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Jésus d’après les recherches récentes

« Le secret du treizième apôtre », Roman, Albin Michel.

                           roman d’action (Thriller)

          Moins long que Le Nom de la Rose, moins menteur que Da Vinci Code, mais aussi passionnant qu’eux : on se balade du 1° au 20° siècle, d’une abbaye mystérieuse aux couloirs du Vatican, des Esséniens aux Templiers, d’un prélat lubrique à un moine-ermite… Sans oublier les agents secrets juif et arabe à la gachette rapide.

          Tout ça, autour d’un secret réel : il y avait bien treize apôtres autour de Jésus, et le treizième n’était pas une femme. Il est nommé 8 fois dans le IV° évangile, mais nous ne saurons jamais son nom. Car il a été farouchement effacé, gommé des textes et de la mémoire de l’Église.

          Pourquoi ?

          Savait-il quelque chose, qu’il ne fallait pas dire ? Et ce qu’il savait pourrait-il mettre en danger la survie de l’Église, donc de l’Occident ?

          Un moine français, le père Nil, va partir à la recherche de cet homme, et du secret qu’il portait en lui. Nil va se heurter non seulement aux gens du Vatican, mais à ceux du Mossad et du Hamas : car les juifs, pas plus que les musulmans ni les chrétiens, n’ont intérêt à ce que le secret du 13° apôtre sorte de l’ombre où des hommes l’ont enfoui depuis 20 siècles.

          C’est un peu érudit, mais cette érudition-là on en redemande : elle est parfaitement lisible.
         C’est vrai aussi, c’est impertinent, mais que voulez-vous, l’auteur est français.
         C’est vrai enfin, on découvre des vérités étonnantes (mais exactes) sous le manteau scintillant de la fiction.

         C’est vrai, on ne s’ennuie pas un instant.

         Et quand on repose le livre, on reste songeur. Puis on se met à penser – peut-être même à rêver.

Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a figuré sur la liste française des best-sellers. Édité au Livre de Poche, traduit en 18 langues (dont le Coréen !), best-seller en Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne.

« DIEU MALGRÉ LUI, nouvelle enquête sur Jésus »

     Le 9 avril de l’an 30, un tombeau a été trouvé vide aux portes de Jérusalem. Il aurait dû contenir un cadavre, qui avait disparu.

     Que s’est-il passé ?

          Comme un policier menant une enquête, j’ai tiré ce fil – et toute la pelote est venue. Manipulations autour de Jésus, maquillages de son identité réelle, mensonges et impostures qui sont à l’origine du plus formidable pouvoir que l’Occident ait connu pendant 17 siècles : L’Église chrétienne.

     Le style est un peu celui du romancier, mais l’enquête est menée avec la rigueur et la précision de l’historien. On découvre la présence auprès de Jésus d’un 13° apôtre, les circonstances probables de la mort de Judas, assassiné par Pierre. Les véritables raisons de la mort de Jésus, le rôle joué par les Esséniens…

     J’ai voulu restituer son humanité à Jésus le nazôréen, en le replaçant dans le contexte social, politique et religieux qui fut le sien dans une Palestine traversée de tensions. Menée entre 1995 et 2000, cette enquête a été rendue possible par le travail des chercheurs qui, depuis une cinquantaine d’années, exhument le juif Ieshua du sarcophage dans lequel l’Église l’a embaumé, sous l’identité de Jésus-Christ.

      Je ne disposais pas à l’époque des publications des exégètes américains (Meier, Brown) : si elle aurait besoin aujourd’hui de quelques ajustements, l’enquête de Dieu malgré lui reste pertinente sur le fond.

     Dans une 2° partie, j’instaure un dialogue entre deux Éveillés majeurs de notre planète : le juif Jésus et l’indien Siddartha (le Bouddha). Entreprise pour la première fois ici , cette confrontation de leurs expériences vécues jette, sur la personnalité de Jésus, une lumière inattendue et bienfaisante.

     Enfin démaquillé, le visage de Jésus m’est apparu infiniment attirant, fascinant, aimable en même temps que déroutant.

                                         M.B., 2009.

Vient de paraître « JÉSUS ET SES HÉRITIERS, mensonges et vérités ».

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                      (150 pages)
                       
     Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a été inscrit sur la liste des best seller pendant plusieurs semaines, puis traduit en 18 langues étrangères. Il vient d’être édité dans le Livre de Poche.

     Très vite, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, on m’a demandé : « Y a-t-il une vérité historique derrière ce roman ? Où s’arrête l’Histoire, où commence la fiction ? »

     Pour répondre à cette question, j’ai d’abord écrit une notice de 30 pages. Qui m’a vite semblé insuffisante : je l’ai amplifiée, et voici le résultat.

     Dieu malgré lui avait été écrit entre 1995 et 2000 : depuis, la recherche a beaucoup progressé. Si je devais refaire aujourd’hui cet essai, le fond en serait le même. Mais j’apporterais quantité de précisions, en le situant mieux dans le contexte de la « quête du Jésus historique ».
     C’est ce qui est fait dans Jésus et ses héritiers.

     Encore un livre sur Jésus ? Non. A l’éclairage direct, j’ai préféré l’indirect. 
     Que savons-nous d’historiquement fiable sur l’entourage du prophète Galiléen, sa famille, ses apôtres, le mystérieux treizième apôtre ? 
     Qui était Judas ? Est-il mort suicidé, ou bien… assassiné, et alors par qui ? Pierre fut-il l’Honnête Homme qu’on cherche à nous présenter dans le Nouveau Testament ? 
     Marie Madeleine enfin :  a-t-elle été l’amante de Jésus ? Si non, d’où vient la légende ?
     Sur tous ces personnages devenus légendaires, que disent les textes ? Écrite par les vainqueurs d’un combat pour la mémoire qui dura cinq siècles, l’Histoire qu’enseignent nos catéchismes, que répandent les romanciers, est-elle véridique ?

     Les lecteurs du Secret du treizième apôtre trouveront ici, en quelques pages, réponses à toutes leurs questions sur l’arrière-plan historique du roman. Du moins, ce qui concerne les événements du 1° siècle et du début du 2° siècle.

     En Histoire, il n’y a pas de vérités définitives : il n’y a que des hypothèses, de plus en plus affinées.
     Jésus et ses héritiers est une contribution sur ce qu’on peut dire, aujourd’hui, du mythe fondateur de notre civilisation.

                                M.B., 4 février 2008

DEMAIN LA PAQUE JUIVE : « Dans le silence des oliviers (III).

          Les juifs célèbrent Pâque la veille au soir du 14° jour du mois de Nissan, qui tombe cette année le mardi 19 avril. Ce sera le mille neuf cent quatre-vingtième anniversaire du dernier repas pris par Jésus, à Jérusalem, dans la salle haute prêtée pour l’occasion par son ami le disciple bien-aimé.

           Dans le silence des oliviers j’ai raconté cette soirée en me plaçant du point de vue du petit rabbi provincial d’alors, obligé de se cacher depuis que les autorités juives avaient lancé un mandat d’arrêt contre lui.

           Ầ cette époque, les juifs se cotisaient pour acheter un agneau, qui était sacrifié au Temple (transformé pour l’occasion en immense abattoir) le jour de la Préparation. Ce n’était pas une question de richesse ou de pauvreté : un juif ne célèbre jamais Pâque seul, mais avec tout son peuple. On se partageait ensuite la viande entre voisins, avant de la manger en famille.

           Le rite de l’agneau a disparu avec la destruction du Temple en 70. Le cérémonial actuel de Pesha a été fixé au haut Moyen âge, mais il conserve quelques points communs avec la façon dont les juifs le pratiquaient à l’époque de Jésus.

 Le 6 avril 30 au soir : un repas pascal ?

           Il est admis par tous que la « sainte Cène » n’a pas été un repas pascal : notamment, parce que la clandestinité forcée des treize galiléens les empêchait d’accomplir le rite public et communautaire de l’agneau.

          Pourtant, cela n’a pas été un repas ordinaire.

          Les Évangiles en ont retenu le partage du pain et du vin avec leurs bénédictions, précédé d’un baptême effectué par Jésus, accompagné de deux homélies et suivi du chant des psaumes. Ces textes ont été scrutés à la loupe par des centaines de spécialistes : tout bien considéré, il semble que Jésus ait voulu suivre le rituel pratiqué par les esséniens à Qumrân. Et j’en donne les raisons dans Le silence des oliviers.

 Seder Pesha : la Pâque juive aujourd’hui

           C’est une liturgie familiale, dont je voudrais simplement évoquer trois phrases, codifiées par le rituel.

 I. « Pourquoi ce soir, ce repas, ne sont-ils pas comme les autres ? »

           Toujours, c’est un enfant qui doit poser cette question. Son père ne lui répond pas par un cours d’histoire : il lui rappelle à cette occasion des souvenirs collectifs, afin que l’enfant les fasse sien.

          Parce que pour un juif, l’Histoire n’est pas une chose figée, qu’on évoquerait comme une réalité d’autrefois, morte.

          L’Histoire se fait aujourd’hui. Le passé doit rester à l’état de souvenirs, pour ne pas être construit comme un édifice achevé, qu’on visiterait de l’extérieur. L’enfant (qui n’a pas de passé) pénètre dans les souvenirs de son peuple dispersé pour devenir, à son tour, l’un des acteurs de l’Histoire en train de se faire.

 II. « Quiconque a faim, qu’il vienne et mange. Quiconque est dans le besoin, qu’il vienne et célèbre Pesha avec nous. »

           C’est par cette déclaration solennelle que le père introduit les rites du pain, du vin, des herbes amères.

           « Quiconque » : en hébreu kôl, c’est-à-dire tous – et pas seulement les juifs. Repas qui manifeste l’unité et le particularisme du peuple juif, Pesha est explicitement ouvert à toute l’humanité.

           On retrouve cette caractéristique dans la parole prononcée par Jésus, « Ceci est mon sang, versé pour la multitude ». Et c’est pourquoi, dans Le silence…, j’ai conservé cette phrase. Elle confirme ce que tout le roman souligne, que Jésus s’est délibérément situé dans le prolongement du prophétisme d’Israël, qui a toujours été universaliste.

 III. « Cette année encore ici, l’an prochain hommes libres. »

           La liberté dont il s’agit ici n’est pas physique : il n’y a plus d’esclaves juifs. Elle est intérieure.

          Mais sur ce point précis, Jésus a fait éclater le judaïsme. Pour lui, la liberté intérieure – c’est-à-dire la fin de la danse du Mal dans nos vies -, ce n’est pas pour « l’an prochain » : c’est pour maintenant, tout de suite.

          Dans Le silence…, j’ai montré l’émergence progressive, dans sa conscience comme dans son enseignement, de cette affirmation centrale : c’est aujourd’hui, et non pas demain ou l’an prochain, que naît un monde nouveau.

          Aujourd’hui, la liberté.

           Rupture totale, nouveauté radicale qui aurait pu changer le monde si elle avait été comprise et entendue : parce qu’elle mettait fin à toutes les attentes messianiques qui sont à la racine profonde du judaïsme, comme du christianisme et de l’islam. Et qui justifient les guerres de ces religions, ainsi que l’acceptation et l’exploitation par leurs clergés des souffrances subies ici-bas par leurs croyants, au nom de lendemains qui chanteront un jour.

           Demain soir 18 avril-nissan, les juifs du monde entier se réuniront une nouvelle fois en famille autour de la table du Seder Pesha.

          Notre amitié les accompagne. Leur fête nous rappelle l’Histoire d’autrefois, ces treize galiléens traqués un soir identique à celui-là, sous la même pleine lune.

           Comme eux nous tenterons de nous souvenir, pour faire advenir l’Histoire. Non pas l’an prochain, mais aujourd’hui.

                                      M.B., 18 avril 2011

CRISE DE L’AUTORITÉ (Michel Maffesoli)

          Assisté hier à une conférence du Pr. Michel Maffesoli à l’Université Pour Tous de Chantilly.

          Remarquable : il a su à la fois dégager clairement les racines d’une crise que nous vivons quotidiennement, et indiquer ce qui lui semble être sa seule issue possible : le ré-enchantement du monde (titre d’un de ses livres).

1) Le père, ou l’autorité verticale

            L’exercice le plus fréquent de l’autorité sur cette planète a été, et est toujours en bonne partie, vertical. L’autorité vient d’en-haut. C’est celle du Paterfamilias, qui détient le savoir et donc le pouvoir : « Je sais : parce que je suis plus ancien, parce que j’ai été bien formé, parce que je détiens les leviers … et, tout simplement, parce que c’est ainsi. Toi, tu ne sais pas : parce que tu es plus jeune, parce que tu as été moins bien formé que moi, parce que tu ne détiens rien… et, tout simplement, parce que c’est ainsi. Moi qui sais, je te dis à toi ce que tu dois penser, ressentir – et donc faire »

            Venant d’en-haut, le savoir source de pouvoir est reçu et diffusé dans la masse. Il la conduira nécessairement au progrès, qui est infini et source de bonheur.        

 2) Les frères, ou l’autorité horizontale

            A partir des années 1960 on voit naître et s’affirmer une autre dimension de l’autorité, horizontale. Ce n’est plus un père ou un chef qui détient les clefs du savoir/pouvoir, mais des frères qui les partagent. Ce qui n’était qu’une utopie va devenir une réalité grâce à l’explosion des nouvelles technologies de communications, Internet et ses dérivés.

            L’autorité fraternelle que l’interconnexion multiple rend possible est celle du groupe, ou plutôt d’une multitude de sous-groupes appelés « communautés ». Ce transfert d’autorité/savoir de la dimension verticale à la dimension horizontale suscite de vives inquiétudes au sein de nos sociétés : on entend ceux qui détiennent encore le pouvoir vertical parler de « communautarisme« , ce qui est une façon de stigmatiser le nouvel équilibre en train de se mettre en place, tout en exacerbant ses tensions.

              Et Jésus ?

(a) Juif, formé par les pharisiens et considéré par ses contemporains comme l’un d’entre eux, Jésus fait appel à l’autorité verticale. Dans toute une partie de son enseignement, il se réfère au Dieu de Moïse : il n’est pas venu « abolir la Loi » qui descend d’en-haut.

            Mais, à l’autorité reçue de sa tradition et de sa structure socio-politique natale, il substitue très vite sa propre autorité : « On vous a dit… eh bien, moi, je vous dis ! ». Cet « on » dont il prend la place, c’est toute la chaîne verticale de savoir/autorité qui va de l’autel du Temple aux obligations cultuelles quotidiennes imposées par les sadducéens, ou bien qui va de la Loi aux prescriptions légales minutieusement mises au point par les pharisiens.

            Cette chaîne dont les maillons viennent d’en-haut pour asservir le peuple, Jésus la brise (« On vous a dit »). Mais il semble la remplacer par une nouvelle chaîne dont il serait, lui, le premier maillon (« Et moi, je vous dis »).

            Jésus n’aurait-il fait que remplacer une autorité verticale (celle qui vient de « Dieu ») par une autre (celle qui vient de lui) ? Est-ce de sa part un coup d’État, dont il serait à la fois l’initiateur et le seul bénéficiaire ?

             (b) Non. Car en instaurant la « Loi du cœur » [1]  il fait de chacun le détenteur du savoir (celui du « cœur » pur) et du pouvoir (celui de se déterminer en fonction du coeur, quitte à enfreindre la loi verticale).

            Jésus ne se présente pas comme le premier maillon d’une nouvelle chaîne d’autorité, verticale, dont il serait le « père » fondateur. Il renvoie chacun à son « cœur ». Il me dit : « Purifie ton cœur, et tu n’auras désormais plus d’autre autorité normative que ce qui sort de ton cœur purifié ».

            Ceci, dans le judaïsme comme dans toute l’Antiquité, était une nouveauté absolue. Socrate, qui avait entrevu quelque chose de ce genre, a dû se donner la mort, rejeté par la société grecque de son temps. Et Jésus a été condamné par sa société juive pour avoir remplacé la loi paternelle, verticale, par sa « loi du cœur », totalement incomprise.

            Eût-elle d’ailleurs été comprise par ses contemporains, elle était irrecevable. Une société régie par la « loi du cœur » supposerait que tous les citoyens cherchent à purifier leur cœur, pour agir selon ce qu’un cœur pur leur dictera. Tous étant bons, le bien social serait assuré. Utopie sociale, totalement irréalisable.

            Jésus ne se situe donc pas au croisement entre l’autorité verticale et l’autorité horizontale : ce qu’il propose, c’est une troisième voie, originale, jamais enseignée avant lui. Et jamais mise en pratique par une société quelconque, qu’elle soit civile ou religieuse.

            Car son enseignement ne peut s’appliquer qu’au niveau individuel de la conscience et de l’action. Il ne substitue pas à l’autorité verticale une autorité horizontale, fraternelle : et l’Église primitive, quand elle tentera vaguement d’instaurer le « cœur purifié » comme règle normative sociale, connaîtra un échec immédiat si cuisant qu’elle deviendra, pour tous les siècles, la propagatrice d’une autorité verticale/paternelle poussée aux plus grands extrêmes.

             Jésus propose donc une voie individuelle, qui permet à chacun de s’accommoder de toute forme d’autorité. Es-tu dans un régime d’autorité verticale, paternelle, allant jusqu’à la dictature de l’esprit ou des corps ? Purifie ton cœur, et tu sauras comment naviguer dans ces eaux douloureuses.
Es-tu au contraire au sein d’un grenouillement de communautés éclatées, dans une société en pleine recomposition, qui semble ne plus avoir aucune ligne directrice, ne plus savoir où elle va parce qu’elle a oublié d’où elle vient ? Purifie ton cœur, et tu trouveras en lui un gouvernail sûr et solide pour tracer ton sillage dans ces temps incertains.

                        M.B., 3 février 2008

[1] Marc chap. 7 et parallèles

 

JÉSUS A-T-IL ÉTÉ L’AMANT DE MARIE-MADELEINE ?

          Au commencement Dieu créa les homme          puis les hommes créèrent des dieux. (1)

l’auteur du Da Vinci Code a pillé une vieille légende, remise au goût du jour par l’affaire de Rennes-le-château : Jésus aurait été l’amant de Marie-Madeleine, et des enfants seraient nés de leur union sexuelle.

L’origine de cette légende se trouve dans un passage de L’Évangile de Philippe, texte gnostique du II°- III° siècle découvert parmi les manuscrits coptes de Nag Hamadi en 1947 :

« La Sagesse que l’on croit stérile  est la mère des anges.

La compagne du Fils est Marie de Magdala.

Le Maître aimait Marie plus que tous ses disciples,

Il l’embrassait souvent sur la bouche » (2)

Dan Brown a sorti cette phrase de son contexte, et s’en est servi dans un but purement commercial.

 Le contexte : un judaïsme devenu gnostique

Les textes gnostiques sont tous imprégnés d’un profond mépris pour le corps : « Malheur à vous… qui vous en remettez à la chair, cette prison qui périré  » (3) Parce que « celui qui a connu l’univers a trouvé un cadavre » (4), pour les gnostiques l’acte sexuel plonge l’ « homme de lumière » dans la ténèbre (5) : « Tous les corps façonnés périront. Ne sont-ils pas nés de rapports [sexuels] semblables à ceux des bêtes ? » (6). Et encore : « Ne crains pas la chair et n’en sois pas amoureux. Si tu la crains elle te dominera, et si tu l’aimes elle te paralysera et te dévorera » (7)

Mais on oublie toujours de dire que les textes gnostiques viennent du judaïsme prophétique, et se prolongeront dans la kabbale juive : mouvement mystique plus que philosophique, pour qui l’union entre l’homme et Dieu est de nature nuptiale. « La chambre nuptiale n’est pas pour les animaux… ni pour les hommes et les femmes impurs. Elle est pour les êtres libres, simples et silencieux » (8). « La chambre nuptiale est le Saint des Saints »(9)

Les gnostiques connaissent donc deux sortes d’unions : l’une, grossière, l’union charnelle des corps. L’autre, spirituelle, l’union nuptiale – aboutissement de la gnose.

Le Jésus des gnostiques ne pouvait forniquer avec Marie-Madeleine : c’eût été tomber dans la déchéance qu’il condamne lui-même : « O incomparable amour de la lumière, s’exc lam e-t-il ! O tristesse du feu qui brûle le corps des hommes, les consumant nuit et jour… lui qui les fait s’unir entre mâles et femelles… et qui les agite secrètement et ouvertement ! Celui qui cherche la vérité auprès de la vraie sagesse doit fuir la volupté, qui détruit l’Homme » (9)

 Le baiser de la prééminence

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le baiser de Jésus sur la bouche de Marie-Madeleine, celui des prophètes et du Cantique des Cantiques (« Qu’il me baise des baisers de sa bouche », 1,2) : bref, du mysticisme juif. « La bouche est la source et la sortie du souffle, et lorsque le baiser se pose sur la bouche, un  souffle s’unit à un souffle… à plus forte raison des souffles intérieurs ! » (10)

Ce « souffle intérieur » c’est le ruah, qui désigne indistinctement dans le judaïsme le souffle et l’esprit. Que les Grecs ont traduit pneuma, les Latins spiritus.

Le « baiser sur la bouche » que donne Jésus à Marie-Madeleine est donc un terme codé du gnosticisme : il signifie l’entente, la compréhension mutuelle, la connivence particulière qui existaient entre cet homme et cette femme. Et la transmission d’une Vérité plus haute.

Dans le contexte, il n’a aucune signification érotique.

Marie Madeleine faisait partie du cercle des intimes de Jésus : elle est présente au pied de la croix, elle est la première témoin de ses apparitions – avant les apôtres.

C’est cette intimité que l’Évangile de Philippe traduit par l’image du « baiser sur la bouche ». Allusion codée mais sans équivoque au cheminement mystique qu’il propose aux « parfaits », les gnostiques : ceux qui possèdent la connaissance intime du message de Jésus.

Cela, et rien d’autre.

Un second texte de Nag Hamadi, l’Évangile de Marie, décrit des relations difficiles entre les apôtres et Marie-Madeleine. « Les disciples étaient dans la peine… Marie se leva, embrassa tous [les disciples] et dit à ses frères [les apôtres] : « Ne soyez pas dans la peine et le doute… » Pierre lui répondit : « Sœur, nous savons que le Maître t’a aimée différemment des autres femmes. Dis-nous les parole s qu’il t’a dites… » (11)

Cette fois-ci, Marie embrasse tous les disciples : était-elle donc l’amante de tous ces hommes ? Ou bien ce baiser signifie-t-il qu’elle veut les introduire dans une gnose, celle qu’elle a reçue de Jésus ? Et en effet, juste après elle leur parle et « par ces paroles, elle tourna leurs cœurs vers le Bien » (12). Pierre avoue qu’elle a compris mieux que lui l’enseignement de Jésus : le Maître l’a aimée différemment des autres femmes – c’est-à-dire différemment de la façon dont les autres femmes se font aimer, physiquement. Et la preuve, c’est la qualité de son enseignement…

Alors (selon ce texte) éclate la jalousie d’André : « André prit la parole et s’adressa à ses frères : « Dites, que pensez-vous de ce qu’elle vient de raconter ? … Ces pensées diffèrent de celles que nous avons connues » Pierre ajouta « Est-il possible que le Maître se soit entretenu ainsi, avec une femme, sur des secrets que nous, nous ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes, écouter cette femme ? L’a-t-il vraiment choisie et préférée à nous ? » (13)

On retrouve ici l’écho d’un conflit qui parcourt tous les Évangiles canoniques, mais qui a été occulté par l’Église depuis les origines : la lutte pour le pouvoir. Tous veulent être « à la première place » (14) : quelqu’un d’autre va-t-il leur ravir cette première place, parce que plus proche du Maître qu’eux ? Et ce quelqu’un sera-t-il en plus une femme, déchéance suprême pour des hommes convaincus de leur supériorité de mâles ?

Cela, Pierre ne l’admet pas : « Simon Pierre dit ceci [aux disciples] : « Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. Jésus a dit : Voici, moi je la guiderai afin de la rendre mâle, de sorte qu’elle aussi puisse devenir un esprit vivant, semblable à vous, hommes mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera au royaume des Cieux » (15)

Que Marie « se fasse mâle », qu’elle abandonne sa féminité : et alors seulement elle pourra devenir gnostique, car la femme n’est pas digne de la gnose, la connaissance parfaite.

« Alors Marie pleura. Elle dit à Pierre : « Mon frère Pierre, qu’as-tu dans la tête ? Crois-tu que c’est toute seule, dans mon imagination… que je dise des mensonges à propos des enseignements du Maître ? » (16). En pleurant, Marie témoigne de sa faiblesse, c’est à dire de sa féminité. Alors Lévi prend sa défense, confirmant ce que nous apprennent par ailleurs les Évangiles canoniques : le tempérament violent de Pierre, sa volonté de puissance :

« Lévi prit la parole : « Pierre, tu as toujours été un emporté. Je te vois maintenant t’acharner contre la femme, comme le font nos adversaires. Pourtant, si le Maître l’a rendue digne, qui es-tu pour la rejeter ? Assurément, le Maître la connaît très bien : il l’a aimée plus que nous » (17)

Le Maître la connaît très bien : s’agit-il d’une « connaissance » biblique, charnelle ? Non, puisque Lévi précise : « Laissons [la Vérité dans son entièreté] prendre racine en nous… partons annoncer l’Évangile » dans sa totalité gnostique (18).

  La gnose universelle

             Pierre ne supporte pas qu’une femme passe avant lui, au motif qu’elle aurait pénétré plus avant que lui dans l’intimité de Jésus : de même qu’il ne pouvait supporter la présence et l’enseignement du disciple bien-aimé de Jésus, dont le nom comme la mémoire seront effacés de tous les textes, sauf du IV° Évangile.

Il ne peut supporter qu’une connaissance plus intime de Jésus soit transmise par d’autres que la Grande Église, qu’il contrôle. Que l’entrée dans la chambre nuptiale mystique ne lui soit pas accordée, à lui, alors que cette chambre s’ouvre à une femme.

Marie-Madeleine fut-elle la seule à partager le « souffle intérieur » de Jésus par le baiser mystique ? D’après l ‘Évangile selon Thomas, les gnostiques reconnurent ce privilège à une seconde femme. Ici, le contexte prend tout son sens : « Jésus dit : Deux personnes iront se reposer sur un lit : l’une mourra, l’autre vivra (19). Salomé dit : Qui es-tu, homme, pour être – toi qui es issu de l’Unique – monté dans mon lit ? Et pour avoir mangé à ma table ? Jésus lui répondit : Je suis celui qui tient son être de celui qui est juste… » (20)

Si Dan Brown avait lu ce logion de l’Évangile selon Thomas, il aurait pu augmenter les ventes de son livre en aug mentant le nombre des amantes supposée de Jésus. Salomé n’avoue-t-elle pas que Jésus est monté dans son lit ?

Vocabulaire mystique de la chambre nuptiale. « Quand vous ferez de deux un seul et que vous ferez que ce qui est au-dedans soit au-dehors, et que ce qui est au-dehors soit en-dedans… quand vous mettrez une image à la place d’une image, alors vous entrerez dans le royaume » promis par la gnose (21).

C’est ainsi qu’il faut comprendre le passage de l’Évangile de Philippe utilisé par Dan Brown :

« La Sagesse que l’on croit stérile  est la mère des anges

La compagne du Fils est Marie de Magdala.

Le Maître aimait Marie plus que tous ses disciples,

Il l’embrassait souvent sur la bouche  » (22)

La Sagesse, en gnosticisme, c’est Celui qui est né de l’Un, Jésus. On (les impurs) la croit stérile : mais elle est mère des anges, c’est à dire des messagers de la Vérité. « Le parfait Seigneur (23) dit : Je suis venu de l’Un afin de pouvoir vous instruire de toute chose. L’Esprit, qui était un géniteur, avait le pouvoir d’engendrer et de donner forme… à d’autres esprits de la génération inébranlable » (24).

Marie-Madeleine, Salomé : deux représentants de cette « génération inébranlable » qui a été ensemencée par l’enseignement du Géniteur, échangeant avec lui le baiser sur la bouche, souffle à souffle, et partageant avec lui le lit de la chambre nuptiale comme tous les « parfaits ».

En donnant à deux femmes la prééminence sur le troupeau des disciples mâles (et fiers de l’être), les Évangiles gnostiques se montrent fidèles à l’attitude de Jésus, qui avait admis dans son cercle restreint plusieurs femelles. Un seul témoin canonique rapportera la réprobation des apôtres devant l’attitude de leur Maître : le treizième apôtre, dont le récit (amplifié et corrigé par la suite) figure toujours dans le IV° Évangile. « Ses disciples arrivèrent, et s’étonnèrent qu’il parle à une femme » (Jn 4,25). Cet Évangile, qui n’a été reconnu par l’Église que bien après les synoptiques, était le préféré des gnostiques. Faut-il s’en étonner ?

La gnose est universelle, elle admet que des femmes ont pu être « compagnes » de Jésus : l’Église, elle, protège son pouvoir masculin.

La Sagesse s’unit aux hommes (ou aux femmes !) dans la chambre nuptiale. Elle s’unit à eux (à elles) dans un baiser sur la bouche, où le souffle-Esprit divin se mêle au souffle-esprit humain pour enfanter la Vérité, la gnose parfaite.

Évidemment, il n’y a pas là de quoi faire un best-seller. Ni chatouiller les curiosités malsaines, pour faire de l’argent.

Jésus a toujours refusé le pouvoir de l’argent. Pierre refusera l’offre de Simon-le-magicien, qui lui proposait de l’argent en échange d’une part de pouvoir. Siddartha Gautama refuse à plusieurs reprises de « faire des miracles » pour attirer les foules et se faire ouvrir leurs portefeuilles (25).

                       M.B., 14 décembre 2006
      N.B. :. Ce texte a été repris, et adapté pour le grand public, dans un court essai, Jésus et ses héritiers, mensonges et vérités, dont il forme le dernier chapitre.

 (1) Ph 84 (Évangile de Philippe, publié par Jean-Yves Leloup, Albin Michel, 2003)

 (2) Ph 55.

 (3) ThC 16 (Le livre de Thomas le champion, in Textes gnostiques de Shenesêt, Par ole s gnostiques du Christ Jésus présenté par André Wautier, Ganesha, Montréal, 1988)

 (4) Th 56 (L’ Évangile selon Thomas, id.) : « connaître l’univers »  est une métaphore d’ordre sexuel.

 (5) Th 24.

 (6) ThC 5 (cf. Th 7)

(7) Ph 62.

 (8) Ph 73.

 (9) Ph 76.

 (10) ThC 8.

 (11) Pirouch Esser sefirot belima, cité par J.Y. Leloup, op. cit. p. 51.

 (12) Évangile de Marie, présenté par J.Y. Leloup, Albin Michel 1997, pp. 35 et 37.

 (13) Id., p. 35.

 (14) Id, p. 47.

 (15) J’ai analysé les racines et les conséquences de ce conflit oublié dans Dieu malgré lui, Ro ber t Laffont 2001.

 (16) Th 114.

 (17) Évangile de Marie, op. cit. p. 45.

(18) Id., p. 45

 (19) id. p. 45.

 (20) Cf. Lc 17,34 : « Je vous le dis : en cette nuit-là [celle de la fin du monde], deux seront sur le même lit. L’un sera pris, et l’autre laissé » Les gnostiques interprètent cette phrase dans un sens mystique : dans leur langage codé, l’union intime avec Dieu se réalise sur le lit de la « chambre nuptiale ».

 (21) Th 61.

 (22) Th 22.

 (23) Ph 55.

 (24) Noter ce qualificatif : « Parfait » ici signifie « ayant accompli la gnose », « Maître gnostique ».

 (25) La Sophia de Jésus le Christ,7, in André Wautier, op. cit p. 29.

 (26) Kevaddha Sutta, cité et commenté dans Dieu malgré lui, p. 292.

JÉSUS ÉTAIT-IL CHRÉTIEN ?

     La réaction d’un lecteur m’amène à préciser mon précédent article (« Redevenir chrétien ? »). Je disais « Si Jésus est juif, les évangiles sont juifs« . Formule provocante, donc à la fois juste et fausse.

     Jésus est juif. Ce fait a été passé sous silence pendant 19 siècles. C’est seulement depuis les années 1970 que la « troisième étape de la quête du Jésus historique » a vu des dizaines de chercheurs protestants, catholiques et juifs, reconnaître la judaïté de Jésus et publier des ouvrages (parfois fort techniques) sur ce sujet.

     Pendant 19 siècles, la chrétienté n’a pas proclamé Jésus, mais le Christ. Or Jésus n’était pas chrétien, il était juif.

     L’enseignement de Jésus est celui d’un juif, qui s’adressait à d’autres juifs. Mais d’un juif du 1° siècle, qui vient après toute une tradition, en train d’évoluer à son époque vers le rabbinisme qui donnera à la fin du II° siècle la Mishna, noyau originel du Talmud.

     Cet enseignement a été corrigé, par étapes successives, au cours de la mise par écrit des évangiles. On connaît maintenant bien ce processus, et l’on parvient à remonter, non pas aux « paroles mêmes de Jésus » (Jeremias), mais à l’événement ou à la parole qui trouve le plus vraisemblablement sa source dans le Jésus historique (Meier).

     Contrairement à Bultmann, il ne faut pas dire que rien du Jésus historique (juif) ne peut être retrouvé dans évangiles actuels : on parvient, au contraire, à identifier quantité de logia (dits ou paroles) qui trouvent bien dans Jésus lui-même leur origine. Ils se caractérisent tous par une forte tonalité juive, dans la forme et dans le fond.

     Mais en même temps, on remarque que le rabbi itinérant juif se démarque du judaïsme de son époque. La distance qu’il prend par rapport à l’enseignement de la Loi (pharisiens), à la pratique « sacramentelle » de son temps (sadducéens), à l’occupant romain (zélotes et hérodiens), est telle qu’elle va conduire les dirigeants juifs de Jérusalem (et non « tout le peuple juif ») à le livrer au pouvoir romain, avec une accusation politique (il s’est fait roi des juifs) et non religieuse (il a prétendu être Dieu)

     Maintenant qu’on sait que Jésus le juif a enseigné et vécu en juif, mais qu’il a aussi pris des distances considérables envers le judaïsme de ses pères, la question fondamentale – celle qui devrait rassembler toutes les forces de la chrétienté agonisante afin de survivre, et de transmettre au monde post-chrétien un message de vie, d’espoir en même temps que de subversion, cette question est simple :

 Qu’est-ce que Jésus apporte de nouveau au judaïsme ?

     Ce blog n’est pas le cadre adapté à la réponse. J’y réponds dans Jésus, Mémoires d’un Juif ordinaire (Albin Michel, cliquez). On découvre un Jésus fascinant, profondément aimable et aimant, capable de nous mener avec sureté au terme du chemin d’Éveil.

     Car dans ce monde de l’invisible, où les charlatans foisonnent depuis des siècles, Jésus se montre un guide solide, sûr, en qui on peut avoir confiance.

                           M.B., 1° octobre 2007

REDÉCOUVERTE DE JÉSUS ET DÉSTABILISATION

          Il y a une trentaine d’années, la « Quête du Jésus historique » a pris un tournant décisif. Il s’agit d’un mouvement, initié à la fin du XVIII° siècle, de chercheurs qui distinguaient le « Jésus de l’Histoire » du Christ de la foi.

          Ce tournant décisif, ce fut la redécouverte d’un fait jusque là passé à la trappe : Jésus était juif. C’est évident, direz-vous ! Eh bien non, cela ne l’est pas. Le fondateur du christianisme, un youpin ? Jamais ! Notre Christ à nous, il est né à Rome, de culture gréco-latine, et il est peut-être mort à Auschwitz : cela, c’était politiquement correct.

          Le grand public, en France et Allemagne, a été averti des progrès de la recherche  au moment de la série d’émissions Corpus Christi : les origines du christianisme, projetées sur ARTE et produites par Mordillat et Prieur (cliquez).

          Ces deux auteurs ont ensuite publié deux livres sur le sujet : ils prennent des précautions de démineur pour en dire assez, sans en dire trop… Et c’est le cas de la plupart des historiens, théologiens et exégètes qui publient sur ce sujet.

          En effet, découvrir Jésus tel qu’en lui-même – et non tel que l’ont transformé vingt siècles d’idéologie chrétienne, une idéologie fondatrice de notre civilisation, c’est extrêmement déstabilisant.

          Je reçois ainsi des courriers de lecteurs, qui me disent combien ils ont été secoués en me lisant…

          Quand j’ai rouvert moi-même ce dossier, vers 1994, j’ai été profondément perturbé : tout ce que j’avais appris, cru et cru savoir, s’écroulait. Des pans de murs, des murs entiers tombaient l’un après l’autre dans un nuage de décombres qui obscurcissaient la vue et empêchaient de respirer. Et puis, peu à peu, un visage s’est dégagé de l’épaisse poussière des gravats : le visage d’un homme infiniment attachant, aimable, aimant. Totalement subversif,  mais en même temps totalement rempli de compassion, doux et humble de coeur.

          Je voudrais rassurer ceux qui s’intéressent à cette « Quête du Jésus historique », et s’en trouvent déstabilisés.

          D’abord, c’est la seuls chose qui « bouge » dans un paysage de post-chrétienté complètement désertique. L’Église ne se montre plus capable que de répéter ce qui a fait sa grandeur et sa puissance : sans se rendre compte que cette marchandise-là n’est plus achetée, qu’elle n’est même plus vendable…

           Ensuite et surtout, ils découvriront – s’ils sont honnêtes et résolus – ce visage tellement fascinant, ils entendront sa voix.

     En découvrant ce qu’on lui a fait dire pour justifier le pouvoir de ce qui allait devenir l’Église, ils découvriront ce qu’il a vraiment dit ou voulu dire, ce qu’il a vraiment fait ou voulu faire.

     Et cette découverte, elle est rafraîchissante !

     Il y faut de la patience, car les quêteurs du Jésus historique sont extrêmement discrets, on les entend à peine. Il y faut de la persévérance, car aucune Église n’est prête à relayer cette quête toute récente. On s’y sent un peu seuls…

     Mais dès que le visage de Jésus sort de la poussière et de l’ombre, on n’est jamais plus seuls.

     En mars 2008, sortira chez Albin Michel Jésus et ses Héritiers (cliquez),court essai où je reprends les choses à la lumière des recherches les plus récentes. Je m’y attache aux héritiers présumés de Jésus, ceux sur lesquels nous avons des informations.

         Courage donc à ceux qui cherchent : plus on s’avance vers cet homme, et plus le chemin semble court, la lumière vive, douce et paisible.

                                                         M.B., 20 novembre 2007

UN LIVRRE SUR JÉSUS DU PAPE RATZINGER (I.)

          Le pape de Rome vient de publier un livre sur Jésus (1) : une petite révolution.
          Depuis la fin de l’antiquité, les papes ne se sont jamais exprimés en matière dogmatique que de façon officielle, ex cathedra. Leur parole était considérée comme normative et définitive : sans s’expliquer, de façon convenue, brève et lapidaire, ils définissaient le vrai. Ils ne débattaient pas, ne discutaient pas : ils condamnaient l’hérésie sans appel, sans argumentation, sans justification.

         Déjà Jean-Paul II avait publié, en 2004, un livre en son nom propre. Mais le sujet ne touchait pas directement au dogme fondateur du christianisme : Homme et Femme il les créa, il (ne) s’agissait (que) de morale sexuelle.
          Tandis que Jésus de Nazareth concerne l’identité même du christianisme, en la personne de son « fondateur ». Imagine-t-on, en 325 ou en 481, les conciles de Nicée ou Chalcédoine publiant un volume de plus de quatre cent pages, savant et argumenté ?

          « Je n’ai pas besoin de dire expressément que ce livre n’est en aucune manière un acte de magistère, écrit le pape, mais uniquement l’expression de ma quête personnelle… Aussi chacun est-il libre de me contredire ». Les cendres de Constantin, d’Athanase ou de St Léon doivent s’agiter : les imagine-t-on, sur un sujet aussi sensible que l’identité de Jésus, dire que « chacun était libre de les contredire » ? Arius ou Eutychès auraient certainement apprécié.
          Sur la couverture, le nom de l’auteur lui-même est double : « Joseph Ratzinger, Benoît XVI ». Qui écrit ? Est-ce Ratzinger, ou bien est-ce le pape ? Chacun est libre d’en juger. Sur pareil sujet la chose est toute nouvelle, sans précédent.

          Un pape, enfin, va cesser de condamner. Il éclairera, il expliquera à ceux qui cherchent.

          Je lis avec vous l’ Avant-Propos, où l’auteur expose en 13 pages sa méthode.
               On y découvre sans surprise qu’il connaît bien l’état de la recherche sur Jésus. « Depuis les années 1950, le fossé s’est élargi entre le « Jésus historique » et le « Christ de la foi » : les deux figures se sont éloignées l’une de l’autre à vue d’œil ».

          Mais après cet honnête constat de Ratzinger, c’est Benoît XVI qui parle : « Que peut bien signifier la foi en Jésus le Christ, en Jésus le Fils du Dieu vivant, dès lors que l’homme Jésus est si différent de celui que les Évangiles représentent et de celui que l’Église proclame à partir des Évangiles ? »
          Dès la première page de cet Avant-Propos, les choses sont donc claires.

         Ainsi, « Les progrès de la recherche historico-critique ont débouché sur… une figure de Jésus de plus en plus floue, voire évanescente […] Force est de constater que ces reconstitutions reflètent davantage leurs auteurs et leurs idéaux qu’elles ne mettent au jour l’icône du Christ ».

         Puis il cite son maître Schnackenburg : « La recherche scientifique a rendu [les croyants] incertains quant à la possibilité de garder la foi dans la personne de Jésus Christ sauveur du monde… Les efforts entrepris par l’exégèse scientifique […] nous entraîneront dans un débat permanent, … qui ne s’arrêtera jamais ». Et quand Schnackenburg suggère que « les Évangiles habillent de chair la figure mystérieuse du Fils de Dieu apparu sur terre », le pape le corrige : « Les Évangiles n’avaient pas besoin d’ « habiller » Jésus de chair, puisqu’il avait réellement pris chair. Reste à savoir s’il est possible de traverser le maquis des traditions [bibliques] pour trouver cette chair »

          En toute logique, le pape désosse ensuite la méthode historique. « En tant que méthode historique, elle postule la régularité du contexte dans lequel se sont déroulés les événements de l’Histoire ». Elle est donc incapable de percevoir « la plus-value que recèle la parole ». Pour la forme, il rend hommage à la méthode historico-critique, mais conclut : « Il devient évident… que cette méthode, de par sa nature, renvoie à quelque chose qui la dépasse et qu’elle est intrinsèquement ouverte à des méthodes complémentaires »
          Déjà en 1907, Pie X, dans l’encyclique Pascendi, condamnait la méthode historico-critique « agnostique, immanentiste, qui poursuit un prétendu progrès… en se réclamant du point de vue historique ».

          Traduisons la langue de bois de Benoît XVI : Je ne peux plus, comme mon prédécesseur, condamner les avancées de l’Histoire. Mais je vous explique : elles ont besoin de « méthodes complémentaires ». C’est-à-dire que la Bible « lue dans son ensemble… prolonge organiquement la méthode historico-critique… et la transforme en théologie proprement dite ».
          Et qu’est-ce qui « transforme » les paroles et les faits rapportés par la Bible en « inspiration » ? C’est que « l’auteur parle au sein d’une communauté vivante… dans laquelle une force directrice supérieure est à l’œuvre ».

          Trop de chercheurs ont fait progresser la « quête du Jésus historique ». On ne peut ignorer ce courant de plus en plus fort, qui trouble les croyants : mais on ne condamne plus. On encense l’ennemi, on s’incline devant lui pour mieux nier son existence et revenir au statu quo ante. Et on conclut, la main sur le coeur : « Du mieux que j’ai pu, j’ai tenté de représenter le Jésus des Évangiles comme… un Jésus historique, au sens propre du terme ».
          Le « sens propre du terme », le sens de l’Histoire, c’est celui que Ratzinger lui attribue.
          « Quiconque contrôle le passé, disait George Orwell, contrôle le futur »

          « J’espère que le lecteur verra clairement que ce livre n’est pas écrit contre l’exégèse moderne », conclut le pape avec une touchante sincérité. Il indique donc ses références : Karl Adam (4) Romano Guardini (2) Daniel-Rops (3), Schnackenburg et l’école allemande des années 1950-1960.
           Quant aux chercheurs américains des années 1990-2000 – les Brown, Charlesworth, Meier -, pas un mot. Sauf, en page 396, une petite notice sur John P. Meier, « exégète américain qui représente un modèle d’exégèse historico-critique où se manifestent à la fois l’importance et les limites de cette discipline. La recension de son travail, faite par Jacob Neusner, mérite d’être lue : « Who needs the historical Jesus ? » [A quoi sert le Jésus historique ?].
    
          Et seul un spécialiste averti peut décrypter cette référence (p. 13) : « Les différentes Écritures renvoient d’une manière ou d’une autre au processus vivant de l’Écriture unique qui est à l’œuvre en elles. C’est justement de ce constat qu’est né et que s’est développé en Amérique, il y a environ trente ans, le projet d’ « exégèse canonique », qui vise à lire les différents textes en les rapportant à la totalité de l’Écriture unique, ce qui permet de leur donner un éclairage tout à fait nouveau »
         ; Il faut lire ici une condamnation du Jesus Seminar d’abord, puis de toute l’école américaine où se trouvent actuellement les meilleurs quêteurs du « Jésus historique ». Au profit des fondamentalistes américains, qui rejettent toute lecture historique des Écriture et n’acceptent que l’ « Écriture unique ».
         Petite parenthèse : les musulmans intégristes parlent de la même façon d’un « Coran unique, incréé, transcendant toute manifestation écrite de la parole d’Allah ».

          J’attendais, de cet intellectuel confirmé, une contribution à la recherche sur le Jésus historique. A lire cet Avant-Propos, clé de son livre, ce n’est pas une contribution : c’est un pare-feu, dirigé contre l’incendie provoqué par cette recherche.

          « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? « , disait Nathanaël.
      De Rome, peut-il sortir quelque chose d’autre ?

                                      M.B., 3 décembre 25007

(1) Joseph Ratzinger, Benoît XVI : Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007.
(2) Théologien catholique allemand, né en 1885.
(3) Écrivain français, auteur en 1943 d’un Jésus en son temps qui fit sa fortune.
(4) Théologien allemand, né en 1876.

UN LIVRE SUR JÉSUS DU PAPE RATZINGER (II.)

          Dans l’article précédent, j’analysais brièvement l’Avant Propos du livre de Ratzinger/Benoit XVI sur Jésus. Je me propose de lire ici avec vous son Introduction sur La question johannique, pp. 245 à 265. Parce sur cette question, la recherche récente a fait des progrès considérables.
      Ratzinger prétend connaître cette recherche, et faire le point sur ses avancées : « Que nous dit la recherche actuelle ? » (p. 247), et « la recherche la plus récente s’est rendue compte que… » (p. 262). Voyons d’abord quelles sont ses références, les chercheurs sur lesquels il s’appuie et dont il valide les résultats.
      Il cite longuement Martin Hengel, « adhère avec conviction » aux conclusions de Peter Stuhlmacher et avoue que « parmi les commentaires de l’Évangile de Jean, j’ai surtout utilisé celui de Rudolf Schnackenburg ». Il ne cite aucun des chercheurs de la « Quête du Jésus historique« , français et surtout américains – notamment les travaux considérables de Raymond E. Brown sur l’Évangile de Jean.
      Première conclusion : la « recherche la plus récente », c’est pour lui celle des théologiens allemands conservateurs. Ce n’est pas le chef de la chrétienté universelle qui parle, mais un provincial qui répète l’enseignement reçu autrefois dans sa Province allemande. 
     Il pose les deux questions-clés : qui est l’auteur de cet Évangile ? Et quelle est sa crédibilité historique ?

Qui est l’auteur de cet Évangile ?

Après une brève discussion, il reconnaît la réalité historique du disciple bien-aimé. Pour conclure que « l’état actuel de la recherche nous permet tout à fait de voir en Jean, le fils de Zébédée, ce témoin… oculaire ». Alors que R.E. Brown a montré de façon définitive que le disciple bien-aimé fut un personnage historique, distinct de Jean. On croit alors rêver quand on lit que « Zébédée [le père de Jean] n’était pas un simple pêcheur… Il peut tout à fait avoir été prêtre » : Jean serait donc de classe sacerdotale, ce qui expliquerait la teneur de son évangile, etc…
      Bref, ce sont des théories qu’on soutenait dans les années 1950, et que la recherche actuelle – la vraie – a fait voler en éclats.

Quelle est sa crédibilité historique ?

Ratzinger écarte alors l’idée qu’il puisse y avoir dans cet Évangile d’un côté le Jésus de l’Histoire, et de l’autre les discours poétiques d’un Jésus gnostique. Les longs discours n’ont pas été « enregistrés avec un magnétophone », mais « la véritable prétention de l’Évangile est d’en avoir rendu correctement compte ».     Comment s’y prend-il pour tenir ces deux bouts ?
      En esquissant sommairement une « théorie du souvenir » : quelqu’un (saint Jean) s’est souvenu de ce qu’il avait entendu de la bouche de Jésus. Mais il ne s’est pas souvenu tout seul : il s’est « souvenu ensemble », au sein de l’Église. Le IV° Évangile, c’est le fruit à la fois de son souvenir, et du souvenir collectif d’une Église habitée par l’Esprit-Saint : « L’Évangile de Jean […] ne fournit pas une transcription sténographique des paroles et des activités de Jésus. Mais, en vertu de la compréhension née du souvenir, il nous accompagne… jusque dans la profondeur des paroles et des événements – profondeur qui vient de Dieu et qui conduit vers Dieu » (p. 261)
      Ceci, c’est la négation même de la « recherche actuelle » du Jésus historique. C’est la théologie la plus classique et la plus rétrograde de l’Église catholique sur l’Inspiration.
      Que le pape affirme la valeur éternelle de cette théologie, c’est son droit – et après tout, c’est ce pour quoi il a été élu. On n’attend rien d’autre de lui.
      Mais qu’il prétende connaître « la recherche la plus actuelle », qu’il prétende la faire avancer en triant les scories du bon grain, c’est une malhonnêteté intellectuelle. C’est se moquer de ses lecteurs.

      C’est surtout ne pas se rendre compte que la « quête du Jésus historique » est en train, lentement, de se faire connaître même des catholiques. Lesquels ne sont plus aussi ignares qu’ils l’étaient aux temps de l’encyclique Pascendi. Lesquels sont capables de porter un jugement éclairé sur les tentatives pathétiques d’un vieil homme qui prétend maîtriser la recherche, mais qui lui tourne le dos.
      Décidément, c’est bien en solitaires qu’il nous faudra aller à la recherche de Jésus tel qu’il fut : l’Église institutionnelle est incapable de nous y aider.

                                         M.B., 9 déc. 2007