Archives pour la catégorie LE CHRISTIANSME EN CRISE

Quelques analyses des crises du christianisme depuis ses origines

LE PAPE ET LE PRÉSERVATIF : petite explication de texte.

          Jamais jusqu’ici le Vatican n’avait varié de sa position traditionnelle : la sexualité humaine ne peut avoir qu’un seul but, faire des enfants.

          Le plaisir partagé ? C’est un à-côté de l’amour, pas sa finalité (1).

          Si on fait l’amour, c’est pour procréer.

          Or donc, le préservatif est à jamais inconciliable avec le catholicisme.

           Mais voilà qu’un livre est paru, où le pape, pour la première fois, semblerait justifier son usage… Ô Ciel ! Ce pape annulerait-il tout ce que ses prédécesseurs ont toujours enseigné ?

           Suivons sa déclaration à la trace.

          Dans son édition du samedi 20 novembre 2010, l’Osservatore Romano publie en avant-première des extraits du livre d’entretiens du pape avec un journaliste allemand, destiné à être traduit en plusieurs langues. Selon l’Osservatore, le Pape a déclaré que :

          « l’utilisation du préservatif, pour des cas particuliers comme un prostitué, peut être un premier pas vers une moralisation, une humanisation de la sexualité ».

         Il faut savoir que, depuis sa fondation en 1861, l’Osservatore Romano est l’organe officiel du Vatican. Il joue le même rôle que le Journal Officiel en France : c’est là, et là seulement, qu’on trouve la version authentique des propos du Pape.

            Or, dans l’édition allemande qui paraît 3 jours après l’Osservatore, comme dans sa traduction française, on peut lire que :

          « l’utilisation d’un préservatif peut constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine. »  (2) .

           On voit qu’il manque deux mots, qui changent tout :

 1) « Un » (pas une : Relation homosexuelle)

           Dans cette relation, de toute façon il n’y a aucun risque que soit engendré quoi que soit. Le crime a été commis en amont de la semence, au moment où l’homosexuel commence à passer à l’acte. Sa semence a été détournée de sa destination naturelle avant son émission, par la nature même de la relation sexuelle.

            Alors, semence perdue pour perdue… ça ne compte pas.

 2) « Prostitué »

           Le pape précise qu’il n’envisage pas qu’une relation homosexuelle puisse être un acte d’amour. Il la réduit à un geste tarifé, donc dégradé, infrahumain. Il écarte l’idée que deux hommes puissent faire l’amour… par amour.

           En éliminant ces deux mots de sa version destinée au public allemand, puis français et italien, le journaliste fait dire au pape ce qu’il n’a jamais dit, ce qu’il ne peut pas dire : que la relation sexuelle pourrait avoir une autre finalité la reproduction. Qu’elle pourrait tirer sa valeur divine du plaisir partagé.

           Ensuite, il évite de heurter les homosexuels, « des gens qui ne pratiqueraient le sexe qu’en l’achetant ».

           Enfin, il trompe les chrétiens en leur laissant croire que l’utilisation du préservatif « peut constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement ».

             Et puis, il trompe l’opinion publique. Qui, à vrai dire, s’en balance.

                                          M.B., déc. 2010

 (1) Voir mon bref article de 2009, Dieu nous préservatise du pape ! (cliquez).

(2) Lumière du Monde, paru le 27 novembre 2010 aux éditions Bayard, p. 141.

CINQUANTE ANS APRÉS VATICAN II : le chant du cygne ?

          Ils étaient tous là, ce 11 octobre 1962.

          Tous assis en rangs d’oignons, le crâne rasé, le visage fatigué et les yeux cernés par l’observance monastique. « Mes frères ! », me suis-je dit en les regardant !

          Deux jours auparavant, j’avais tout quitté pour entrer au noviciat de cette abbaye bénédictine.

           Tous assis, fascinés par cette petite boîte (prêtée pour l’occasion) dans laquelle défilaient des images somptueuses. Ciel ! une télé, à l’intérieur des murs de l’abbaye ! C’était la première fois depuis sa fondation, une télé pour voir le pape marcher vers l’autel dans la nef de St Pierre de Rome.

          La deuxième fois, ce serait en juillet 1969, pour voir un autre homme marcher sur la lune.

          Avec le Vatican et la lune, les moines avaient fait le tour de l’univers : plus jamais une télé ne franchirait le seuil de l’abbaye.

           Quand le pape Jean XXIII, agenouillé devant le maître-autel, s’est levé pour ouvrir solennellement le Concile Vatican II, en l’abbaye lointaine les moines se sont dressés, d’un seul bloc. Et c’est debout, figés d’émotion, qu’ils ont entendu les premier mots du pape : « Ego, papa Johannes… »

          Je les entends encore, comme si c’était hier.

           Dans mon milieu de bourgeoisie athée, on ne parlait pas du Concile : mais sur la planète, son annonce avait suscité une curiosité et un espoir immenses. En m’accueillant le 9 octobre, le Père Abbé (mon supérieur) m’avait seulement dit : « Mon frère, un concile va s’ouvrir dans deux jours, beaucoup de choses vont changer. En attendant, vous vivrez ici comme un mérovingien. »

          Je devins donc un mérovingien en attente de mutations.

           La Curie romaine avait annoncé que le Concile durerait trois semaines : il a duré quatre ans. Deux mille évêques au chevet de l’Église et du monde pendant quatre ans.

          La première session fut un round d’observation, qui commença par le rejet des Pères conciliaires de tous les textes préparés par la Curie, et qu’elle voulait leur faire voter tels quels pour se débarrasser au plus vite de cette assemblée dont elle se méfiait.

           Ầ juste titre : les évêques avaient bien l’intention de se faire entendre.

           Jean XXIII mourut peu après la fin de cette première session. Il y en eût trois autres, qui suscitèrent dans l’Église catholique et dans le monde une fermentation incroyable, dont devaient en partie sortir les révoltes de mai 68 : un monde nouveau allait naître ! Enfin, la voix du Jésus de l’évangile allait se faire entendre, par-dessus et au-delà de l’épaisse carapace des traditions et des dogmes !

           Des textes furent votés, qui ouvraient en effet les perspectives d’un aggiornamento, d’une mise à jour de l’Église. Parmi eux :

           1. Un texte sur la liturgie, qui introduisait la langue et les coutumes de chaque peuple dans la prière officielle de l’Église. Symbole parlant, visible, de sa volonté de s’adapter à un monde qui avait changé depuis la Renaissance.

            2. Un deuxième sur l’œcuménisme, qui aurait rendu possible l’union de tous les chrétiens. Dans les couloirs de l’abbaye, on avait placardé une grande affiche : une église catholique avec son clocher, une orthodoxe avec son bulbe et un temple protestant, qui n’étaient plus séparés que par les ruines de murs écroulés.

          La légende : « Les murs de la séparation ne montent pas jusqu’au ciel ! »

           3. Un troisième sur l’ouverture de l’Église au monde contemporain, qui n’était plus considéré comme un terrain de jeu occupé par les forces du Mal, mais l’espace dans lequel les hommes et les femmes trouveraient le chemin du salut, grâce à une Église accueillante.

           Après des discussions épiques, un dernier texte ne fut pas voté : celui qui transformait le gouvernement de l’Église en instituant la collégialité épiscopale. Une majorité d’évêques voulaient abolir la monarchie papale absolue, les décisions étant prises par le pape et par les évêques.

          Devant les menaces de la minorité conservatrice, le pape Paul VI céda et ‘’se réserva la question’’.

           En octobre 1967, un an après la clôture du Concile, j’arrivai à Rome, petit étudiant perdu dans la Ville éternelle.

          J’ai assisté à la rencontre historique entre le Patriarche Athénagoras et Paul VI, à St Paul-hors-les-murs. Après la cérémonie, Athénagoras a voulu recevoir les moines un à un : quand je me suis agenouillé devant lui, il a pris ma tête dans ses mains fines et a embrassé mon crâne rasé : sur ma tête, l’Orient venait de rencontrer l’Occident.

           C’était un sommet, après lequel il n’y eût plus que glissades et abandons du formidable élan – et de l’immense espoir – suscités par le Concile.

          Arrivé au pouvoir en septembre 1978, Jean-Paul II s’employa à revenir en arrière, aidé efficacement par un certain Joseph Ratzinger.

           1. Sur la liturgie, les conservateurs faisaient une fixation à cause de sa visibilité. Jean-Paul II tint bon, mais son successeur officialisa le retour aux rites de la Renaissance.

           2. Sur l’œcuménisme, des conversations, discrètes, avaient été entamées entre Paul VI et l’archevêque de Westminster. On était sur le point de reconnaître la validité des ordinations anglicanes, réintégrant ainsi dans l’Église catholique non seulement l’Église anglicane (présente partout dans le Commonwealth) mais les Méthodistes américains.

          Dès l’arrivée de Jean-Paul II, un coup d’arrêt définitif fut donné à ces conversations : les murs de la séparation montaient bien jusqu’au ciel.

           3. L’ouverture au monde : le polonais fit une fixation sur la sexualité, et remplaça l’ouverture au monde par des voyages dans le monde, ce qui n’était pas la même chose.

           Enfin, Paul VI avait mis en œuvre un timide essai de collégialité épiscopale : Jean-Paul II y mit brutalement fin. On lira dans ce blog le témoignage de Mgr Rembert Weakland (cliquez), avec lequel j’ai vécu pendant quatre ans, sur la brutalité de la reprise en mains de l’autorité monarchique de l’Église.

            On dit que les cygnes, avant de mourir, déploient leurs ailes pour lancer un dernier chant. Un demi-siècle plus tard, on constate que Vatican II a été le chant du cygne de l’Église catholique. L’occasion qui s’offrait à elle – redevenir ce qu’elle prétend être, un ferment qui fait lever la pâte – a été manquée.

          Une occasion qui ne se représentera pas.

           Avant de mourir le 31 août dernier à l’âge de 85 ans, le cardinal Martini rédigea son testament, dont voici un extrait (1) :

           L’Eglise est fatiguée, dans l’Europe du bien-être et en Amérique. Notre culture a vieilli, nos églises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l’appareil bureaucratique de l’Eglise gonfle, nos rites et nos habits sont pompeux. Ces choses expriment-elles ce que nous sommes aujourd’hui ? Nous nous trouvons là comme le jeune homme riche, qui s’en va triste, lorsque Jésus l’appelle à devenir son disciple. Où sont chez nous les héros desquels s’inspirer ?

          L’Eglise est en retard de 200 ans. Comment se fait-il qu’elle ne se réveille pas ?

           Il semble qu’il soit trop tard : la planète s’est aperçue qu’elle n’avait plus rien à attendre de cette Église qui ne vit plus que de ses souvenirs.

          Trop tard pour se réveiller : le réveil a sonné le 11 octobre 1962, il a sonné longuement pendant quatre ans.

          L’Église l’a réduit au silence, et s’est retournée sur elle-même pour se rendormir.

                           M.B., 9 octobre / 11 octobre 2012

(1) Le Corriere della Sera du 1 septembre 2012.

CINQUANTE ANS APRÉ VATICAN II : la dés-espérance

          Ầ la fin du 1° siècle, L’Empire romain commençait à se défaire de partout, les religions orientales s’implantaient dans un chaos social et politique de plus en plus insupportable.

          Dans ce contexte troublé, l’une de ces religions étrangères souleva autour de la Méditerranée une immense espérance : le christianisme.

           En se séparant du judaïsme, le christianisme avait conservé sa principale caractéristique, l’idéologie messianique. Trois piliers :

 – L’utopie (inventer un autre monde, meilleur que celui-ci),

L’apocalypse (cette utopie se réalisera plus tard, dans une fin du monde violente),

– Et l’attente d’un homme providentiel (le Messie) dont la venue fera naître ce Monde Nouveau.

 I. Le temps de l’espoir

           Les premières générations chrétiennes semblent avoir tenu ces promesses. Une communauté de frères solidaires (c’est au sommet qu’on se déchirait, pas à la base), la fin de l’argent-roi. Malgré s. Paul, des femmes respectées, actives et responsables, certaines ayant même le titre d’apôtres. Une morale familiale, et une morale tout court. La fin des classes sociales, le culte sacrificiel remplacé par un culte en esprit

           Tout cela suscita dans l’Empire mourant une vague d’espoir sans précédent : l’utopie était en train de se réaliser, un monde nouveau naissait sous les yeux des croyants.

          Mais le christianisme n’avait pas abandonné les deux autres piliers du messianisme, l’apocalypse et l’attente du Messie. C’est seulement quand le Christ reviendrait que le Monde Nouveau prendrait définitivement forme. Alors, les ‘’méchants’’ seraient anéantis dans un cataclysme et les ‘’Justes’’ triompheraient. Lisez, entre autres l’Épître aux Hébreux et l’Apocalypse dite de saint Jean : la violence extrême de ces textes fondateurs du christianisme se retrouvera mot pour mot, six siècles plus tard, dans le Coran.

           Quand les Barbares dévastèrent ce qui restait de l’Empire romain, l’espérance d’une vie meilleure après la mort permit aux peuples devenus chrétiens de supporter leurs immenses souffrances.

          Aux V° et VI° siècles, la seule autorité, la seule organisation, la seule colonne vertébrale de l’Occident ruiné furent leur clergé, leurs monastères (scriptorium, écoles, hospices) et leurs papes.

          En ces temps-là la sécurité, la justice, la charité, l’enseignement, la culture et l’art, c’était l’Église.

           Le christianisme semblait avoir accompli ses promesses d’espérance.

 II. Le messianisme dévoyé

           Vint alors l’ivresse du pouvoir.

          Pour légitimer sa toute-puissance, l’Église fabriqua deux faux documents : la Donation de Constantin, par laquelle elle s’attribuait la primauté sur l’Orient et l’autorité suprême sur l’Occident. Les Fausses Décrétales, qui établissaient l’immunité juridique des évêques et faisaient d’eux la source unique du Droit.

          En propageant la doctrine du souverain de droit divin, le théologien de Charlemagne, Alcuin, acheva la transformation de l’Occident en théocratie.

           S’opéra alors une transformation radicale du messianisme chrétien.

          Officiellement, l’Église attendait toujours le retour du Christ-Messie : mais en réalité, dans les faits comme dans sa doctrine, elle se substitua à lui. Le Messie, c’est-à-dire l’unique instrument du salut des Hommes, désormais c’était elle, l’Église.

          En son sein (et nulle part ailleurs) résidait le salut de l’humanité et la fin de ses souffrances. Le slogan des origines – « Jésus reviendra, Maranatha » – fut remplacé par un autre : « Hors de l’Église, point de salut, extra ecclesiam, nulla salus. »

           Passé inaperçue, cette transformation idéologique eût des conséquences considérables.

          Désormais ce n’est plus le Messie qui réaliserait l’utopie, mais une organisation humaine. Et cette organisation – l’Église – s’attribuait le droit à la violence qui accompagne toute apocalypse : violence sur les esprits, par le monopole de la vérité, et violence physique par la chasse aux dissidents, les hérétiques.

          L’utopie ? Elle était abandonnée à tout jamais, puisque l’Église avait pris le pouvoir : il n’y aurait pas d’autre monde que celui-ci. L’Église recueillit le pouvoir des rois pour le confier à ses Princes.

          Devenue incontestable, elle ne contesterait plus l’ordre du monde. Jésus avait imprudemment parlé d’un Royaume : elle établit le sien. Ầ Canossa, l’Empereur Henri IV alla s’humilier publiquement, pieds nus dans la neige, devant le pape Grégoire VII.

          Moment symbolique, par lequel le Pontife souverain montrait à tous que c’était bien lui le maître de l’univers.

           Dans la chrétienté, l’espoir avait été remplacé par le pouvoir.

 III. L’autre utopie : l’islam

           Au moment où l’Occident oubliait l’espérance d’un Messie-individu pour se soumettre à une Église-messie, en Orient un texte se diffusait, qui se présente lui-même comme une arme de guerre : le Coran.

          On sait maintenant qu’il puise ses sources dans un judéo-christianisme totalement messianique. Mais on voit que lui aussi avait abandonné l’espérance du retour d’un Messie-individu, pour la remplacer par la création d’une communauté-messie, l’Umma musulmane.

          Deux communautés, deux puissances messianiques se trouvèrent dès lors dans un face-à-face mortel. Elles ne pouvaient que s’affronter, elles s’affrontent toujours.

          Ầ Lépante, la flotte papale donna un coup d’arrêt à l’invasion de l’Umma, pendant que sur terre les souverains espagnols commençaient la reconquista.

           Affaiblie, divisée, l’Umma musulmane entra en somnolence pour quelques siècles.

           En Occident cependant, le désir d’utopie n’était pas mort, il connaissait des sursauts : les Vaudois, les Cathares, les Dolciniens… Rome créa l’Inquisition pour leur faire comprendre que si l’Église prêchait l’évangile, elle n’avait aucunement l’intention de le mettre en pratique.

          Plus fort qu’elle, Martin Luther créa d’autres Églises, vite semblables à celle de Rome par leur appétit de pouvoir. Les musulmans se tenant tranquilles, les chrétiens eurent tout le loisir de se faire la guerre entre eux.

           En Occident, plus personne ne rêvait d’espoir.

           Vinrent les Lumières, les Révolutions, les Restaurations. Au XIX° siècle, où donc l’espoir s’était-il réfugié ? Dans la révolution industrielle et agricole. Devenu riche, l’Occident ne perdait plus son temps à rêver d’utopies.

          Quoique… Passée des mains du clergé à celles de la bourgeoisie, la richesse excitait la convoitise des pauvres. Karl Marx inventa alors une utopie qui se substituerait – pensait-il – à celle de l’évangile : la société sans classes, la dictature du prolétariat.

           Ce fut un incroyable renouveau de l’espoir : le Grand Soir n’était pas pour plus tard, c’était pour ce soir. « Le changement, maintenant ! » La moitié de l’humanité se reprit à rêver.

          Devant une utopie facile à comprendre, efficace, l’Église sentit le danger : il ne pouvait pas y avoir sur terre d’autre utopie que la sienne. Même si personne ne comprenait plus rien à ses dogmes, aucun autre ne devait prendre leur place.

           Jean XXIII décréta un Concile, une ‘’mise à jour’’… mais de quoi ? De l’immense édifice dogmatique ? Dès l’ouverture de la 2° session, son successeur mit les points sur les i. Il assigna au Concile un seul but, répondre à la question : « Église, que dis-tu de toi-même ? ».

          Les deux mille Pères conciliaires se penchèrent donc sur leur nombril. On s’occuperait du fonctionnement de l’Église, sans le bouleverser. On dirait au monde qu’il était à nouveau digne d’intérêt, sans répondre à son besoin d’espérance. Bref, on astiquerait l’écorce de l’arbre, sans toucher à la seule chose qui aurait pu soulever comme autrefois la planète : le retour de l’utopie.

           Entre temps, personne en Occident ne s’était aperçu que les musulmans s’étaient réveillés avec Mohammed Abdelwahhab, ni que son wahhabisme avait inspiré en 1928 Hassan el-Banna, fondateur des Frères Musulmans.

          Uniquement préoccupée d’elle-même, l’Église catholique ignora totalement l’émergence d’une idéologie bien plus dangereuse que le communisme. Pour se réveiller – avec nous, qui n’avions rien vu venir non plus – dans un XXI° siècle où elle brillerait par son absence.

           Une absence idéologique, la pauvreté d’une pensée dogmatique que le Concile n’avait eu ni l’ambition, ni peut-être les moyens de repenser.

           Tandis qu’en face, le monde musulman avait ses certitudes idéologiques, son utopie de conquête, et la ferme volonté de les imposer aux occidentaux qui ne croyaient plus en rien, pas même en eux-mêmes.

 III. Le temps de la dés-espérance

           Lui aussi, Jésus avait annoncé un monde nouveau, mais pas pour plus tard : pour tout-de-suite, dès maintenant.

          Et pas au prix d’une apocalypse : il n’a jamais prêché la Révolution. Connaissant l’obsession messianique juive, il a catégoriquement refusé que ses disciples le prennent pour un Messie. Quand Pierre lui dit « Tu es le Messie ! », il menace ses disciples pour que jamais plus ils ne disent une chose pareille à son sujet (Mc 8,30).

           Les individus, comme les peuples, ont besoin d’utopies, c’est-à-dire d’un espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, qu’un autre monde que celui-ci est possible.

          Que nous ne sommes pas condamnés à la fatalité, que l’impasse n’est que provisoire.

          Quelle utopie ? Peu importe, peut-être. Demande-t-on à une utopie de se réaliser, ou de nous donner l’énergie du lendemain, un rêve vers lequel aller ?

           Toutes, elles ont fait faillite avec des résultats souvent dévastateurs.

          Il y a pourtant eu en Occident une voix, qui s’est fait entendre. Que disait-elle ?

           « Ce monde-ci est à bout de souffle. Je vous propose un changement, maintenant. Pas un bouleversement social par le haut, mais une transformation de chacun, à son niveau. Pour changer la société, commence par te changer toi-même. Met ton espoir dans la contagion, pas dans la Révolution. »

           Entrés dans le temps de la désespérance, pouvons-nous rêver aujourd’hui que la voix du prophète galiléen soit à nouveau entendue ?

 

                                       M.B., 11 octobre 1962 / 11 octobre 2012

Si ce sujet vous a intéressé, voyez dans ce blog :

Cinquante ans après Vatican II : le chant du cygne ?

– La série  »Peut-on changer le monde ? » 1 ; 2 ; 3 (cliquez sur les chiffres)

– « Jésus, le premier altermondialiste  »

– « La mondialisation, Jésus, le christianisme… et nous »

– « Messianismes et problème palestinien »

– « Les chrétiens, les musulmans et l’Histoire »

– « Crise de la civilisation occidentale et choc des fondamentalismes »

–  « La crise de l’Occident : fondamentalisme musulman et chrétien face à face

– « Mondialisation : fin du catholicisme ? »

 

DÉMISSION DE BENOIT XV : la fin de l’incarnation ?

          Un nouveau pape, c’est un peu comme les saisons qui se suivent : ça va, ça vient, et rien ne change. Que restera-t-il de celui-là ?

 Un pape écrivain

           Pendant son pontificat, Benoît XVI a publié deux livres sous le nom de Joseph Ratzinger. Or un pape, ça fait des Bulles, des Encycliques, des Motu Proprio, mais jamais à titre personnel : quand le pape parle ou publie, à travers lui c’est l’Église (c’est-à-dire Dieu) qui s’exprime, jamais l’individu.

          Dès son élection le pape cesse d’être un particulier, l’homme disparaît derrière la fonction divine.

          Jusqu’alors, un pape qui signerait de son ancien nom un livre destiné à un vaste public, cela ne se concevait pas. En écrivant ‘’je’’ au lieu du ‘’Nous’’ traditionnel, en séparant l’écrivain du pape, Ratzinger plantait un coin qui créait une première fêlure dans le trône de Pierre.

           Mais il y a plus : ces deux livres ne sont pas des pavés doctrinaux, ils se présentent explicitement comme une recherche exégétique sur la personne de Jésus de Nazareth.

          Le pape (ou plutôt Mr. Ratzinger) voulait-il ainsi contribuer lui aussi à la Quête du Jésus historique (cliquez) ? Non, il s’efforçait seulement d’éteindre l’incendie provoqué par ses chercheurs. Jusqu’ici, l’Église avait superbement ignoré ces exégètes, dont les travaux remettent en cause le dogme de l’Incarnation, la nature à la fois humaine et divine de Jésus. En se mettant à leur niveau, en acceptant de croiser le fer avec eux, en devenant chercheur parmi les chercheurs, Ratzinger enfonçait un peu plus le coin dans la fente qui fragilisait le trône de Benoît XVI.

          Car un pape ne peut pas participer à la recherche de la vérité.  Un pape ne cherche pas la vérité : il la publie au nom de l’Église qui la possède.

          Ratzinger écrivain-chercheur tournait ainsi le dos à Benoît XVI pape : inédite schizophrénie.

 La fin de l’incarnation ?

           Après avoir fait du pape le successeur de Pierre, au fil du temps les catholiques l’ont transformé en Vicaire du Christ. Vicaire, c’est-à-dire son représentant sur terre. En quelque sorte son double, son incarnation visible.

          Au haut Moyen âge, la Règle de saint Benoît reprit à son compte cette idéologie et l’appliqua aux moines : pour chacun d’eux affirme-t-elle, l’Abbé c’est le Christ.

          Tu es Petrus était devenu Tu es Christus.

           C’est pourquoi les papes sont élus à vie. On n’endosse pas temporairement la nature christique : quand on en a été revêtu, on ne peut plus s’en défaire que par la mort.

          Un pape ne démissionne pas. Le Christ ne démissionne pas, il meurt.

           Nécessaire puisqu’elle tient à son identité papale, la mort du Pontife se doit d’être souffrante et publique, comme le fut celle du Christ. Jean-Paul II l’avait parfaitement compris : en mettant en scène son agonie, en affichant heure après heure sa douloureuse descente au tombeau sur les écrans du monde entier, il réaffirmait l’incarnation du Christ en sa personne. Grâce à lui, en 2005 nous avons pu sans quitter nos fauteuils passer quelques semaines au pied du Golgotha.

           Il remettait aussi au premier plan ce dogme qui colle au catholicisme depuis ses origines : il n’y a de rédemption que par la souffrance. Notre souffrance, dit Paul de Tarse, est bonne et souhaitable puisqu’elle ajoute ce qui manquait à celle du Christ en croix.

          « On ne descend pas de la croix », aurait répondu Jean-Paul II à ceux qui lui suggéraient de démissionner.

           Benoit XVI démissionne, il demande à mourir comme un homme ordinaire ? Il prive ainsi les catholiques de la mort sacrificielle et publique du Christ réincarné en sa personne. Il les prive du spectacle de son agonie et de sa souffrance, il semble même leur refuser d’alimenter ce dolorisme dans lequel ils se complaisent avec délectation.

           Les catholiques de la base ne s’y sont pas trompés, qui expriment leur désarroi avant de saluer, dépités, le courage d’un pape se dérobant à un Golgotha qui leur était dû.

          J’ai quand même entendu quelques officiels murmurer ce qui les inquiète le plus : la démission du pape Benoît devenu homme ordinaire enfonce toujours plus le coin avec lequel l’écrivain Ratzinger fendillait déjà le dogme de l’incarnation.

           Quand la chrétienté se rendra compte de ce que signifie cette démission, ira-t-elle jusqu’ou bout ? Après l’abandon de l’incarnation christique du pape, s’interrogera-t-elle sur la réalité et la pertinence de son dogme fondateur, l’incarnation du Christ ?

          Reviendra-t-elle enfin à la personne lumineuse de l’homme Jésus, qui a toujours eu horreur de la souffrance et a tout fait de son vivant pour la soulager ? (1)

                                                  M.B., 12 février 2013

 (1) J’ai développé ce point dans Le silence des oliviers, qui va paraître prochainement en  »Livre de Poche » sous un nouveau titre, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.

PAPY PAPE PART : un pape s’en va, la papauté reste

« L’Église est une barque qui prend l’eau de toutes parts » : ce commentaire lucide et désabusé, c’est à Benoît XVI lui-même qu’on le doit, lors de son élection.

Pendant près de vingt ans, il avait été le Premier Ministre de Jean-Paul II : affaires de mœurs, pédophilie, opacité complice, trafics financiers, ambitions et luttes de pouvoir au Vatican – tout ça, il connaissait par cœur en pénétrant au centre du ring. Alors, pourquoi jette-t-il l’éponge avant la fin du combat, avant d’être évacué comme il se doit, inanimé, sur une civière ?

Qu’une partie du clergé soit dévoyée, infidèle, corrompue, cela ne date pas d’hier et n’a jamais fait couler l’Église. Le pape peut les dénoncer, « ces gens-là ce n’est pas nous, ce n’est pas mon Église ». Il l’a fait, partiellement.

A eux seuls, des rameurs médiocres ne provoquent pas le naufrage d’une barque. Ce que le pape dit, c’est que la coque elle-même est pourrie, il y a des voies d’eau. Il se voit incapable de les colmater, et quitte la barre d’une barque qui « prend l’eau de toutes parts ».

La principale voie d’eau, l’a-t-il au moins identifiée ? Je crois que oui.

Pendant son pontificat, il a écrit trois livres auxquels il attachait tant de prix qu’il n’a pas voulu les publier en tant que pape, sous le nom de Benoît XVI, mais en tant que chercheur, sous le nom de Ratzinger : chose tout à fait inédite (cliquez).

Ces livres n’ont qu’un seul objectif : démontrer une fois de plus que Jésus et le Christ ne font qu’un. Que la vie de Jésus, c’est la vie de Dieu incarné sur terre.

Protéger le dogme de l’Incarnation, menacé par les chercheurs de la Quête du Jésus historique (cliquez).

Réaffirmer que Jésus était Dieu, et qu’il a fondé l’Église : « Tu es Pierre, et sur cette pierre… ». C’est vrai, parce que c’est Jésus-Dieu qui l’a dit, c’est écrit.

Or on sait maintenant que tout ce qui est écrit dans les évangiles ne vient pas du Christ-Dieu, ne vient même pas toujours de l’homme Jésus. On sait qu’avant de nous parvenir, les évangiles ont été remaniés par les deux premières générations chrétiennes qui avaient un but : prendre le pouvoir.

Le seul pouvoir qui dure, parce qu’il va être gravé dans une civilisation qu’il contribuera à fonder : le pouvoir sur les esprits et les cœurs.

Le pouvoir spirituel, c’est-à-dire religieux : le pouvoir des dogmes.

Et ceux qui ont écrit les évangiles dans leur version finale ont parfaitement réussi, puisqu’après une brillante carrière de dix-sept siècles, l’Église est toujours là.

Mais elle prend l’eau, dit le pape sortant. Où ça, comment ça ?

La principale voie d’eau, c’est la corrosion du dogme fondateur de l’Église sous la morsure des chercheurs de la Quête du Jésus historique. C’est la fin, mise en évidence par leurs travaux scientifiques, du dogme qui commande tous les autres, celui de l’Incarnation. Si Jésus n’était pas Dieu en même temps qu’homme, s’il n’était qu’un homme – pire que cela, un Juif ! -, s’il n’est pas ressuscité, alors « vaine est notre foi » disait déjà s. Paul.

Pape érudit, parfaitement au courant des recherches de la Quête, Benoît XVI a publié ses trois livres pour tenter de colmater la voie d’eau qu’elle ouvre. Il est conscient de n’y être pas parvenu, et jette l’éponge.

Pourquoi ? Après tout, les travaux des exégètes de la Quête sont pratiquement inconnus du public, on ne les enseigne dans aucun catéchisme. Pourquoi ne pas laisser quelques chercheurs publier des livres que personne ne lit, pourquoi réaffirmer le dogme de l’Incarnation, comme s’ils risquaient de le mettre en péril par leurs ouvrages savants, confidentiels ?

C’est que le peuple chrétien leur donne raison sans avoir eu besoin de les lire.

C’est que dans les pays où la chrétienté a pris naissance, plus aucun croyant n’est en mesure de comprendre les dogmes fondateurs de sa foi – Incarnation, Trinité, transsubstantiation, etc.

C’est qu’on a besoin désormais de comprendre ce qu’on croit, parce qu’on connaît et qu’on comprend l’univers comme jamais auparavant. Credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde : le temps est passé, où cette affirmation lapidaire suffisait aux braves gens pour croire, et rester en paix.

En leur donnant les moyens de distinguer ce que Jésus a dit de son vivant, de ce qu’on lui a fait dire après sa mort.

En démaquillant le Christ, pour retrouver, derrière l’épaisseur des dogmes, le visage du prophète juif Jésus.

En redécouvrant Jésus avant le Christ,

les chercheurs de la Quête offrent aux braves gens, non pas un tampon pour colmater des voies d’eau, mais une nouvelle barque capable de naviguer sur nos eaux tourmentées.

Parce que celui dont ils mettent en lumière à la fois les paroles et les gestes authentiques se montre incroyablement proche de nous, de nos préoccupations, des questions que nous nous posons aujourd’hui.

Ce faisant, ils mettent en évidence pourquoi, et comment, la vieille barque qui prend l’eau de toutes parts risque de couler avec ses dogmes irréels, ses préjugés transhumains, ses sacrements incapables de sacraliser un monde en perte de sens.

Peut-être est-ce pour cela que le pape s’en va, tragiquement lucide.

Son successeur va tenter de reprendre les rameurs en main, il va faire du bruit, donner à voir et à commenter aux journalistes.

Pendant qu’au fond de la cale, l’eau, inexorablement, continuera de suinter par des brèches qu’il n’aura ni la lucidité, ni la volonté, ni surtout la possibilité de colmater.

M.B., 27 février 2013

P.S. : Où trouver les écrits de la Quête du Jésus historique ? Je m’appuie sur eux pour tenter de vulgariser leurs recherches, vous trouverez leurs références dans mes ouvrages (page d’accueil du blog).

 

ISRAEL : COMBIEN DE TEMPS ENCORE ?

          Problème palestinien ? Problème juif ?

         Prendre du recul. Relire des extraits de la plus ancienne presse du monde – la Bible.

          Vers l’an 1200 avant J.C., on peut lire dans le Livre de Josué : « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais Josué est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivis jusqu’au Liban » (1) .

          Après cette première version d’une Guerre des Six Jours qui permit l’implantation en Palestine des envahisseurs israéliens, la Bible décrit le début d’un premier génocide palestinien : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant. » (2)

          S’ensuivit une main-basse systématique sur la Palestine : « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, de la vallée du Liban au Mont Hermon, du Négueb au Bas-Pays. Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. Quand il n’est plus resté aucun Palestinien, Josué a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives. » (3)

          Après quoi le général Josué fit une déclaration officielle : « Prenez possession de leurs terres : des terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des villes bâties par d’autres dans lesquelles vous allez vous installer, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées – et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (4)

          Puis ce fut la création des premiers camps palestiniens : « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants. » (5)

          Déjà, c’était « eux ou nous » – impossible coexistence : « Nous devons savoir, déclare un responsable juif de l’époque, que les populations autochtones que nous n’avons pas réussi à chasser vont constituer pour nous une menace permanente, une épine dans notre flanc et un chardon dans nos yeux. Et ceci, jusqu’à ce qu’ils nous aient rayés du sol ! » (6)

          Premières protestations de l’autorité palestinienne, vers 1100 avant J.C. : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays. Rendez-nous ces terres, maintenant ! » (7)

          Début des colonisations illégales et sauvages : On ne compte plus les exemples où, après affrontements avec les Palestiniens, « des juifs reviennent dans les terres spoliées, rebâtissent les villages et s’y établissent. » (8)

          Et l’inexorable engrenage de la violence : « Samson déclara : nous ne serons quitte envers les Palestiniens qu’en leur faisant du mal ! » (9)

           La première Intifada, la guerre des pierres ? Elle fut juive : L’adolescent « David choisit dans un torrent cinq pierres bien lisses. La fronde à la main, il courut vers le palestinien Goliath, et tira une pierre qui l’atteignit au front. Elle s’enfonça dans son crâne, et il tomba face contre terre. » (10)

          Le premier terroriste kamikaze ? Un juif, arrêté après avoir incendié les récoltes des palestiniens : « Tous les responsables palestiniens se trouvaient dans un édifice, avec une foule de 3000 civils. Samson cria : « Dieu, donne-moi la force de me venger des palestiniens d’un seul coup ! » Il s’arc-bouta contre les colonnes en hurlant « Que je meure avec les palestiniens ! », puis il poussa de toutes ses forces. L’édifice s’écroula sur lui et sur la foule : les morts furent très nombreux. » (11)

          En parcourant le Livre de Josué et des Juges qui relatent la chronique des XI° et X° siècles avant J.C., on croirait entendre les informations de la semaine dernière.

          Rien n’a changé.  En 3000 ans, rien n’a été appris.

          Cette situation sans issue, et qui perdure identique depuis trente siècles, semble provenir d’une dramatique confusion. Peut-on la résumer d’un mot ?

          Est juif celui qui est habité par la Loi, est juif celui qui habite la Loi.

          Sitôt créé par David, le premier État juif s’est effondré dans les querelles domestiques, puis par la déportation. Et c’est dans la diaspora où ils ont passé le plus clair de leur histoire, que les juifs ont pris conscience de leur identité, qui n’est pas territoriale mais spirituelle.

          Pour avoir confondu patrie spirituelle et patrie terrestre, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes à la haine, au sang, à la guerre, à la souffrance sans fin ?

Comme me le faisait remarquer un journaliste de L’Express, « les réalités actuelles sont moins simples » que cette mise en perspective du passé et du présent.

          Il faudra donc revenir, ici, sur cette question : qu’est-ce qu’être juif ?

                                       M.B., Fév. 2011

(1) La Bible, Livre de Josué, chap. 9 et 11.

(2) Livre de Josué, chap. 10

(3) Livre de Josué, chap. 11. J’appelle « Palestiniens » les premiers habitants du pays, qui ne prendront ce nom (les phalestim) qu’à l’arrivée des Philistins, quelques années plus tard.

(4) Livre de Josué, chap. 24

(5) Livre de Josué, chap. 6. J’appelle « camps » les villages dans lesquels les Palestiniens de l’époque furent contraints de se retrancher.

(6) Livre de Josué, chap. 23

(7) Livre des Juges, chap. 11

(8) Entre autres : Livre des Juges, chap. 21

(9) Livre des Juges, chap. 15

(10) I° Livre de Samuel, chap. 17 (vers 1040 avant J.C.)

(11) Livre des Juges, chap. 16

LE FILM AVATAR, CAMERON, AMÉNABAR ET LES MYTHES AMÉRICAINS

          Avatar, le dernier film de James Cameron, est en train de pulvériser le box-office. Dans sa version 3D, ce film est salué comme une nouveauté absolue. Est-ce le cas ?

I. Un chef-d’œuvre pictural

Pour la première fois dans l’Histoire du cinéma, un film en relief dispose de salles équipées en nombre suffisant pour toucher le grand public. Et Cameron a utilisé les techniques actuellement les plus en pointe du 3D pour nous offrir une incroyable fête du regard.
On ne trouve plus ses mots : les scènes où l’avatar rencontre sa compagne dans la forêt, les chevauchées dans les montagnes volantes, tout cela est d’une beauté stupéfiante, servi par une imagination en pleine créativité.
Le choc est le même que celui des premiers Walt Disney (Blanche-Neige dans sa version 1937, Bambi), qui utilisaient les couleurs pastel du premier Technicolor – réalisant des œuvres à la beauté formelle comparable aux grands peintres de la fin du XIX° siècle.        On retrouve dans la forêt de Cameron la même inspiration graphique et coloriste que Disney, avec le plus qu’apporte le relief. La même poésie émerveillée devant la nature – une nature magnifiée, réinventée, tendre, qui devient l’un des acteurs majeurs du film.
Bref, rien que pour ce spectacle inouï, il faut voir Avatar, et le voir dans sa version 3D.

II. Le message : les mythes américains

L’idée est excellente : des terriens veulent coloniser une planète pour en extraire tout le minerai dont leur industrie a besoin. Ils créent des avatars semblables aux indigènes qui peuplent cette planète, et les leur envoient pour mieux les gruger en les exploitant à moindre frais.

Référence : G.W. Bush envahissant l’Irak pour exploiter son pétrole.

Les indigènes ? Ils ressemblent furieusement aux Indiens d’Amérique, on nous ressort tout l’imaginaire des Westerns. Ils sont armés de flèches contres des Yankees disposant de robots tueurs, sont assez bêtes pour croire que la nature a une âme, qu’il faut la préserver, qu’ils vivent avec elle en contact direct.

Références : Un mélange de méchant cow-boy et de Danse avec les Loups (le bon blanc qui prend fait et cause pour les indiens) à la sauce écologique.
Car l’avatar envoyé par un horrible colonel (référence : Rambo) pour manipuler les indigènes va basculer, et se retourner contre son propre camp. Ou plutôt, contre « son peuple », les blancs, qu’il trahit (Références racistes mades in USA).
En arrivant dans son « nouveau peuple », il doit d’abord capturer un mustang sauvage et le domestiquer pour en faire sa monture : on a droit à une scène de rodéo déjà mille fois vue (sauf qu’elle se passe dans les airs).

Ayant enfin domestiqué et soumis sa monture, le cow-boy avatar ne fait plus qu’un avec elle. L’Homme domestique l’animal, comme au bon temps de la conquête de l’Ouest.
Mais les blancs, avides de minerai, attaquent le gentil peuple indigène qui ne sait rien d’autre pour se protéger que d’invoquer sa divinité, une espèce de Déesse-mère de la nature à la mode hindouiste.

On voit alors à des scènes de prière communautaire où le New Age se mêle au pentecôtisme américain, dans un fort relent de fondamentalisme évangélique.

III. Cameron, le preacher

Parce que James Cameron est avant tout un preacher, un missionnaire envoyé au monde pour prêcher la foi américaine (à coup de dollars).
Dans ce domaine, sa naïveté est confondante, on retrouve le melting-pot déjà mis en œuvre dans son film de 2007, La Tombe Perdue de Jésus (cliquez) . C’est tellement beau, qu’on voudrait que ce soit vrai : le peuple des indigènes communique avec l’énergie des arbres en introduisant sa queue (caudale !) dans leurs troncs. Par le même canal, il reçoit l’énergie des plantes et obtient la guérison des maladies sans passer par la case industrie pharmaceutique. Ah, qu’il est beau, qu’il est bon ce monde délivré de la chimie, où l’Homme resté à l’état de nature reçoit tout d’elle, et ne lui fait aucun mal en osant l’exploiter !

Autour de l’Arbre de Vie (cf. la Bible), le peuple des mormons-New Age-pentecôtistes agite en rythme ses mains frémissantes, yeux extatiques levés au ciel, danses de possession mystique de la chamane et discours adressés à la divinité (qui répond à son peuple, contrairement au Dieu habituel).

A un preacher américain, il fallait nécessairement une happy end qui montre les bons (le peuple indigène) expulsant les mauvais (les américains gourmands de pétrole) de leur territoire sacré, après avoir flanqué une raclée à l’armée la plus puissante de l’Univers avec leurs arcs et leurs flèches.
Et pour que l’émotion soit garantie, le bon-blanc, traître à son peuple, qui a pris le parti de défendre les indiens exploités, meurt à la fin.
Il le fallait : parce que le Christ a été crucifié pour sauver l’humanité.
Mais le bon-blanc a plus de chance que Jésus sur la croix : sur son visage exangue se penche la ravissante Marie-Madeleine, qui lui donne un dernier baiser (référence : la fin du Titanic).

Car tout cela est noyé dans le sentimentalisme américain sommaire : la brute tombe amoureux de la belle (non sans s’excuser poliment – I’m sorry – quand elle lui fait remarquer qu’il casse tout).
Puis l’amour le transforme en héros prêt à se sacrifier pour l’humanité – la seule vraie, celle des indiens, les Yankees n’ayant pas plus de tête que les robots qu’ils conduisent à l’assaut du peuple aux mains nues.

On ne nous épargne pas la scène où le chef de la tribu, père de la belle, meurt sous ses yeux alors qu’elle saisit la main de la bête dans un moment d’intense communion.
Ah ! qu’elles sont douces-amères en ce sanglotant instant les larmes que la belle et la bête versent ensemble, unies dans une douleur que leur amour seul leur permettra de surmonter !

A l’entrée de la salle, on vous distribuera des lunettes, mais pas de mouchoirs : n’oubliez pas le vôtre !

Jetez dans une casserole toutes les frustrations, les culpabilités, le sentimentalisme et la religiosité païenne américaine. Ajoutez un bon coulis de sang et de violence, cuisez à feu vif.
Faite-en une œuvre d’art graphique absolue, techniquement et visuellement stupéfiante : vous avez Avatar. On comprend que « ça marche » : le public aime la mélasse, et apprécie la beauté.

 
IV. Agora, d’Alejandro Amenabar

Mais si on compare Avatar avec Agora, le film d’Alejandro Amenabar, on se dit que la superficialité est du côté américain, la profondeur du côté européen.
Lui aussi, Agora est d’une très grande beauté formelle, avec une utilisation parfaite des images de synthèse : la reconstitution de l’Alexandrie de la fin du IV° siècle est époustouflante, les acteurs remarquables.
Mais le scénario d’Agora est tiré d’un épisode vrai de l’Histoire de l’Occident, toujours passé sous silence, qu’Amenabar raconte avec fidélité : la persécution sanglante et fanatique infligée par les chrétiens (à peine reconnus officiellement) aux prêtres de la religion Égyptienne millénaire d’abord, aux juifs ensuite.
Tout tourne autour de Cyrille d’Alexandrie, le boucher qui lança ses pasdarans chrétiens à l’assaut des non-chrétiens. Et qui sera canonisé, après avoir été décrété Docteur de l’Eglise.
Seul un Amenabar était capable de faire un si beau film sur ce sujet tabou. Images, scenarios, dialogues, c’est une réussite du début à la fin.

Allez voir Avatar en 3D, vous n’oublierez pas sa beauté.
Mais surtout ne manquez pas Agora : au choc visuel s’ajoute le choc intérieur.

Un choc salutaire, indispensable pour nous réveiller.                                M.B., 12 janvier 2010

L’OMBRE DE LA MORT DANS LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM

La mort est notre seule certitude.

Pour l’Ancien Testament, la mort est une punition infligée par Dieu à l’homme et à la femme, parce qu’ils ont voulu savoir ce qu’il fallait ignorer afin de ne jamais mourir : où se situe la frontière entre le bien et le mal.

C’est-à-dire qu’il existe un Mal, un Mauvais, un Shatân à l’œuvre dans la création. Faire sa connaissance c’est le rencontrer, le rencontrer c’est être brûlé par lui à jamais .

Tandis qu’ignorer Le Mal, c’est être ignoré par lui et ne pouvoir être atteint par lui. « Le Mal c’est mon affaire dit Dieu, certes il existe mais vous ne devez savoir ni d’où il vient, ni s’il est comme vous une créature que je tolère ou puis seul soumettre. Ne lâchez pas ce fauve, sinon il vous dévorera. »

On connaît la suite : la femme (encore elle !), séduite par le charme du Mal, lui fait de doux yeux et la fracture s’installe pour toujours dans une création jusque là unifiée par le sommeil du dia-bolos, celui qui sépare, qui divise.

Désormais, la mort sera l’horizon du peuple juif. Elle met un terme à la vie, mais rien n’est perdu puisqu’un Messie reviendra, qui restaurera l’ordre ancien de la création, perdu par l’acquisition de la connaissance.

La Bible est fataliste, mais point désespérée : l’attente du Messie permet de supporter celle de la mort. On s’en accommode sans s’en inquiéter outre mesure. Se l’infliger ou l’infliger à autrui est un crime, qui conduit tout droit à l’enfer.

Au milieu du 1er siècle, le rabbi Jésus s’insurge contre la mort. Il fait preuve à son égard d’une absolue détestation : quand il la rencontre aux portes du village de Naïm ou devant la pierre tombale de Lazare, quand elle menace une femme à l’instant de sa lapidation pour crime d’amour, quand elle attend des malades condamnés par l’absence de médecine, il fait tout pour s’opposer à elle : il ranime, il prend la défense de l’accusée, il guérit.

A-t-il souhaité mourir, s’est-il suicidé ? Cliquez.

Ce refus de l’acceptation de la mort comme châtiment inéluctable, inévitable, cette insoumission devant l’œuvre du Shatân est la marque de Jésus. Elle le classe à part dans le judaïsme, et à vrai dire dans la lignée des grands Éveillés.

En s’imprégnant du messianisme exalté qui s’était développé autour des esséniens un siècle auparavant, le christianisme naissant abandonnera (ou plutôt, n’adoptera jamais) le rejet de la mort manifesté par Jésus.

Les choses se compliquent quand Paul de Tarse introduit dans le dogme chrétien naissant des pans entiers de la religiosité orientale – donnant naissance au christano-paganisme qui est toujours le nôtre aujourd’hui.

La mort n’est plus le châtiment de la connaissance : elle sanctionnera désormais le refus d’adopter les dogmes, les sacrements et les pratiques chrétiennes. l’Église s’est substituée à Dieu, elle est la seule à posséder le savoir. « Si tu le suces à son sein et nulle part ailleurs, tu entreras au paradis. Sinon, c’est l’enfer plus tard – et déjà maintenant, puisqu’on te brûlera si tu oses mettre en doute le monopole de la vérité détenu par l’Église ».

Hors de l’Église, pas de salut : n’attendez plus le Messie, il est déjà là, il a pris corps dans une corporation qui s’identifie à lui et rend son retour inutile.

Les chrétiens ne désirent pas la mort, ils la condamnent et la craignent. Mais ils s’agrippent à la barque de Pierre pour ne pas s’y noyer.

Le Coran marque l’aboutissement final du messianisme judéo-chrétien.

Ầ ses yeux non plus, le Messie n’aura pas à revenir puisqu’il vient d’arriver : c’est l’Umma, la communauté musulmane, « la meilleure communauté suscitée par Allah sur terre ». Le croyant coraniste ne peut vivre qu’à l’intérieur de l’Umma : tout ce qui se trouve en-dehors, le dar-al-harb, c’est un monde de ténèbres où règne le Shatân. Plutôt mourir que d’en franchir l’immatérielle frontière.

S’infliger la mort pour demeurer fidèle à l’Umma, c’est être assuré d’entrer au Paradis. L’infliger à autrui pour préserver l’Umma, ce n’est pas un péché mais une bonne oeuvre.

          Hors de l’Umma, pas de salut.

Et comme chaque Infidèle – chaque être humain vivant hors de l’Umma – est habité par le Shatân, bien plus, comme il défend et propage sans le savoir l’œuvre de Shâtan, il faut en tuer le plus possible.

Tuer les infidèles, c’est faire reculer le royaume de Shatân, c’est accélérer la venue du ciel sur la terre, quand il n’y aura plus que des muslims, des hommes et des femmes soumis à Allah.

La mort est un bien désirable, se l’infliger pour Allah c’est aller au Paradis, l’infliger au nom d’Allah c’est protéger l’Umma.

Donner la mort ou la recevoir dans le « Chemin d’Allah », c’est l’idéal de tout croyant coraniste.

Parce qu’il a été travesti par les chrétiens, ignoré par le Coran, le message de Jésus n’a jamais eu aucune chance d’être entendu, et encore moins mis en pratique.

          Shatân lâché en liberté, l’ombre de la mort ne nous quitte plus.

Chrétiens ou musulmans, musulmans contre chrétiens, nous sommes condamnés à patauger dans le sang et la violence des ‘’Voies du Seigneur’’ de l’Église ou du ‘’Chemin d’Allah’’ du Coran.

                                                                     M.B., 21 août 2013

 

 

Fête du Nouvel-An et désenchantement du monde

Les fêtes de Noël et du Nouvel-An viennent de ruisseler sur nous comme les chutes du Niagara sur de jeunes mariés américains. On s’en remettra.

Depuis l’essor de l’archéologie, nous savons que les peuplades les plus anciennes, les plus archaïques, possédaient toutes des mythes étroitement reliés au cycle du soleil. Dans notre Occident, les Celtes célébraient déjà la fin d’une année et le commencement d’une autre. En Orient, je crois que les Hindous eux aussi marquent depuis des millénaires la succession des cycles annuels par des rites colorés.

Profondément enfouis dans la nature humaine, ces rites exploitent la banalité des saisons pour exprimer les mythes d’une civilisation. Des mythes qui donnent à nos vie l’arrière-plan, la profondeur qui leur manqueraient sans eux : l’infini du cosmos.
Et au-delà, Dieu ou ce qui en tient lieu.

Dans le monde gréco-romain du 1° siècle, la mythologie était omniprésente. La succession du temps, qui est à deux dimensions – avant et après – en recevait une troisième dimension,au-delà.
Le judaïsme ajoutait un élément qui n’était pas absent des autres cultures mais auquel il donnait une place prépondérante : dans ce monde à trois dimensions, Le Mal danse et entraîne les humains dans sa farandole. Et à partir du IV° siècle avant J.C. environ les juifs l’ont personnalisé, en l’appelant le Satan – souvent traduit dans les versions grecques de la Bible par le Diabolos, « celui qui divise ».

Un monde enchanté par la lutte du bien contre le mal, personnifiés en figures hautes en couleur et qui s’affrontaient quelque part au-dessus de nos têtes : nous étions spectateurs impuissants, et toujours victimes, de ce combat des Titans (ou des Anges) qui se déroulait en-dehors de nous, dans un ailleurs inaccessible. C’était le sort, ou le destin, le fatum des romains : une fatalité à laquelle nous étions soumis, sans action possible sur elle.

L’enseignement de Jésus désenchante ce monde de mythologies.
Juif, il sait que Dieu est une chose, et l’humain une autre : il ne les confond pas, ne cherche pas à les faire découler l’un de l’autre – ce qui est la tendance de toutes les mythologies.

Dieu est dans les Shamaïm – que nous traduisons, faute de mieux, par « le ciel » – et nous autres nous sommes sur terre. Ceci, qui est juif, il le corrige de façon révolutionnaire :

1) Pour un juif de son temps, le frère était un autre juif – à l’exclusion des non-juifs. Pour les Esséniens, un membre de sa secte – à l’exclusion des autres juifs. Pour les Zélotes, celui qui se révoltait comme lui et avec lui, en prenant les armes.

Pour Jésus, le prochain est tout homme, ou toute femme dont on croise la route. Ni le frère de sang, de fanatisme, ou le frère d’armes : celui (ou celle) qui est , sur mon chemin.

2) Ce prochain sans distinction, il en fait le convive invité à un repas festif qu’il décrit comme son « Royaume » : le monde accompli, réalisé, enfin libéré de la danse du Mal.

3) L’hôte qui invite à ce repas est au centre de la fête, il l’organise et en fixe l’ordonnancement, le déroulement concret.
Parabole : cet hôte, c’est Dieu.

4) Nous sommes les seuls responsables du bien (ou du mal) qui se fait en nous et autour de nous. Notez que c’est aussi l’enseignement du Bouddha.

Dieu ne s’anéantit pas pour devenir semblable à ses convives (c’est la Kénose du Nouveau Testament). Les convives n’aspirent pas à être divinisés. Chacun reste à sa place, avec sa nature propre, mais l’Un reçoit les autres dans son intimité.

Monde désenchanté, parce qu’il ne laisse aucune place à des puissances maléfiques (ou bénéfiques) imaginaires. Mais monde réenchanté par la magie des paraboles, qui décrivent le bonheur comme une réalité familière, et font chanter l’imagination en lui ouvrant le mystère de la convivialité avec Dieu.

Jésus a désenchanté le monde mythique de l’Antiquité.

Il l’a réenchanté, non pas en créant d’autres mythes, mais en le décrivant par des paraboles enchanteresses.

Ce monde désenchanté, le christianisme s’est hâté de le réenchanter

– En incarnant Dieu et en divinisant l’homme

– En donnant à des sacrements, dont la clé se trouve dans les poches des Églises, le pouvoir quasi-magique d’accéder à la divinisation.

– En adoptant la plupart des mythes païens pour les revêtir du manteau chrétien. Parmi bien d’autres, le Sol Invictus qui est devenu Noël, naissance du Christ.

Sans ce réenchantement du monde, le christianisme ne se serait jamais développé. Tant il est vrai que nous avons besoin de mythes enchanteurs, pour survivre dans un monde qui n’a rien d’enchantant.

A moins que… au monde désenchanté que nous connaissons depuis si longtemps, sans espoir, tétanisé par un futur de pénurie et d’affrontements, quelques-uns ne tentent de substituer un jour le monde désenchanté de Jésus, enchanté par sa parole à lui.

                                    M.B., 7 janvier 2010

 

LA FRANCE, LA MÉDIOCRITÉ ET LA HAINE

                   « Dans cette grande nuit où personne ne guide personne »

Marie Noël

La France s’enfonce-t-elle dans la haine et la médiocrité ?

La violence caractérise l’espèce humaine, les animaux ne tuent que pour se nourrir ou défendre leur territoire. L’être humain est le seul qui tue sans nécessité biologique, le seul capable de haine gratuite.

Quand on survole l’Histoire, on s’aperçoit que nous autres humains avons eu dès l’origine le triste privilège de la haine d’homme à homme – c’est le mythe du meurtre d’Abel par Caïn. Puis est arrivé un moment où les sociétés s’étant constituées, on a vu naître la haine collective. Un peuple se mettait à en haïr un autre, une partie de ce peuple à haïr l’autre, une tribu se dressait contre l’autre.

La violence devenait institutionnelle, elle ne tarda pas à devenir haine d’État.

Qu’est-ce qui motivait, puis justifiait cette violence ? Au XII° siècle avant J.C. Josué envahit la Palestine, commettant le premier génocide attesté par l’Histoire (cliquez) : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. » (1) « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. » (2)  Et Josué dit aux israélites : « Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (3)

Pour la première fois, la violence institutionnelle était formulée en termes religieux, c’est-à-dire irrationnels, à la fois vagues et puissamment motivants.

D’une façon ou d’une autre, ce type de haine a été à l’origine de tous les mouvements de révolte accompagnant l’affaiblissement d’un pouvoir et son remplacement par un autre.

Affaiblissement : le pouvoir en place (ou le peuple dominé) se montre incapable de faire face aux événements. La médiocrité des uns devient impuissante devant la haine des autres.

La médiocrité et la haine s’appellent l’une l’autre.

Cercle vicieux, engrenage mortifère.

Ce qui est frappant, c’est que la violence d’État, et la haine qui la provoque, empruntent leur justification et jusqu’à leur vocabulaire au domaine religieux. On se laisse séduire par quelques grandes idées, capables d’entraîner des foules. Peu à peu elles prennent le pas sur la réalité, on devient aveugle à cette réalité qui s’efface devant l’idéologie. Au terme, on en vient à oublier les grandes idées généreuses qui justifiaient la violence des débuts.

La haine seule subsiste, et elle se manifeste dans des désordres sanglants. Parmi tant d’autres, un exemple : l’idée de liberté, au nom de laquelle la Révolution française se laissa aller à commettre tant de crimes. (4)

Pendant la terreur de 1793 ou les purges staliniennes de 1938, on ne savait plus pourquoi il fallait haïr. Le pouvoir étant affaibli ou se sentant menacé, la médiocrité prit le dessus. La violence ne trouvait plus sa justification qu’en elle-même. Le pouvoir ne la maîtrisait plus, quand il ne l’alimentait pas pour se présenter comme dernier recours. Sa médiocrité le poussait à vivre d’expédients, laissant l’anarchie se développer jusqu’à ce que quelqu’un tire les marrons du feu.

On l’a vu avec Napoléon à la fin de la Révolution Française, ou encore en 1958 quand De Gaulle profita de ce moment où « personne ne guidait plus personne » pour réussir son coup d’état. Heureusement, c’était un démocrate : il a établi une monarchie républicaine, où le roi élu au suffrage universel possède tous les pouvoirs, écartant en principe le spectre de l’anarchie.

Ầ condition que cette nouvelle religion d’état ne soit pas atteinte par la médiocrité du roi. S’abaisse-t-il devant les caméras de télévision, en répondant à l’insulte d’un citoyen par l’insulte, à sa grossièreté par la vulgarité ? Ou encore, devient-il aveugle après avoir promis d’être lucide ? Dans un cas comme dans l’autre, la réalité reprend le dessus, la haine avec elle, et la médiocrité reste seule à gouverner.

Sommes-nous, une fois de plus, entrés dans ce moment où la médiocrité l’emportant chez nos dirigeants, la haine va se déchaîner sans contrôle et sans entraves ?

                                                                              M.B., 4 nov. 2013

(1) Livre de Josué, chap. 10

(2) –id-, chap. 11

(3) –id-, chap. 24.

(4) Madame Roland au pied de l’échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »