était l’un d’entre eux, non des moindres.

          La deuxième partie de Dieu malgré lui, où je fais asseoir Jésus et Siddharthâ à la même table, fut donc intitulée Un Bouddha juif : mais je ne m’attardais toujours pas sur l’enseignement de l’Éveillé juif Jésus.

III. L’arrière plan

          C’est que les Églises chrétiennes (et surtout la catholique) avaient, dès leurs origines, détourné non seulement l’identité de l’homme Jésus mais aussi son enseignement, pour se constituer en puissances mondiales.

          Je devins alors sociologue, étudiant l’ampleur du déclin récent de ces Églises, institutions fondatrices de l’Occident. Il m’apparût que le christianisme en tant que système idéologique, conception de l’Homme et de sa destinée dans l’univers, était parvenu à une impasse. Simultanément, la crise de l’identité occidentale semblait accompagner le déclin de l’idéologie chrétienne, qui pendant dix-sept siècles lui avait fourni sa colonne vertébrale.

          Déclin du christianisme, perte de l’identité Occidentale : ces deux accidents majeurs de notre civilisation étaient liés, sans qu’on puisse savoir lequel avait précédé l’autre.

          Tel était désormais le décor de tous mes travaux.

IV. Le Coran et le 13° apôtre

          L’arrière-plan de la crise de l’Occident eût été incomplet, si je n’y avais pas inscrit ses relations avec l’islam.

          Il était hors de question d’explorer une culture et une littérature aussi considérable : je me cantonnais au texte du Coran, pour découvrir là aussi des vérités cachées – dont je tirai parti pour l’écriture du Secret du treizième apôtre.

          En même temps, j’approfondissais ma connaissance du IV° Évangile, dit selon saint Jean. Il m’apparût que la partie la plus ancienne de cet Évangile avait sans doute pour auteur ce treizième apôtre, volontairement ignoré des Églises mais indéniablement présent dans l’entourage de Jésus. Son témoignage visuel, de première main, était celui d’un personnage qui avait joué un rôle essentiel dans les derniers moments de la vie de son maître et ami, le rabbi de Galilée.

          Avec ce dernier travail de recherches, j’étais enfin parvenu au pied de l’Everest : retrouver, derrière tout ce que les Évangiles lui ont fait dire, l’enseignement de Jésus lui-même.

          Ce fut un éblouissement : enfin démaquillé de tout ce que le christianisme avait plaqué sur son visage et sa parole, cet homme apparaissait totalement moderne, ses questions étaient les nôtres, ses réponses parlaient à notre temps.

          Mais comment mettre en forme ces précieuses pépites ?

V. L’écriture du Silence des oliviers 

          Très vite, je décidai d’abandonner la forme « essai », peu appréciée par un grand public étouffant sous les contraintes du quotidien, et qui demande qu’on le prenne par la main en l’intéressant. Il fallait écrire un roman.

          Un roman, c’est-à-dire des personnages, qui prennent la parole dans une situation où leur vie est en jeu.

          Quelle situation était plus conflictuelle que celle du peuple juif au début du 1° siècle ? Je me plongeai dans les travaux des sociologues de l’antiquité juive, pour m’imprégner du climat d’extrême tension qu’avait rencontré toute sa vie le jeune rabbi galiléen.

          Et lui-même, ses disciples, son entourage, me fournissaient (sans que j’aie rien à inventer) les personnages d’un roman. Quelle situation plus romanesque que celle d’un opposant, qui se heurte à tous les pouvoirs en place, et finit par être trahi par ses plus proches compagnons ?

          Un roman, mais dont le moindre détail devait être conforme à ce que la recherche la plus exigeante nous fait connaître des gestes et des paroles authentiques de chacun des personnages. Je savais que je ne pourrais jamais restituer une voix éteinte depuis 2000 ans : ne pouvant pas faire entendre la voix de Jésus, je ferais le portrait de cette voix.

          Un portrait : mais sous quel angle ? Où planter mon chevalet ? J’ai choisi de saisir Jésus à cet instant où il se sait trahi, devine qu’il va être arrêté, et passe ses derniers moments de liberté dans la clarté lunaire d’un jardin d’Oliviers, seul devant les étoiles.

          Il laisse alors aller sa mémoire, se souvient des étapes marquantes de sa vie – mais surtout des circonstances grâce auxquelles il est devenu lui-même.

          Il raconte sa prise de conscience qu’un monde est en train de disparaître sous ses yeux – comme l’avait enseigné son maître Jean-Baptiste. Mais de toutes ses forces il refuse son catastrophisme, et se lance dans les voies risquées de la liberté.

          Apparaissent alors les grandes lignes de l’enseignement personnel d’un rabbi juif, s’adressant à d’autres juifs à l’aube d’une apocalypse sociale et religieuse annoncée.

          Confronté à ce monde fini, Jésus a connu une maturation intérieure, on le voit inventer, progressivement, son message à lui. Rejoindre ainsi les plus grandes voix de l’humanité, et jeter des semences dont bien peu (l’Histoire le prouve) ont pris racine dans une terre fertile.

          Chemin faisant j’ai repris, en l’affinant encore, mon hypothèse : l’apôtre Pierre a été l’instigateur de la trahison de son maître, Judas est innocenté.

          Le roman se termine au moment où Jésus, à travers les branches d’oliviers, voit s’avancer la troupe de ceux qui viennent l’arrêter.

          Ầ ma connaissance, c’est la première fois qu’un écrivain tente de pénétrer ainsi dans la conscience d’un homme aussi considérable que Jésus.

          Unique en son genre, ce roman trouvera-t-il son public ? Ce n’est plus mon problème…

                               M.B., 9 avril 2011

CHOC DES CIVILISATIONS, OU FIN D’UNE CIVILISATION ?

          En 1996, Samuel P. Huntington publiait Le choc des civilisations. Il analysait la confrontation entre « L’Occident et le reste du monde », la civilisation occidentale est les autres. Il montrait qu’un choc était inévitable, et serait ravageur, entre ces deux entités : l’une cernable et définie (l’Occident), l’autre floue et mouvante (le reste du monde).

     L’analyse de Huntington ne prenait pas (ou pas suffisamment) en compte un phénomène majeur, bien exprimé par Élie Barnavi (Les religions meurtrières, Flammarion, 2006 : cliquez) : « Vous croyiez Dieu mort et enterré, ou du moins définitivement chassé de l’espace public… Vous découvrez, effaré, qu’Il revient en force, et avec quel éclat » (p. 9)

     Le retour de Dieu (ou plutôt des religions, car « Dieu » n’est pas plus présent qu’autrefois) est un phénomène nouveau, inattendu, et qui change tout. Nous découvrons que nous nous sommes trompés pendant plus d’un siècle : Dieu n’est pas mort, comme le proclamait Nietzche. Il y a bien un choc, mais c’est un choc entre religions. Comme il en a été pendant des siècles, en fait depuis que l’homme existe en sociétés.

     Pourquoi n’avons-nous pas su analyser et comprendre  ce qui nous arrive ? Parce que l’Europe s’était habituée, depuis le IV° siècle, à habiter l’intérieur d’une civilisation fondée, enracinée dans le christianisme, totalement façonnée par lui. Pour le meilleur comme pour le pire, l’Europe a été chrétienne, officiellement, depuis l’an 380 – date à laquelle l’empereur Théodose décrèta le christianisme religion officielle (et unique religion) de l’Empire romain.

     Cela a duré, inchangé, pendant 17 siècles. Et puis, en 2004, pour la première fois de son histoire, l’Europe déclare officiellement qu’elle ne reconnaît plus son identité dans le christianisme : le projet de Constitution Européenne ne comporte aucune référence chrétienne, malgré la baroud d’honneur mené par 3 pays sur 25 (l’Italie poussée par le Vatican, l’Espagne, la Pologne). L’Europe se définit comme un ensemble de sociétés marchandes, sans socle identitaire commun : ce qui ne suffit pas à faire une civilisation.


     Nous ne vivons donc pas un  « choc des civilisations », entre eux et nous : mais la confrontation entre une civilisation (le Tiers-monde, emmené par l’islam) et une non-civilisation, l’Europe. Laquelle ne représente plus une force capable de s’opposer pour exister, mais un ventre mou que pénètre, avec une extraordinaire facilité, l’islam sous toutes ses formes.

     L’Allemagne, vieille nation chrétienne, vient de prendre la présidence de l’Europe. Elle ne présidera rien, puisque l’Europe ne lutte pas à armes égales contre la civilisation, forte et sûre d’elle-même, qui lui fait face.


                        M.B., janvier 2007

IMPASSE DE L’OCCIDENT : un survol historique.

Au IV° siècle, l’Empire romain était totalement imprégné par le culte solaire de Mithra. Il s’en est fallu de peu que Julien l’apostat, formé au christianisme dans son enfance, n’impose un mithraïsme réformé, avec « médiateur » et trinité solaire, qui aurait pris la place du christianisme alors en formation.
En retour, ce culte a marqué de son influence le christianisme, puisque Jésus est souvent représenté depuis avec les attributs solaires, la liturgie ancienne l’appelle sol oriens (soleil levant), la date du 25 décembre sera choisie comme dies natalis (jour de naissance) du Christ, les églises sont toutes orientées vers l’Est…

Finalement, c’est le christianisme qui l’a emporté, peut-être grâce à son insistance sur la souffrance humaine – négligée par le mithraïsme. Un « Dieu souffrant » sédu isant plus facilement des foules souffrantes qu’un dieu solaire triomphant des ténèbres…

L’évolution du christianisme peut se schématiser ainsi :

– Un Rabbi juif est divinisé pour des raisons essentiellement « politiques », et au contact des religions à mystère de l’Empire. L’influence gnostique est forte (gnose grecque et juive).

– Pendant deux siècles, christianisme primitif et religions orientales cheminent côte à côte, en rivalité de plus en plus vi olente. Irénée est le premier à organiser la confrontation.

– En 313, Constantin publie un Décret de tolérance qui instaure une compétition politique (avantages économiques, fiscaux, exemptions..) entre christianisme et religions anciennes

– Les chrétiens, libérés par cet édit, se déchirent entre eux : sous une apparence dogmatique, ce sont surtout des querelles de pouvoir. Les sectes chrétiennes pullulent, l’Arianisme en tête qui refuse la divinité de Jésus. En 325, un concile partiel (Nicée) fixe la doctrine de la tendance dure (divin isa tion de Jésus), mais les opposants ne l’acceptent pas. L’ Empire se déchire entre un Occident catholique et un Orient Arien.

– Julien se rend compte que l’Empire romain va disparaître s’il perd son ossature religieuse et culturelle. Il tente, vers 360, une restauration du mithraïsme.

– La mort rapide de Julien fait avorter cette tentative. Comme prévu, l’Empire s’effondre.

– Sur ses restes, l’Église chrétienne s’établit par un double mouvement :

  • Persécution des religions anciennes, prise du pouvoir (privilèges politiques et sociaux), puis élimination des rivaux religieux (sauf arianisme). A la fin du IV° siècle, l’Église apparaît seule debout dans un champ de ruines.
  • Consolidation du dogme de l’Incarnation par celui de la Trinité (Chalcédoine, 451) : établissement d’une forteresse dogmatique à laquelle collaborent des esprits à la fois brillants et fanatiques d’Orient et d’Occident.

– Sur ce socle dogmatique se construit lentement l’édifice sacramentel : entre le 8° et le 10° siècle, le couple sacerdoce-épiscopat est bétonné, le célibat des prêtres défini. Autour du 10° siècle, fixation du sacrement de mariage, tissu conjonctif de la société chrétienne.

– Autour du 13° siècle, fixation de l’eucharistie : on conceptualise la transformation de la substance du pain en substance du ressuscité, grâce au recours à la philosophie aristotélicienne qu’on vient juste de redécouvrir.

– Au 11° siècle, schisme orient-occident pour raisons purement politiques. Mais il faudra attendre 1871 pour que la dernière conséquence en soit tirée : la définition du dogme de l’infaillibilité papale. Peu après, échec des conversations entre Newman et les anglicans, où l’on évoque la reconnaissance des ordinations anglicanes – qui aurait réunie à Rome l’Église d’Angleterre et ses colonies, notamment américaines.

– Au tournant du 20° siècle, 1° crise moderniste : l’Église, qui a encore une certaine vitalité intellectuelle (renouveau thomiste des années 20 à 40), réagit. Elle achève l’édifice sacramentel en définissant le « moment » de la transsubstantiation : les par ole s de la consécration et non pas l’épiclèse qui la précède – rejetant ainsi une main tendue de l’Orient, pour qui c’est l’épiclèse qui est le centre de la prière eucharistique.

2° crise moderniste : l’après-guerre. La structure hiérarchique de l’Église est mise en cause par le mouvement théologique (Congar, de Lubac, Rahner…) et social (les prêtres-ouvriers, les nouvelles fondation religieuses)

– Vatican II : ne condamne pas, mais se contente d’entrouvrir quelques portes : ministères, rapprochement avec les chrétiens « séparés »… Bien évidemment, on ne touche pas aux fondements dogmatiques. C’est un Concile « pastoral » : par ce terme qui définit son (absence d’) ambition, l’Église avoue qu’elle n’a plus les moyens de bâtir, ou de re-bâtir, un édifice doctrinal ou idéologique d’envergure.

– Le long règne de Jean-Paul II fige durablement cette pétrification de l’Église : toute recherche est condamnée (théologiens sud-américains, Drewerman), toute ouverture refermée (Gaillot), l’Église se crispe sur la morale sexuelle. Les avancées idéologiques, religieuses (au sens large) et spirituelles se font désormais en-dehors de l’Église : altermondialisme, condition de la femme, écologie, recherches sur l’identité de Jésus, méditation, retour des religions « orientales » (hindouisme, bouddhisme…).

Bref, on est revenu à une situation analogue au IV° siècle, à une différence près : l’Église n’est plus l’ad olescent fougueux d’alors, en croissance irrésistible. C’est un vieillard fatigué, ankylosé par les énormes calcifications idéologiques héritées de ses réactions ponctuelles à des situations nées en des époques successives du passé.
Mais qui, une fois pétrifiées, interdisent tout mouvement.

La chape dogmatique, faite d’éléments superposés au cours des siècles, devient le couvercle d’un cercueil qui enterre l’Église. Elle n’est plus capable que de s’agripper à cette chape, reliquat à la fois fastueux et pesant d’un passé révolu.

Prenons du recul : on voit une grande période de construction dogmatique, entre le 2° et le 4° siècle. Puis une continuation sur la lancée, qui devient par la suite une calcification.

La différence entre les conciles du IV° siècle et Vatican II est parlante : l’Église du XX° siècle a perdu tout élan constructeur, elle n’est plus qu’un conservatoire de son passé. Sa marge d’adaptation à la vie qui continue est très restreinte (quelques bricolages sans envergure) et surtout sans ambition. Au cours du 20° siècle, elle montre clairement qu’elle a perdu tout contact avec la marche de l’humanité, sur le plan religieux et humain.
Conservatisme et perte de contact allant évidemment de pair.

La question se pose : peut-on espérer un retour, dans l’Église, à sa créativité des quatre premiers siècles ? Et quand on connaît l’intrication des ambitions politiques et des objectifs religieux de cette époque fondatrice, est-ce souhaitable ?
Ou bien le besoin de vie religieuse de l’humanité va-t-il désormais s’exprimer hors l’Église, ce qui semble être le cas ?

Et alors : quel rôle notre génération (qui a encore connu une certaine Église) peut-elle, doit-elle jouer, pour que l’effacement de cette structure ne s’accompagne pas de l’effacement de Jésus ?

                    M. B., 10 janvier 2007