Archives pour la catégorie L’ISLAM EN QUESTIONS

Quelques-unes des questions que posent le Coran et l’islam à l’historien…

NAISSANCE DU CORAN (III) : le grand fourre-tout

Lisez le Coran, vous constaterez que ce texte n’a ni queue ni tête. Ses 6325 versets semblent avoir été assemblés – ou plutôt désassemblés – comme un puzzle dont les pièces auraient été éparpillées au hasard sur une table. Un mélange de citations bibliques (mais la Bible du Coran n’est pas notre Ancien Testament), de récits sur Jésus (ils n’ont rien à voir avec nos évangiles), de lois sur la vie quotidienne… le tout truffé d’allusions obscures à des mythes disparus et à des batailles introuvables.

Or, comme nous l’avons vu (cliquez), pour l’islam l’auteur du Coran n’est personne d’autre que Dieu lui-même. Serait-il doté d’un esprit brouillon, mélangeant tout, incapable d’une pensée cohérente ?

La question s’est posée très tôt. Au 8e siècle, le grand philologue irakien Al-Kindi écrivait : « La conclusion est évidente pour quiconque a lu le Coran et a vu de quelle façon, dans ce livre, les récits sont assemblés n’importe comment et entremêlés. Il est évident que plusieurs mains – et nombreuses – s’y sont mises et ont créé des incohérences, ajoutant ou enlevant ce qui leur plaisait ou leur déplaisait. »

Plusieurs mains, et nombreuses : lesquelles ?

Pour répondre à cette question il m’a fallu remonter au 5e siècle avant J.C., époque à laquelle des Hébreux exilés à Babylone ont mis par écrit la Bible telle que nous la connaissons. Pour arriver au 7e siècle après J.C., quand l’empire Byzantin s’affrontait à l’empire Perse au Moyen-Orient : des Arabes sédentarisés en Syrie ont utilisé cette période troublée comme une fenêtre de tir pour réaliser un rêve qu’ils avaient fait leur, reconquérir Jérusalem et y reconstruire le temple détruit par Titus en l’an 70.

C’est dans ce contexte que le Coran a pris naissance.

Moins d’un siècle plus tard, ces Arabes avaient conquis une grande partie du bassin méditerranéen. Pour transformer cette conquête militaire en civilisation conquérante, il fallait à la fois créer un mythe fondateur et unifier par des lois communes les peuples conquis. Ce fut l’œuvre des califes de Jérusalem, de Damas puis de Bagdad.

Alors, tout s’éclaire. Le Coran est l’écho de la volonté de ces califes, qui façonnèrent à la fois la légende fondatrice et les lois de leur Empire en train de naître.

Plusieurs mains, et nombreuses : ce sont celles des califes, ou plutôt des historiographes et des théologiens auxquels ils confièrent la mission d’amplifier et de corriger – à partir d’une matrice judéo-chrétienne – un texte qui deviendrait sacré.

Nous sommes bien documentés sur ces premiers califes de l’islam, mais dans l’état actuel de la recherche il est impossible de distinguer dans le texte du Coran ce qui vient de l’un ou de l’autre, d’attribuer tel passage à tel calife plutôt qu’à tel autre. Cette recherche n’est toujours pas libre dans le monde musulman : pour l’instant, seuls quelques chercheurs de haut niveau, d’origine chrétienne, ont pu s’y mettre. Ce sont leurs travaux, restés confidentiels, que j’ai tenté de synthétiser de façon claire dans mon livre à paraître, Naissance du Coran.

Les musulmans sont donc aujourd’hui dans la situation où se trouvaient les chrétiens au début du 19e siècle, quand quelques protestants ont mis en œuvre l’exégèse historico-critique de la Bible. Avec le double résultat que l’on connaît : d’abord l’apaisement, puisque les croyants pouvaient enfin séparer les aspects les plus guerriers et intolérants de la Bible du message des prophètes, puis de Jésus lui-même. Ensuite l’entrée dans la modernité, puisqu’ils ne prenaient plus à la lettre les lois et les préceptes de civilisations antiques et cruelles.

Puisse ce petit livre aider les descendants des Arabes du 8e siècle à trouver, avec un regard nouveau posé sur leurs origines, le chemin de la paix.

Et nous avec eux.

                NAISSANCE DU CORAN, aux origines de la violence

À paraître prochainement.

                                                            M.B., 13 avril 2014

 

NAISSANCE DU CORAN (II) : une langue incompréhensible ?

Fin avril va paraître un livre sur le Coran, et celui-là n’est pas comme les autres.

En 140 pages, j’ai voulu synthétiser un siècle de recherche indépendante de façon claire, simple, compréhensible.

Voulant en avoir le cœur net, vous achetez une des nombreuses traductions françaises du Coran. Par curiosité, vous comparez cette traduction avec une autre, et les ennuis commencent : ces traductions divergent, et pas seulement sur des points de détail. Pourquoi ?

Au début du 7e siècle, il n’existait pas de littérature arabe (1). Soudain au 8e siècle, apparût un texte, écrit dans une langue d’une grande beauté, qui n’avait aucun antécédent littéraire – fait unique dans l’histoire de la littérature mondiale. Les musulmans considèrent donc sa naissance comme un miracle : le Coran aurait été dicté au Prophète tel qu’il est conservé au ciel, de toute éternité, sur une « Table gardée. »

Pour les Juifs, sur le sommet fulgurant du Sinaï Moïse aurait reçu la Torah sur des tables écrites par le doigt de Dieu. Si le Coran avait été lui aussi écrit par Allah, il aurait été créé comme le reste de l’univers. Mais pour les musulmans, le texte du Coran n’a jamais été créé.

Comme Allah lui-même il est divin, c’est un Verbe incréé. (2)

C’est pourquoi le Coran affirme que « nul autre qu’Allah ne connaît l’interprétation du Coran. » (3) Parce qu’il est de nature divine,  parce que c’est un attribut divin, il participe à l’infini d’Allah et on peut lui reconnaître une infinité de sens.

Traduire le Coran est donc chose impossible, ce serait dire dans une langue autre que la sienne ce que Dieu a dit dans sa propre langue – une langue aussi impénétrable qu’Allah lui-même. C’est pourquoi la traduction wahhabite, patronnée par l’Arabie Saoudite, s’intitule Le Saint Coran, traduction en langue française du sens de ses versets.

Une traduction ne peut que s’approcher du sens du Coran. En choisissant un seul sens, le traducteur trahit l’infinité de ses significations.

Dans la Postface de Naissance du Coran, je résume les travaux des chercheurs qui aboutissent à une tout autre conclusion. La langue du Coran serait issue de l’araméen, langue-soeur de l’hébreu, d’abord adoptée par des Arabes sédentarisés en Syrie et peu à peu transformée par eux au contact des parlers arabes qui étaient les leurs.

Si l’on veut, on peut dire que la langue du Coran est un araméen dialectisé par des Arabes à la fin du 7e siècle, dans le Croissant fertile.

Un arabe du 7e / 8e siècle est aussi éloigné de l’arabe moderne parlé dans les rues d’Alger ou de Rabat que le Roman de la Rose ou Rabelais sont éloignés du français parlé aujourd’hui à Paris. Oui, c’est de l’arabe (comme Rabelais est du français) mais bienheureux qui peut dire qu’il le comprend à livre ouvert.

Ses auteurs pouvaient être fiers d’eux, puisqu’ils avaient inventé une langue pour parler de Dieu et à Dieu, dont le Coran affirme qu’elle est « inimitable. » Et en effet, personne aujourd’hui ne la parle ni ne la comprend sans l’aide de spécialistes, qui souvent ne s’accordent pas sur le sens des mots et des tournures.

En Indonésie, au Pakistan, en Iran ou en Afrique sub-saharienne, les écoliers des madrasas apprennent par cœur et récitent un texte auquel ils ne comprennent rien. Même si leur langue natale était l’arabe, ils ne comprendraient pas car l’arabe qu’ils utilisent chaque jour est très éloigné de l’arabe coranique. Ils articulent et récitent des sons privés de sens, mais qui ont pour eux une valeur sacramentelle puisqu’ils sont divins en eux-mêmes.

Se posait alors à moi un problème : comment étudier un texte dont je ne comprends pas la langue originale ? J’ai donc comparé six traductions françaises avant d’en adopter finalement quatre autres, établies par des arabisants reconnus. Les 140 pages de Naissance du Coran comptent près de 400 citations du texte, j’en donne les références en indiquant (quand il y en a) les variations de traduction, et les justifications fournies par les traducteurs. Les versions de Masson, Berque, Blachère, Grosjean sont confrontées à chaque fois qu’elles divergent, travail complété quand c’est utile par les travaux de Bonnet-Eymard, Gallez, Hamidullah.

Vous n’aurez sans doute pas la patience de faire ce travail : il m’a permis d’approcher au plus près d’un texte devenu sacré, émanation divine qui met périodiquement le feu à la planète depuis 13 siècles.

                  NAISSANCE DU CORAN, aux origines de la violence

                                          À paraître fin avril.

                                                M.B., 10 avril 2014

(1) La « poésie préislamique » pose question.

(2) De même, pour les chrétiens Jésus est la Parole de Dieu incarnée.

(3) Coran 3, 7.

 

 

PAS D’AMALGAME ! Bons et mauvais musulmans (I)

« Surtout, pas d’amalgame ! Ne confondez pas une poignée de fanatiques avec la majorité des musulmans, qui sont tolérants et pacifiques. » C’est la pensée politiquement correcte, qui nous est assénée à longueur de medias par les politiciens et officiels de l’islam en France.

Pourtant, la réalité est là, et elle dérange. Car si la majorité des musulmans européens est en effet paisible et intégrée, une minorité de plus en plus nombreuse, de plus en plus bruyante, est extrêmement agressive et réclame (ou impose) des pratiques et une identité en contradiction totale avec nos valeurs occidentales, morales, familiales, citoyennes et politiques.

Fanatiques et croyants apaisés ont un point en commun : tous se réclament du Coran. Comment les musulmans peuvent-ils, avec la même et unique référence, être à la fois pacifiques et violents, tolérants et intolérants, ouverts au dialogue et totalitaires ?

Avant d’être abattu par le RAID, Mohammed Merah affirmait « s’être radicalisé en prison, tout seul, en lisant le Coran. » Qu’y a-t-il dans ce texte, qui peut conduire un jeune français au meurtre et à l’immolation ? Le problème c’est donc bien le Coran, la façon dont il est compris et peut être utilisé par les uns ou par les autres, avec des résultats diamétralement opposés.

C’est cette constatation qui m’a poussé à écrire un court essai,  Naissance du Coran, aux origines de la violence, qui paraîtra fin avril.

Dix années de travail, deux ébauches abandonnées pour parvenir à cet essai.

J’ai repris et synthétisé les travaux de chercheurs de haut niveau, peu connus du public, certains parus récemment. Ces chercheurs, je les appelle « indépendants » car ils se situent délibérément en-dehors de la Pensée Unique, celle qui s’aligne aveuglément depuis mille ans sur la légende fondatrice de l’islam. Ils appliquent au texte du Coran la méthode historique et critique qui a permis aux chrétiens de lire la Bible autrement que ne le faisait leur tradition, trouvant l’apaisement et s’ouvrant à la modernité.

Cette lecture historico-critique du Coran, elle est interdite aux musulmans, et ceux qui s’y sont risqués ont été sévèrement châtiés. Parce qu’elle remet en cause le dogme fondateur de l’islam : « Le Coran a été dicté au Prophète par Dieu. Son texte est matériellement, grammaticalement, la parole de Dieu lui-même. On ne  »critique » pas les paroles de Dieu. »

Ce dogme, il a longtemps été partagé par les chrétiens. La Bible juive et les évangiles étaient la parole de Dieu, on devait les recevoir et les lire littéralement. Depuis Origène, on concédait qu’une lecture allégorique de la Bible était possible : cette lecture, qui voyait dans les passages les plus difficiles du texte sacré une allégorie à interpréter, a permis l’élaboration de dogmes de plus en plus baroques, qui pouvaient tous se réclamer de la Bible en tirant d’elle des conclusions qui n’avaient pas grand-chose à voir avec son texte.

Au 19e siècle, les protestants ont commencé à lire la Bible autrement, en la replaçant dans son contexte historique et en utilisant des outils linguistiques performants. Et ce n’est qu’en 1943 que les catholiques ont été autorisés à en faire autant, adoptant sans réserve l’exégèse historico-critique de la Bible.

Une ère nouvelle s’ouvrait, on pouvait enfin faire le tri entre l’enseignement des prophètes ou de Jésus, et le maquillage ajouté par les milieux juifs ou chrétiens pour des raisons essentiellement politiques : prendre ou conserver le pouvoir idéologique.

Sous forme d’essais ou de romans, tous mes ouvrages sont nés de cette nouvelle approche des textes. Ils déconcertent les traditionalistes, mais montrent la voie d’une refondation de notre culture occidentalo-chrétienne. Que cette ouverture ne puisse pas se traduire dans une réforme en profondeur de l’Église, c’est une autre question.

Ce travail gigantesque, les musulmans ne l’ont pas encore commencé, et les « Nouveaux Penseurs de l’islam » s’arrêtent à son seuil. Le Coran reste le texte sacré, intouchable, qui ne peut être critiqué et doit être lu à travers une tradition politiquement correcte.

En proposant une synthèse des travaux récents de ces chercheurs « indépendants » j’ai voulu ouvrir des portes, au risque d’être mal compris par des croyants sincères pour qui le Coran est une référence intouchable. C’est pourtant à eux que ce petit livre est destiné, comme à tous ceux qui s’étonnent de la violence dont font preuve les islamistes.

Dans une série d’articles à venir, je reprendrai quelques-uns des obstacles que j’ai rencontrés, quelques-unes des hypothèses proposées par la recherche.

« La vérité vous rendra libre », disait l’auteur du 4e évangile. Sa recherche patiente, humble, laborieuse, est la condition de la paix intérieure et sociale.

             NAISSANCE DU CORAN, aux origines de la violence.

À paraître fin avril.

                                                 M.B., 9 avril 2014

 

LE MESSIANISME, DANGER PLANÉTAIRE (Juifs, évangélistes, musulmans…)

          Y a-t-il une clé pour comprendre l’Histoire contemporaine ?

Tout commence avec le roi David, autour de 1000 avant J.C.

Le territoire occupé par les juifs était alors minuscule : il allait du sud-Liban (plateau du Golan), jusqu’à l’extrémité du Néguev. A l’ouest, la bande côtière en était exclue : mais il mordait un peu sur la Transjordanie, à l’est.

Quarante ans plus tard, lorsque David meurt, son royaume – dit-on – se serait étendu de la Méditerranée à la mer Rouge et de la mer Rouge à l’Euphrate. « De la mer à la mer, du Fleuve au bout de la terre » (Ps 72,8) : tel était le mythique Royaume de David. Le Liban aurait été avalé, la Syrie digérée par David : Damas n’étant plus qu’une sous-préfecture de Jérusalem.

Ce Royaume de David pouvait donc rivaliser avec les plus grands empires voisins.

Jérusalem devient son centre religieux quand Salomon (le fils de David) y construit un Temple. Mais à sa mort (en 930), le beau royaume éclate en morceaux. Le nord est finalement reconquis en 722 par l’Assyrie, qui déporte sa population. En 587, c’est Jérusalem qui est prise à son tour, et les juifs sont déportés pour la deuxième fois à Babylone. Le Temple de Salomon est détruit.

Le « Royaume de David », n’aurait duré que deux générations.

Mais en réalité, a-t-il seulement existé ?

 FABRICATION D’UN MYTHE 

C’est dans l’exil des déportations que va naître un mythe tenace, qui est à l’origine de tous nos déboires. Un mythe à deux facettes :

1- Une terre conquise par la force et la violence 

Si l’on en croit le Livre de Josué, les douze tribus juives (fuyant l’Égypte vers 1200 avant J.C.) s’étaient appropriées la « Terre Promise » par une conquête militaire violente : « Tous ses voisins se sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais Josué est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivis jusqu’au Liban » (1).
La Bible décrit ensuite avec complaisance le premier génocide palestinien : Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. « Tous sont passés au fil de l’épée : c’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans un seul survivant » (2).

En réalité, les choses se sont passées tout autrement.
Fouille après fouille, les archéologues découvrent qu’il n’y a jamais eu de conquête violente de la Palestine. A leur arrivée, les nomades juifs faméliques, sans armes et sans expérience militaire, n’ont provoqué aucune réaction de rejet : il n’y a pas eu de coalition contre eux, pas de grandes batailles, pas d’effondrement des murailles de Jéricho au son des trompettes. Les juifs n’ont pas conquis le pays par la force de leurs armes : ils se sont intégrés sans violence, paisiblement, avec le temps.
Sans-papiers, ils ont été régularisés par des voisins débonnaires, dont ils ont fini par adopter le style de vie, la culture – et (en bonne partie) la religion.

Des siècles plus tard, leurs descendants anéantis par l’invasion de l’Assyrie sont déportés en masse au bord des fleuves de Babylone. Là, ils se rendent compte qu’ils courent un grand danger : être assimilés.
Disparaître, par dilution, dans la prestigieuse culture (et dans la religion) de l’Assyrie.

Par l’effet mécanique d’une contagion lente, insidieuse, ils risquent à Babylone de perdre leur identité juive. Une solution finale du peuple juif, sans chambre à gaz.

Comment réagir ? Pour continuer d’exister, les exilés juifs se raccrochent au souvenir rêvé d’un passé de conquérants. Ils s’imaginent une origine glorieuse et militaire, une occupation de la Palestine dans la violence et dans le sang. L’invention de cette épopée héroïque de pionniers avait un but, leur redonner confiance en eux-mêmes : un jour, comme déjà dans ce passé fictif, ils prendront les armes, un jour ils redeviendront forts, un jour ils retourneront à Jérusalem et rétabliront le Royaume de David à la pointe de leurs épées.

C’est le moment où les premiers textes de la Bible sont mis par écrit : le mythe de la « conquête violente de la Palestine » s’introduit dans la mémoire d’Israël, il fera désormais partie de l’identité juive.

2- Un roi mythique : David

Sous le coup de l’exil, ils vont ensuite relire l’histoire ancienne du roi David, et en faire une bande dessinée : il se serait (dit-on) introduit dans Jérusalem par surprise, pour la mettre à feu et à sang. Aurait repris leurs terres aux Philistins, conquis le Liban, l’Assyrie, la Transjordanie, le désert du Sud, par la force invincible des armes juives.

Un héros juif, pour des juifs humiliés.

Ils vont faire plus, et prêter à Dieu une promesse solennelle faite à David : lui, Dieu, viendra habiter sur la colline de Jérusalem, dans un Temple.

« Mais ce Temple, dit Dieu, c’est ton fils qui me le construira – pas toi »

Tiens ? Pourquoi donc le Temple, symbole de l’union entre Dieu et son peuple de conquérants, ne sera-t-il pas construit par David le conquérant – mais par son fils ?

Parce que la Bible ne dit pas la vérité. Et cette vérité, elle a été récemment mise à jour par les archéologues. Les fouilles se succédant sur le terrain de ses « conquêtes », il apparaît que David n’a pas laissé l’empreinte d’un grand chef militaire. Des bagarres entre voisins, certes, qui lui ont tout juste permis de s’installer à Jérusalem, d’y construire un (petit) palais, et de conquérir une partie seulement du territoire des Philistins. Mais il n’a pas étendu son royaume jusqu’à l’Euphrate, il n’a pas dominé le Liban et l’Assyrie. Ni fait de Jérusalem une grande capitale : il n’en avait pas les moyens.
Ce n’était qu’un petit chef de bande local, meurtrier à l’occasion. Pour ses voisins, une simple canaille. Son nom n’apparaît dans aucune chronique du Moyen-orient : un bandit sans relief.

En revanche son fils, Salomon, a été un très grand roi. Rompant avec le comportement crapuleux de son père, il va mener pendant 40 ans une habile politique d’alliances tous azimuts avec ses voisins du Nord et du Sud. Il négocie des traités commerciaux avantageux, fait la paix avec l’Assyrie, et Israël devient la plaque tournante du Moyen-orient. Sans guerre, sans violence, Salomon a transformé le petit État-voyou de David en puissance régionale reconnue, et respectée.

Il a alors les moyens de son ambition : construire un Temple à Jérusalem, pour le Dieu juif. Un Dieu qui pourra s’asseoir à la table des Grands, car son Temple est magnifique.

Quand les exilés (bien plus tard) écrivent la Bible, ils vont juger très sévèrement Salomon, mais faire de David un héros fondateur. Pourquoi ?

Parce que Salomon, en s’alliant avec les puissances voisines, avait accepté que leurs dieux soient introduits, dans son royaume, à côté du Dieu juif. Là aussi, c’était un geste politique habile : rien ne cimente mieux une paix entre royaumes limitrophes, sur terre, que la bonne entente de leurs dieux, au ciel.

Pendant leurs exils à Babylone, les déportés avaient côtoyé ces mêmes dieux, et identifié en eux un danger mortel pour leur identité juive. Pas question donc d’accorder à Salomon sa juste place dans l’Histoire : c’eût été donner en exemple aux juifs une cohabitation pacifique, et même heureuse, entre le Dieu d’Israël et d’autres que lui. Ils ont préféré transformer un chef de bande médiocre, sans envergure,  en icône d’un grand roi, choisi par Dieu, consacré par l’onction, son fils (et donc son représentant) sur terre. Et ils font dire à Dieu :  » David, tu es mon fils : je te donnerai les nations pour héritage (Ps 2). Ton nom sera aussi grand que celui des plus grands de la terre (IISm 7) ».

David va devenir l’étendard d’un peuple humilié, qui rêve d’une revanche toujours aussi introuvable. Une revanche par l’anéantissement des oppresseurs, en exécution des promesses divines. On fait donc de lui un grand chef de guerre, et de sa « conquête » une épopée militaire sanglante aux résultats grandioses. Ce qui prouve que le Dieu d’Israël est bien le meilleur.

La Bible répète ainsi le procédé déjà employé pour Josué. Avec le David sculpté par les auteurs de la Bible, la violence, la survie par la guerre et l’expansion par le conflit – le tout au nom de Dieu – pénètrent profondément dans la culture juive. D’où elles se répandront sur la planète, avec des conséquences incalculables.

Tandis que Salomon, véritable créateur politique d’un grand royaume éphémère, va s’effacer devant son père pour n’être plus (aux yeux de la Bible) qu’un aimable philosophe.

Et David devient l’Oint choisi par Dieu : En hébreu, oint se dit messie. Et en grec, messie se dit christ.

Enfermés dans leurs impasses, privés d’espoir et d’horizon, des juifs dépossédés de leur royaume imaginaire s’inventent un mythe qui va changer le monde : ils inventent le messianisme.

 LE MESSIANISME JUIF

Revenus de leurs deux exils, misérables, menacés par leurs voisins, les juifs trouvent la Palestine à l’abandon. Le second temple qu’ils vont reconstruire n’a ni la splendeur de celui de Salomon, ni surtout sa valeur symbolique – puisque l’ Arche d’Alliance en a disparu. Découragés, fermant les yeux sur leur dénuement, ils rêvent à la gloire du passé, à Josué, à David.

Sans s’apercevoir que tout se transforme autour d’eux. Israël (qui ne l’admettra jamais) n’est plus le centre du Moyen-orient, et encore moins le centre du monde. Le centre du monde, il est désormais partout, et c’est l’hellénisme. Au bord des fleuves de Babylone, assimilée par Alexandre, les terribles dieux assyriens pâlissent et s’éclipsent discrètement devant  les locataires de l’Olympe, aimables et triomphants.

C’est pendant cette période de mutations profondes (du VI° au III° siècle) que les juifs vont écrire leurs livres prophétiques. Penchés sur leurs labours, frileusement serrés autour de leur petit nouveau temple, leur horizon est limité par quelques collines. Ils semblent ne rien comprendre aux changements du monde, le champ de leur conscience est obnubilé par la mémoire d’une menace, celle des dieux étrangers. Il leur faudra plusieurs siècles pour comprendre que l’hellénisme est pour eux la nouvelle menace, et qu’il pourrait bien les détruire aussi sûrement que les fantômes des divinités de Babylone.

Exilés du monde tel qu’il va, devenus quantité négligeable sur leur lopin de terre, ils se réfugient dans ce qu’ils connaissent : le rêve.

En rêvant leur passé, ils prennent enfin leur revanche sur la vie et le destin, qui s’acharnent contre eux. Avec un souffle inégalé, les prophètes de la Bible vont donner consistance, pour toujours, au messianisme d’Israël.

Ce monde qui leur est si hostile, ils prédisent son châtiment par un cataclysme destructeur : une apocalypse. La venue d’un Messie précèdera ou accompagnera cette apocalypse, et ce Messie sera un nouveau roi David. Comme lui, il sera guerrier, et répandra le sang des ennemis d’Israël.

Un petit reste seul subsistera. Pour quoi faire ? Pour reconquérir le Royaume de David de leurs rêves. Un royaume restauré dans sa plénitude territoriale, peuplé de juifs fidèles au Dieu Unique, et lui offrant un culte à Jérusalem enfin rétablie dans sa gloire.

A de rares exceptions près, l’ambition messianique juive s’est toujours limitée au domaine mythique de David. Les juifs n’ont jamais sérieusement eu l’idée de convertir la planète entière au judaïsme. Retrouver les frontières le Royaume d’antan, ce rêve-là leur suffisait. Lorsque quelques psaumes, ou quelques passages prophétiques parlent des « nations » que le Messie soumettra quand il viendra, cela ne va pas plus loin que les nations voisines – « de la mer à la mer et de la mer au fleuve Euphrate ».

Les juifs sont viscéralement attachés à leur Grand Israël. Le monde, pour eux, converge vers son centre, Jérusalem. Et le centre de Jérusalem c’est son Temple, qu’il faut reconstruire – plus beau si possible que ne l’était celui de Salomon.

Né en Israël dans ces circonstances, le messianisme sera pour toujours

–          Utopique : on attend le retour d’un monde disparu, meilleur que celui-ci. L’Histoire a un sens.

–          Apocalyptique : ce retour se fera dans la guerre et la violence.

Lorsque le troisième Temple, à peine terminé par Hérode et couvert d’ors, sera rasé par Titus en l’an 70, le messianisme juif va se transformer radicalement. Désormais, l’attente du Messie est individuelle, spiritualisée. L’apocalypse ? Oui, elle se produira, on s’y prépare intérieurement. Le Messie viendra-t-il avant, pendant, après ? Aucun juif ne croit plus vraiment que le Temple pourrait être rebâti par lui, dans une Jérusalem redevenue centre du Grand Israël.

Mais si les juifs ont cessé d’y croire, d’autres vont y croire – à leur place.

 
LE MESSIANISME CHRÉTIEN

Faut-il rappeler que les premiers chrétiens sont des juifs convertis ? Les textes retrouvés à Qumrân montrent que leur judaïsme natal (celui du I° siècle) était imprégné – on pourrait presque dire « infesté » – d’un messianisme exacerbé. Tous attendaient le Messie, dans une perspective de royauté guerrière. Le Document de Damas explique que le temps actuel est l’époque du mal : la venue du Messie causera sa disparition, suivie par un retour conquérant au Pays – enfin purifié de la présence des impies (3).

Les judéo-chrétiens baignaient dans cette ambiance de fin du monde, qu’ils croyaient imminente. Le Messie ne revenant toujours pas, et Jérusalem devenue sous Hadrien une cité grecque, la deuxième génération va elle aussi spiritualiser son messianisme. Désormais, c’est pour la fin du monde qu’on attend la venue sur terre d’une Jérusalem céleste (et non plus terrestre) : dans ses visions, l’Apocalypse de saint Jean la décrit, descendant du ciel, nimbée de splendeur irréelle. Le Christ-Messie trône en son centre, les nations marchent vers sa lumière, et les rois de la terre se prosternent devant elle. Mais seuls, ceux « qui sont inscrits dans le livre » peuvent y pénétrer, et là ils règneront avec le Messie pour l’éternité.

Les Pères de l’Église puiseront sans cesse dans cette vision pour penser le messianisme chrétien. Oui, ce monde-ci est mauvais. Oui, il va disparaître dans un déluge de feu et de violence. Et oui, seuls seront sauvés ceux qui serons entrés dans la Jérusalem céleste : les bons chrétiens. Les autres, ils sont promis au feu éternel.

En attendant l’apocalypse finale, les chrétiens sur terre doivent s’y préparer spirituellement – tout comme les juifs.

Mais en 392, le christianisme devient religion d’État, dominante dans l’Empire romain vacillant. Très vite, l’Église chrétienne va s’identifier elle-même à la Jérusalem céleste descendue sur terre : « Ne cherchez plus au ciel la cité parfaite, celle des origines perdues. Elle est descendue du ciel, et la voilà, c’est l’Église que vous voyez. C’est le Vatican, le pape, les prélats, le clergé, ses fastes et son culte ». Certes, le Messie doit quand même revenir pour le jugement dernier, mais en entrant dans l’Église, on est sûr d’échapper à l’enfer. L’Église, société parfaite, c’est déjà le ciel sur la terre : en faire partie, c’est prendre une option sur le paradis.

Les juifs rêvaient de reconquérir un territoire restreint. Puisque l’Apocalypse décrit l’univers entier prosterné devant la Jérusalem céleste, l’Église va s’attribuer une mission d’ampleur planétaire. Il s’agit de conquérir le monde entier, non pas par la violence (comme Josué et David) mais par la conversion pacifique des âmes.
En théorie, la violence n’est pas le moyen privilégié de l’ambition messianique chrétienne. En fait, elle va souvent le devenir.

Car l’Église adopte vite une terrifiante devise : compelle intrare, il faut forcer les païens à entrer dans la Nouvelle Jérusalem. Afin qu’ils puissent échapper au jugement du Messie-Christ revenu dans la Gloire, on va user de violence pour les convertir. Sainte violence, nécessaire violence, fructueuse violence : l’Église n’éprouvera jamais ni gêne, ni remord, ni sentiment de culpabilité devant le génocide des indiens, l’anéantissement de cultures et de civilisations entières. Pas plus d’ailleurs que devant les crimes de l’Inquisition.
Quels crimes ?   En brûlant vif un corps pendant quelques minutes, on évite à son âme de brûler pour l’éternité.

Grâce à cette totale absence de scrupules, l’Église – propulsée en avant par la force de son idéal messianique – va connaître une expansion remarquable. Malgré les révolutions européennes, au début du XX° siècle elle est en position de force ou de monopole dans tout l’Occident et ses satellites

Mais au milieu de ce siècle, soudain, aussi brutalement qu’un immense Titanic qui coule en quelques heures, l’Église perd ses convictions : son élan messianique s’éteint en l’espace d’une génération. Elle disparaît de la scène politique de l’Occident, puis de sa sphère culturelle. Comme si elle n’avait plus rien à lui offrir, l’Europe se détourne d’elle : pour la première fois depuis 17 siècles, les dirigeants européens proclament en 2004 qu’ils ne se reconnaissent plus dans le christianisme.

Ce parcours historique du messianisme chrétien, né des soubresauts du messianisme juif puis tragiquement décédé à l’aube du XXI° siècle, me laisse à penser que ma génération a assisté in vivo à la fin d’un cycle civilisationnel. L’Égypte, Ur, Assur, les Incas et les Mayas, la Chine ancienne, tant d’autres civilisations ont appris qu’elles étaient mortelles ! C’est maintenant le tour de la chrétienté. L’Occident, privé de son messianisme, n’est plus qu’une entreprise de conquête commerciale. Et l’Europe se cherche désespérément une identité pour le XXI° siècle.

Quand une civilisation ne se croit plus vraiment destinée à sauver le monde, seule capable de le faire, quand elle n’a plus les moyens de cette ambition, elle disparaît.

Et entre dans les musées de l’Histoire. L’Histoire qui continue, ailleurs, avec d’autres.

 LE  MESSIANISME  CORANIQUE  

L’auteur du Coran – du moins de son noyau primitif – est un arabe converti, au début du VII° siècle, à une forme peu connue de judéo-christianisme qu’on appelle le judéonazaréisme. L’influence du messianisme juif, sous la forme sectaire dont témoignent les manuscrits de la mer Morte, y est grande. Il faut dire qu’on sait peu de choses de ce « Muhammad » – malgré l’immense légende qui s’est constituée sur son souvenir mythique. Le texte du Coran tel qu’il nous est parvenu témoigne de réécritures successives, d’ajouts et de corrections nombreuses : pour un exégète de la Bible, ceci n’a rien d’étonnant.

Le messianisme coranique porte à la fois l’empreinte de ses origines, un judaïsme rabbinique exalté, et la marque politique des Califes qui firent réviser le texte, avant de le publier dans sa forme actuelle.

Lui aussi, il attend une apocalypse. Mais le fidèle coraniste ne peut pas, comme le juif ou le chrétien, se contenter d’attendre la fin de ce monde-ci : il doit – et c’est l’honneur que Dieu lui fait – en hâter l’arrivée. Il ne se contente pas de patienter : il collabore activement avec Dieu, en contribuant à l’élimination des impies (les infidèles), et des mondes mauvais qu’ils ont construits.

Lorsqu’il tue, ou qu’il se fait exploser en public, le coraniste est donc un auxiliaire de Dieu : et c’est pourquoi il a conscience d’aller directement au paradis – où Dieu se doit de réserver une place à ses lieutenants. L’appel au Djihad matérialise cette coopération avec Dieu : l’avènement du monde nouveau est à ce prix.

On dit souvent qu’il existe deux sortes de Djihads : l’appel à la Guerre Sainte, et l’appel à la conversion du cœur. Le premier serait un avatar de l’Histoire, le second serait l’enseignement de Muhammad. Ceci est un mensonge politique : le texte du Coran ne connaît qu’un seul Djihad, par la violence et par le sang.

Contrairement au juif, mais comme le chrétien, le messianisme coranique a une vision mondialiste : son ambition est de convertir la planète au Coran, et ses fidèles ne seront pas en paix tant que la terre entière ne se prosternera pas cinq fois par jour vers la quibla, qui indique la direction de La Mecque.

L’utopie coranique connaît un préalable : la reconquête de la Jérusalem terrestre, et sa purification de tout infidèle. Comme pour les juifs, c’est une ville qui  est au centre du monde, et cette ville n’est pas La Mecque, qui n’existait pas au début du VII° siècle. L’importance centrale de Jérusalem va être confirmée par la légende du voyage nocturne de Muhammad. Il s’envole de La Mecque sur la jument Bouraq, parvient sur le rocher du Temple : là, au cœur de la ville sainte, il aurait donné un coup de talon qui l’aurait propulsé jusqu’au ciel. L’empreinte du pied de Muhammad est toujours gravée sur ce rocher, et la tradition fait mentir le Coran pour lui faire dire que ce voyage a bien eu lieu.

Ville sainte, point de départ du voyage nocturne de Muhammad, porte du ciel : la reconquête de Jérusalem fait partie intégrante de l’utopie coranique.

Quant au Messie, le Coran mentionne bien son retour. Mais dans la pratique Muhammad, qualifié de « sceau des prophètes », a pris sa place (1).

Le messianisme juif prônait une conquête guerrière et violente, mais limitée à un territoire précis. L’ambition chrétienne était de convertir la planète, sans jamais prescrire officiellement la guerre. Le Coran a retenu à la fois l’apologie de la violence juive, et l’ambition planétaire chrétienne.

Une dernière remarque : le  Coran apparaît au moment où l’Empire romain finit enfin de définir la divinité de Jésus-Christ, au début du VII° siècle. Et c’est après une longue période de sommeil que l’utopie coranique s’est réveillée, en ce milieu du XX° siècle où l’Occident voyait disparaître son propre messianisme.

Pareilles coïncidences, aux yeux de l’historien, parlent. Comme si le rêve messianique, élaboré pour la première fois par des exilés juifs hantés par leur déclin, se transmettait dans une même famille, malade de sa consanguinité.

Le mélange de mondialisme et de violence légitime dont témoigne le Coran est en soi très dangereux. Mais il devient détonnant s’il rencontre un jour, en face de lui, une idéologie qui lui ressemble (1).

 LE MESSIANISME ÉVANGÉLIQUE AMÉRICAIN  

Surgeon du pentecôtisme américain, il connaît un succès foudroyant et planétaire. Assez rapidement, il a évolué pour être englobé dans une galaxie aux contours flous, mais à la redoutable efficacité : l’évangélisme américain est aussi appelé néo-conservatisme ou fondamentalisme. En fait, il s’agit bien d’un messianisme.

Il n’a pas pour ambition la reconquête d’un royaume mythique. Ni le retour d’un paradis, d’une condition antérieure jugée meilleure que l’actuelle. L’utopie du messianisme américain n’a jamais existé dans le passé, c’est un futur réalisé : son monde nouveau, c’est le Nouveau Monde que l’Amérique propose, qui n’a aucun antécédent connu dans l’Histoire.
Le nouveau Messie, c’est la démocratie à l’américaine, le mode de vie américain, la loi américaine, le capitalisme américain.

Les Évangélistes s’adressent directement à Dieu, et croient que Dieu leur répond  personnellement. A chaque instant ils sont en direct avec Dieu, au point de perdre tout contact avec la réalité. Certes, ils attendent la venue du Messie : mais puisque Dieu déjà présent à leurs côtés, puisqu’ils parlent en son nom, le résultat est que chacun d’entre eux, ou la nation américaine toute entière, tient la place du Messie.

La planète est donc divisée en deux : l’axe du Bien (l’Amérique et ses alliés) et l’axe du Mal (ceux qui rejettent l’alliance américaine). Il suffit de rejoindre l’axe du Bien pour être heureux, pour connaître le bonheur du monde nouveau. Ce messianisme est obligatoirement mondialiste : puisqu’aucun être sensé, en tout cas aucun américain, n’admettrait qu’on puisse refuser volontairement d’être heureux.

Dans ce schéma messianique, aucune apocalypse n’est prévue pour préparer ou accompagner l’avènement du bonheur américain. Cependant, reprenant à son compte le compelle intrare catholique, l’Amérique considère qu’elle se doit d’obliger les bad guys à entrer dans son giron, puisque telle est la réalisation ultime de l’utopie. Pour y parvenir, la guerre est un moyen autorisé, efficace : il est admis que l’axe du Mal puisse, et doive, être combattu par le feu et le sang.

Le feu est américain, le sang ne doit jamais l’être. L’Amérique peut légitimement déchaîner l’Apocalypse Now, mais hors du nouveau Royaume mythique : les USA. Si l’apocalypse accompagne le Messie américain, elle ne le concerne pas et doit se dérouler hors de son territoire. La venue du Messie n’est plus en relation directe avec le feu qu’il déchaîne ou qui l’escorte.

 UN  FACE-A-FACE  EXPLOSIF 

Les Églises catholique et protestantes anciennes se sont effondrées au moment où naissait le messianisme évangélique américain, et où renaissait le messianisme coranique – soit en gros à partir de 1950. L’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine, qui furent leurs territoires d’expansion privilégiés, se retrouvent sans identité fondatrice : ils apparaissent comme un vaste ventre mou, privé d’une idéologie fédératrice, consensuelle, seule capable de transformer un espace commercial en civilisation.

De part et d’autre de ce vide, on trouve face-à-face deux blocs constitués :

1-     Un bloc messianique coranique, dont la partie active est (pour l’instant) le Moyen-Orient + le Pakistan + l’Afghanistan. Le jour où le reste du monde coranique rejoindra ce bloc, les conditions d’un conflit mondial seront réunies.

2-     Un bloc messianique américain. Il ne faut pas croire que le prochain président américain pourrait inverser la tendance : une majorité du peuple américain semble avoir basculée dans la sphère d’influence de l’évangélisme.

On pourrait mentionner deux autres messianismes apocalyptiques de l’Histoire récente : le communisme, et le nazisme.

Y A-T-IL UN MESSIANISME ÉCOLOGIQUE ?

(Ébauche d’une réflexion)

Les écologistes, sont-ils messianistes ?  Oui et non.

Oui, parce qu’ils appuient leur analyse de la société sur une apocalypse. Non, parce qu’ils ne l’annoncent pas pour un futur plus ou moins éloigné, ils nous la font voir. Une fin du monde en train de s’accomplir, sous nos yeux. Pour la première fois, l’apocalypse n’est plus la représentation symbolique des angoisses humaines : c’est un phénomène technique. Avec l’écologie, elle sort du domaine du mythe et entre dans celui de la science : elle est mesurable, mesurée, reproductible – ou plutôt, on sait exactement quand et comment elle va se produire.

Mais ici, aucun Messie providentiel n’est attaché à l’apocalypse. Les juifs attendent sa venue, les chrétiens son retour, le Coran l’identifie de fait à Muhammad, l’Amérique à elle-même.  Avec les écologistes, l’équivalent d’un Messie est le peuple des humains. Qui doit d’abord changer sa façon de vivre, puis se choisir des dirigeants politiques engagés dans la mise en œuvre d’une gestion différente des ressources. L’ancien messianisme a disparu : le Messie n’est plus un être ou un peuple providentiel. Le Messie, c’est l’ensemble des habitants de la planète.

L’écologie n’annonce pas un monde meilleur que l’actuel, ou un retour à un état antérieur meilleur que l’actuel. Elle propose le ralentissement, ou la fin de l’apocalypse en cours. Son utopie, ce n’est pas un avenir rêvé : c’est la capacité, pour l’humanité, de se ménager un avenir tout court.

Elle partage donc l’utopie du Siècle des Lumières : la raison peut et doit triompher de la déraison humaine (égoïsme, avidité, aveuglement…). Mais elle bénéficie d’un moyen de pression inédit : la peur, que nous ressentons tous, devant la réalité d’une apocalypse non plus annoncée, mais constatée.

L’écologie est née  de l’échec des divers messianismes de l’Histoire. Elle se situera sur un autre terrain qu’eux : le terrain vague, détruit, ravagé, abandonné après trois mille ans de domination des messianistes, juifs, chrétiens, coranistes, communistes, nazis, évangélistes américains. 

Scientifique, démocratique, humaniste et naturaliste, le « messianisme » écologique est donc la conséquence du discrédit dans lequel les trois grandes religions monothéistes et leurs enfants naturels se sont enfoncés d’eux-mêmes.

Son succès grandissant signe de façon spectaculaire la fin d’un cycle de civilisations.

M.B., Conférence du 15 décembre 2006.

(1) Le lecteur aura remarqué que je ne parle pas ici de l’islam ou des musulmans, mais seulement du Coran

L’OMBRE DE LA MORT DANS LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM

          La mort est notre seule certitude.

          Pour l’Ancien Testament, la mort est une punition infligée par Dieu à l’homme et à la femme, parce qu’ils ont voulu savoir ce qu’il fallait ignorer afin de ne jamais mourir : où se situe la frontière entre le bien et le mal.

          C’est-à-dire qu’il existe un Mal, un Mauvais, un Shatân à l’œuvre dans la création. Faire sa connaissance c’est le rencontrer, le rencontrer c’est être brûlé par lui à jamais .

          Tandis qu’ignorer Le Mal, c’est être ignoré par lui et ne pouvoir être atteint par lui. « Le Mal c’est mon affaire dit Dieu, certes il existe mais vous ne devez savoir ni d’où il vient, ni s’il est comme vous une créature que je tolère ou puis seul soumettre. Ne lâchez pas ce fauve, sinon il vous dévorera. »

           On connaît la suite : la femme séduite par le charme du Mal, lui fait de doux yeux et la fracture s’installe pour toujours dans une création jusque là unifiée par le sommeil du dia-bolos, celui qui sépare, qui divise.

          Désormais, la mort sera l’horizon du peuple juif. Elle met un terme à la vie, mais rien n’est perdu puisqu’un Messie reviendra, qui restaurera l’ordre ancien de la création, perdu par l’acquisition de la connaissance.

          La Bible est fataliste, mais point désespérée : l’attente du Messie permet de supporter celle de la mort. On s’en accommode sans s’en inquiéter outre mesure. Se l’infliger ou l’infliger à autrui est un crime, qui conduit tout droit à l’enfer.

           Au milieu du 1er siècle, le rabbi Jésus s’insurge contre la mort. Il fait preuve à son égard d’une absolue détestation : quand il la rencontre aux portes du village de Naïm ou devant la pierre tombale de Lazare, quand elle menace une femme à l’instant de sa lapidation pour crime d’amour, quand elle attend des malades condamnés par l’absence de médecine, il fait tout pour s’opposer à elle : il ranime, il prend la défense de l’accusée, il guérit.

          A-t-il souhaité mourir, s’est-il suicidé ?

           Ce refus de l’acceptation de la mort comme châtiment inéluctable, inévitable, cette insoumission devant l’œuvre du Shatân est la marque de Jésus. Elle le classe à part dans le judaïsme, et à vrai dire dans la lignée des grands Éveillés.

           En s’imprégnant du messianisme exalté qui s’était développé autour des esséniens un siècle auparavant, le christianisme naissant abandonnera (ou plutôt, n’adoptera jamais) le rejet de la mort manifesté par Jésus.

          Les choses se compliquent quand Paul de Tarse introduit dans le dogme chrétien naissant des pans entiers de la religiosité orientale – donnant naissance au christano-paganisme qui est toujours le nôtre aujourd’hui.

          La mort n’est plus le châtiment de la connaissance : elle sanctionnera désormais le refus d’adopter les dogmes, les sacrements et les pratiques chrétiennes. l’Église s’est substituée à Dieu, elle est la seule à posséder le savoir. « Si tu le suces à son sein et nulle part ailleurs, tu entreras au paradis. Sinon, c’est l’enfer plus tard – et déjà maintenant, puisqu’on te brûlera si tu oses mettre en doute le monopole de la vérité détenu par l’Église ».

          Hors de l’Église, pas de salut : n’attendez plus le Messie, il est déjà là, il a pris corps dans une corporation qui s’identifie à lui et rend son retour inutile.

          Les chrétiens ne désirent pas la mort, ils la condamnent et la craignent. Mais ils s’agrippent à la barque de Pierre pour ne pas s’y noyer.

           Le Coran marque l’aboutissement final du messianisme judéo-chrétien.

          Ầ ses yeux non plus, le Messie n’aura pas à revenir puisqu’il vient d’arriver : c’est l’Umma, la communauté musulmane, « la meilleure communauté suscitée par Allah sur terre ». Le croyant coraniste ne peut vivre qu’à l’intérieur de l’Umma : tout ce qui se trouve en-dehors, le dar-al-harb, c’est un monde de ténèbres où règne le Shatân. Plutôt mourir que d’en franchir l’immatérielle frontière.

          S’infliger la mort pour demeurer fidèle à l’Umma, c’est être assuré d’entrer au Paradis.

          L’infliger à autrui pour préserver l’Umma, ce n’est pas un péché mais une bonne oeuvre.

          Hors de l’Umma, pas de salut.

           Et comme chaque Infidèle – chaque être humain vivant hors de l’Umma – est habité par le Shatân, bien plus, comme il défend et propage sans le savoir l’œuvre de Shâtan, il faut en tuer le plus possible.

          Tuer les infidèles, c’est faire reculer le royaume de Shatân, c’est accélérer la venue du ciel sur la terre, quand il n’y aura plus que des muslims, des hommes et des femmes soumis à Allah.

          La mort est un bien désirable, se l’infliger pour Allah c’est aller au Paradis, l’infliger au nom d’Allah c’est protéger l’Umma.

          Donner la mort ou la recevoir dans le « Chemin d’Allah », c’est l’idéal de tout croyant coraniste.

           Parce qu’il a été travesti par les chrétiens, ignoré par le Coran, le message de Jésus n’a jamais eu aucune chance d’être entendu, et encore moins mis en pratique.

           Shatân lâché en liberté, l’ombre de la mort ne nous quitte plus.

          Chrétiens ou musulmans, musulmans contre chrétiens, nous sommes condamnés à patauger dans le sang et la violence des ‘’Voies du Seigneur’’ de l’Église ou du ‘’Chemin d’Allah’’ du Coran.

                                                                    M.B., 21 août 2013

PROBLÉME PALESTINIEN ET MESSIANISME

L’historien n’est pas neutre. Lorsqu’il s’efforce de dégager la signification des événements du passé, c’est toujours en fonction de ce qu’il vit dans son présent.
       Je voudrais vous donner quelques pistes de réflexion pour comprendre ce qui se passe en Palestine. Sans prétendre aucunement que cette lecture soit la seule possible, ni qu’elle englobe à elle seule la totalité des ressorts complexes de la situation.

I. Messianisme et sens de l’Histoire

Pour toute l’Antiquité (Orient et Occident gréco-latin), l’Histoire est cyclique, elle fonctionne selon le mythe de l’éternel recommencement.
       Le Bouddha enseigne que « rien ne commence, rien ne finit : tout se transforme ». Le résultat, c’est chez certains un profond scepticisme : ce qui s’est produit se produira, « rien de neuf sous le soleil » (1).

       Le premier – et le seul – Israël a un jour inventé la conception linéaire de l’Histoire : il y a un commencement, voulu par Dieu. Et il y aura une fin, qui sera le retour à l’unité originelle entre l’Homme et la création, telle que Dieu l’a pensée dans son acte créateur.
       Pour Israël l’Histoire a un sens, elle tend vers quelque chose qui sera meilleur que ce que nous vivons aujourd’hui.
     Cet aboutissement de l’Histoire s’accompagnera de la manifestation d’un Messie : un homme providentiel dont le retour mettra fin à l’Histoire. Alors, comme le dit Isaïe, le lion broutera à côté de l’agneau, il n’y aura plus ni guerres, ni souffrance : c’est le paradis.
       Le messianisme, propre à Israël, explique son histoire passée et présente. Car tout est permis pour favoriser le retour du Messie : au nom du Grand Soir messianique, génocides, crimes, spoliations, ne sont plus que des accidents nécessaires de l’Histoire. Et Israël, qui a pourtant inscrit dans son Décalogue le commandement « Tu ne tueras point », va allègrement massacrer ses ennemis parce qu’ils sont autant d’obstacles au retour du Messie, à l’accomplissement du Grand Soir.
       Par sa nature même, le messianisme est aveugle, il ne connaît aucune autre loi que son propre sens de l’Histoire : la fin justifie tous les moyens.

II. Postérité du messianisme juif

Le judaïsme va transmettre au christianisme sa conception messianique de l’Histoire. Mais le messianisme juif était (et est toujours) territorial : son but est d’occuper un territoire, identifié au royaume mythique de David, avec Jérusalem pour centre. Le messianisme juif n’a pas d’autre ambition, jamais il n’a songé à conquérir le monde. 

     Tandis que le messianisme chrétien n’est pas centré sur un territoire, mais sur une personne divinisée, Jésus-Christ. Laquelle s’incarne dans la personne de dirigeants religieux (le clergé) et politiques (le roi de droit divin).
     L’ambition messianique chrétienne n’est pas territoriale : il ne s’agit pas de reconquérir un territoire sacré, mais d’amener l’humanité entière à reconnaître Jésus-Christ comme dieu, pour qu’elle trouve en lui son salut.
     Puisqu’il veut sacraliser l’Humanité à travers son adhésion à une foi strictement définie, le messianisme chrétien (à la différence du juif) est universel : mais il n’est pas intrinsèquement guerrier. Si les chrétiens tuent ce n’est pas pour conquérir ou défendre un territoire, mais pour défendre une forme de foi qu’ils veulent imposer à tous les autres.
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       Le messianisme musulman s’inspire à la fois du judaïsme, dont il est issu, et du christianisme. Pour l’islam, il s’agit :
       – De reconquérir Jérusalem et d’en faire le centre du nouveau royaume terrestre (qui deviendra le Califat). Par là, les musulmans s’opposent aux juifs qui revendiquent Jérusalem comme capitale du Grand Israël.
       – D’imposer à la planète la foi en un Dieu unique : par là, les musulmans s’opposent aux chrétiens qui sont perçus comme polythéistes, puisqu’ils croient en trois dieux (Trinité).

       Mais le messianisme judéo-chrétien a imprégné tout l’Occident
     – Le communisme est un messianisme social : le Grand Soir n’est plus la reconquête d’un territoire, mais la victoire d’une classe sociale (le prolétariat) sur les autres. Ici le Messie, c’est le prolétariat. Quand il sera seul au pouvoir il n’y aura plus ni guerres, ni pauvreté, ni religions : c’est le paradis socialiste.
     – La nazisme est un messianisme racial : il faut éliminer les sous-hommes (juifs, tziganes, homosexuels, prêtres) pour permettre la domination de la race des Seigneurs. Le Messie c’est le Herrenvolk, seul capable de fonder durablement le « Royaume de Mille Ans ».
       – Particulièrement dangereux, le messianisme évangélique américain voit dans l’Amérique le nouveau Messie. Le Grand soir doit être précédé par le retour d’Israël dans le Royaume de David restauré, avec Jérusalem comme capitale juive (d’où le soutien inconditionnel à Israël des sionistes chrétiens américains). Alors seulement, et dans une deuxième étape, les juifs pourront être convertis au Messie chrétien. Ce sera l’aboutissement de l’Histoire, et les USA en sont l’instrument privilégié.

       Chacun de ces messianismes croit voir compris le sens de l’Histoire. Il est prêt à tout pour faire accoucher l’Histoire.

       Ce qui est terrifiant, c’est que l’ambition (ou le rêve) messianique justifie tous les moyens. Il n’y a plus de parole donnée, de morale politique ou individuelle. De la même façon que les nazis autrefois (génocide = « solution finale »), les sionistes ont mis au point un vocabulaire adapté : nettoyage ethnique ou déportation se dit chez eux « transfert », torture s’appelle « pression physique », liquidation se traduit « autodéfense active ». Assassinat politique devient « élimination ciblée », colonisation s’appelle « implantation », etc…

III Une vieille histoire

Pour terminer, je voudrais vous lire quelques extraits d’une chronique – en vous laissant deviner à quelle époque elle a été écrite

       « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais lui, il est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivi jusqu’au Liban ». Qui est ce « lui » ? Est-ce Moshé Dayan, et le récit de la guerre des Six Jours ?
       « Il attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant » S’agit-il du premier « transfert » palestinien de 1949 ?
       « Les juifs se sont emparés de tout le pays… Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre. Quand il n’en est plus resté un seul, lui a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives ». Ce « lui », est-ce Yitzaac Shamir ?
       Puis il déclare : « Prenez possession de ces terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées, et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous« . Maintenant, est-ce Ariel Sharon qui parle ?
       « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants ». Est-ce la description des camps palestiniens, de Sabra et Chatilla ?
       Alors, les palestiniens s’insurgent : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays : rendez-nous ces terres, maintenant ! » Est-ce la voix de Yasser Arafat ?
     Ce à quoi un responsable juif (lequel ?) répond : « Nous ne serons quittes envers les palestiniens qu’en leur faisant du mal ! »

       Ce sont des extraits du Livre de Josué écrit au début du VIII° siècle avant Jésus-Christ, faisant partie de la Bible et devenu sacré.

       J’ai pris cet exemple pour illustrer ce à quoi mène le messianisme.
       Actuellement, trois messianismes s’affrontent en Orient : le sionisme, l’islam et l’évangélisme américain.
       Trois conceptions du sens de l’Histoire, trois lignes directrices semblables mais qui ne se croisent jamais.
       C’est pourquoi on se trouve en Palestine (et depuis 3000 ans) dans une impasse, dont on ne voit pas comment il serait possible de sortir – pas plus aujourd’hui qu’hier.

                            M.B., conférence donnée le 9 janvier 2008

(1) Livre biblique de l’Ecclésiastique

N. Sarkosy, la Bible, le Coran

Lu dans Le Parisien du 26 février 2008, page 2, cette déclaration de M. Nicolas Sarkosy :

« Dans mon discours en Arabie Saoudite…
j’ai dit qu’il n’y a pas un mot de la Bible, pas un mot du Coran
qui prône la violence, la haine et l’extrémisme »

.
J’ai été feuilleter l’un et l’autre texte sacré.
Pas un mot ? En voici quelques-uns seulement, parmi d’autres :

Bible

Lévitique 17,14 : « Quiconque [enfreindra les interdits alimentaires]
sera anéanti physiquement »

-id- 26,29-33 : « [Ceux qui ne respecteront pas les lois saintes],
je dégainerai l’épéecontre eux ,
j’entasserai cadavre sur cadavre »

Josué 6,17-26 : « La ville de Jéricho sera vouée à l’anathème,
avec tous ses habitants… »
Alors le peuple poussa le cri de guerre…
il passa au fil de l’épée tout ce qui se trouvait dans la ville,  hommes et femmes, jeunes et vieux… On brûla la ville…      et Josué jura devant Dieu : « maudit soit celui qui rebâtira cette ville ! »

Juges, 15,3 :  Samson dit : « Je ne serai quitte envers les Palestiniens
qu’en leur faisant du mal »

Psaume 137 :           « O Babylone  misérable,
Heureux qui saisira tes enfants pour les briser contre le roc ! »

Coran 
Sourate 8,12 : « Dieu est avec vous, courage, les croyants !
Dieu va jeter l’effroi dans le cœur des incroyants :
Frappez-les au cou ! Frappez-les aux jointures !

S. 8,17 : « Ce n’est pas vous qui avez tué [nos ennemis],
mais c’est Dieu qui les a tués !
Quand tu lançais [contre eux] tes flèches, c’est Dieu qui les lançait ! Ils ont perdu la vie parce qu’ils se sont séparés de Dieu-et-de-son-Prophète ! »
S. 4,91 :  » [les infidèles], combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de résistance… S’ils retournent à l’infidélité, saisissez-les et mettez-les à mort, partout où vous les trouverez… »

S. 4,115 : « Ceux qui se séparent du Prophète… que Dieu les précipite en enfer ! »

S. 63,4 : « Vos ennemis… méfie-toi d’eux ! Que Dieu les tue ! »

S. 57,15 : « On n’accepte plus [désormais] de rançon des incroyants :
leur seul refuge est le feu »

S. 58,5 : « Ceux qui s’opposent à Dieu et à moi seront culbutés,
comme l’ont été ceux qui les ont précédés »

S. 58,22 : « Personne ne témoignera d’affection
à ceux qui s’opposent à Dieu et à moi,
même s’il s’agissait d’un père, de fils, de frères »

(Traduction et numérotation des versets de Denise Masson)

Sans commentaires

M.B., 27 février 2008

 

(Brève) RÉPONSE A UNE JEUNE MUSULMANE

          Une jeune femme (19 ans) que je ne connais pas, vient de mettre un commentaire sur ce blog. Je me permets de lui répondre ici, très rapidement.
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          Voici les extraits significatifs de son texte :
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          En tant que musulmane, je pense que la base du dialogue entre les juifs, les chrétiens et les musulmans serait que chaque religion accepte l’autre. Les musulmans à l’image de notre prophète reconnaissent Noé, Abraham, Moise Jesus etc en tant que prophètes? Mais en est-il de même pour les chrétiens et les juifs ? Reconnaissent-ils vraiment Mahomet comme le messager de Dieu porteur d’un mesage divin tout comme le fut Moise et Jesus ?
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          On retrouve en effet des « influences » juives et chrétiennes dans Le Coran, et pour cause. La Bible, Les Evangiles et le Coran proviennent du meme Dieu, non ? Dieu n’aurait pas lieu d’être s’il revenait sur ce qu’il disait, à chaque fois qu’il envoyait un ecrit saint par l’intermediare d’un Prophète !
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Chère amie,
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          Vous posez, de façon limpide, le problème de fond qui rend impossible toute convergence entre musulmans et chrétiens.
          Vous dites (et c’est le dogme fondateur de l’islam) : Dieu n’aurait pas lieu d’être s’il revenait sur ce qu’il disait, à chaque fois qu’il envoyait un ecrit saint par l’intermediare d’un Prophète !
          Pendant plus de quinze siècles, les chrétiens ont fermement cru que les évangiles avaient été écrits par des hommes inspirés : ce qu’ils écrivaient ne venait pas d’eux, mais de l’Esprit Saint qui parlait à travers eux. Certains chrétiens (on les appelle fondamentalistes) le croient toujours. Tout comme ils croient que le Pentateuque, la Thora des juifs (les cinq premiers Livres de la Bible) ont été dictés par Dieu à Moïse. Ils ressemblent exactement aux fondamentalistes musulmans.
          Si l’on se tient à cette croyance, bien évidemment Dieu ne peut pas dicter une chose un jour, et son contraire un ou deux siècles plus tard. Il y a donc nécessairement progression de la Révélation, chaque prophète faisant faire un pas de plus à cette Révélation (sans annuler celles qui précèdent). Et c’est pourquoi le Coran présente son auteur comme le sceau des prophètes, et le Coran s’attribue à lui-même le titre de dernière Révélation.
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          On sait maintenant que les choses ne se sont pas passées ainsi. Mais il a fallu batailler ferme, dans le monde catholique, pour parvenir à une conception plus exacte de la Révélation. Ce qu’on appelle l’exégèse historico-critique (l’application à la Bible des techniques de lecture valables pour tout texte ancien) n’est autorisée officiellement chez les catholiques que depuis 1943 !
          Je ne ferai pas dans cet article – qui est plutôt une lettre amicale – un exposé de ce qu’est cette méthode de lecture, valable pour la Bible comme pour le Coran. Tous mes livres sont le fruit de cette méthode, que j’essaye d’appliquer avec discernement. Et sans oublier jamais qu’il ne s’agit pas de textes « morts », mais de textes pour vivre.
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          En un mot :
          « Dieu » n’a pas dicté le Coran à un Muhammad inculte, par l’intermédiaire de l’ange Ghibraïl. Cette croyance, c’est le dogme musulman, qui a été imposé, bien après la mort de Muhammad en 632, à l’Umma en formation – et pour des raisons politiques.
          Le résultat, c’est l’islam.
          Exactement comme les évangiles ont été mis par écrit, bien après la mort de Jésus, par des hommes qui ne cherchaient pas seulement à transmettre un souvenir, une mémoire de Jésus, mais aussi à établir un pouvoir politique – et ils ont parfaitement réussi.
          Le résultat, c’est le christianisme.
          Quelques chercheurs, presque tous d’origine chrétienne, et extraordinairement discrets, travaillent le texte du Coran selon les méthodes historico-critiques. C’est un immense travail, il a fallu un siècle et des centaines de chercheurs pour que le monde catholique découvre une autre vérité que celle du dogme de la Révélation, « dictée » par Dieu à des hommes.
          Ce travail, les penseurs musulmans ne l’ont pas encore commencé. Quelques-uns (peu nombreux) tournent autour, sans oser s’y aventurer, car leur vie est en jeu.
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          Il n’y aura pas de rapprochement possible entre musulmans et chrétiens (entre musulmans, chrétiens et juifs) tant que les musulmans ne s’attelleront pas, avec courage, à cet énorme travail de démythologisation du texte du Coran.
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          Peut-être, alors, découvriront-ils ce que j’ai esquissé dans le chapitre 59 du Secret du treizième apôtre. Vous vous doutez qu’en 3 pages, je n’ai pas pu faire état des résultats d’une recherche à peine esquissée ! Je n’ai fait qu’en donner les principaux résultats. Et dans le cadre d’un roman, ce qui « passe mieux ».
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          Que vous dire d’autre ? Que pendant tous ces siècles où l’obscurantisme régnait sur la chrétienté, justifiant le pouvoir des papes et des évêques, il s’est trouvé quantité de grandes âmes pour découvrir « Dieu » à travers le dogme imposé, et malgré lui.
          Et des anonymes innombrables, une foule de sans-voix, admirables, qui en ont fait tout autant.
          Car « Dieu » n’est pas lié par les convoitises humaines : il se laisse trouver, même à travers le mur épais des mensonges dogmatiques, par les coeurs purs.
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          C’est peut-être cela, l’humour de Dieu : ce pied-de-nez qu’il fait aux prélats mitrés, aux imams, mollah et autres ayatollahs : « Dites toujours : vous n’empêcherez pas ces petits qui me cherchent, de me trouver ».
          En attendant que l’islam évolue, et qu’il le fasse en profondeur, dans la paix, je vous souhaite ce même humour, jour après jour.
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                             M.B., 27 août 2008

P.S. : Vous trouverez, dans les catégories « ISLAM, JUDAISME, CHRISTIANISME » de ce blog, quelques « prudentes » réflexions à ce sujet.




GAZA, LE VIEIL HOMME ET LA CLEF

          C’était au printemps 1978, des amis m’avaient offert un billet d’avion Paris -Tel-Aviv. Israël était alors au faîte de sa puissance, régnait encore en maître sur la péninsule du Sinaï. Ecrasé, l’OLP faisait silence : il n’y avait plus de « question palestinienne ».

          Je n’ai pas voulu quitter ce pays sans avoir fait, à pied, le même trajet que Jésus : de Jéricho à Jérusalem.
          On quitte Jéricho-la-verte, et l’on entre au désert. Un chemin qui sinue, sous le soleil de feu. Puis des collines abruptes, nues, on chemine à flanc de coteaux.
          Personne. Parfois un bruit étrange, répercuté par les parois escarpées.

          Soudain, on débouche sur la grande route Tel-Aviv – Jérusalem. Au milieu de rien, un arrêt de bus. Je m’approche : je suis au lieu-dit « le bon samaritain », un bus va passer. Le prendre, c’est échapper à la chaleur, à la fatigue. Un instant d’hésitation, le souvenir de Jésus qui n’avait pas de bus à sa disposition : je traverse la route et m’enfonce à nouveau dans le sable. Jérusalem est là-bas, derrière les vagues de chaleur.

          Le désert.
          Soif, très soif.
          Le soleil : il doit être 15 ou 16h, comment se fait-il qu’il brûle encore autant ?
          La lumière aveuglante. Soudain, une voix qui m’appelle : mais oui, c’est bien à moi qu’on en veut. Dans l’air qui tremble, un cube de béton posé sur le désert, une espèce de véranda, un vieil homme au keffieh qui me fait de grands signes des bras.
          Je m’approche : il est âgé, me parle en arabe, me montre le ciel embrasé, le sable, la direction de Jérusalem. Que me veut-il ?
          Un homme plus jeune apparaît derrière lui, et me crie en anglais : « Come, sir, come here ! »

          Je suis arrivé au pied du cube de béton. Le jeune homme sourit, il est vêtu à l’européenne :
          – Monsieur, me dit-il en mauvais anglais, mon père vous a vu marcher dans le désert. Vous venez de Jéricho, n’est-ce pas, vous allez à Jérusalem ? Vous ne pouvez pas continuer sans boire, il vous reste dix kilomètres à faire. Mon père veut que vous veniez prendre du thé. C’est nécessaire pour vous, vous comprenez ?
           Le vieillard hoche la tête, me prend par la main, me fait asseoir à l’ombre. D’un bras tremblant, fait gicler dans un verre ébréché un jet de thé mousseux. Me le tend avec un sourire qui découvre ses dents orphelines :
          – Bismillah, schouf, bech’er !
          Oui, c’est bon, c’est délicieusement sucré, odoriférant. La vie revient en moi : sans cet apport d’eau et de sucre, je ne sais pas dans quel état je serais parvenu au terme de cette longue marche.
          Le vieil homme tourne la tête, parle à son fils, qui traduit tant bien que mal :
          – Notre famille vit en Palestine depuis toujours, aussi loin que la mémoire de mon père remonte, peut-être depuis les croisades. Mon père sait : dans ce désert, sans eau, vous étiez en danger.
          Je n’ai rien dit. Je bois le thé, et aussi les yeux, le visage ridé du vieil homme. Une immense humanité, faite de tristesse et de compassion.
          Il me regarde boire, puis se tourne vers son fils, et lui dit quelques mots. Le fils secoue la tête – « non, non !  » – puis finit par céder, se lève, entre dans le cube, en revient au bout d’un instant, le poing fermé sur un objet.
          – Mon père dit que vos yeux savent entendre. Il veut que je vous montre quelque chose, si vous voulez bien : il faut monter là-haut.

          Nous gravissons une colline de sable et de pierres. Parvenus au sommet, un vaste panorama : tout là-bas, Jérusalem et le dôme de la Mosquée qui scintille sous le soleil.

          A cette époque, la banlieue nord-est de Jérusalem était peu construite. Le jeune homme tend sa main libre, me montre des maisons basses au milieu des oliviers, à la limite de la ville :
          – Vous voyez ? Dans ce petit village c’est notre maison. Celle où mon père est né, et son grand-père avant lui. Et ça, ce sont nos oliviers. Ils ont été plantés par le grand-père de mon grand-père. Nous vivions bien, il y avait un pressoir à huile… Et puis, en 1948, Tsahal est arrivé. Ils nous ont expulsés, ils ont pris notre maison, notre plantation. Maintenant, ce sont les juifs qui font couler l’huile du pressoir, avec le fruit de nos oliviers. Et nous, nous n’avons plus rien. Nous vivons là…
          Je me retourne : en contrebas le cube de béton, planté en plein désert, est l’image de la désolation et du dénuement solitaire. Pas un arbre, rien.
          Rien.
          Le jeune homme ouvre son poing fermé. Au creux de sa paume, une clef rouillée :
          – Et ça, c’est la clef de notre maison. Chaque jour depuis trente ans, chaque jour mon père monte jusqu’ici. Il regarde sa maison de loin, et puis il embrasse sa clef, la clef de sa maison, de la maison de ses ancêtres. Et puis il descend, s’assied sur la véranda, fixe le désert. Des larmes coulent sur ses vieilles joues. Et moi…
          Il a refermé ses doigts sur la clef :
          – Moi, je m’appelle ‘Amîn. En arabe comme en hébreu, cela veut dire « fidélité« . Moi, je pense à notre maison, au bruit du vent le soir dans les oliviers. Mon premier fils s’appellera lui aussi ‘Amîn. Et chaque jour, comme moi, il viendra ici regarder notre maison. Quand mon père mourra, je lui transmettrai la clef. Et il la transmettra à son fils. Pour le jour où nous rentrerons chez nous. Chez nous…
          Je n’ai rien dit. Dans les yeux d’Amîn, il y a une lueur particulière, ardente et dramatique.


          Le lendemain, c’était la veille de mon départ. A Jérusalem, j’ai pris un bus rue Réhovot. Direction, Gaza.
          A l’époque, on pouvait entrer dans le territoire simplement en montrant son passeport. Évidemment, aucun touriste, jamais, n’allait là-bas. Mais depuis ma rencontre avec ‘Amin et son vieux père, depuis le thé, depuis les yeux d’Amin, je n’étais plus un touriste.
          A Gaza, je me suis dirigé vers un camp au bord de mer, où les Palestiniens expulsés étaient concentrés. Immédiatement, j’ai été entouré d’une foule de keffiehs. Personne ne parlait. Mais des dizaines de paires d’yeux, qui me fixaient en silence, avaient en eux le même reflet que ceux d’ ‘Amîn.
          Et puis une jeep de Tsahal est passée, a freiné dans un nuage de poussière. On m’a saisi, jeté sur le plateau de la jeep :
          – Mais qu’est-ce que vous faites ici ? C’est interdit, c’est très dangereux pour vous !
          Les militaires israéliens m’ont reconduit jusqu’au bus. Ils ne m’ont quitté que quand il a démarré pour Jérusalem, avec moi dedans.


          Depuis, je pense à la clef du vieil homme, à sa maison qu’il n’a pas revue avant de mourir. A ‘Amîn le fidèle, à son fils qui doit être grand maintenant. Et qui doit, à son tour, gravir chaque jour la colline aride pour regarder, de loin, sa maison et ses oliviers.
          Une clef rouillée dans son poing fermé.

          Je revois la lueur dans le regard des ‘Amîns de Gaza.
         Et je sais qu’elle ne s’éteindra jamais.


                              M.B., 15 janvier 2009

Tempête en monde musulman (Printemps arabe)

          « Je ne crois pas que les livres puisent changer le monde. Mais lorsque le monde commence à changer, alors il se cherche un livre nouveau » (1)

            Après l’écroulement de l’éphémère royaume de David-Salomon, pendant leurs années d’exil à Babylone, les tribus juives ont cherché comment elles pouvaient survivre, c’est-à-dire se donner une identité dans un monde en changement.

          Qu’ont fait les juifs anéantis, noyés  au milieu d’un peuple inconnu ? Ils ont écrit un livre, la Bible.

          La Bible est (en partie) la façon dont le peuple juif s’est donné une existence parmi les peuples, en relisant son passé mythique pendant et après l’Exil.

           Dans un Empire romain fragilisé par son immensité, des juifs de la diaspora grecque ont voulu créer un monde nouveau qui prendrait le pouvoir de l’intérieur, par la diffusion d’une religion nouvelle. Le christianisme est né au milieu des soldats romains, des esclaves et des affranchis. Dans ce monde mouvant c’était une révolte des jeunes, des pauvres qui n’avaient rien à perdre, contre la classe établie, vieillie, fatiguée, ayant perdu tout idéal.

          Qu’ont-ils fait ? Ils ont écrit un livre, ou plutôt quatre – les Évangiles –, et des lettres.

           Dans une oasis arabe enrichie par le commerce sud-nord, un jeune Qoraysh a voulu sortir du lot. Exilé à Médine par ses coreligionnaires, il a d’abord guerroyé contre eux, puis contre les juifs de la diaspora locale, et enfin contre l’Empire chrétien de Byzance.

          Comment a-t-il pris le pouvoir ? En écrivant un livre, le Coran.

           Trois livres, qui ont changé le monde quand ils ont été écrits.

          Ou plutôt, qui ont été écrits au moment où le monde changeait autour de leurs protagonistes, et qu’ils se sont cherchés un livre pour accompagner, puis provoquer ce changement.

           Encore aujourd’hui, la Bible sert d’alibi aux sionistes pour justifier leur occupation illégale et meurtrière de la Palestine.

           Après avoir été sa colonne vertébrale pendant 17 siècles, le livre des Évangiles a été oublié par l’Occident, oubli qui s’accompagne chez lui d’une crise d’identité sans précédent.

           Quelle que soit leur sensibilité, leur engagement politique, leur ouverture d’esprit, leur bienveillance ou leur agressivité, le Coran reste aujourd’hui pour tous les musulmans une référence fondatrice de leur identité.

           Contrairement aux juifs et aux chrétiens, jamais les musulmans n’ont accepté de faire une lecture historico-critique du livre qui a accompagné, pour eux, la naissance d’un monde nouveau.

          Mettre en doute la valeur divine des paroles du Coran, c’est un blasphème puni de mort (2). Il n’y a qu’une seule lecture autorisée du Coran, elle a été précisée au cours des siècles par une tradition de plus en plus fondamentaliste, et les rares voix arabes qui ont tenté récemment de s’ouvrir à une autre forme de lecture ont été étouffées.

           Or, si l’on en croit nos médias, la révolte qui secoue l’un après l’autre les pays arabes a ceci de tout à fait nouveau : ce n’est pas un mouvement lancé par les mosquées, mais par une jeunesse qui a su se servir d’Internet.

          Facebook et Ipad ont pris la place des muezzins.

          Passant par-dessus le clergé chiite ou les imams sunnites alliés des pouvoirs en place, ces jeunes, sentant qu’ils n’avaient plus d’avenir, semblent s’être unis virtuellement pour ouvrir une brèche dans un establishment arabe qu’on croyait incapable à jamais de s’extirper du Moyen âge.

           Est-ce un frémissement voué à s’éteindre dans la répression ou la lassitude, comme tant d’autres ? Ou bien une fissure capable de s’élargir ? De créer une façon nouvelle de vivre en pays islamique, pour la première fois dégagée de l’emprise des dignitaires religieux ?

           L’avenir le dira.

          Si ces révoltes continuent dans ce sens, des questions se poseront. Quelle place pour le Coran dans une société qui aura appris à communiquer librement, sans se référer à lui ? Les arabes oublieront-ils un jour leur livre fondateur, comme les chrétiens ont oublié le leur ?

           Comme les occidentaux, se chercheront-ils alors un « livre » nouveau, c’est-à-dire une identité dans laquelle le Coran ne sera plus guère qu’une référence culturelle ? Nous rejoindront-ils dans une crise d’identité semblable à la nôtre ?

           Et nous occidentaux, dans ce monde qui change, quel « livre » nouveau chercher pour nous retrouver nous-mêmes ?

          Je continue à croire que la personne de Jésus, ses gestes, son enseignement authentique, si originaux qu’ils n’ont jamais été imités ni mis en pratique par nous, pourraient être ce « livre ».

          Utopie, rêve pieux ?

           Mais Jésus n’est pas un livre, et les livres qu’on a écrits à sa mémoire sont (en partie) bien différents de ce qu’il était en vérité.

          Aller à sa recherche, rencontrer une personne et non un ensemble de vérités, un vivant et non des dogmes, est-ce possible, pour une société ?

         L’expérience montre que les livres ne changent pas le monde, pas pour toujours

           Mais une ou quelques personnes, oui, peut-être.

                                                        M.B., 24 février 2011

 (1) Shlomo SAND, Comment le peuple juif fut inventé.

(2) Voir dans ce blog la rubrique L’islam en questions,